Un homme en train de donner son sang à Namur, en Belgique, le 6 décembre 2013 (ISOPIX/SIPA).
À Cyril…
En 2012, François Hollande s’engageait explicitement à mettre fin à l’exclusion des personnes homosexuelles du don du sang. Cela n’a pas empêché la ministre de la Santé d’exceller dans le rétropédalage en déclarant le 14 décembre 2012 sur BFM :
“Je ne peux lever l’interdiction qui existe que si on me donne une garantie absolue que cela n’apportera pas plus de risques pour les transfusés.”
Après la plainte d’un homosexuel qui a attaqué l’Établissement français du sang pour discrimination en raison de l’orientation sexuelle, l’affaire a été porté devant la Cour de justice européenne.
L’argument de la “fenêtre muette”
L’avocat général a produit un réquisitoire sans appel, considérant que le fait pour un donneur d’être homosexuel ne saurait constituer à lui seul un facteur de risque justifiant une telle discrimination, et ce, d’autant plus que se déclarer comme tel sur le questionnaire que doivent remplir les donneurs les excluent définitivement du don de sang pour le restant de leurs jours.
La question est simple : quels risques y a t-il à prélever le sang d’un donneur contaminé ?
Les tests de dépistages pratiqués systématiquement sur les poches de sang permettent d’écarter quasiment tout risque contamination. Le problème vient de ce que les médecins nomment “la fenêtre muette“. Il s’agit d’une période d’environ 15 jours, qui suit la contamination et durant laquelle les tests ne permettent pas de détecter la présence du virus.
Selon l’Institut de veille sanitaire, sur la période 2010-2012, les risques résiduels ont été estimés par la méthode dite : “taux d’incidence/fenêtre silencieuse” à 1 sur 2.750.000 dons pour le VIH.
Voilà pourquoi, lorsque qu’au vu des réponses faites au questionnaire de l’EFS, une personne présente un comportement jugé “à risque”, elle doit temporairement s’abstenir de donner son sang.
Il y a une discrimination incontestable
Ainsi un donneur ou une donneuse dont le partenaire est séropositif fait l’objet d’une contre-indication temporaire de quatre mois.
On ne peut que s’interroger sur cette discrimination évidente. Pourquoi une personne hétéro ayant un comportement à risque ne serait-elle écartée que temporairement du don de sang, alors qu’une personne qui se déclare gay en sera définitivement exclue, même si elle n’a jamais eu de relation avec un autre homme ?
Cette discrimination est due au fait que l’EFS entretien délibérément un distinguo entre les hétérosexuels – qui sont jugés sur leurs comportements – et les homosexuels – considérés comme une population à exclure systématiquement.
La psychose du sang contaminé
Sa seule argumentation repose sur la prévalence accrue du VIH au sein de la population homosexuelle.
C’est considérer d’emblée qu’une personne homosexuelle a – par essence – un comportement irresponsable, alors que le bon père de famille qui aura des relations non-protégées avec de multiples partenaires de passage présentant un fort risque de contamination pourra donner son sang en toute bonne conscience.
Il ne s’agit pas là de mettre à bas les principes de précaution qui doivent prévaloir au don du sang, mais de mettre un terme à une inégalité de traitement que rien ne justifie sinon la psychose qui hante l’EFS depuis l’affaire du sang contaminé et qui l’amène à confondre précautions justifiées et discrimination aveugle.
Le risque, ce sont les pratiques. Pas l’orientation sexuelle
Que la personne soit hétéro ou homo, le risque est strictement le même puisqu’il ne repose que sur l’honnêteté des déclarations du donneur. Comme le demande avec force Jean-Luc Roméro, pourquoi ne pas appliquer la même règle à tous, comme l’ont déjà fait l’Espagne et l’Italie ?
L’American Medical Association, qui regroupe plus de 800.000 praticiens, a demandé la levée de cette interdiction qu’elle considère comme “non fondée scientifiquement”.
Dans la même veine, le rapport remis à Marisol Touraine en juillet 2013 par le député Olivier Veran, qui est également neurologue au CHU de Grenoble, recommandait d’ouvrir le don du sang aux homosexuels en ne se focalisant plus sur l’orientation sexuelle mais sur “le niveau de risque individuel du donneur”.
L’EFS continue à s’enfermer dans le dénie d’une réalité pourtant simple : ce n’est pas l’orientation sexuelle qui est la cause du risque mais les pratiques du donneur, et si l’on considère que le questionnaire de l’EFS est la seule garantie que l’on peut avoir, alors, la confiance doit être la même pour tous sans distinction.
L’exclusion systématique et définitive des homosexuels n’est pas seulement discriminatoire. Deux épidémiologistes de l’Institut de veille sanitaire, Caroline Semaille et Josiane Pillonel ont fait valoir qu’elle pouvait même s’avérer contre-productive.
Ouvrir le don aux gays, c’est améliorer la réduction des risques
Cette discrimination amène souvent les gays à ne pas déclarer leur homosexualité, l’exclusion du don du sang pour ce seul motif étant vécu comme étant particulièrement stigmatisant. Résultat : c’est que presque la moitié des dons de sang trouvés positifs au VIH qui sont issus d’hommes contaminés par des rapports entre hommes.
Lever cette exclusion permanente serait un facteur de responsabilisation. En traitant les gays à égalité avec les autres donneurs, cela pourrait enfin leur permettre de se déclarer comme tels et entraînerait une bien meilleure information de leurs comportements, permettant enfin un dialogue honnête et facteur d’une importante réduction des risques.
Si une large majorité de nos concitoyens trouvent cette interdiction injustifiée et qu’il probable que la Cour de justice européenne condamne la France, il ne faudrait pas oublier que cette discrimination plonge ses racines, non pas dans une démarche scientifique digne de ce nom, mais dans une morale qui a fait écrire à certains : “Pas envie d’avoir du sang de pédale dans les veines !”