Julien, toi qui préfères les hommes

Suite no. 8
Le paysage était magnifique, entouré de montagnes austères. Le ciel bleu avait cette luminosité particulière qu’on ne trouve qu’en haute montagne. Ça sentait bon l’été et le bonheur. Nous étions très gais dans la voiture, les vacances venaient de commencer et tout était prétexte à rire.

Dans l’église, j’ai senti la nervosité de Julien. Tendu, les traits tirés, j’étais sûre que, même si son regard allait vers les mariés, il ne voyait rien, perdu dans ses pensées. À un certain moment, j’ai cru qu’il allait se trouver mal. Tantôt debout, tantôt assis, prenant brusquement sa tête entre ses mains, il donnait l’impression de souffrir. Impossible d’en savoir davantage, Julien ne répondait pas à mes questions. Étonnée, soucieuse, je ne comprenais rien.

« Ça va ?
– Ça va ! »
À la sortie de la cérémonie, j’ai perdu mon fils, dans le joyeux tumulte, entre la pluie de riz, les flashes des photographes et tous ces amis que je retrouvais.`

Un cercle de jeunes est venu entourer les mariés en chantant, Julien était parmi eux, très à l’aise : son malaise avait donc disparu? Nous sommes rentrés tard dans la nuit. La chaleur m’empêchait de dormir. À un certain moment, j’ai cru entendre un bruit dans le couloir, une porte qui claquait.

Julien pleurait sur son lit et son désespoir faisait peine à voir. Je me suis souvenue de son comportement étrange à l’église, j’ai cru y voir un lien : mais lequel ? Intriguée, je me suis assise à coté de lui, en lui entourant affectueusement les épaules de mon bras. Nous sommes restés silencieux pendant un long moment. Julien a fini par se calmer. «Jamais, je ne pourrais jamais …
– Qu’est ce que tu ne pourras jamais, mon chéri?» Pourquoi cette douleur ?

« Jamais je ne pourrais avoir des enfants, une vie comme tout le monde, claire, nette, heureuse. Parfois, quand je suis avec un ami, il y a des regards, des mots qui font mal. Surtout, surtout je voudrais des enfants, moi aussi, j’adore les gosses, tu le sais. Avoir un petit, le conduire dans la vie … Maman, pourquoi je ne suis pas comme les autres ? Pourquoi suis-je comme cela ? La vie est injuste. Quand j’ai vu la mariée à l’église, avec son sourire heureux, j’ai haï son mari, j’en ai été jaloux, j’en voulais à la terre entière et je me disais : «Toi, jamais, jamais, tu ne pourras faire ça!» Et j’ai pensé aux enfants que je ne pourrais pas avoir. J’avais envie de mourir sur le champ. Foudroyé. De toute façon, ma vie ne sert à rien. Je serais toujours montré du doigt, ridiculisé: je suis homosexuel !»

Un long silence.
« Tu sais, parfois je délire. Je me dis que je pourrais faire un enfant à une fille, oui, mais après ? Je ne resterai jamais avec elle, cela n’est vraiment pas possible.

Alors, à quoi servirait-il de faire un petit si je ne peux pas lui assurer une vie de famille, avec un papa et une maman? Je suis un raté, pire, un pédé »

J’ai senti arriver mes larmes : non, il ne fallait pas que Julien me voie ainsi. J’avais peur que ma voix ne me trahisse. Je l’ai serré très fort dans mes bras. Que pouvais-je lui répondre ? Nous sommes restés un long moment silencieux. Julien a poussé un long soupir en murmurant : « Si au moins j’avais un ami, un vrai…»

J’avais envie de crier ma douleur avec lui, car je le sentais si désespéré et si seul devant les problèmes et les complications de la vie. Bien sûr, nous, sa famille, nous sommes là : une affection profonde nous unit mais Julien est à l’âge des projets, à l’âge où la vie s’ouvre grand devant soi, où tous les espoirs sont permis, à l’âge où l’on cherche l’autre, pour faire un long bout de chemin ensemble.

« Maman, a dit doucement Julien, je me sens aussi mal moralement qu’il y a deux ans : déchiré, vide. A l’époque je ne pouvais pas t’en parler mais maintenant je peux te raconter que j’étais tombé amoureux fou d’un garçon qui me paraissait être le compagnon idéal. Beau, cultivé, intéressant, heureux de vivre. Tu connais ce sentiment de plénitude, de bonheur ? Plus rien ne pouvait m’arriver. Je l’aimais. Cela a duré dix mois.»
– Dix mois ? »
– Il m’a quitté. Je suis tombé en enfer. Tout s’est écroulé autour de moi, plus rien n’avait de sens, de valeur. J’étais anéanti et je ne pouvais pas t’en parler. Depuis, je suis incapable d’aimer. J’ai parfois des coups de foudre qui durent quelques jours, quelques semaines, mais cela passe comme c’est venu et je ne sais que faire souffrir l’autre. En même temps j’espère, tu comprends ? Crois-tu que je pourrai à nouveau aimer quelqu’un ? Le temps passe et je ne fais rien de bon. Que vais-je devenir ? »

Nous étions assis sur son lit, il avait la tête sur mon épaule, je lui caressais doucement les cheveux; Le temps passait, la nuit était bien entamée, la fête avait duré longtemps. Peu à peu Julien s’est calmé, il a fini par s’assoupir. Je l’ai laissé tout à fait endormi, après avoir bordé son lit comme je le faisais lorsqu’il était petit.

J’étais épuisée, moi aussi, mais malgré ma fatigue j’ai eu beaucoup de mal à m’endormir. Enveloppée dans une immense tristesse, je me posais la même question que Julien : « Homosexuel…Mais pourquoi?»

Le lendemain, j’ai raconté à mon mari le triste récit de Julien et son désespoir de la nuit. J’étais encore bouleversée par toutes ces confidences et j’avais besoin de son réconfort. Je ne pouvais plus porter ce lourd fardeau toute seule. Ce n’était pas possible, pensais-je, que Julien traverse sa vie en souffrant ainsi.

Il n’y avait que mon mari qui pouvait m’aider, Julien était son enfant aussi, il ne pouvait pas rester insensible à sa peine.

Nous n’avions jamais eu de sujets tabous, cette situation était bloquée depuis trop longtemps, il fallait qu’on se retrouve et qu’on partage nos peines et nos espoirs.

Après le récit des événements de la nuit, mon mari m’a regardée avec tristesse et a seulement dit :
« Pauvre gosse ! »
Cela m’a donné du courage: ainsi, il ne fuyait plus le dialogue, un petit contact était en train de s’établir ! Il y a eu un long moment de silence : nous étions de nouveau très proches, et j’étais bien. Mon mari a posé sa main sur la mienne, en me regardant avec beaucoup d’affection et m’a dit: «L’idée de l’homosexualité de Julien ne m’a plus quitté depuis ce triste jour de l’aveu. En tant que médecin, j’ai peut-être su tout de suite, et mieux que quiconque, ce que cela signifiait.»

Je n’osais pas rompre le silence qui s’ensuivit. Au bout d’un long moment, mon mari continua: «Il n’y a rien à faire, il faut l’accepter, simplement. Et c’est bien là où le bât blesse. On ne sait pas encore vraiment pourquoi un enfant peut avoir de tels penchants. À l’heure actuelle, on ne peut qu’avancer des hypothèses.»

« Tu sais, on parle beaucoup de la crise œdipienne, quand l’enfant, vers cinq-six ans, est amoureux de sa mère, jaloux de son père qu’il considère comme un rival ! On dit que si l’enfant n’arrive pas à dépasser ce problème, à accepter le père, puis à s’identifier à lui, il peut en résulter des troubles du comportement, l’homosexualité dans certains cas. Maintenant, pourquoi l’enfant n’arrive-t-il pas à surmonter cette crise ? Les psychologues avancent diverses raisons : traumatisme important dans l’enfance, mère trop possessive, ou qui a transféré sur son fils un amour qu’elle ne trouvait plus chez son mari, père absent, inexistant, trop autoritaire, ou présentant des défauts tels qu’il ne peut servir de modèle.

« Tout cela est à prendre avec un certain recul, ce ne sont que des hypothèses malgré tout.»

Suite de cette
publication dans notre édition numéro 88
Pour lire le livre  gratuitement dans sa version intégrale et le tome II – À Dieu Julien,
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