JULIEN (Fin) Toi qui préfères les hommes (épisode final)
Thursday, April 17th, 2014Caroline Gréco
Dominique a commencé à vivre seul. C’est dur de constater un échec. On reste avec toutes ces questions et cette tristesse, ce vague à l’âme. Plus envie de rien. Dominique déprime et se plaint qu’il ne supporte plus sa mère et ses raisonnements idiots.
«Mon amie, ma sœur, tu dis tout haut ce que je pense parfois dans le secret de mon cœur, quand je vois Julien douter, hésiter, quand il est perdu et qu’il a de la peine à se retrouver lui-même. « Et si nos fils s’étaient trompés? Ils ne sont peut-être pas homosexuels ! Ils n’ont pas eu de chance, voilà tout. A un certain moment de leur adolescence, ils ont rencontré un « ami » qui leur a fait découvrir l’homosexualité. Trop timides avec les filles (ton fils et le mien n’ont que des frères), ils ont fait l’amour avec un garçon : c’était une question de facilité. Nous, leurs mères qui les connaissons si bien, qui les aimons tellement, nous savons qu’il faut qu’ils rencontrent une fille gentille, douce, compréhensive et tout va s’arranger. «Ma pauvre amie, ma sœur, il faut avoir le courage de voir les choses en face. Il faut affronter les problèmes avec lucidité et courage. Nos enfants disent être attirés par les garçons depuis quelques années: ils ont cru être amoureux, se sont trompés, ont recommencé avec d’autres… Tout notre amour de mère est là, pour essayer de les comprendre: on ne choisit pas d’être ou de ne pas être homosexuel.»
Avec la publication complète terminée pour le livre «Julien, toi qui préfères les hommes» de Caroline Gréco, il nous fait plaisir de vous annoncer que nous débutons dans cette même chronique la publication intégrale du second livre de Madame Gréco «À Dieu Julien» que voici… À NOTER que ce texte a été rédigé avant la trithérapie…
À Dieu, Julien
Je suis debout sur le bord de la plage, un voiler
passe dans la brise du matin, et part
vers l’océan…
Il est la beauté, il est la vie.
Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse
à l’horizon.
Quelqu’un à mon côté dit: « Il est parti! »
Parti vers ou? Parti de mon regard,
c’est tout.
Son mât est toujours aussi haut,.
Sa coque a toujours la force de porter
sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vie est en moi,
pas en lui.
Et juste au moment où quelqu’un près de moi
dit : « Il est parti! », il y en a d’autres qui,
le voyant poindre à l’horizon et venir
vers nous, s’exclament avec joie:
« Le voilà! »
C’est ça, la mort !
(Traduit de l’anglais,
auteur anonyme)
La vieille dame était émue. Elle a regardé pendant quelques secondes l’arbre que nous venions de planter et elle a dit d’une voix forte et assurée: «Julien, je crois en la vie éternelle et je suis sûre que nous nous rencontrerons bientôt, là-haut!»
C’est là, au bord de la rivière, dans ce pré où tu aimais venir te reposer, que nous t’avons vraiment quitté.
Tes cendres étaient dans le caveau familial, mais nous avions souhaité planter cet arbre en souvenir de toi, avec les amis qui t’aimaient beaucoup: tu étais mort, mais la vie continuait. La mort, la vie, et nous au milieu, avec notre chagrin, nos soucis et le souvenir très fort de toi, Julien, que nous ne pouvons pas oublier. Philippe a lu un très joli poème, puis nous avons arrosé à tour de rôle ce petit arbre né de ton absence et autour duquel nous allons essayer de nous réunir encore souvent, pour te retrouver et nous revoir.
Grâce à toi, de nouvelles amitiés sont nées aujourd’hui; nous avons tous quelque chose en commun : toi et la douleur de ta perte. Tu n’étais plus là, mais à cause de cette douleur qui nous unissait nous nous sentions moins seuls et nous trouvions une certaine consolation dans ce partage. Cela fait six ans déjà! Tu es parti faire le test sans aucune appréhension, seulement parce que tu étais amoureux et que ton copain te l’avait demandé. Tu es rentré en claquant la porte. Angoissé, hagard, livide, sans un mot, tu m’as prise par la main et c’est seulement dans ta chambre, une fois la porte fermée, que tu as réussi à me dire, dans un chuchotement: «Je suis séropositif!» Alors les larmes du désespoir sont arrivées, et tu as pleuré longtemps. Difficile de décrire mon trouble, ma terreur, mon désarroi, et les questions idiotes qui ont pu traverser mon esprit en cet instant: «Qui l’a contaminé? Depuis combien d’années? Et maintenant, combien de temps lui reste-t-il à vivre?
Mon cœur battait très fort, ma tête bourdonnait. Par moments, je pensais faire un mauvais rêve. Je me souviens d’une des premières images qui me sont venues à l’esprit : c’était celle d’un condamné à mort, et je me rappelle ma rage: «Lui au moins sait pourquoi, mais Julien?»
Pâle, décomposé, terrorisé, ne tenant pas en place, tu répétais sans cesse: «Qu’est-ce que je vais faire, qu’est-ce que je vais devenir?»
Ton regard! Jamais je ne pourrais oublier ton regard. Il y avait dans tes yeux toute la détresse du monde. Tu me fixais avec une telle intensité et une telle demande, comme si, par un coup de baguette magique, je pouvais accomplir un miracle et venir à ton secours. «Maman, jure-moi que tu ne le diras à personne. Cette maladie est tellement horrible, sale, déshonorante. Je ne veux pas que cela se sache, je vais me décomposer petit à petit, maigrir, perdre mes cheveux, me remplir de boutons… J’aimerais que ceux qui m’aiment gardent un autre souvenir de moi!» Et après un long silence: «J’ai peur aussi des autres. Comment vont-ils réagir? Je ne supporterai pas la pitié, la curiosité malsaine. Tout le monde va me fuir. C’est vrai, je porte la mort en moi.»
Il fallait réagir, ne pas te laisser t’enfoncer dans le désespoir. Je voulais t’aider mais avant tout, je devais m’informer le plus possible sur cette maladie. Très agitée, j’ai foncé chez notre ami médecin.
«Gilbert, nous vivons un drame. Julien est séropositif. Je voudrais savoir quelles sont ses chances de survie. Explique-moi, je t’en prie !
-Quel est le niveau de ses T4?
-Ses T4 ?
-Oui, on désigne ainsi les lymphocytes chargés des défenses immunitaires. Lorsqu’on parle de séropositivité, cela veut dire que le sang est infecté par la présence du rétrovirus HIV. Si les T4 sont en nombre suffisant, les défenses immunitaires restent normales et la personne est un « porteur sain ». Le sida n’est pas déclaré. Ton fils est en sursis. Pour combien de temps? On ne peut pas savoir: quelques mois, quelques années… Il y a des gens qui vivent ainsi depuis plus de dix ans. Peut-être vont-ils tenir comme cela toute leur vie. Pour le moment, les statistiques ne nous donnent pas plus de renseignements, car le sida est une maladie relativement nouvelle.»
Je respirais: pour le moment, tu étais un porteur sain. La situation était délicate mais pas encore dramatique. Je savais que tu devais faire très attention de ne pas transmettre le virus à d’autres.
«Tout se complique, a ajouté mon ami, quand le nombre des T4 diminue de façon alarmante. Quand il n’y en a plus assez pour assurer correctement la défense de l’organisme, la maladie, le sida, se déclare.
Le corps se défend alors de moins en moins bien et il contracte des infections opportunistes. On soigne ces infections. Elles peuvent être suivies de périodes de répit pendant lesquelles on peut mener une vie qui paraît normale, mais le problème reste entier, et les défenses immunitaires s’amenuisent au fur et à mesure des infections.»
Je suis rentrée à la maison un peu moins paniquée. Julien n’était « que » séropositif, tout allait bien pour le moment, il fallait croire que tout allait continuer ainsi, et nous avions besoin d’espoir. Nous devions prendre les devants, consulter des docteurs, suivre des régimes, des traitements. Il y avait certes la médecine traditionnelle qui n’avait pas encore trouvé de traitement efficace, mais il y avait toutes les médecines douces que nous connaissions si mal et certainement d’autres méthodes aussi. L’important était de résister, de tenir, en attendant le remède miracle, et il viendrait vite, j’en étais sûre, avec les progrès actuels de la recherche. Il faillit y croire, j’y croyais très fort : nous allions gagner !
Suite dans notre prochaine édition…
Pour lire l’oeuvre de
Caroline Gréco intégralement,
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