JULIEN Toi qui préfères les hommes (épisode 17)
Caroline Gréco
Mais non, mon chéri, vous avez droit à la vie et au bonheur comme tout le monde, simplement ce ne sera pas toujours facile. Moi aussi, je me fais du souci pour toi.
Je pense que ce que je peux faire, c’est t’aider à construire une “carapace de défense” pour que les coups bas que tu vas certainement recevoir ne te fassent pas trop mal. En même temps, je partirai en croisade pour essayer d’expliquer ce qu’est l’homosexualité: vous existez, c’est ainsi. Il faut que la société apprenne petit à petit à vous tolérer et que les moqueries cessent: ce sera déjà un premier point important d’acquis.»
Pendant que je parlais, je voyais croître la nervosité de Jean. À un certain moment, il m’a interrompue:
«Et que pensez-vous, Caroline, des parents qui mettent leur enfant à la porte? C’est de l’amour, cela?
- Dans un certain sens oui, Jean. Non, ne bondissez pas ainsi, laissez-moi vous expliquer: nous avons chacun notre caractère bien particulier, et nous réagissons avec nos moyens.»
J’ai regardé Julien:
«Souviens-toi simplement de ma réaction et de celle de papa, lorsque tu nous a parlé! Je ne vais pas vous faire un cours sur les différences de caractère: nous sommes tous plus ou moins impulsifs ou calmes, compréhensifs ou durs, ouverts ou bornés.
Après une telle révélation, mettez-vous à la place des parents, surtout de ceux qui n’ont jamais eu affaire avec ce problème, qui le connaissent à peine et qui, probablement, avaient toujours rigolé jusqu’ici lorsqu’on parlait d’homosexualité. Un jour, on découvre que son propre enfant est homosexuel! C’est un grand choc. Alors, on réagit comme on peut, et souvent ces réactions sont maladroites et dures. C’est comme ça qu’un garçon se retrouve à la rue. Pouvez-vous imaginer combien on regrette ces gestes après?
Comment remédier, lors-qu’on a agi trop vite, sur un coup de désespoir? Savez-vous que la souffrance des parents égale celle des enfants?
Quand on a perdu la trace de son fils, comment le retrouver, surtout si celui-ci ne veut plus entendre parler de sa famille? Vous pouvez l’interpréter comme un geste négatif, horrible, mais dans un certain sens, il s’agit là aussi d’un geste d’amour. Si seulement on pouvait réfléchir avant, on pourrait éviter bien des drames!
«Après il est trop tard pour les regrets… Pauvres parents et pauvre enfant …»
Pendant un long moment, nous nous sommes tus. Je crois que chacun de nous faisait, à sa façon, son examen de conscience. Le téléphone qui sonnait nous a ramené à l’instant présent. Mon interlocuteur était très bavard. Lorsque j’ai enfin pu raccrocher, Jean était dans la chambre de Julien, j’entendais le bruit de leurs voix. J’étais contente qu’ils n’aient plus besoin de moi. Cette conversation m’avait épuisée.
Je regarde un clip à la télévision : deux femmes chantent leur homosexualité. Répulsion, horreur, cela me prend aux tripes. Je devrais éteindre cette télé, mais je continue à les regarder, fascinée, dégoûtée, écœurée aussi par la chanson et par moi-même: donc, toutes mes pseudo-déclarations sur l’acceptation de l’état de Julien sont sans fondement! Elles ne valent rien! C’est un château de cartes qui s’envole au premier frisson de vent. Cette réaction prouve que rien n’est acquis pour moi! J’avais construit tout un système de défense et de soi-disant compréhension, qui aurait dû me ménager, me protéger de toute agression homosexuelle. Eh bien, c’est raté!
Ou alors, est-ce que ma réaction est si violente parce que, dans ce cas particulier, il s’agit de femmes et que je me sens plus concernée? Je suis mal à l’aise, je ne sais plus où j’en suis, submergée par une vague de dégoût. Pourtant, je n’éprouve pas la même répulsion lorsqu’il s’agit d’amours masculines. Julien, ses amis, ses amours…
Dans la chambre de mon fils, il y a de belles photos d’hommes: des visages, des corps, des couples. Je ne peux m’empêcher d’admirer leur beauté, même quand ils sont tendres entre eux. Maintenant, dans ma tête, j’accepte. Oh! Cela n’a pas été facile!
Cette longue et pénible démarche m’a permis d’accepter la situation et d’acquérir une certaine paix. Julien n’est pas comme nous, il a d’autres désire et il peut tomber amoureux d’un homme, sans pour cela être fou ou criminel. Et pourtant! Rien n’est vraiment acquis, et il faut se donner du temps. Je m’en suis aperçue ce matin en entendant cette chanson.
Je vis dans un monde fragile, je trébuche souvent et je me blesse. Parfois, il me reste des cicatrices douloureuses. Les jours se suivent et se renouvellent à un rythme régulier. Avec le temps, j’acquiers une certaine sagesse et une certaine compréhension. Elles m’aident à vivre des situations difficiles: j’ai encore du chemin à faire. En toute honnêteté, je me demande si j’arriverai un jour, à accepter vraiment l’homosexualité de Julien et celle des autres. J’ai essayé d’étudier la question à fond, cela m’a aidée à comprendre, mais comment l’admettre vraiment?
Mon amour pour Julien m’a forcée à faire un gros effort sur moi-même : c’est parce que je l’aime que je me suis documentée, que j’ai essayé d’en savoir plus. Je voulais, à tout prix, rester proche de lui. Pourtant, au plus profond de moi-même, il y a toujours ce petit sursaut de répulsion, toutes les fois que j’entends parler d’homosexualité. Est-ce que Julien le sent? Est-ce que cela le chagrine? Ou, au contraire, est-il plutôt fier de sa mère, comme il le dit souvent à ses amis? Et moi? Est-ce que toute ma vie sera accompagnée de cette pointe de tristesse?
Quand est-ce que j’arriverai à m’en débarrasser? Quel compromis arriverai-je à trouver avec moi-même pour vivre, avec sérénité, cette déroutante relation, et pour que mon sourire, à la vue de Julien, soit vrai et chargé d’amour?
Julien passe souvent ses moments libre chez Dominique, qui déprime complètement, car il vient de se séparer de son ami. «En plus, me dit Julien, il a des problèmes avec sa mère, qui pense que Dominique n’est pas un vrai homosexuel et veut lui faire rencontrer des filles. Elle est folle, cette femme, tu ne crois pas?»
Quelle envie d’aller vers cette femme et de lui dire combien je suis proche d’elle, combien je partage sa peine, ses doutes, ses angoisses!
«Mon amie, ma sœur, je ne te connais pas, mais laisse-moi te dire que tu n’es pas la seule. Ta douleur me donne du courage. Elle me fait prendre conscience qu’il existe d’autres mères qui vivent ma propre souffrance. Tu as, comme moi, un fils homosexuel et, d’après tes réactions, je suis sûre que tu passes par les mêmes états d’âme que les miens, par les mêmes angoisses, les mêmes moments d’espoir vite déçus, les mêmes solitudes. Je sais que tu es mariée, mais de son père Dominique ne parle jamais.
«Ton fils vient de se séparer d’un ami avec lequel il a vécu six mois. Ils se sont rencontrés, ils ont cru que ce désir qu’ils avaient l’un de l’autre était de l’amour. Cinq jours plus tard, ils louaient un appartement. Ils n’ont pas eu le temps de faire connaissance: Toutes ces heures où l’on parle, où l’on se raconte, où l’on se met à nu. La nudité de l’âme est bien plus dépouillée, bien plus compromettante et plus importante qu’un corps déshabillé. Quand on s’aime vraiment, on se raconte ses pensées les plus profondes et les plus cachées: il s’ensuit une si grande complicité que souvent un regard suffit pour se dire ses émotions qu’on ne partage qu’à deux. On s’accepte et on se supporte sans efforts. Elles sont étonnantes, les concessions qu’on arrive à faire par amour de l’autre! Il faut avoir le temps de se connaître, avant de prendre la décision d’une vie commune. «Dominique a brûlé les étapes. Bien vite, il s’est retrouvé avec un étranger dans son lit. Ils ont essayé de parler: ils ne se sont pas compris. Tant de choses les séparaient, ils étaient à l’opposé l’un de l’autre. Pendant un temps, ils ont espéré, ils ont essayé de se donner la main pour ne pas se perdre dans ce chemin qu’ils découvraient ensemble. Il y a eu trop d’orages, de brouillard, de cris, de disputes: ils se sont quittés».