Julien, toi qui préfères les hommes Publication exclusive du premier livre de Caroline Gréco portant sur l’annonce de l’homosexualité d’un jeune à ses parents.

Leurs feuillages épais en été donne une fraîcheur agréable aux visiteurs et amis qui la parcourent à pied. La maison a été rénovée au cours des siècles, sa beauté et son charme ont été mis en valeur par des architectes qui ont su garder intact son style. Ses vieilles pierres lui donnent une apparence tranquille et discrète. La maison est longue et basse, protégée par un toit de vieilles tuiles aux couleurs délavées. Ses fenêtres à la française sont disposées de façon très régulière. L’entrée, entourée de rosiers magnifiques est située au milieu de la façade. On y accède par un perron à trois marches, large et majestueux. A gauche, un peu à l’écart, il y a le pigeonnier. Je crois qu’il est aménagé. Souvent, le soir une petite lumière brille sous le toit. Qui habite ce pigeonnier ? Je ne sais.

Damien a dix-neuf ans : grand, élancé, aux allures de fille, il ne passe pas inaperçu. Pourtant il n’est pas très beau avec ses yeux un peu trop rapprochés, son visage sans éclat particulier et ses cheveux châtains mi-longs, mais il se fait remarquer par sa silhouette gracieuse et fine, ses gestes très maniérés et son habillement excentrique. Damien adore les bijoux et il en porte abondamment. Il a toujours une boucle d’oreille avec un petit diamant à l’oreille gauche, une bague à presque tous les doigts et des colliers extravagants, en or, autour du cou. Un colosse d’un mètre quatre-vingt dix dont la tête bien ronde est entourée de cheveux grisonnants, un teint mat et des yeux clairs à l’éclat particulièrement tendre, ont fait la conquête de Damien. La silhouette musclée donne une impression de force et de calme en même temps. Avec Henri on doit se sentir en sécurité. Ils forment un couple étrange. Damien vient d’un milieu modeste et a découvert une vie luxueuse dont il ne soupçonnait pas l’existence : voyages, hôtels de luxe, réceptions, grands couturiers et l’aisance de la riche bourgeoisie qui s’offre à  lui  le fascine. Henri est en adoration devant ce gamin de trente-trois ans son cadet, qui le mène par le bout du nez, qui passe ses journées dans l’oisiveté la plus complète, qui ne s’intéresse qu’à ses vêtements et ne pense qu’à faire la fête, capricieux comme un petit gosse lorsqu’il y a un contretemps et que le programme prévu doit être modifié à la dernière minute.

Damien est souvent seul pendant la journée, tandis que Henri s’occupe de la propriété. Damien s’ennuie et part à la chasse aux beaux corps, rien d’autre ne l’intéresse. Henri le sait mais ferme les yeux. Il y a aussi les soirs où le couple ramène un jeune pour tous les deux…Ces comportements ne sont pas rares chez les homosexuels. Julien a rencontré Damien lors d’une soirée chez des amis communs. Mon fils le trouve trop vide,

trop efféminé aussi, mais il ne peut s’empêcher d’être ébloui devant l’étalage de cette vie luxueuse. Damien, qui a probablement besoin d’un témoin de la richesse dont il dispose, désire souvent la présence de Julien pour le présenter à ses amis. Et voilà ma peur qui revient ! Peur de cette morale différente de la nôtre, peur que Julien se fasse entraîner dans des histoires obscures… Julien oh Julien, combien je tremble pour toi, parfois! X. Thévénot écrit : Le changement de partenaire sexuel et la drague sont, de fait, deux réalités importantes du phénomène homosexuel. Il explique ensuite la drague sauvage, où seul le contact sexuel compte. Puis il décrit un autre type de drague, où l’on recherche surtout une rencontre humaine, chargée d’affects amoureux qui s’expriment aussi par le plaisir érotique. Et ensuite, il y a ceux qui changent souvent de partenaire, malgré leur désir conscient d’avoir une liaison stable : Je change parce que c’est plus fort que moi. Cette vie de drague est souvent tolérée par l’ami.

Alex et René vivent ensemble depuis deux ans; Le travail de René ne lui laisse que peu de jours de vacances. Alex, par contre, peut se libérer assez facilement. De temps en temps, il part donc deux ou trois jours « se reposer ». René sait que son ami va se défouler avec d’autres garçons: il accepte.

Julien et ses amis se retrouvent souvent pour une fête, un repas, une sortie en boîte, une soirée de drague. Le groupe ne résiste jamais longtemps, parce que, dans cette ambiance de flirt permanent, il est en proie à la jalousie, aux commérages. « J’étais au restaurant; À la table voisine de la nôtre, il y avait un type magnifique. Robert l’a dragué, et nous avons été tous ensemble finir la soirée en boîte. Il était beau, d’accord, mais assez borné. Dommage ! »

Et pourtant, quand Julien parle avec moi, il dit souvent que ce qu’il y a dans la tête est plus important que la beauté physique. Et tout de suite, il me cite des noms de copains avec qui il a eu des aventures, en me précisant combien ils étaient laids mais intéressants. Quelques minutes plus tard, il oublie ce qu’il m’a raconté et m’explique que, pendant ses dernières vacances, il a croisé un garçon tellement beau … « Il n’avait qu’un geste à faire, et je l’aurais suivi n’importe où, sans me poser de questions : il était trop beau ! Mais malheureusement, il était déjà, avec quelqu’un ! »

Donc, au départ, on se choisit parce qu’on se plaît physiquement, peu importe si l’autre ne correspond pas, intellectuellement, à l’image qu’on s’en était faite. À partir du moment où il y a attirance, il n’y a plus de barrières. Les déceptions sont nombreuses, et parfois dures à assumer. Si l’on se plaît, très vite on s’installe ensemble et si l’on a de la chance, cela marchera quelques mois, même quelques années. . Il y a des exceptions, bien sûr, mais souvent les vieux couples n’ont plus de vie commune. Ils restent ensemble par habitude, par peur de la solitude, de la vieillesse, ou alors parce qu’ils ont acheté des biens en commun. Jean-Noel Pancrazi, dans son livre Les quartiers d’hiver , décrit bien la solitude d’un homosexuel âgé, qui voit ses vieux amis partir vers d’autres villes ou d’autres pays, ou bien mourir du sida, ce nouveau fléau des temps modernes.

Entre un homosexuel qui court désespérément d’un amour à un autre et qui n’arrive pas à se fixer, allant d’aventure en aventure, de fête en fête, évoluant ainsi dans une ambiance fragile, superficielle, sur un terrain peu stable où le paraître, la séduction, le désir de plaire sont très importants, où la vraie personnalité reste bien cachée, et un homme et une femme, hétérosexuels qui courent eux aussi d’aventure en aventure, où est la différence ? En fait, il s’agit de la même recherche effrénée du plaisir : ils se cherchent à travers leurs conquêtes.

Ce qui choque notre morale est cette attirance entre deux personnes du même sexe. D’autre part, cette quête du plaisir chez les hétérosexuels ne dure, dans la plupart des cas, qu’un temps. Un jour on rencontre « l’autre », avec lequel(le) on a envie de construire quelque chose de sérieux et «on se case». L’éternel insatisfait, le don Juan, reste l’exception. On ne se moque pas d’un don Juan mais on n’a pas de pitié pour un homosexuel. Pourtant leur problème est singulièrement le même : tous les deux cherchent leur plaisir, leur seul plaisir, sans jamais pouvoir le satisfaire et c’est une quête effrénée et constante. Il y a des homosexuels qui vivent en couple : cela ne les empêche pas de chercher des aventures. Il y a des Don Juan qui se marient : et ce n’est pas parce qu’ils ont femme et enfants, qu’ils cessent de draguer. L’un comme l’autre sont insatisfaits, malheureux, à la recherche d’un bonheur impossible.

Au début des vacances, nous avons été à un mariage. Nous en parlions depuis longtemps, avec joie. Cette cousine qui se mariait en Savoie nous donnait l’occasion de faire un beau voyage, et surtout de retrouver et de revoir toute la famille : oncles, tantes, cousins et les amis, et puis c’était la fête! Nous avons eu du mal à trouver la petite église de montagne, cachée par une colline verdoyante. Le son de la cloche nous servait de guide.


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