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Julien, toi qui préfères les hommes

Saturday, February 4th, 2012

Publication exclusive du pre-
mier livre de Caroline Gréco
portant sur l’annonce de l’ho-
mosexualité d’un jeune à ses
parents.
Photo: Julien – Gay Globe Média Publié avec l’aimable autorisation de l’auteure et de Gilles Schaufelberger
Suite no.2
Vos enfants ne sont pas vos enfants,
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même. Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. Vous pouvez leur donner votre amour
mais non vos pensées
Car ils ont leurs pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes, Car leurs âmes habitent la maison de demain,
que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier. Vous êtes les arcs par qui vos enfants,
comme des flèches vivantes, sont projetés. L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini, et il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin. Que votre tension, par la main de l’Archer soit pour la joie ;
Car de même qu’Il aime la flèche qui vole,
Il aime l’arc qui est stable.
J’ai trouvé un certain réconfort en le relisant. La liberté est quelque chose de tellement important pour moi, oui mais quand votre enfant part sur un chemin de traverse, com- bien c’est difficile de le laisser partir!
Pourquoi Julien a-t-il choisi une voie aussi compliquée? Homosexuel. Comment en est-il arrivé là? Pourquoi faut-il qu’il fasse partie de ce monde à part? Difficile à comprendre et à admettre.
Et si cela était de ma faute? Si j’en était responsable? Cette question lancinante ne cessait de me tourmen- ter, elle se lézardait en des milliers de : « J’aurais dû… Si j’avais su »…
Ai-je été une mère trop pos- sessive? L’ai-je trop protégé, trop gâté, peut-être trop aimé? Julien est un hypersensible, un écorché vif qu’un rien peut blesser profondément. Calme et solitaire, agréable à vivre, malgré ses contes- tations parfois bruyantes, il n’a que très peu d’amis, que je ne connais pratique- ment pas. Bien qu’il soit très grand, on le prend parfois pour une fille. Cela est dû à sa silhouette mince et élé- gante, à ses traits fins et à ses cheveux mi-longs.
L’idée de l’homosexualité a dû me traverser l’esprit au moins une fois, car je me souviens maintenant avoir pensé que, malgré son as- pect délicat, il n’avait pas vraiment des gestes effémi- née. Parmi ses amis il n’y a jamais eu beaucoup de filles. Je me souviens de cette lon- gue amitié avec Thibaut, qui a duré jusqu’à l’année der- nière, mais il me semble que c’était surtout leur passion de la voile qui les unissait. Est- ce que celui-ci connaissait les tendances de Julien ? En ont- ils parlé ensemble ? Se sont-ils disputés à cause de cela ? Ou alors est-ce Christelle, l’amie de Thibaut qui a découvert les penchants homosexuels de Julien et qui n’a plus voulu que les deux garçons se voient ? Leurs chemins, en tous cas se sont brusquement séparés et Julien n’a jamais voulu me donner d’explications. Quel désarroi dans ma tête, depuis la conversation de hier soir ! Homosexuel ! Moi, sa mère, qui me sentait si proche de lui, je n’ai pas été capable de le déceler ! Comment cela a-t-il été possible ? Et me voilà partie dans une remise en question sur la profondeur des liens qui nous unissent, me voilà en train de chercher la faille, le pourquoi… Tout cela est au fond très clair : cela est dû à mon comportement : si j’avais été plus disponible, plus patiente, moins pressée, plus à son écoute… Mais non, voyons, ce n’est pas pour cela qu’on devient homosexuel !
Les heures passaient et je tournais en rond, avec mes ré- flexions morales et mes questions, qui loin de m’apaiser em- brouillaient encore plus ma pauvre cervelle. Et maintenant, comment l’aider ? Oui, mais que voulais-je dire avec ce mot : « aider » ? L’aider à accepter son homosexualité ou l’aider à abandonner cette tendance ? A partir de là, deux nouvel- les questions se posaient : accepter le choix de Julien ou me faire plaisir ? J’étais constamment au croisement de ces deux routes, choisissant, selon l’humeur ou la déprime du moment, une direction, pour en changer quelques minutes plus tard, en essayant de me raisonner, sans y parvenir.
Au fil des jours, en réfléchissant bien, je découvrais des petits détails, des réactions de comportement de Julien auxquels je n’avais vraiment pas fait attention, auxquels je n’avais donné aucune importance et qui, pourtant auraient dû me mettre en alerte et semer le doute en moi.
Comment aurais-je pu penser à l’homosexualité? « Ce gen- re de choses n’arrivera pas dans ma famille », me disais-je lorsque, rarement il est vrai, j’entendais parler d’un homo- sexuel.` « C’est un malheur, pensais-je, mais enfin, si les parents avaient réagi un peu vite, ils auraient pu éviter ce genre de situation.»
Je me sentais bêtement en sécurité et sûre de moi, de ma vie et surtout de celle de ma famille. Homosexuel? Rien que le mot me donnait la nausée et me faisait frémir. Les miens étaient à l’abri de certaines perversions, mes enfants étaient magnifiques, j’étais fière d’eux, il était impossible qu’une chose aussi monstrueuse arrive chez nous; Aujourd’hui, je me demande avec un grand sentiment de culpabilité si j’aurais pu changer l’orientation sexuelle de mon fils en étant plus attentive et moins fière. Est-ce ma faute ?
Julien est beau : cheveux blonds, grands yeux noisette, om- bragés de longs cils, des traits fins, grand, svelte. Une fosset- te se creuse, sur la joue gauche seulement, lorsqu’il sourit:
ce sourire le rajeunit. Je le revois, enfant, quand il venait m’embrasser avec ce sourire éclatant, en me ser- rant le cou jusqu’à m’étouf- fer. Je savais alors qu’il avait fait une bêtise et qu’il commençait à user de tout son charme pour essayer de se faire pardonner, bien avant de me parler de son méfait! Ah, les sourires, les éclats de rire et les bisous de Julien! Je proclamais qu’il était très affectueux, qu’il était doux comme une fille. Mon mari faisait semblant de se fâcher et réclamait sa part de tendresse. Je le trai- tais de jaloux en riant. Je ne voyais pas plus loin!
A l’adolescence, il a com- mencé à soigner de plus en plus sa tenue vestimentai- re, à aimer les bijoux et les eaux de toilette. Naïvement je pensais qu’il découvrait les filles : était-il amoureux? Et pourtant il était entouré presque exclusivement de copains : il est vrai qu’à cet âge on est très secret. Son hypersensibilité a sûrement été mise en alerte quand je m’étonnais que sa bande soit composée seulement de garçons. Là encore, combien j’étais naïve! Je pensais que cela était dû à leur grande timidité ! Un jour, il m’a pré- senté Corinne, après m’avoir avoué son amour pour elle. Ils avaient dix-sept ans tous les deux. Leur couple m’at- tendrissait. Je me disais que Julien devenait adulte et j’en étais fière, en même temps j’avais le sentiment de le perdre un peu : était-ce de la jalousie? Corinne a dis- paru au bout de trois mois. Les copains sont restés. Quelque temps après, Julien m’a avoué être amoureux de Lucienne, qui, hélas! avait déjà un ami.
L’amitié avec Françoise a duré plus d’un an. Ils se voyaient tous les jours lon- guement et lorsque Julien rentrait à la maison ils se téléphonaient encore inter- minablement. Ils avaient un comportement d’amoureux et pourtant je n’ai jamais vu, entre eux un geste ten- dre, un baiser. Cela m’intri- guait beaucoup. Julien m’a toujours dit que ce n’était qu’une excellente amie, sans plus. Je n’arrivais pas à comprendre. Je savais que Julien avait quelques difficultés avec sa bande de copains qui n’aimait pas Françoise mais même à ce moment là, je n’ai jamais eu le moindre soupçon. Fran- çoise disparue, seuls sont restés les copains. Julien me cachait peut-être un nouvel amour ?
Suite de cette publication dans notre édition numéro 82
Pour lire le livre gratuitement dans sa version intégrale et le tome II – À Dieu Julien, rendez-vous au www.gayglobe. us/julien/