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Il aura fallu que l’Etat mauricien vote le 12 juin 2011 une résolution des Nations unies sur les droits des homosexuels pour mettre le feu aux poudres. Ce pays de l’océan Indien, d’ordinaire si pudique lorsqu’il s’agit d’aborder des questions sensibles de société, connaît depuis plusieurs semaines une agitation toute particulière. Même si les formulations sont un peu alambiquées, car personne n’ose vraiment appeler un chat un chat, la question de l’homosexualité est sur toutes les lèvres à l’île Maurice, notamment sur celles des politiques.
Au début du mois d’août, une vive altercation a opposé à l’Assemblée nationale mauricienne Paul Bérenger, le leader de l’opposition et Navin Ramgoolam, le Premier ministre:
«Maurice a toujours adhéré au principe d’universalité des droits humains», a déclaré en séance plénière à l’Assemblée, le chef du gouvernement mauricien, pour justifier l’adoption de la résolution onusienne.
Rien n’est gagné
Certes, il ne s’agit pas d’une reconnaissance formelle des droits des homosexuels dans ce pays, car la résolution de l’ONU n’est en rien coercitive pour les Etats qui l’ont votée. Mais la déclaration de Navin Ramgoolam, même si elle a des relents de politiquement correct, est bien la toute première faite par les autorités mauriciennes en faveur des gays.
Le chef de l’opposition lui a répondu que le gouvernement avait agi de façon précipitée:
«Maurice aurait au préalable dû définir sa position sur la légalisation ou non de l’homosexualité et tous ses corollaires, à savoir le mariage et l’adoption, avant d’aller voter cette résolution.»
Ce dernier est d’ailleurs soutenu par le député Cehl Meeah du Front solidarité mauricien, un parti que des observateurs soupçonnent pourtant de vouloir faire alliance avec la majorité:
«Le pays est en train de camoufler la réalité et se dirige vers la légalisation de l’homosexualité», estime Cehl Meeah, qui a déclaré à l’Express, le principal quotidien de l’île Maurice, être volontaire pour un combat contre la légalisation de l’homosexualité.
Il faut souligner qu’en la matière, l’île Maurice est un bel exemple de contradiction en Afrique. Comme dans de nombreux pays du continent, l’homosexualité y est encore criminalisée. Mais la loi, qui prévoit jusqu’à cinq ans de prison, n’a jamais été appliquée.
En 2008 d’ailleurs, une autre loi a été votée, l’Equal Opportunity Act, qui inclut le respect de l’orientation sexuelle des citoyens —même si sa promulgation se fait toujours attendre depuis lors. Dans le même temps, depuis 2006, les homos peuvent librement se pavaner dans les rues de l’île à l’occasion de la Gay Pride mauricienne, la Rainbow March, sans être le moins du monde inquiétés par une éventuelle arrestation.
De la même façon, le militantisme gay s’est fortement développé ces dernières années au point de devenir un partenaire social incontournable dans le pays. C’est d’ailleurs grâce à la détermination des associations homosexuelles, réunies au sein du collectif Arc-en-ciel, que la lutte contre les discriminations à l’encontre des gays a pu être introduite dans le fameux Equal Opportunity Act.
La vie n’est pas toujours rose
Malgré toutes ces avancées, une chape de plomb pèse toujours sur les homosexuels à Maurice et la dépénalisation ne semble pas pour demain. En effet, le tissu social est encore imperméable aux identités sexuelles considérées comme «déviantes». Certaines familles organisent même l’enlèvement de leurs enfants pour les «guérir de l’homosexualité» en les faisant interner dans des hôpitaux psychiatriques, comme l’a souvent raconté dans ses colonnes le magazine KotZot.
En général, aucune explication rationnelle n’est donnée pour justifier ce type d’abus. Tous ceux qui combattent l’homosexualité à Maurice se réfugient derrière de prétendues «traditions et croyances religieuses». De fait, les chefs religieux, nombreux et très influents dans la société multiraciale qu’est Maurice, sont ceux que l’on entend le plus dans le débat actuel autour de la légalisation des relations entre personnes du même sexe.
Tous sont montés au créneau pour dénoncer le vote de la résolution onusienne. Jean-Maurice Labour, le vicaire-général du diocèse de Port-Louis, la capitale, n’est pas passé par quatre chemins pour déclarer dans la presse que «l’homosexualité est un dysfontionnement hormonal, physiologique, psychologique et culturel». Les imams quant à eux ont appelé à un «front religieux commun contre l’homosexualité».
Nathalie Ahnee, la présidente du collectif Arc-en-ciel, estime pour sa part que «les valeurs religieuses n’ont pas leur place dans les décisions juridiques et l’élaboration des lois». Or là est bien le problème. A Maurice, comme partout ailleurs, les chefs religieux semblent avoir une grande influence sur les responsables politiques. Ce qui, de fait, freine considérablement toute velléité de légiférer clairement sur la question. Obligeant les responsables politiques «progressistes» à utiliser des solutions de contournement, comme le vote de cette résolution du comité des Nations unies pour les droits de l’homme; comme cet Equal and Opportunity Act qui n’a toujours pas été promulgué; comme aussi cette déclaration de l’ONU signée en 2008 et dans laquelle déjà Maurice, avec quatre autre pays africains (Gabon, Cap-Vert, Guinée-Bissau, République centrafricaine) se prononçaient en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité.
Hypocrisie généralisée
Tout cela est symptomatique d’une classe politique africaine qui n’arrive pas à se décider —ni à décider. En mars 2011, l’ancien président du Botswana Festus Mogae déclarait qu’il avait clairement privilégié sa carrière au détriment des droits des homosexuels.
«Je n’étais pas prêt à perdre une élection au nom de la défense des homosexuels», avait-il affirmé.
Et l’actuel président, Ian Khama, même s’il tient un discours modéré, n’est pas plus enclin à légiférer sur la question. Au contraire, les arrestations se multiplient, notamment à l’approche des échéances électorales.
C’est d’ailleurs ce qui s’observe au Cameroun depuis plusieurs semaines. En l’espace d’un mois, sept personnes ont été incarcérées pour «délit d’homosexualité» et risquent jusqu’à cinq ans de prison. Des arrestations arbitraires, selon les ONG de défense des droits humains. Une journaliste de La Nouvelle Expression, un des principaux titres camerounais, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a sa petite idée sur la question:
«Cette résurgence des arrestations de gays à l’approche de l’élection présidentielle d’octobre est sûrement de nature à se rallier les chefs traditionnels conservatistes et le clergé qui avaient déjà ouvert la boîte de Pandore ayant mené à la publication de listes de présumés homosexuels dans la presse en 2006.»
Les responsables politiques, partout sur le continent, sont donc très peu disposés à lutter efficacement contre l’homophobie, même quand celle-ci devient un délit, comme en Afrique du Sud. Ce pays est le seul en Afrique à avoir autorisé depuis 2006 le mariage et l’adoption par les gays. Les villes de Johannesburg et du Cap accueillent une Gay Pride depuis 1990, et pourtant les agressions homophobes y sont encore très présentes.
On a donc, d’une part, ceux qui veulent faire bouger les choses mais sont pris par des contingences socioreligieuses et culturelles, et d’autre part, ceux qui s’arc-boutent sur une pathétique hypocrisie, en essayant d’arrêter le vent du changement. A Maurice aussi, on en est toujours là.