VIH : les recommandations divergent entre la France et l’Amérique

Medscape

Point de vue du Pr Gilles Pialoux de l’hôpital Tenon

Beaucoup de changements cet été en matière de prise en charge du VIH. Les nouvelles recommandations de l’International Antiviral Society-USA panel sur le traitement du VIH sont parues ainsi que les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur l’utilisation du traitement préventif du VIH/SIDA par l’antirétroviral Truvada® (emtricitabine et ténofovir disoproxil, Gilead Sciences). [1,2].

A quand les recommandations françaises ?

Le Pr Gilles Pialoux (Chef de service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Tenon ; Vice-Président de la Société Française de Lutte contre le SIDA, Paris, & www.vih.org) fait le point pour Medscape.fr.

Medscape France : Quels sont les nouveaux messages des recommandations internationales et américaines ?

Gilles Pialoux : Dans les nouvelles recommandations américaines et de l’OMS, il est très clairement explicité que le traitement peut être prescrit quel que soit le chiffre de CD4, soit pour apporter un bénéfice au patient, soit pour protéger le partenaire séronégatif dans les couples sérodiscordants.

En France, nous n’avons pas ce degré d’incitation à proposer le traitement dans cette indication dans les recommandations françaises même si cela reste possible. En 2009, 2010, au moment de l’élaboration et de la publication de ces recommandations, nous parlions bien moins de l’utilisation du traitement en prévention qu’en 2012.

En parallèle, l’OMS s’est prononcée, cet été, en faveur de la stratégie de prophylaxie pré-exposition (PrEP) et recommande aux pays qui envisagent de proposer cette solution de veiller: (1) à ce que les personnes soient effectivement séronégatives, (2) d’encourager les populations sous prophylaxie à utiliser le préservatif, (3) de suivre toute manifestation indésirable (du traitement) et (4) de soumettre ultérieurement les sujets sous traitement à un test de dépistage du VIH.

Au même moment, la Food and Drug Administration (FDA) a, elle aussi, approuvé l’utilisation de la PrEP par Truvada® dans le cadre d’une stratégie globale de prévention du VIH dans le pays.

Que pensez-vous des AMM délivrées par la FDA pour le test de diagnostic salivaire OraQuick® (OraSure Technologies) et pour la PrEP ?

G.P. : Par ces deux autorisations de mise sur la marché, l’Amérique prend une position, osée et un peu à part. Probablement parce qu’il y a un lobbying à la fois communautaire et pharmaceutique que nous ne retrouvons nulle part au monde à ce niveau-là.

L’autorisation pour ce test salivaire, utilisable seul à domicile, a été accordée aux Etats-Unis en abaissant les critères d’exigence en termes de sensibilité. Elle a été refusée en France du fait du déficit de sensibilité. L’argument des autorités de santé américaines est de dire qu’aux Etats-Unis, 240 000 personnes sont séropositives sans le savoir (28 000 en France). Mais, d’après les calculs, 3000 personnes seront ainsi détectées séronégatives à tort. Je crois que nous ne pouvons pas avoir ce faible niveau d’exigence de sensibilité d’un test en matière de virus du sida qui implique de laisser ces gens qui vont s’autotester dans la nature en se croyant faussement séronégatifs.

En outre, en ce qui concerne le Truvada® en PrEP, comme les « home tests » de diagnostic salivaires, reste à savoir qui va vraiment y avoir accès, économiquement parlant, aux Etats-Unis.

Il faut suivre ce nouveau vent qui souffle aux Etats-Unis, peut-être plus vite que la musique, certes, mais qui va fournir à la communauté internationale des informations de terrain intéressantes.

Peut-on attendre des recommandations françaises dici peu ?

G.P. : Les dernières recommandations françaises ont été commandées en 2009 et publiées en Juillet 2010. Depuis, il s’est passé tellement de choses qu’effectivement, nous avons besoin d’actualiser les recommandations, notamment sur les aspects « traitements comme outils de prévention », tests diagnostiques, et « vieillissement » qui ont beaucoup évolué. Les médecins ont besoin d’un cadre strict auquel se référencer.

Mais, me semble-t-il, il n’y aura pas de rapport d’experts mandaté par l’Etat pour des raisons d’incongruence entre la loi sur le médicament et les liens d’intérêts des experts. Il est possible que ce soit une ou plusieurs Sociétés savantes, comme la Société Française de Lutte contre le SIDA ou, peut-être les experts de l’HAS, qui se chargent des recommandations. Au final, je ne sais pas quand nous disposerons d’un nouveau texte.

Comment voyez-vous lavenir du traitement du VIH ?

G.P. : Il y a un courant qui n’est pas dans les recommandations qui est de dire que la persistance d’une réplication virale toute une période induit une inflammation chronique et que c’est possiblement une perte de chance pour les patients. Si vous prenez en considération que le traitement est aussi un outil de prévention, qu’il existe une inflammation chronique qu’il faut combattre et que le SIDA reste une maladie où les gens ont un vieillissement plus rapide que la population générale, les futures recommandations devraient augmenter considérablement les indications de traitement. A mon sens, nous allons vers une proposition de traitement sur toute une vie. Avec ce que cela comporte d’interrogations sur le plan économique.

Le Pr. Gilles Pialoux a déclaré les liens d’intérêts en suivant : Membre de board, d’un conseil scientifique, investigateur d’essai clinique ou intervenant dans un symposium d’un laboratoire pharmaceutique : Abbott, Boehringer-Ingelheim, BMS, GSK, Gilead, Sanofi-Aventis, MSD, Pfizer, Roche, Schering-Plough, Nephrotec, Tibotec, ViiVHealthcare. Aucune Parts sociales ou actions dans un laboratoire pharmaceutique. Co-investigateur de l’essai IPERGAY ANRS de PreP intermittente par le Truvada®.

http://www.gayglobe.us


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