LE POINT

April 16, 2010

47- Ces chanteuses adorées par les gais

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Le 20 février, à Paris, sur la scène de lʼOlympia, le chanteur new-yorkais Rufus Wainwright rendra
hommage à Judy Garland, actrice et chanteuse américaine morte en 1969, mais restée, en particulier aux
Etats-Unis, une des icônes gay les plus célébrées.
Le monde de la chanson fé-
minine fournit depuis longtemps
son lot de fi gures au panthéon
intime de lʼhomosexualité mas-
culine. De Marlene Dietrich à
Madonna, de Dalida à Mylène
Farmer, en passant par Barbara,
Kylie Minogue, Barbra Strei-
sand ou Sheila, elles sont nom-
breuses à être régulièrement
citées ou revendiquées comme
références culturelles de la com-
munauté gay.
Est-ce céder aux stéréotypes
que de chercher comment et
pourquoi une artiste rassem-
ble des fans en partie identifi és
selon leurs préférences sexuel-
les ? La question fait débat sur
les forums dʼInternet. Celui de
gayland.com sʼinterroge : “Les
gays aiment Mylène Farmer ?”,
avec prises de bec entre fans et
détracteurs de la chanteuse ; le
site etalors?.com (une autre vi-
sion du monde gay et lesbien)
demande, lui, “La communauté
homo est-elle stéréotypée en
musique ?”
Certains en profi tent pour dé-
noncer les clichés et multiplier
les contre-exemples (“Pas be-
soin dʼêtre gay pour aimer
Madonna”, “On peut être gay
et détester Sheila”), dʼautres
détectent là les effets pervers
du communautarisme (“Je vois
ça comme du conformisme par
rapport aux autres homos ou un
moyen de sʼaffi rmer en tant que
tel”) ou constatent la réalité de
ces coups de coeur (“Quand une
artiste chante avec des paroles
qui pourraient sʼassimiler à la
vie dʼhomosexuels, cʼest normal
que les homos sʼy retrouvent”).
Si les chanteuses attirent plus
que les chanteurs, estime Serge
Hureau, directeur du Hall de la
chanson, artiste et ancien mi-
litant du FAHR (Front dʼaction
homosexuel révolutionnaire) au
début des années 1970, cʼest, en
particulier, à cause du “plaisir
dʼentendre des mots dʼamour
adressés à des hommes. La
chanson permet le polymorphis-
me du désir”.
“Ces chanteuses cristallisent,
parfois dès lʼenfance, notre part
de féminité, à un moment où
nous ne savons pas encore expri-
mer cela consciemment”, sug-
gère Pierre Fageolle, journaliste
à Femme actuelle, qui, pour le
magazine Idol, avait réalisé une
CD compilation, Nos meilleures
copines, sur le thème des icô-
nes gay. Pour quʼune chanteuse
soit consacrée “diva homo”,
lʼidentifi cation par les mots
sʼaccompagne en général dʼune
stylisation extrême de lʼappa-
rence. “La question du sexe
se joue aussi sur le vête-
ment,  constate Serge Hureau,
sur des artifi ces, sur un mas-
que que lʼon peut sʼapproprier,
au besoin jusquʼau travestis-
sement.” Ce jeu peut porter
vers lʼandrogynie - comme le
look de garçonne de Barbara,
ou les smokings portés, en son
temps, par Marlene Dietrich.
Il met surtout en scène une fé-
minité exacerbée, à la façon des
meneuses de revue du music-
hall. Comme au temps de Mis-
tinguett et de ses “boys”, des
artistes telles Mylène Farmer,
Mireille Mathieu, Dalida, Sylvie
Vartan ou Kylie Minogue (dont
les robes ont lʼhonneur dʼune
exposition, jusquʼau 10 juin, au
Victoria and Albert Museum, à
Londres) ont manipulé parures,
maquillage, chevelure, choré-
graphies comme on joue à la
poupée. Suite page 22
Showgirl hors pair, Madonna
a poussé lʼart de la métamor-
phose jusquʼau transformisme,
souvent aidée de son ami, le
couturier Jean Paul Gaultier. De
cette relation particulière avec le
public homosexuel, Madonna a
dit un jour : “Je crois que lʼune
des raisons pour lesquelles la
culture gay accepte plus faci-
lement les femmes fortes et les
divas est que la tension sexuelle
a disparu. Le côté “cul” nʼexiste
pas, si bien que les gays ne trai-
tent avec les femmes que sur un
plan intellectuel et émotionnel.”
Le destin et la personnalité de
ces “reines” offrent dʼautres oc-
casions de se rapprocher dʼelles.
Rarement des jeunettes, ces di-
vas - lyriques comme Maria Cal-
las ou de la chanson populaire
- ont affi rmé leur indépendance,
au prix parfois de la solitude ou
dʼune vie amoureuse chaotique.
“Le choix des homos se porte
souvent vers des femmes phal-
liques, observe Serge Hureau,
des vestales qui peuvent être à la
fois maternelles et dʼune auto-
rité qui conteste le patriarcat.
Leur solitude, leurs blessures
entrent aussi en résonance avec
une expérience homosexuelle
qui connaît cette souffrance.”
Ce mal de vivre, ces fêlures,
ces chanteuses savent, là encore,
les styliser. On pense aux vête-
ments noirs de Barbara qui sa-
vait mêler deuil intime et rayon-
nement scénique, ou à la façon
dont Mylène Farmer exploite
des thèmes comme lʼenfance
perdue, lʼobsession morbide ou
lʼambiguïté sexuelle.
Comme chez Judy Garland,
drame et glamour peuvent faire
bon ménage. Lʼexemple le plus
révélateur serait, en France, ce-
lui de Dalida, vamp et madone
à la voix grave et aux épaules
carrées, morte suicidée, le 3 mai
1987. “Dalida est lʼincarnation
des fantasmes du public gay, de
la femme quʼil voudrait être, à la
fois glamour, forte, fragile”, as-
sure Orlando, frère et légataire
universel de la chanteuse. “Ce
public sʼest rapproché dʼelle
une première fois en 1967, après
son premier suicide, elle était
alors une madone aux grandes
chansons tragiques. Puis une
seconde fois, dans les années
1970, quand elle est devenue
une vamp disco.” Grâce aux
remix techno de ses chansons,
produits par son frère après
sa mort, Dalida a renouvelé
son contingent de fans dans la
communauté gay. Elle demeure
un must des DJ, par exemple
dans des lieux de fêtes parisiens
comme le Tango ou la Nuit des
Follivores, et Orlando reste actif
- huit DVD sortiront en mars, et
une grande exposition Dalida aura
lieu, en mai, à la mairie de Paris.
Les pistes de danse ont souvent
adoubé de nouvelles icônes.
Dans les années 1970, la vogue
du disco a correspondu à lʼépa-
nouissement dʼune culture gay
sortant de la clandestinité, pour
revendiquer un hédonisme pro-
portionnel à ce quʼavait été ses
frustrations. Amanda Lear, Don-
na Summer… les “disco queen”
se multiplieront.
Le virage disco pris par Sheila,
à la fi n des années 1970, trans-
formera ainsi une partie de son
public. “Avant cela, jʼétais la
chanteuse des familles”, analyse
Sheila. “Avec le disco, la frange
gay de mon public sʼest brus-
quement agrandie. Mais cʼest à
la fi n des années 1980 et surtout
lors de mon retour en 1998, que
je mʼen suis aperçue. Ce public
constituait soudain 80 % de la
salle de concert !”
Un soutien que Sheila - dont
on vient de rééditer les albums
en intégrale - apprécie. “Cʼest un
public aussi exigeant que fi dèle.
Ce sont des gens qui aiment fai-
re la fête, qui nʼont pas peur de
se lâcher.
Ils entraînent tout le monde. Si
je peux continuer à faire ce mé-
tier, cʼest en grande partie grâce
à eux.” Chantal Goya, remixée
et fêtée régulièrement par un
public masculin attaché à ses
souvenirs dʼenfance, pourrait en
dire autant.
Cette proximité entre vedettes
féminines et public homosexuel
tisse des liens extra-musicaux,
spécialement depuis les ravages
de lʼépidémie de sida. Sheila,
comme Madonna, Barbara,
Line Renaud ou de nombreuses
autres, se sont impliquées dans
la lutte contre ce fl éau, renfor-
çant encore lʼaffection quʼon
leur porte.
Au contraire dʼune Donna Sum-
mer qui, dans les années 1980,
avait eu la bêtise de parler du sida
comme dʼune “punition divine”.
La communauté gay se détourna
de sa diva, qui, commerciale-
ment, ne sʼen remit jamais.

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