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À DIEU JULIEN 4

Tuesday, September 9th, 2014

Caroline Gréco

Nous avons choisi nos armes:  toi, continuant à nier farouchement la maladie, moi, avec une façade d’optimisme «d’enfer»:  c’est ainsi que nous sommes entrés dans la bataille.
De nouveau tu m’as fait jurer que je ne dévoilerais pas ton état et puis:

«Je ne suis pas malade, je n’ai pas le sida, je suis seulement séropositif, d’ailleurs si cela devait empirer, maman, je ne veux RIEN savoir, à toi de discuter avec le médecin mais surtout ne me raconte rien!» Tu étais tombé au fond d’un gouffre et moi, à l’extérieur, bien installée sur les rochers, je te voyais, je te hélais, mais je ne pouvais rien faire, même pas appeler les secours puisque je t’avais promis le silence.

Qu’allions-nous devenir? Comment allions-nous nous en sortir ? Tu voulais le secret, le silence autour de ta maladie :  moi, j’avais besoin d’être entourée, de pouvoir en parler pour puiser le courage et la force de t’accompagner le plus sereinement possible jusqu’à la fin. Ce secret, qui a duré de longs mois, a été l’épreuve la plus dure de ma vie, un fardeau si lourd à porter, tellement éprouvant, surtout lorsque je devais paraître gaie et enjouée devant les amis qui me demandaient de tes nouvelles, étonnés de ne plus te voir. Je jonglais alors avec des histoires inventées à chaud. C’était abominable!

Je me sentais honteuse, je pleurais en cachette. Très vite, j’ai fait le vide autour de nous. Puisque je ne pouvais pas être moi-même, je préférais ne plus voir personne, ne plus jouer la comédie. J’avais l’impression de vivre cloîtrée, j’étouffais.

Sida. Quatre lettres toutes simples pour nommer une immense tragédie. Un beau jour, on se retrouve dans la tourmente et il faut faire face. La vie et la mort prennent une autre dimension. Elles sont là, bien tangibles. Devant ce drame s’effacent tous les problèmes, tous les détails fastidieux de la vie quotidienne et brusquement on se retrouve devant ce bloc menaçant et on va à l’essentiel, car on sait que le temps est compté. Il a fallu que je puise tout au fond de moi des réserves incroyables d’énergie, et de courage pour t’aider, Julien. Toi aussi, de ton côté, tu as été un bon petit soldat, et tu t’es battu du mieux que tu as pu. Il ne faut pas oublier ton père qui, par sa présence apparemment calme et sereine était toujours là au bon moment:  une présence affectueuse et solide qui nous a maintes fois empêchés de plonger dans la détresse et le chagrin.

Comment vit-on avec un malade du sida à la maison? Difficile d’oublier ce cri: «Maman, ne m’abandonne pas!
- Julien, es-tu devenu fou?
- Si tu savais maman, combien de copains se retrouvent seuls, à l’hôpital comme des pestiférés!  La famille les oublie !  Maman, est-ce que tu as peur de moi, de ma maladie?»
Ta maladie? Que voulais-tu dire au juste par ce mot? Tu savais donc, mais tu ne voulais pas l’admettre. A quel jeu jouais-tu? J’étais vraiment perplexe:  comment fallait-il que je me situe, quel parti prendre, quoi dire? Je déteste les situations ambiguës, et tu le savais. Il n’était pas question de te faire un discours moralisateur là-dessus, pas question non plus de te traiter de menteur. Le problème était plus subtil, plus profond, plus dramatique aussi. Tu avais certainement tout compris depuis ton hospitalisation et tu avais mis au point un système de défense qui, à mon avis, était suffisamment compliqué et tordu, mais qui devait te convenir puisque, jusqu’à la fin de ta vie, tu n’as jamais prononcé le mot sida avec moi. Tu as toujours parlé de «ta maladie», en me précisant souvent:  «Je suis seulement séropositif», comme si ta séropositivité devenait, selon les périodes d’hospitalisation, «une maladie», dont tu guérissais lorsque tu allais mieux. Tu avais trouvé une manière assez spécifique et étrange de te protéger et qui avait l’air de te convenir, dans laquelle tu puisais ta force pour combattre. Cela te permettait de tenir bon et t’empêchait de sombrer dans le désespoir. Malgré ma réticence, je suis entrée dans ton jeu et, pour toute réponse, je t’ai embrassé en souriant: «Si tu savais combien j’ai peur!  Julien, soyons sérieux:  tu vas rester à la maison et je me battrai pour te garder le plus longtemps possible. Il est hors de question de t’oublier quelque part, et puis, bientôt, tu iras mieux et tu reprendras ta vie. Ne me parle plus d’hôpital.»
Très peu de familiers étaient vraiment au courant de ton état, et pourtant, ceux qui savaient ont eu des réactions d’effroi, voire de panique. Je savais que je devais faire attention de ne pas me contaminer avec le sang;. Tu n‘as jamais aimé prêtre tes affaires de toilette :  brosse à dents et rasoir sont des objets trop personnels. Je n’ai jamais su faire des piqûres, pour cela il y avait une infirmière, donc je ne risquais rien. Il n’y avait pas d’autres soins particuliers à faire.

Lorsqu’un jour, on se retrouve avec un proche séropositif, celui-ci est souvent mal accepté, voire rejeté, alors qu’il faudrait l’entourer et l’aimer pour lu donner le courage de supporter ce drame. Étonnée et choquée, j’ai senti la peur s’installer autour de nous, parmi les très rares familiers qui avaient deviné. Peur de t’approcher, Julien, peur de t’embrasser, peur de partager les repas avec toi, peur de boire dans ton verre, peur de te toucher, peur de se servir de la salle de bains où tu prenais ta douche ! Il me semblait que ces proches, qui avaient l’air d’être tellement au courant des dangers de la contagion, oubliaient tout dès qu’ils étaient confrontés à la réalité. Pourquoi cette peur panique?

Bill Kirkpatrick, prêtre anglican qui consacre sa vie à ceux qui ont le sida, dans un quartier de Londres, décrit l’importance d’une peur surmontée: «Ce qui est vital, pour répondre aux besoins de ceux dont nous nous occupons, c’est le sacrement du toucher. On peut l’offrir de diverses façons: une simple tape sur l’épaule, une poignée de main, l’étreinte d’une embrassade, l’imposition des mains, l’onction d’huile, l’eucharistie. Toucher, c’est en vérité franchir le fossé qui nous sépare d’un autre:  geste tellement essentiel pour ceux qui ne se sentent pas acceptés, qui se voient rejetés, qui ne sont même plus des vivants aux yeux des gens. Ce contact physique prend plus d’importance encore pour celui qui est engagé sur le chemin de la mort. C’est alors un geste fort que le toucher:  il atteste le lien de la vie entre celui qui offre et celui qui reçoit, il crée un pont entre cette vie et l’autre. Toucher, c’est libérer les énergies salvatrices qui sont en nous (Lumière et Vie, Juillet 1990).

Avec le sida, ta sensibilité s’est encore accrue. J’avais l’impression que des antennes invisibles t’aidaient à capter de façon de plus en plus claire l’état d’esprit des rares personnes que tu acceptais de rencontrer. Tu t’apercevais du moindre geste de recul, si minime fût-il, d’un regard parfois à peine soucieux ou interrogateur, de la moindre hésitation. Tu en souffrais énormément et dès que tu me retrouvais en tête à tête, tu laissais éclater ta tristesse ou ta colère:  «Maman, as-tu vu ce geste de recul lorsque j’ai voulu l’embrasser? Je suis vraiment un pestiféré, on a peur de moi, peur que je leur transmette cette saloperie s’ils me touchent, s’ils partagent leurs repas avec moi, peut-être craignent-ils aussi de tomber malades s’ils me regardent!» Cela n’a pas simplifié la vie à la maison. De plus en plus souvent, dès que tu entendais sonner à la porte,
tu te cachais dans ta chambre:  «Je ne suis pas là et je ne veux voir personne!» On pense qu’actuellement l’information sur la maladie est passée, que tout le monde est au courant, et cela paraît vrai lorsqu’on en parle et que cela ne nous concerne pas. Quelle différence entre la théorie et la réalité, quelle différence devant un malade!  Il s’est installé autour de nous une nébuleuse de panique, cela m’a étonnée et déroutée. J’avais besoin d’amitié, de chaleur humaine et on me donnait des adresses d’associations où j’aurais pu aller me ressourcer.

Mais j’avais surtout besoin de prendre «des vacances», sortir, faire du shopping, voir un film, oublier la maladie et l’angoisse, me changer les idées pour reprendre des forces, moralement. Je n’avais aucune envie de rencontrer des gens qui, par leur dévouement, m’auraient replongée dans l’ambiance dans laquelle je vivais à la maison!

Suite dans notre
prochaine édition…

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À DIEU JULIEN (Épisode 3)

Sunday, July 27th, 2014

Caroline Gréco

Mais ta vie aussi a changé :  Il y avait les journées joyeuses, et les autres où tu te posais des tas de questions. Tu continuais à sortir très souvent, et je me gardais bien de te faire des remarques.

Tu voulais vivre, profiter des copains et de la vie :  parfois, tu étais trop euphorique, et je n’aimais pas cette excitation et cette joie débordante. Tu étais entouré par un groupe de plus en plus nombreux d’amis, tu avais repris contact avec des garçons que tu avais perdu de vue depuis longtemps. En y repensant, je comprends qu’avec ce virus dans le sang, même si tu ne voulais pas admettre la gravité du danger, inconsciemment tu avais senti que tes jours étaient comptés, et cette envie de revoir tout le monde était une façon de prendre doucement congé de ceux que tu aimais bien. Après la gaieté venaient les moments de déprime. Tu me parlais de la fragilité de la vie, du temps qui passe trop vite et de la mort. Comment allait être ton futur ? Il ne fallait surtout pas que tes copains découvrent ta séropositivité : ceci était l’un de tes soucis majeurs, avec l’inquiétude de contaminer l’autre. Par moments, tu avais peur du lendemain, tu perdais tout espoir, tu n’avais plus envie de faire des projets, tu déprimais, tu me disais que tu n’avais plus le droit de tomber amoureux, puis tu te demandais à quoi cela te servait de vivre, d’avoir un compte en banque.

Toi, de toute façon, tu savais n’en avoir plus pour longtemps. Tu te renfermais alors dans un silence terriblement triste et lourd, tu ne voulais plus voir ni entendre personne, et je te retrouvais couché sur ton lit, le regard fixe, dans la pénombre de ta chambre. Je venais alors doucement m’asseoir à côté de toi. En silence, j’attendais le petit signe qui m’aurait permis de rétablir le contact, un geste tendre, un regard de connivence ou un mot de toi « jeté » par hasard ou peut-être par désespoir, un mot de trop, qui s’échappe comme d’un trop-plein, comme un appel au secours, un mot qui voudrait remplir ce silence, un mot qui n’a pas forcément une signification précise, mais qui est là, prononcé comme on tend un bras pour s’agripper à quelque chose. Un mot comme un signal. Cela me donnait du courage, on allait pouvoir parler, et c’est ainsi que j’arrivais à t’aider au mieux. Nos conversations pouvaient être interminables:  je te laissais dire ton angoisse et, petit à petit, je parvenais à te conduire vers un terrain plus gai, vers des projets à très court terme qui te réconfortaient, car tu étais sûr de pouvoir les réaliser. Et souvent, nous nous quittions en riant ou bien nous entreprenions quelque chose ensemble:  provisoirement, j’avais gagné la bataille!

Plus tard, beaucoup plus tard, vers ta fin, combien de fois m’as-tu rappelé ces bons moments où, avec mon aide, tu sortais de ton «gros nuage noir» », en répétant combien mon optimisme inébranlable t’avait aidé!  Optimisme pourtant tellement forcé que je me demandais parfois comment tu pouvais ne pas t’en apercevoir!  C’était le seul «médicament» à ma portée qui pouvait t’aider! Passages à vide, moments de déprime. Je rêve que je suis un arbre, un chêne, avec de belles racines qui tiennent solidement dans la terre. Nombreux sont les oiseaux qui viennent nicher dans mes branches. Toute la journée, je les entends pépier, et mes feuilles tremblent doucement à leur passage. J’aime bien cette musique qui m’entoure et cette agitation. Je m’élance vers le ciel, vers le soleil qui me donne des forces. Je ne crains pas l’orage, je suis seulement inquiet pour mes oiseaux lorsque le vent et la pluie deviennent violents. Dans ces moments-là, je n’arrive plus à contrôler le mouvement de mes branches, et je sais que le pire peut survenir. Cette fois-ci, l’inimaginable est arrivé. Après des jours de mauvais temps où le ciel a ouvert ses cataractes et des trombes d’eau sont tombées sur la nature, la terre, brusquement, s’est mise à trembler:  la peur? Le ras le bol? La crainte de la noyade avec toute cette eau? Je ne sais. Il y a eu un grondement sinistre, et puis tout a bougé:  un immense pan de montagne s’est détaché:  la boue, la terre, les cailloux sont descendus vers la plaine, et malgré la lenteur de cet éboulement, leur force était telle que rien ne pouvait résister. Je ne me trouvais pas vraiment sur le passage de cette éboulement mais le vent violent a réussi à casser une bonne partie de mes branches: je souffrais et je pensais à mes oiseaux, aux petits qui étaient dans les nids et n’avaient encore appris à voler. La tristesse, le désespoir et la peur m’ont envahi. Je ne pouvais que subir, je ne pouvais rien faire d’autre.

De longues heures ont passé. Lorsque tout s’est arrêté, le silence, terrible, immense, oppressant, a tout enveloppé Plus tard, le vent s’est levé de nouveau, mais, cette fois-ci, c’était différent. Le souffle était léger et amical, et l’air qu’il fredonnait ramenait l’espoir. La nature autour de moi s’est secouée doucement, et malgré moi, malgré ma douleur, j’ai senti bouger le peu de feuilles qui me restaient. Un oiseau a lancé un petit cri, première note d’une longue mélodie  qui me chantait la solidarité et nous encourageait à continuer à vivre malgré tout.

Je me rend compte que ce rêve que je viens de faire correspond à ce que je suis en train de vivre:  nous étions une famille heureuse, un mari, un fils, beaucoup d’amour, une maison toujours ouverte aux copains, beaucoup de joie, de rires et de musique. Certes la vie nous réservait, par moments des soucis et des peines, et nous avions les mêmes problèmes, parfois difficiles à résoudre, comme dans toutes les familles. Rien n’était parfait, et on le savait, mais dans l’ensemble, tout allait bien. Mon souci majeur était la crainte d’un accident grave, d’une sale maladie.

Le hurlement de terreur est arrivé avec ton test HIV, Julien. À partir de là, le cauchemar a commencé, et mes « racines d’arbre », quoique solides, ont tremblé et se sont demandées combien de temps elles tiendraient le coup. La bourrasque est violente, la peine et la peur aussi. Mais la nature a des ressources insoupçonnables. Lorsque tout va mal, elle ne nous abandonne pas et, parfois, elle peut distiller des réserves de courage au fur et à mesure des besoins, comme si elle voulait, par ce geste, s’excuser de tout le mal qu’elle nous apporte. J’attends avec impatience le chant de l’oiseau qui m’amènera un peu d’espoir:  pourra-t-il chanter encore?

Dix-huit mois avant ta mort, tu as eu ta première alerte sérieuse. Depuis un certain temps, d’étranges taches avaient couvert tes bras. Par moment, elles s’atténuaient, puis revenaient. Tu étais de plus en plus fatigué pour aller travailler. Je dormais mal la nuit. Je pense que ton souci égalait le mien. Tu refusais le médecin, et je pleurais en cachette. C’est à partir de là que j’ai pris conscience du point de non-retour. Depuis cinq ans, le spectre du sida était présent, mais tu continuais à vivre normalement, et je pense que nous nous sommes laissé bercer par le doux ronronnement de ce faux bien-être, sans vouloir regarder un peu plus loin. Tu ne voulais pas savoir, l’avenir était trop angoissant et trop terrifiant. Qu’aurait on pu changer? L’échéance était inéluctable!

Chaque jour qui passait était une victoire sur la mort. Naïvement, par moments, je pensais qu’on nous annoncerait enfin la découverte d’un médicament miracle, tu allais être sauvé, quelle fête on aurait organisée!

Et puis, il y a eu cette nuit terrible, le docteur appelé en urgence:  tu avais de la fièvre et des douleurs insupportables à l’estomac. L’ambulance, l’hôpital et l’angoisse … Le diagnostic était sévère:  une péricardite, un poumon bloqué, et l’autre qu’il fallait sauver à tout prix et vite!

Les heures tournaient lentement, je me sentais inutile à ton chevet:  tu souffrais, tu respirais avec peine, je ne pouvais que prier et attendre.
As-tu compris la gravité de ton état? Jamais, pas une fois, tu n’as prononcé le mot sida. Je suis sûre qu’à ce moment là, tu as tout compris… Et le message de ton silence était clair:  «Ne me parlez pas de ça!»

Tu es rentré à la maison un mois plus tard. Tout s’écroulait autour de nous. La maladie était déclarée, la bête immonde avait trouvé son chemin et elle allait te dévorer petit à petit. Tout mon amour pour toi n’y pouvait rien, mais il fallait quand même essayer de combattre.

Suite dans notre
prochaine édition…

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À DIEU JULIEN (Épisode 2)

Wednesday, May 28th, 2014

Caroline Gréco

Les mois, les années ont passé avec des hauts et des bas, et les nuits, qui sont les plus dures à vivre lorsque le sommeil tarde à venir.

Alors les idées noires déferlent à une allure folle. Par moments, un accès de fièvre, une petite douleur, nous plongeaient dans l’angoisse:  ce n’était rien, c’était la peur qui parlait! Tu as eu droit à un sursis de plusieurs années. Puis après une longue période de contrôles, d’hospitalisations, de mieux, de rechutes, d’espoirs et de désespoirs, tu nous as quitté il y a six mois. Très peu de temps après cette horrible nouvelle, Philippe, ton père, nous a proposé de partir tous les trois en Italie. Nous avons essayé de laisser nos soucis à la maison.
Nous étions heureux de ce voyage. Notre complicité et notre amour pour l’art nous ont beaucoup aidés, sinon à oublier, du moins à prendre un certain recul par rapport à nos préoccupations. Florence et ses peintres, ses sculpteurs, ses architectes, la douceur de ses collines et la beauté de ses paysages ponctués de cyprès. Ce séjour m’a laissé un souvenir de joie intense et de bonheur:  ton rire, Julien, lorsque tu nous réveillais le matin après avoir préparé le petit déjeuner.

«Debout, paresseux, nous avons tant de merveilles à découvrir!» Ton entrain joyeux, ton désir de tout voir, ton admiration devant tant de belles choses, nos discussions sérieuses sur l’histoire de l’art, nos ballades dans la campagne et nos fous rires!
Pendant le voyage de retour, tu as fait des projets:  tu allais changer de travail, tu étais séropositif, certes, mais tu n’étais pas malade et tu avais encore tellement de choses à réaliser.

La vie de tous les jours a ainsi repris à la maison. Il y avait, bien sûr, cette épée de Damoclès qui se balançait silencieusement au-dessus de nos têtes. À cause d’elle, nous avions parfois des sueurs froides, mais, tous les trois, nous étions bien décidés à résister et à combattre. Te souviens-tu, Julien, lorsque, il y a quelques années, tu es rentré un soir en m’annonçant que tu étais homosexuel et amoureux? Te souviens-tu de ma tête étonnée et horrifiée, de nos discussions, de nos bagarres, de tout ce chemin que nous avons parcouru ensemble pour que j’accepte et comprenne avec ton père, et qu’on continue à s’aimer?

En ce temps-là, on dénombrait de plus en plus de cas de sida en France, mais on parlait peu de protection. Par contre, de rumeurs folles nous mettaient en garde contre les piqûres de moustiques. Il fallait se méfier de tout:  de la salive, des douches, des bars, des téléphones publics, des piscines, des toilettes, jusqu’au jour où les chercheurs ont trouvé:  le virus du sida se transmet par voie sexuelle ou sanguine. Tu as vécu au mauvais moment, Julien, pour toi, l’information est arrivée trop tard et le virus, lui, a continué sa course sans bruit, mais en faisant tellement de ravages. Il me semble t’entendre dire :
«Je n’ai pas eu de chance!»

Tout allait bien après la découverte de ta séropositivité, ta vie a continué comme d’habitude:  tu avais ton travail, tes copains, les vacances, nous. Par moments, tu étais envahi par l’angoisse, mais tu refusais avec véhémence de faire un contrôle médical: «Personne ne peut me guérir, alors à quoi bon?»

Cette attitude me paniquait complètement et je ne pouvais pas te faire changer d’avis. Quelques années ont passé. Pendant un certain temps, tu t’es beaucoup intéressé à la parapsychologie. Tu as acheté des livres, tu es allé voir des voyantes, tu étudiais les lignes de ta main, puis tu te plongeais dans des calculs compliqués avec les chiffres de ta date de naissance…

Un jour, tu es même rentré avec une pyramide, une autre fois , tu m’as parlé de marc de café …Toutes les personnes consultées te disaient à peu de détails près qu’une nouvelle vie allait commencer pour toi, avec un grand amour, un travail qui allait te passionner et, bien sûr, beaucoup d’argent:  c’est ce tu souhaitais. Combien ont vu ta mort prochaine? Tout cela, au fond, a peu d’importance. Ces voyantes t’ont au moins redonné du courage, t’ont rendu la vie moins dure et t’ont apporté l’espoir.

Je n’aimais pas ton ami Antony, que tu as fréquenté pendant quelques mois.

Tu me racontais qu’entre vous il n’y avait pas d’amour, seulement une grande amitié. Antony avait souvent «des problèmes» et tu étais toujours là, prêt à le dépanner, mais lorsque tu avais besoin de lui, il n’existait plus!  Je ne pouvais pas appeler «amitié» une telle relation. Anthony était un sujet de discussion entre nous, tu le défendais avec vivacité, moi, je trouvais que tu te laissais trop influencer par lui:  tu arrivais même à parler avec ses intonations de voix!

Tu me racontais combien il était malheureux, j’avais envie de te dire combien il était doué pour se faire plaindre. Je n’ai compris cette amitié qu’un peu plus tard:  Anthony touchait à la drogue. Il en consommait pour oublier sa vie monotone et vide, malgré l’argent dont il disposait. Paresseux, il ne savait que faire de ses journées.

Toi, tu avais besoin d’oublier:  personne ne connaissait ton état de santé, et j’imagine ta détresse de ne pas pouvoir partager ce souci avec un ami. Tu disais toi-même que, par moments, ton cerveau était prêt à exploser, surtout quand on faisait des projets d’avenir autour de toi. Tu avais choisi le silence. Alors, pour tenir bon, tu as essayé le hasch …

Je m’en apercevais à ta mine défaite lorsque tu te réveillais le matin, et je pensais à tes défenses immunitaires que tu ne voulais absolument pas contrôler!  Comment allait réagir ton corps? Un jour, où j’étais spécialement soucieuse de ta santé, j’ai essayé de t’en parler. L’angoisse m’a rendue maladroite et tu as été très agressif , me demandant de te laisser vivre. Tu sentais certainement que j’avais raison, mais tu avais peur. Nous étions très énervés tous les deux, et cela ne servait à rien de discuter. Je me suis tue.

Le lendemain, tu t’es installé chez Anthony sous le prétexte de travaux à faire dans son appartement:  tu avais le temps de l’aider en rentrant du travail, le soir. Au bout d’une semaine, tu es revenu à la maison pour chercher du linge, et j’ai été paniquée devant ton regard absent et hagard.

Impossible d’avoir une conversation, ton cerveau était trop embrouillé. Et tu es reparti, bien sûr, chez ton copain. Je me souviens très bien de la nuit angoissée qui a suivi. Je songeais à ta phrase «à quoi bon?», lorsque je t’avais demandé quand tu comptais revenir à la maison.

À quoi bon avoir des enfants, à quoi bon les aimer, à quoi bon? À quoi bon se faire du souci, ce qui est aussi une façon d’aimer, à quoi bon ce partage qui constitue une vie familiale, avec ses joies et ses peines, ses rires et ses moments difficiles? À quoi bon essayer de construire quelque chose de solide, uni, chaleureux, à quoi bon?» J’ai reçu cette toute petite question en pleine figure et j’ai eu horriblement mal, mal à hurler. Mais il y avait Philippe:

«Il souffre, Caroline, pense à sa souffrance.»
Il faudrait aussi parfois penser à la mienne … Un jour des boutons sont apparus sur les bras, et tu as réintégré la maison. Officiellement, tu t’étais bagarré avec Anthony. Serais-tu revenu s’il n’y avait pas eu ce problème de peau? Quel aurait été l’état de ta santé si tu n’avais pas touché à la drogue? Questions inutiles, puisque sans réponse. Je t’ai supplié de voir au moins un dermatologue, en essayant de cacher ma terreur.

Ce jour-là, j’ai compris que la mort t’adressait son premier message. Les boutons ont disparu, sont revenus, et lorsque, enfin, tu es allé voir un médecin, tu es rentré à la maison très en colère car il avait prescrit une analyse de sang que tu trouvais inutile, puisque tu étais au courant de ta séropositivité depuis quelques années déjà. Devant ma nervosité croissante, tu es parti vers ta chambre en criant :
«Fiche-moi la paix avec l’état de mes T4, de toutes façons, cela ne changera rien!»
Ma réaction de rage a été inutile et éprouvante pour tous les deux. Tu avais pris le parti de la fuite:  surtout ne pas savoir!  J’ai été habitée par la peur qui m’empêchait souvent de dormir et l’angoisse ne m’a plus quittée.
Suite dans notre prochaine édition…
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JULIEN (Fin) Toi qui préfères les hommes (épisode final)

Thursday, April 17th, 2014

Caroline Gréco

Dominique a commencé à vivre seul. C’est dur de constater un échec. On reste avec toutes ces questions et cette tristesse, ce vague à l’âme. Plus envie de rien. Dominique déprime et se plaint qu’il ne supporte plus sa mère et ses raisonnements idiots.

«Mon amie, ma sœur, tu dis tout haut ce que je pense parfois dans le secret de mon cœur, quand je vois Julien douter, hésiter, quand il est perdu et qu’il a de la peine à se retrouver lui-même. « Et si nos fils s’étaient trompés? Ils ne sont peut-être pas homosexuels ! Ils n’ont pas eu de chance, voilà tout. A un certain moment de leur adolescence, ils ont rencontré un « ami » qui leur a fait découvrir l’homosexualité. Trop timides avec les filles (ton fils et le mien n’ont que des frères), ils ont  fait l’amour avec un garçon : c’était une question de facilité. Nous, leurs mères qui les connaissons si bien, qui les aimons tellement, nous savons qu’il faut qu’ils rencontrent une fille gentille, douce, compréhensive et tout va s’arranger. «Ma pauvre amie, ma sœur, il faut avoir le courage de voir les choses en face. Il faut affronter les problèmes avec lucidité et courage. Nos enfants disent être attirés par les garçons depuis quelques années: ils ont cru être amoureux, se sont trompés, ont recommencé avec d’autres… Tout notre amour de mère est là, pour essayer de les comprendre: on ne choisit pas d’être ou de ne pas être homosexuel.»
Avec la publication complète terminée pour le livre «Julien, toi qui préfères les hommes» de Caroline Gréco, il nous fait plaisir de vous annoncer que nous débutons dans cette même chronique la publication intégrale du second livre de Madame Gréco «À Dieu Julien» que voici… À NOTER que ce texte a été rédigé avant la trithérapie…
À Dieu, Julien
Je suis debout sur le bord de la plage, un voiler
passe dans la brise du matin, et part
vers l’océan…
Il est la beauté, il est la vie.
Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse
à l’horizon.
Quelqu’un à mon côté dit:  « Il est parti! »

Parti vers ou? Parti de mon regard,
c’est tout.
Son mât est toujours aussi haut,.
Sa coque a toujours la force de porter
sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vie est en moi,
pas en lui.
Et juste au moment où quelqu’un près de moi
dit :  « Il est parti! », il y en a d’autres qui,
le voyant poindre à l’horizon et venir
vers nous, s’exclament avec joie:
« Le voilà! »
C’est ça, la mort !

(Traduit de l’anglais,
auteur anonyme)
La vieille dame était émue. Elle a regardé pendant quelques secondes l’arbre que nous venions de planter et elle a dit d’une voix forte et assurée: «Julien, je crois en la vie éternelle et je suis sûre que nous nous rencontrerons bientôt, là-haut!»

C’est là, au bord de la rivière, dans ce pré où tu aimais venir te reposer, que nous t’avons vraiment quitté.

Tes cendres étaient dans le caveau familial, mais nous avions souhaité planter cet arbre en souvenir de toi, avec les amis qui t’aimaient beaucoup:  tu étais mort, mais la vie continuait. La mort, la vie, et nous au milieu, avec notre chagrin, nos soucis et le souvenir très fort de toi, Julien, que nous ne pouvons pas oublier. Philippe a lu un très joli poème, puis nous avons arrosé à tour de rôle ce petit arbre né de ton absence et autour duquel nous allons essayer de nous réunir encore souvent, pour te retrouver et nous revoir.

Grâce à toi, de nouvelles amitiés sont nées aujourd’hui; nous avons tous quelque chose en commun :  toi et la douleur de ta perte. Tu n’étais plus là, mais à cause de cette douleur qui nous unissait nous nous sentions moins seuls et nous trouvions une certaine consolation dans ce partage. Cela fait six ans déjà! Tu es parti faire le test sans aucune appréhension, seulement parce que tu étais amoureux et que ton copain te l’avait demandé. Tu es rentré en claquant la porte. Angoissé, hagard, livide, sans un mot, tu m’as prise par la main et c’est seulement dans ta chambre, une fois la porte fermée, que tu as réussi à me dire, dans un chuchotement:  «Je suis séropositif!» Alors les larmes du désespoir sont arrivées, et tu as pleuré longtemps. Difficile de décrire mon trouble, ma terreur, mon désarroi, et les questions idiotes qui ont pu traverser mon esprit en cet instant: «Qui l’a contaminé? Depuis combien d’années? Et maintenant, combien de temps lui reste-t-il à vivre?
Mon cœur battait très fort, ma tête bourdonnait. Par moments, je pensais faire un mauvais rêve. Je me souviens d’une des premières images qui me sont venues à l’esprit :  c’était celle d’un condamné à mort, et je me rappelle ma rage: «Lui au moins sait pourquoi, mais Julien?»
Pâle, décomposé, terrorisé, ne tenant pas en place, tu répétais sans cesse:  «Qu’est-ce que je vais faire, qu’est-ce que je vais devenir?»
Ton regard!  Jamais je ne pourrais oublier ton regard. Il y avait dans tes yeux toute la détresse du monde. Tu me fixais avec une telle intensité et une telle demande, comme si, par un coup de baguette magique, je pouvais accomplir un miracle et venir à ton secours. «Maman, jure-moi que tu ne le diras à personne. Cette maladie est tellement horrible, sale, déshonorante. Je ne veux pas que cela se sache, je vais me décomposer petit à petit, maigrir, perdre mes cheveux, me remplir de boutons… J’aimerais que ceux qui m’aiment gardent un autre souvenir de moi!» Et après un long silence:  «J’ai peur aussi des autres. Comment vont-ils réagir? Je ne supporterai pas la pitié, la curiosité malsaine. Tout le monde va me fuir. C’est vrai, je porte la mort en moi.»
Il fallait réagir, ne pas te laisser t’enfoncer dans le désespoir. Je voulais t’aider mais avant tout, je devais m’informer le plus possible sur cette maladie. Très agitée, j’ai foncé chez notre ami médecin.
«Gilbert, nous vivons un drame. Julien est séropositif. Je voudrais savoir quelles sont ses chances de survie. Explique-moi, je t’en prie !
-Quel est le niveau de ses T4?
-Ses T4 ?
-Oui, on désigne ainsi les lymphocytes chargés des défenses immunitaires. Lorsqu’on parle de séropositivité, cela veut dire que le sang est infecté par la présence du rétrovirus HIV. Si les T4 sont en nombre suffisant, les défenses immunitaires restent normales et la personne est un « porteur sain ». Le sida n’est pas déclaré. Ton fils est en sursis. Pour combien de temps? On ne peut pas savoir:  quelques mois, quelques années… Il y a des gens qui vivent ainsi depuis plus de dix ans. Peut-être vont-ils tenir comme cela toute leur vie. Pour le moment, les statistiques ne nous donnent pas plus de renseignements, car le sida est une maladie relativement nouvelle.»
Je respirais:  pour le moment, tu étais un porteur sain. La situation était délicate mais pas encore dramatique. Je savais que tu devais faire très attention de ne pas transmettre le virus à d’autres.
«Tout se complique, a ajouté mon ami, quand le nombre des T4 diminue de façon alarmante. Quand il n’y en a plus assez pour assurer correctement la défense de l’organisme, la maladie, le sida, se déclare.

Le corps se défend alors de moins en moins bien et il contracte des infections opportunistes. On soigne ces infections. Elles peuvent être suivies de périodes de répit pendant lesquelles on peut mener une vie qui paraît normale, mais le problème reste entier, et les défenses immunitaires s’amenuisent au fur et à mesure des infections.»
Je suis rentrée à la maison un peu moins paniquée. Julien n’était « que » séropositif, tout allait bien pour le moment, il fallait croire que tout allait continuer ainsi, et nous avions besoin d’espoir. Nous devions prendre les devants, consulter des docteurs, suivre des régimes, des traitements. Il y avait certes la médecine traditionnelle qui n’avait pas encore trouvé de traitement efficace, mais il y avait toutes les médecines douces que nous connaissions si mal et certainement d’autres méthodes aussi. L’important était de résister, de tenir, en attendant le remède miracle, et il viendrait vite, j’en étais sûre, avec les progrès actuels de la recherche. Il faillit y croire, j’y croyais très fort :  nous allions gagner !
Suite dans notre prochaine édition…
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JULIEN Toi qui préfères les hommes (épisode 17)

Sunday, February 23rd, 2014

Caroline Gréco

Mais non, mon chéri, vous avez droit à la vie et au bonheur comme tout le monde, simplement ce ne sera pas toujours facile. Moi aussi, je me fais du souci pour toi.

Je pense que ce que je peux faire, c’est t’aider à construire une “carapace de défense” pour que les coups bas que tu vas certainement  recevoir ne te fassent pas trop mal. En même temps, je partirai en croisade pour essayer d’expliquer ce qu’est l’homosexualité: vous existez, c’est ainsi. Il faut que la société apprenne petit à petit à vous tolérer et que les moqueries cessent: ce sera déjà un premier point important d’acquis.»

Pendant que je parlais, je voyais croître la nervosité de Jean. À un certain moment, il m’a interrompue:
«Et que pensez-vous, Caroline, des parents qui mettent leur enfant à la porte? C’est de l’amour, cela?
- Dans un certain sens oui, Jean. Non, ne bondissez pas ainsi, laissez-moi vous expliquer: nous avons chacun notre caractère bien particulier, et nous réagissons avec nos moyens.»

J’ai regardé Julien:
«Souviens-toi simplement de ma réaction et de celle de papa, lorsque tu nous a parlé! Je ne vais pas vous faire un cours sur les différences de caractère: nous sommes tous plus ou moins impulsifs ou calmes, compréhensifs ou durs, ouverts ou bornés.

Après une telle révélation, mettez-vous à la place des parents, surtout de ceux qui n’ont jamais eu affaire avec ce problème, qui le connaissent à peine et qui, probablement, avaient toujours rigolé jusqu’ici lorsqu’on parlait d’homosexualité. Un jour, on découvre que son propre enfant est homosexuel! C’est un grand choc. Alors, on réagit comme on peut, et souvent ces réactions sont maladroites et dures. C’est comme ça qu’un garçon se retrouve à la rue. Pouvez-vous imaginer combien on regrette ces gestes après?

Comment remédier, lors-qu’on a agi trop vite, sur un coup de désespoir? Savez-vous que la souffrance des parents égale celle des enfants?

Quand on a perdu la trace de son fils, comment le retrouver, surtout si celui-ci ne veut plus entendre parler de sa famille? Vous pouvez l’interpréter comme un geste négatif, horrible, mais dans un certain sens, il s’agit là aussi d’un geste d’amour. Si seulement on pouvait réfléchir avant, on pourrait éviter bien des drames!
«Après il est trop tard pour les regrets… Pauvres parents et pauvre enfant …»

Pendant un long moment, nous nous sommes tus. Je crois que chacun de nous faisait, à sa façon, son examen de conscience. Le téléphone qui sonnait nous a ramené à l’instant présent. Mon interlocuteur était très bavard. Lorsque j’ai enfin pu raccrocher, Jean était dans la chambre de Julien, j’entendais le bruit de leurs voix. J’étais contente qu’ils n’aient plus besoin de moi. Cette conversation m’avait épuisée.

Je regarde un clip à la télévision : deux femmes chantent leur homosexualité. Répulsion, horreur, cela me prend aux tripes. Je devrais éteindre cette télé, mais je continue à les regarder, fascinée, dégoûtée, écœurée aussi par la chanson et par moi-même: donc, toutes mes pseudo-déclarations sur l’acceptation de l’état de Julien sont sans fondement! Elles ne valent rien! C’est un château de cartes qui s’envole au premier frisson de vent. Cette réaction prouve que rien n’est acquis pour moi! J’avais construit tout un système de défense et de soi-disant compréhension, qui aurait dû me ménager, me protéger de toute agression homosexuelle. Eh bien, c’est raté!

Ou alors, est-ce que ma réaction est si violente parce que, dans ce cas particulier, il s’agit de femmes et que je me sens plus concernée? Je suis mal à l’aise, je ne sais plus où j’en suis, submergée par une vague de dégoût. Pourtant, je n’éprouve pas la même répulsion lorsqu’il s’agit d’amours masculines. Julien, ses amis, ses amours…

Dans la chambre de mon fils, il y a de belles photos d’hommes: des visages, des corps, des couples. Je ne peux m’empêcher d’admirer leur beauté, même quand ils sont tendres entre eux. Maintenant, dans ma tête, j’accepte. Oh! Cela n’a pas été facile!

Cette longue et pénible démarche m’a permis d’accepter la situation et d’acquérir une certaine paix. Julien n’est pas comme nous, il a d’autres désire et il peut tomber amoureux d’un homme, sans pour cela être fou ou criminel. Et pourtant! Rien n’est vraiment acquis, et il faut se donner du temps. Je m’en suis aperçue ce matin en entendant cette chanson.

Je vis dans un monde fragile, je trébuche souvent et je me blesse. Parfois, il me reste des cicatrices douloureuses. Les jours se suivent et se renouvellent à un rythme régulier. Avec le temps, j’acquiers une certaine sagesse et une certaine compréhension. Elles m’aident à vivre des situations difficiles: j’ai encore du chemin à faire. En toute honnêteté, je me demande si j’arriverai un jour, à accepter vraiment l’homosexualité de Julien et celle des autres. J’ai essayé d’étudier la question à fond, cela m’a aidée à comprendre, mais comment l’admettre vraiment?

Mon amour pour Julien m’a forcée à faire un gros effort sur moi-même : c’est parce que je l’aime que je me suis documentée, que j’ai essayé d’en savoir plus. Je voulais, à tout prix, rester proche de lui. Pourtant, au plus profond de moi-même, il y a toujours ce petit sursaut de répulsion, toutes les fois  que j’entends parler d’homosexualité. Est-ce que Julien le sent? Est-ce que cela le chagrine? Ou, au contraire, est-il plutôt fier de sa mère, comme il le dit souvent à ses amis? Et moi? Est-ce que toute ma vie sera accompagnée de cette pointe de tristesse?

Quand est-ce que j’arriverai à m’en débarrasser? Quel compromis arriverai-je à trouver avec moi-même pour vivre, avec sérénité, cette déroutante relation, et pour que mon sourire, à la vue de Julien, soit vrai et chargé d’amour?

Julien passe souvent ses moments libre chez Dominique, qui déprime complètement, car il vient de se séparer de son ami. «En plus, me dit Julien, il a des problèmes avec sa mère, qui pense que Dominique n’est pas un vrai homosexuel et veut lui faire rencontrer des filles. Elle est folle, cette femme, tu ne crois pas?»
Quelle envie d’aller vers cette femme et de lui dire combien je suis proche d’elle, combien je partage sa peine, ses doutes, ses angoisses!

«Mon amie, ma sœur, je ne te connais pas, mais laisse-moi te dire que tu n’es pas la seule. Ta douleur me donne du courage. Elle me fait prendre conscience qu’il existe d’autres mères qui vivent ma propre souffrance. Tu as, comme moi, un fils homosexuel et, d’après tes réactions, je suis sûre que tu passes par les mêmes états d’âme que les miens, par les mêmes angoisses, les mêmes moments d’espoir vite déçus, les mêmes solitudes. Je sais que tu es mariée, mais de son père Dominique ne parle jamais.

«Ton fils vient de se séparer d’un ami avec lequel il a vécu six mois. Ils se sont rencontrés, ils ont cru que ce désir qu’ils avaient l’un de l’autre était de l’amour. Cinq jours plus tard, ils louaient un appartement. Ils n’ont pas eu le temps de faire connaissance: Toutes ces heures où l’on parle, où l’on se raconte, où l’on se met à nu. La nudité de l’âme est bien plus dépouillée, bien plus compromettante et plus importante qu’un corps déshabillé. Quand on s’aime vraiment, on se raconte ses pensées les plus profondes et les plus cachées: il s’ensuit une si grande complicité que souvent un regard suffit pour se dire ses émotions qu’on ne partage qu’à deux. On s’accepte et on se supporte sans efforts. Elles sont étonnantes, les concessions qu’on arrive à faire par amour de l’autre! Il faut avoir le temps de se connaître, avant de prendre la décision d’une vie commune. «Dominique a brûlé les étapes. Bien vite, il s’est retrouvé avec un étranger dans son lit. Ils ont essayé de parler: ils ne se sont pas compris. Tant de choses les séparaient, ils étaient à l’opposé l’un de l’autre. Pendant un temps, ils ont espéré, ils ont essayé de se donner la main pour ne pas se perdre dans ce chemin qu’ils découvraient ensemble. Il y a eu trop d’orages, de brouillard, de cris, de disputes: ils se sont quittés».

JULIEN, TOI QUI PRÉFÈRES LES HOMMES Publication exclusive du livre de Caroline Gréco

Friday, November 29th, 2013

Caroline Gréco

Épisode numéro – 16
«Pas de problèmes. Je sors aussi mais avec papa et donc avec son auto.» Super ! Viens, il faut que je te raconte ce qui m’est arrivé hier, une histoire de dingue, vraiment je ne m’attendais pas à cela. J’espère que je ne vais pas te choquer. Tu sais comment je suis : quand il m’arrive quelque chose, il faut que je le raconte, sinon je suis trop malheureux.
« Donc, il y a un nouveau bar qui s’est ouvert près du Cinéma Rex. C’est un endroit très joli : il est décoré comme un intérieur de vieux bateau. Tout est en acajou verni, sur les murs des lanternes en cuivre donnent une lumière douce et elles sont entourées d’objets typiquement marins : compas, baromètres, et quelques casques de scaphandriers. Le bar, comme une vieille coque, est décoré à la poupe par une très vieille barre à roue et à la proue par une ancre. Il ne manque au barman que la casquette du capitaine !»
«Dans un certain sens, Mathieu le barman, essaie de conduire son embarcation un peu spéciale, secondé par Jean le videur. Il faut montrer patte blanche si l’on veut que l’on vous ouvre : Jean est là pour barrer la route aux clients indésirables.»
« Il y a deux jours, j’ai été boire un pot avec Marc et l’endroit m’a beaucoup plu par son élégance, son ambiance jeune et sympathique. J’ai rencontré d’autres copains. Nous avons beaucoup parlé de Vincent, qui est danseur et va quitter la ville parce qu’il a décroché un contrat fabuleux avec l’Opéra de Paris. Le directeur l’a vu danser ici et tout s’est fait très vite.

Vincent déménage la semaine prochaine. Nous sommes un peu tristes de le voir partir, mais heureux pour lui de cette chance inouïe : il l’a bien méritée.»

«Nous organisons une soirée d’adieu pour fêter son contrat fantastique, le week-end prochain. Nous avons aussi fait des projets pour aller le voir, mais tu sais comment c’est : la vie de tous les jours et les obligations du travail… on se reverra, c’est sûr, mais il va s’éloigner et je le perdrai petit à petit.»

«Avec les copains, il y avait un garçon que je ne connaissais pas : Kevin. Quelle beauté ! Brun, les yeux foncés, un visage fin, pétillant d’intelligence, grand, élancé: il a exactement ma taille.

J’ai un peu parlé avec lui, nous avions envie de nous revoir plus tranquillement, nous nous sommes donnés rendez-vous hier soir, même endroit, même heure. Je suis arrivé un peu en avance. Tu sais, je n’aime pas entrer tout seul dans un lieu public : tous ces yeux, tous ces regards qui ne vous lâchent plus dès que la porte s’ouvre.

En général, je me précipite vers la première place vide, vite, pour disparaître et me confondre dans la fumée des cigarettes, n’être plus qu’une tête parmi tous ces clients. Ce qui me met à l’aise, passé le premier moment, c’est que je rencontre souvent quelque connaissance.» « Au bar, il y avait une fille magnifique. Étrange, pour un lieu presque exclusivement masculin. Cette fille m’intriguait car elle me rappelait quelqu’un. Je cherchais qui, en la dévisageant avec insistance. Au bout d’un moment, je la vois venir vers moi. Déconcerté et inquiet, je me demande quelle attitude adopter. Et puis tout à coup, ça y est, je reconnaissais la fille : c’est le copain avec qui j’avais rendez-vous!»
«Je suis sans paroles, submergé de honte, car toute la salle nous regarde et tous suivent des yeux le travesti. Embarrassé et furieux, je lui dis qu’habillé et maquillé comme ça, il ne m’intéresse pas du tout. Il aurait pu me prévenir ! Je quitte les lieux en colère.
«J’ai horreur des travestis, des folles. Ils me répugnent : tu es une fille ou alors tu es un garçon, mais pas entre les deux. J’aime les situations claires, et puis, moi, je suis un homme et je veux un homme, pas un fantoche aux allures indéfinissables!» Songeuse, je contemplais Julien. Je n’avais encore jamais pensé aux travestis. Quel problème nouveau pour moi! Je pouvais m’estimer heureuse de ne pas devoir l’affronter ! Julien ne pouvait pas lire dans mes pensées, il a terminé son récit en souriant et en disant: «C’était une histoire rigolote, tu ne trouves pas?
- Oui, Julien, oui, rigolote…»

Julien est là avec Jean, son copain que je connais bien. Tous les deux, ont l’air soucieux. Jean d’habitude souriant quand il vient à la maison, est là, devant moi, pâle, les traits tirés. Il me donne l’impression d’avoir encore grandi, tellement il se tient raide et droit. Il secoue sa tête et ses longs cheveux bouclés s’agitent dans tous les sens: «Caroline, j’ai besoin de vous.» Intriguée et pour casser cette ambiance lugubre, je les prends affectueusement chacun par un bras et je les entraîne vers la cuisine: «Allons, mes enfants, venez boire un café et dites-moi tout!»
Jean, silencieux, s’installe. Julien me jette un clin d’œil complice et me dit: «Ah bon?»
Alors Jean prend la parole avec véhémence, mais sa colère cache mal sa déception et sa tristesse.
«J’ai parlé avec mes parents hier : je n’en pouvais plus de leur cacher mon homosexualité, ça devenait insupportable, d’autant plus que je pensais qu’ils avaient des doutes… Donc j’ai parlé. Ils ont très mal pris ma confidence.  Bon sang, mais ne peuvent-ils pas comprendre que je veux vivre ma vie?»
Il s’est levé, est allé jusqu’à la fenêtre. Pendant un long moment, il a observé les voitures qui passaient dans la rue, sans dire un mot: il luttait contre les larmes. Julien m’a regardée, je lui ai fait signe de le laisser tranquille un moment. Nous étions silencieux tous les trois. Jean est revenu s’asseoir en face de moi.
«Caroline, est-ce que cela est normal qu’ils fassent toutes ces histoires, parce que je leur ait annoncé mon homosexualité? J’aurais pu me taire, d’autant plus que je n’habite plus avec eux. Ils n’en auraient rien su. Mais voilà, j’ai voulu être franc et sincère : ce sont mes parents. Je me culpabilisais déjà assez, je me traitais de lâche parce que je n’avais pas le courage de le leur dire… Et voilà comment je suis récompensé! Si j’avais su… Bonjour les parents!»
«Justement, Jean, bonjour les parents!»
Il m’a jeté un coup d’oeil inquiet: «Caroline, je ne vous comprends pas.» Jean, mettez-vous à leur place! «Et à la mienne, qui s’y met?»

Attendez, laissez moi vous expliquer : Jean, lorsqu’un enfant vient au monde, on ne pense pas qu’un jour il pourra être homosexuel. Vous avez peut-être remarqué qu’on lui souhaite une vie longue et heureuse. Et l’on pense inconsciemment déjà à sa descendance !

Avoir des enfants à son tour, c’est continuer la chaîne, un peu magique, de la vie, une vie qu’on lui souhaite belle et facile.
«Les enfants ne me manquent pas – à murmuré Jean – je n’ai pas envie d’en avoir!»

Laissez-moi continuer. Je comprend tout à fait que vous ne vouliez pas d’enfants. Cela n’est pas une obligation, il y aussi des couples qui n’en veulent pas. Les enfants dérangent, posent beaucoup de problèmes, il faut les supporter, discuter, les faire obéir… et accepter qu’ils ne suivent pas l’exemple de papa et maman, qu’ils deviennent musiciens alors que les parents les voudraient architectes ou comptables alors qu’on les imaginait ingénieurs… Quand un enfant attendu arrive, peu importe qu’il soit beau ou moche, cet enfant c’est la plus grande merveille du monde, pour les parents. Jean, vous avez certainement déjà vu le regard de jeunes parents sur leur petit: quelle adoration! C’est formidable!

Un jour, cet enfant vous dit: «Je suis homosexuel.»
Mettez-vous  un instant, si vous le pouvez, à la place des parents. Il faudrait qu’ils acceptent cela tout simplement! Mais alors, Jean, si cela était si simple, pourquoi ne l’avez-vous pas dit tout de suite à votre père et à votre mère, lorsque vous en avez été sûr? Pourquoi attendre quelques années?   Vous vous demandez pourquoi  ils se mettent en colère. Vous ne comprenez pas?
Jean regardait ses mains et se taisait. Au bout d’un long moment, il m’a regardée: «Je suis   homosexuel et je leur fais honte.» Pourquoi ?
«Parce que je suis dans un monde  qui leur est inconnu et qui leur fait peur!» «Parce que vos parents vous aiment!»
Jean m’a regardée d’un drôle d’air. Peut-être pensait-il que j’étais devenue complètement folle! J’ai répété: «Parce qu’ils vous aiment! Parce qu’ils sont tellement surpris par cet aveu, parce qu’ils ont peur pour vous. Ils savent que vous n’avez pas choisi une voie facile: on se moque souvent d’un homosexuel. La nature nous crée homme et femme   pour la continuer.

Vous, vous êtes sur une  voie différente et cela dérange beaucoup: vous avez d’autres habitudes, une autre façon   de voir les choses et les gens, une autre manière de fonctionner.

Vous savez, Jean, quand une situation nous choque ou nous dépasse, on s’en défend plus facilement par la moquerie. Vos parents savent qu’étant homosexuel vous allez  être exposé à des railleries, vous allez être montré du doigt, on rira de vous, on vous singera: vous en souffrirez. Les parents ne souhaitent que le bonheur de leurs enfants, c’est très dur pour eux aussi de vivre cela.

«Quelle exagération! A dit Jean. Les homosexuels sont de plus en plus acceptés maintenant.
Alors, Jean, pourquoi cachez-vous vos tendances et vous ne dévoilez que devant des amis sûrs?
Julien avait écouté jusqu’ici sans dire un mot:
«Alors, maman, nous sommes maudits »!

Suite de cette publication dans notre prochaine édition…
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JULIEN, TOI QUI PRÉFÈRES LES HOMMES Publication exclusive du livre de Caroline Gréco #15

Sunday, October 27th, 2013

Caroline Gréco

Nous avions un peu bu (peut-être inconsciemment pour nous donner du courage ?) et pendant le trajet du retour, nous étions gais et un peu excités. Philippe faisait des projets pour fonder une école qui soit en mesure d’apprendre aux futurs parents, comment se comporter dans toutes les situations bizarres et incroyables par lesquelles nous font passer nos chers petits et nous nous disputions la place de directeur… En attendant, on aurait bien aimé avoir un mode d’emploi pour les moments qui allaient suivre…

Julien et ses amis nous ont accueillis avec beaucoup de chaleur et de gentillesse. Je soupçonnais qu’eux aussi, comme nous, avaient dû boire un peu, pour lutter contre l’angoisse de notre rencontre. Ils connaissaient les difficultés de Julien et les problèmes de communication avec son père. Nous avons parlé des talents de cuisine de Julien. Le repas avait été excellent. Très vite, le discours est devenu plus intéressant. Mon mari et Jean se sont trouvé une passion commune, l’histoire du Moyen Âge, et nous avons tous participé à la conversation qui fut sérieuse et joyeuse en même temps : les trois garçons étaient très cultivés et agréables à entendre. La discussion était brillante. Philippe et Jean prenaient un plaisir visible à se mettre mutuellement en valeur. Julien était assez silencieux : la peur, la joie, le soulagement surtout de voir son père si à l’aise avec ses copains… Il ne disait pas grand-chose mais l’expression de son visage en disait long sur son bonheur! Au bout d’un moment, mon mari a déclaré qu’il avait soif et a demandé si quelqu’un voulait boire. Julien a fait mine de se lever pour aller chercher des boissons. D’un geste, Philippe lui a fait signe de s’asseoir et a été lui-même chercher les rafraîchissements.

Julien n’y comprenait vraiment plus rien : émerveillé, sans paroles devant la disponibilité de son père qui non seulement recevait ses copains à la maison, mais allait les servir lui-même, il en avait le souffle coupé. Nous avons continué, tard dans la nuit, à discuter, à rire et à philosopher. Les heures passaient gaies et légères. Philippe était en train de se débarrasser de beaucoup d’idées toutes faites et bornées sur les homosexuels. Il découvrait qu’il y a aussi des garçons agréables, fins et cultivés parmi eux : sa tension se relâchait au fur et à mesure que le temps passait…

Nous nous sommes séparés avec des promesses de nous revoir. Lorsque nous nous sommes retrouvés seuls, mon mari m’a dit : « Jean est un garçon remarquable, je suis content d’avoir fait sa connaissance. Les autres aussi sont très plaisants. Et pourtant, Dieu sait si je n’avais aucune envie de les rencontrer!»

Puis il a ajouté d’un ton désolé : «Pourquoi faut-il qu’ils soient homosexuels? C’est trop injuste, trop dommage!» Je passe devant la chambre de Julien. Je suis en train de ranger tous les vêtements de ski qui sont dans le placard du fond du couloir, j’ai les bras chargés de pulls. La porte de la chambre de mon fils est ouverte, et malgré la musique, il m’a entendue et m’appelle.
« Attends deux minutes, Julien, j’arrive !
- Maman, je n’ai pas encore eu le temps de te raconter ma soirée, est-ce que tu as envie de m’entendre ? »

J’ai besoin de comprendre la vie de Julien et pour cela j’apprécie qu’il ait ce besoin de parler. J’écouterai sans commentaires, pour qu’il puisse aller jusqu’au bout de son récit. Si quelque chose me dérange, j’essaierais de m’expliquer à la fin. Mon but est de tout faire pour ne pas rompre le contact : rester ouverte et compréhensive, et intervenir sérieusement seulement en cas d’événements graves ou de danger.

Hier soir, j’étais chez Ralph, qui avait organisé un repas avec André et Roger. L’ambiance était tranquille. On écoutait de la bonne musique pendant que Ralph nous racontait son voyage en Irlande : ce doit être vraiment un pays magnifique, si vert, il paraît qu’il ressemble, par moments, à la Suisse. L’accueil y est chaleureux et il était assez fier d’avoir su se débrouiller si bien en anglais ! Alors, pour le chahuter un peu, nous nous sommes tous mis à parler anglais et c’était vraiment comique, car Roger n’arrivait pas à suivre. Nous faisions beaucoup de bruit, et c’est à peine si nous avons entendu sonner à la porte. Nous avons pensé que les voisins n’appréciaient pas trop nos rires et nous étions prêts à nous excuser : la soirée était bien avancée et nous nous sentions un peu coupables. Quelle surprise avons-nous eue en ouvrant la porte : c’était Noël ! Petit, mince, très discret et silencieux, nous l’avons surnommé « l’Ombre » depuis longtemps, cela lui va bien. Noël donne l’impression de s’excuser tout le temps d’être là, de déranger. Bien que très attentif à ce que les autres disent, il participe rarement à nos discussions. Seuls ses hochements de tête nous montrent combien il nous écoute sérieusement.

Nous arrivons à transformer Noël, les rares fois où il accepte de boire un verre. En général, il refuse de boire de l’alcool,  avec seulement un petit verre de vin, il se transforme en garçon très bavard et très amusant. C’est incroyable combien Noël peut être différent dans ces moments-là : c’est une autre personne qui est là, devant nous. Je suis toujours stupéfait de ce changement de personnalité. Est-ce que cela est dû à sa timidité ? Je sais qu’il porte dans son cœur une histoire familiale très dure, qui l’a beaucoup marqué, mais il n’en parle jamais. Est-ce qu’il s’est renfermé ainsi à cause de tous ces événements tristes qu’il a vécus, ou bien cette discrétion fait partie de son caractère ? Sa famille vit très loin et il n’a plus de contacts avec elle depuis longtemps.
« Je suis un sans famille, avoue-t-il dans les soirées de déprime, je peux tomber malade, mourir, qui se souciera de moi ? »

Oui, nous, ses copains nous sommes là, mais chacun de nous a ses soucis et ce que Noël n’ose pas nous dire mais que je ressens très fort, c’est que les copains sont très changeants, et que rares sont les amis sur qui on peut vraiment compter : il y a de quoi avoir peur, quand on est seul comme lui, et qu’il faut faire face à des difficultés.
Maman, si tu savais combien je suis heureux de t’avoir parlé, combien je vous suis reconnaissant, à papa et à toi, de continuer à m’aimer tel que je suis. Je pense que je ne pourrais pas survivre tout seul, comme Noël, je me laisserais mourir tout doucement.

Il y a bien Frédéric, mais il est loin d’ici et il a Marie… J’aime bien mon petit frère, mais il est en train de construire sa vie et il n’a pas besoin d’une charge comme moi.
Pour revenir à Noël, il a donc sonné à la porte. Il est entré comme un fou. Sans un mot, hors de lui, il est allé vers Roger et lui a dit, en le désignant du doigt : « Viens, toi ! » et devant son air étonné : «Oui, toi!» Roger, surpris s’est levé et Noël, en l’attrapant par la chemise, a hurlé : «  Salaud, tu es un salaud, viens qu’on s’explique!» Jamais nous n’avions vu Noël dans un était pareil. Il tremblait, on ne pouvait pas dire si c’était de la colère ou du désespoir, et on le sentait prêt à tout. Nous étions médusés, incapables d’intervenir.

Finalement Ralph s’est levé brusquement, il est allé vers les garçons qui commençaient à s’empoigner sérieusement, les a pris chacun par le col de leur chemise et en les poussant vers l’entrée, leur a dit sur un ton énergique : «Les enfants, si vous voulez vous battre, surtout pas ici, allez dehors!» Roger et Noël se sont retrouvés sur le palier. Nous avons entendu un bruit de poursuite dans les escaliers, des cris, puis la porte de l’immeuble a claqué.

Silencieux, ou riant nerveusement, nous sommes restés dans l’appartement. Nous étions au courant des infidélités de Roger vis-à-vis de Noël, mais cela est tellement banal dans nos amours ! Ce qui nous avait étonnés était le comportement de Noël: jamais nous ne l’avions vu dans un état pareil. Qui aurait pu penser qu’un garçon aussi effacé pouvait se déchaîner ainsi?

«Noël est fou, a murmuré Ralph. Je ne l’imaginais pas aussi violent! Roger aurait dû être plus discret, mais Noël le connaît bien et ce n’est pas la première fois qu’il lui préfère un autre pour une soirée, a expliqué André.
Heureusement que Roger est venu seul, ce soir, sinon, les copains, cela aurait pu devenir un carnage! «Je le pensais vraiment : non, une bagarre ne m’aurait pas plu.»

Julien est devenu pensif tout à coup: «Je me sens très proche de Noël, moi aussi je suis exclusif comme lui, lorsque j’aime un garçon, je suis contre le partage. C’est peut-être pour cela que j’ai tellement de mal à trouver un ami. Dès le départ, j’annonce la couleur et je stoppe tout si je m’aperçois que la règle du jeu n’est pas respectée. Noël a un handicap en plus : il est tout seul. Cela doit être de toute façon horriblement difficile de partager sa vie, car pour lui un ami n’est pas seulement un amoureux, mais il doit sûrement représenter aussi une partie de la famille qu’il n’a plus.»

La porte a claqué : Julien est de retour de son travail.
« Maman ?  «Je croyais qu’il n’y avait personne, la maison est bien silencieuse ! Maman tu te souviens que je ne suis pas là ce soir. Je suis un peu énervé, parce que ma voiture est tombée en panne. Je l’ai laissée au garage en face du bureau, ça ne doit pas être très grave, mais c’est embêtant pour moi, parce que je suis à pied… Est-ce que tu penses pouvoir me prêter ta voiture, ce soir?

JULIEN, TOI QUI PRÉFÈRES LES HOMMES Publication exclusive du livre de Caroline Gréco

Thursday, August 22nd, 2013

Volet no.14
J’insistais pour qu’il en dise plus, malgré mon étonnement: qui aurait pu prévoir une telle conversation il y a seulement peu de temps? Il a coupé court : «Caroline, ma chérie, la journée a été sympathique et belle, mais tout ce soleil m’a fatigué. Je vais voir s’il y a quelque chose de bien à la télé, et j’irai au lit de bonne heure. Tu viens aussi?»

Je croise un jeune homme qui va livrer des fleurs et je pense à ma joie lorsque je reçois aussi un bouquet. Il y a quelques jours, Maurice, un copain de Julien, a téléphoné parce qu’il était en panne avec sa moto. Julien n’était pas à la maison, je m’apprêtais à sortir et Maurice se trouvait justement dans le quartier où je devais me rendre. Je l’ai donc dépanné et quelle n’a pas été ma surprise de recevoir, le lendemain, un très beau bouquet de fleurs : dahlias, lis, œillets, pois de senteur et quelques marguerites jaunes formaient un ensemble très coloré et gai. On sentait le souci du choix, de la composition. Pendant presque toute la semaine, ce bouquet m’a réjoui le cœur et surtout la vue!

Mario, un autre ami de Julien, vient me voir de temps en temps, même s’il sait que mon fils n’est pas là lorsqu’il passe. Ses visites me font très plaisir.  Mario a l’air heureux de bavarder avec moi. Sa famille habite dans le Nord, et il n’a presque plus de contacts avec elle, depuis qu’il les a mis au courant de son homosexualité. La seule personne qui s’intéresse encore à lui est sa grand-mère, qui vit à sept cent kilomètres mais qui lui fait régulièrement de longues visites par téléphone. Mario m’offre souvent une rose. Belle, splendide. On sent qu’il l’a choisie longuement. Il m’offre la fleur en arrivant, avec un regard heureux et triste en même temps. En offrait-il à sa mère?

Est-ce que ce geste lui fait revivre des  bons moments de sa vie, quand ses parents ne soupçonnaient pas encore son état et qu’il partageait sa vie avec eux et sa sœur?

M’offre-t-il cette rose en souvenir de ce temps passé ? Ou bien, est-ce que Julien lui a dit un jour, par hasard, combien j’aimais les fleurs? En tout cas, j’aime les visites de ce garçon plein de vie, passionné de musique, qui sait si bien me transmettre son enthousiasme et qui apporte souvent un de ses disques que je ne connais pas encore, pour me faire entendre une nouvelle interprétation de tel ou tel artiste.

Hier, on a sonné à ma porte : j’ai vu un immense bouquet de roses qui avait l’air de marcher avec deux jambes…

C’était Jean, un ami de Julien, qui venait m’offrir cinquante magnifiques roses, en remerciement d’une traduction assez compliquée que je lui avais rédigée pour sa thèse d’histoire. Émue, je ne savais que dire devant un cadeau aussi inattendu et somptueux!

En réfléchissant à ces gestes de remerciement et de sympathie, je réalisais que jamais un ami de Frédéric n’avait eu cette idée. Il m’est arrivé de recevoir des boîtes de chocolat, des livres… Je crois qu’en général les hommes réservent cet hommage floral lorsqu’ils sont invités à un dîner, à une réception, ou alors ils envoient des fleurs pour exprimer des sentiments amoureux, transmettre un message tendre.

Beaucoup d’homosexuels aiment les fleurs et les plantes vertes, dont ils prennent un grand soin. C’est donc tout à fait normal pour eux d’offrir quelque chose qu’ils aiment. Ont-ils à ce niveau une sensibilité plus développée, ou tout simplement une autre façon de transmettre un message d’amitié?

Ce soir, Philippe et moi sortons. Depuis un certain temps, Julien désirait inviter des copains à la maison. J’étais un peu inquiète de la réaction de Philippe, mais quand Julien lui en a parlé, sa réponse m’a étonnée : «Profites-en, puisque nous ne sommes pas là »

Julien l’a embrassé, pour le remercier, et j’aurais bien fait pareil, étonnée et heureuse de constater ce début d’ouverture de la part de mon mari. Si je n’ai pas montré ma joie, c’est parce que je connais trop bien Philippe : je ne dois jamais réagir à chaud, surtout dans les questions délicates, je risquerais de faire plus de mal que de bien, et de perdre ainsi tous mes acquis. Par contre, revenir plus tard sur le sujet, ne peut être que bénéfique.

Donc depuis quelques jours, Julien ne parle que de cette soirée, de la table qu’il va préparer, de la couleur de la nappe qu’il va choisir, en harmonie avec la couleur prédominante du bouquet de fleurs qu’il va acheter, des couverts en argent qu’il vaudrait mieux nettoyer (je n’en vois pas l’utilité, ils me semblent propres et brillants!) et du menu. «Encore quelque chose, maman, il me faut des bougeoirs, est-ce que je peux prendre les chandeliers vermeils du salon? Ils donneront un air de fête à la table.»

Puis, préoccupé : «Il faudra aussi que je réfléchisse à la couleur des bougies.» Julien est très raffiné, je sais que tout sera parfait, et comme de plus il est fin cuisinier, je lui fais confiance : le repas sera excellent ! Mais que va-t-il cuisiner? «J’hésite encore, maman, j’ai envie de préparer la terrine antillaise, tu sais, celle à base de crabes et de fruits de mer, parce que je sais que mes copains aiment les crustacés et les coquillages. Ensuite, je voudrais faire un canard à l’orange et un gâteau au chocolat ou alors j’achèterai une glace, ça me donnera moins de travail!»

Médusée, étonnée, je me tais. Le luxe et la somptuosité de cette soirée me semblent déplacés : pour trois copains, trois garçons! Je pensais aux repas avec les amis de Frédéric : quelle différence! «Ne t’en fais pas maman, je leur ferai un plat de spaghetti, tu me prépareras une bonne sauce qui va avec, par exemple celle avec les anchois et les olives, ils vont adorer! Et puis un plat de fromages et un gâteau. Ce sera super!» Et maintenant, tout ce raffinement, côté Julien! Est-ce que cela n’était pas trop ridicule? Pour des garçons! Je me suis sermonnée avec véhémence : «Assez, Caroline! Si c’est le souhait de Julien, tu n’as rien à dire! De toute façon, tu ne seras pas là et cette soirée ne te concerne pas. Ce sont des homosexuels et même s’il s’agit de garçons, tu sais maintenant qu’ils sont différents. Julien connaît ses amis, il est souvent invité à des soirées et s’il prépare un dîner aussi raffiné, c’est que cela se passe ainsi, d’ailleurs, il te l’a bien expliqué, et il ne veut pas être critiqué pour la première fois qu’il invite quelqu’un à la maison. Tu connais Julien: il aime beaucoup ce genre de réception. Souviens-toi, c’est toujours lui qui se propose pour la décoration des grands dîners fêtes à la maison : anniversaires, Noëls… et puis la décoration, c’est son boulot et il aime cela!»

Ma pensée va tout de suite à Philippe : que dira-t-il devant tous ces préparatifs somptueux? Je suis un peu inquiète. Il faut absolument que je lui en parle, que je le prépare. Je ne me sens pas trop à l’aise. Philippe commence par accepter un peu la différence de son fils, mais il ne faut pas trop le brusquer, le choquer, tout va trop vite. Attention, il ne faut pas brûler les étapes, sinon on va perdre tout ce qui a été acquis! Il va falloir, une fois de plus, que je négocie tout cela… et que le ciel me vienne en aide!

Nous voilà donc en route pour notre dîner chez nos amis, encore surpris, parce que, au moment de partir, Julien nous a dit : «Papa, maman, lorsque vous reviendrez, je suis sûr que mes copains seront encore là. Je voudrais vous les présenter. Maman, tu connais déjà Jean et Mario, mais papa ne les a encore jamais rencontrés.»

Je regardais Philippe pendant que Julien parlait. Mon mari a regardé son fils avec gentillesse. «Volontiers, Julien, je voudrais bien les connaître, tes copains. Nous ne rentrerons pas trop tard. Passe une bonne soirée et surveille ton canard : il ne faut pas qu’il brûle! A tout à l’heure!»

Stupéfait, car c’était la première fois que mon mari lui parlait ouvertement de ses amis, de son envie de faire leur connaissance, Julien terriblement ému est parti très vite vers la cuisine, en criant pour se donner une contenance : «Mon Dieu, mon canard!»

C’est seulement dans la voiture que j’ai pu parler tranquillement. «Philippe, c’est vrai que nous allons rentrer de bonne heure?
- Bien sûr, ma chérie!»
Un long silence. J’étais aussi émue que mon fils, heureuse que petit à petit, une ouverture semblait possible. Mon mari m’étonnait! «Tu sais, Caroline, dans la vie, il faut avoir le courage de voir les choses en face, de prendre le taureau par les cornes, comme on dit. Avec Julien je ne peux pas jouer encore longtemps à cache-cache. Tu es là, ma chérie, pour faire le trait d’union entre nous, mais je suis son père, et il serait bon que j’essaie de continuer à l’être!
Il n’y avait rien à ajouter! La soirée me semblait merveilleuse. Tout était beau. Que de chemin parcouru depuis quelques mois!

Effectivement, nous ne sommes pas rentrés tard. Notre soirée avait été très réussie, nous avions retrouvé de vieux amis, avec lesquels nous avons beaucoup de souvenirs de jeunesse en commun et le temps avait passé très vite. Nous étions un peu tristes de quitter si tôt cette bonne ambiance, mais pour nous la soirée n’était pas terminée : Julien nous attendait et nous étions curieux de voir notre fils avec ses amis et en même temps un peu angoissés et inquiets à l’idée de les rencontrer.

Julien, toi qui préfères les hommes 13

Wednesday, July 24th, 2013

Caroline Gréco

Sébastien avait envie depuis longtemps de dévoiler son lourd secret à son père: il était sûr qu’il l’aurait mieux compris que sa mère, qui faisait souvent beaucoup d’histoires pour peu de choses. Aujourd’hui, le sujet était brûlant, ils avaient laissé la mère en pleurs et Sébastien était heureux, finalement, que son père lui ait proposé cette sortie. Mais pourquoi son père ne disait-il toujours rien? Et pourquoi avait-il pris la direction du centre ville? Il roulait maintenant dans ces ruelles étroites… Avec toute cette circulation, il fallait faire attention, ce n’était vraiment pas l’endroit idéal pour causer! Et voilà, brusquement le père freine, range l’auto sur le côté et commence à parler avec une femme qui s’approche… Sébastien est encore plus perplexe quand il voit le genre de bonne femme: une prostituée! Son père lui parle, sort son portefeuille et revient vers la voiture. Il a un regard étrange, on y lit une certaine gêne mêlée à un peu de honte, mais la voix est très autoritaire et il est toujours très en colère.

«Va voir cette femme, Sébastien, et prouve que tu es un homme!»
Il repart avec la voiture et laisse son fils, complètement ahuri, sur le trottoir, avec la prostituée. Sébastien a fait une fugue. Il n’est plus jamais rentré à la maison. Il s’est retrouvé tout seul, à dix-sept ans, dans une grande ville. Seul, sans connaissances, sans argent, très secoué par la réaction de son père, au bord du désespoir : il a coulé, il s’est vendu pour manger, pour avoir un toit, pendant quatre ans il s’est prostitué. Il était encore au lycée, lorsqu’il est parti de chez lui.

Pas de formation, impossible de trouver du travail, mais au moins, avec la prostitution, l’argent ne manquait pas.

Il a eu la chance de rencontrer Florent. On ne peut pas dire que celui-ci soit beau, avec son début de calvitie, ses pommettes saillantes et les lourdes paupières qui lui donnent un air endormi. Et pourtant, son regard est empreint de bonté et donne envie de l’entendre parler, de le connaître plus à fond. Depuis un an, Florent et Sébastien vivent ensemble et grâce à cet ami, Sébastien a réussi à sortir de la prostitution, de l’alcool et de la drogue et a retrouvé sa dignité d’homme.

Florent lui a trouvé une place de vendeur dans un magasin d’habillement et si leur couple reste assez solide pour continuer à s’aimer encore, Sébastien a toutes les chances de s’en sortir.

Il ne parle jamais de sa mère et pour son père, il n’a que des mots de haine. Il m’arrive de penser aux parents de Sébastien, car moi aussi, après la confession de Julien, j’ai eu envie de le mettre à la porte.

Quel drame pour ces gens, ils n’ont pas réussi à supporter leur enfant! Ont-ils des regrets? Des remords? Est-ce que le père de Sébastien aurait réagi d’une façon différente s’il avait pu savoir comment allait vivre son fils, en quittant la maison? Se sentent-ils coupables? Comment vivent-ils après la disparition de leur fils? Et si Sébastien allait les voir?

«Jamais! M’a-t-il répondu. Je suis parti une fois, je ne suis pas masochiste!»
Nicolas s’en sort de façon moins dramatique. Il a réussi à cacher sa différence à ses parents, qui ne se doutent vraiment de rien. Ils sont juste étonnés que leur garçon n’ait pas encore trouvé de fille à son goût.

Nicolas a toujours eu des rapports assez froids avec ses parents. Ce n’était pas par manque d’affection, mais chez lui on était incapables de se dire un mot gentil, d’avoir un geste tendre. Pas question donc, pour Nicolas, de raconter ses états d’âme. Les parents disaient de leur fils qu’il était très secret. Vers treize-quatorze ans, lorsque Nicolas s’est aperçu que les garçons étaient beaucoup plus intéressants que les filles, il a soigneusement caché cette drôle de découverte. Depuis, sa tactique est restée la même : il est entouré d’un groupe mixte, il a toujours de très bonnes copines, mais les rapports avec elles sont seulement platoniques. Rien dans son comportement ne paraît suspect, si ce n’est une attitude qui fait dire que Nicolas est un garçon timide.

Mais Nicolas a une deuxième vie bien cachée et secrète! Depuis qu’il a commencé à travailler, il a quitté la banlieue et la maison paternelle, pour s’installer en ville, près de son lieu de travail. Il a un appartement assez spacieux, avec une grande terrasse, pleine de fleurs. Chez lui viennent surtout ses amis homosexuels. Nicolas paraît à l’aise dans sa nouvelle vie, bien qu’il cache soigneusement ses penchants en dehors de chez lui.

Depuis six mois, il vit avec un ami. Nicolas téléphone souvent à ses parents, mais les voit peu, et de préférence chez eux. Quand, de temps en temps, il les invite chez lui pour un repas, l’ami est mis à la porte pour la soirée: il ne faut surtout pas que les parents s’aperçoivent de son existence! Jusqu’à quand cet ami sera-t-il d’accord de jouer à ce jeu de cache-cache? Jusqu’à quand Nicolas pourra-t-il préserver sa vie privée?

*

Une grande plage de sable en Camargue. Il fait beau et nous voulons profiter du soleil et de l’espace. Nous avons l’impression d’être en vacances, même s’il ne s’agit que d’un dimanche ordinaire.  Au début, on roule sur la plage, avec la voiture. D’autres nous ont précédés et le sol est dur. Au bout d’un kilomètre, se sable devient plus mou, les autos s’enlisent : les gens s’arrêtent.
Sagement nous garons notre voiture à côté des autres et nous continuons à pieds. Au bout de dix minutes de marche, il n’y a presque plus personne. Nous laissons derrière nous le bruit et la foule. Nous arrivons aux dunes et choisissons un endroit où nous poser. La mer est d’huile. Tout à l’heure, nous continuerons notre balade le long de la plage où nous rencontrerons quelques pêcheurs et quelques personnes qui aiment la solitude.

J’adore ces longues promenades dans cet environnement tranquille, loin de l’agitation de la ville. Julien est venu avec nous.
Le soleil monte de plus en plus à l’horizon, quelques personnes viennent profiter de ce grand espace de sable et de calme. Deux jeunes arrivent: ils ont l’air très amoureux, ils se caressent en s’enduisant de crème solaire, s’embrassent, vont se baigner, s’éclaboussent et rient comme des enfants: ce sont deux garçons. Julien est scandalisé.

«Quelle honte de se donner ainsi en spectacle, il y a des gens qui passent, des enfants. Il y a des choses qu’on ne fait pas en public, ils n’avaient qu’à rester chez eux!»

Je regarde mon mari qui fait semblant de ne rien voir. Je pars marcher. Mélangés aux baigneurs, il y a des couples d’hommes. Ils ont l’air discrets. Jamais encore je n’avais prêté une attention si particulière aux hommes. Je quitte la plage, je plonge, je nage le plus loin possible et je ris toute seule en pensant à Frédéric, qui me disait un jour en souriant: «Maman, lorsqu’on a une 2CV jaune, c’est fou les 2CV jaunes qu’on croise sur la route, et pourtant leur nombre n’a pas augmenté tout à coup. Il me semble que tu appliques cette règle aux homosexuels depuis que Julien t’a parlé. Attention à faire la part des choses!»

Le soir, Julien était sorti chez des amis, j’ai dîné tranquillement en tête à tête avec Philippe. Nous avons parlé de la journée. Mon mari s’est étonné de la fréquentation de cette plage que nous connaissons depuis des années. Il est vrai que c’était la première fois que nous remarquions tous ces couples d’homosexuels. Était-ce à cause de Julien que nous étions devenus si perspicaces? «J’étais mal à l’aise, a dit Philippe, surtout avec ce couple à côté de nous!»

Et moi qui croyais qu’il n’avait rien remarqué! J’ai profité des bonnes dispositions de mon mari et de l’absence de Julien pour essayer de le faire parler sur l’homosexualité.

«Tu veux savoir pourquoi j’éprouve ce malaise vis-à-vis des homosexuels? Je me le demande aussi, c’est très difficile de l’exprimer. J’essaie de m’imaginer avec un homme et j’éprouve un tel dégoût physique que cela me paralyse et me donne envie de hurler. C’est tellement contre nature! Grotesque, insurmontable pour moi, bref, ça ne passe pas. Tu te vois, toi, Caroline, avec une femme?»

Et devant ma mine horrifiée: «Tu vois, nous avons les mêmes réactions!» Après un moment de réflexion: «Dommage, nous n’aurons jamais de petits enfants de Julien.
- Mais Philippe, si notre fils était resté célibataire ou avait choisi de devenir prêtre, pour les enfants cela aurait été pareil! Exact, a dit Philippe, après un moment de réflexion, mais célibataire ou curé, ça passe mieux qu’homosexuel. Derrière ce mot, il y a tous les fantasmes que chacun de nous peut mettre, et cela me gêne beaucoup. »

Suite de cette
publication dans notre prochaine édition.

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julien/

Julien, toi qui préfères les hommes 12

Thursday, May 30th, 2013

Caroline Gréco

Qui aurait pu prévoir qu’à la fin de ce siècle l’homosexualité serait reconnue et acceptée par la loi ? On ne s’étonne plus de voir la cohabitation de deux homosexuels, de savoir qu’ils ont leurs lieux de rencontre, qu’ils peuvent louer une chambre dans un hôtel, ouvrir un compte en banque ensemble, vivre enfin normalement, sans se cacher!

Aujourd’hui, si un homosexuel est beaucoup plus libre de montrer ses tendances et d’exprimer ses sentiments, il ne faut pas oublier le danger terrible que représente le sida. Que dire de tous ces garçons qui n’ont pas su comprendre la menace de cette maladie, qui se sont crus invulnérables et sont maintenant séropositifs … ou bien morts!

On a commencé à parler du sida il y a seulement dix ans, et les campagnes de sensibilisation n’étaient pas très importantes au début. Plusieurs copains de Julien sont séropositifs : l’information est arrivée trop tard.

Beaucoup vivent dans l’angoisse de cette maladie et sont très documentés sur son évolution. Ils tremblent dès qu’un bouton suspect apparaît sur leur peau et sont effrayés au moindre amaigrissement. Ils ont tout lu sur la maladie, ils connaissent bien les réactions de leur corps. Dans leur angoisse, ils se font des peurs terribles, en diagnostiquant eux-mêmes la maladie dont ils souffrent. Est-ce que cette connaissance de l’évolution du sida ne leur sert pas aussi de moyen de défense?

Ils se préparent au pire, alors que souvent le pire n’est pas encore là et ne viendra peut-être jamais. Mais quel désarroi, quelle panique, lorsque le sida frappe un être cher, lorsqu’il devient tangible! «Maman!» crie Julien en ouvrant la porte de l’appartement. Sa voix est angoissée. Il arrive vers moi, en courant. «Maman, Éric est mort! Le sida, tu comprends? Hier soir, j’étais avec des copains, lorsque nous l’avons appris. Nous savions qu’il était malade, mais si vite ! C’est fini! Plus jamais nous ne reverrons son sourire, nous n’entendrons plus sa voix. Comment l’oublier? Nous avons parlé d’Éric et de sa maladie tard dans la nuit, nous avons peut-être un peu trop bu, mais nous avions besoin de courage. L’alcool nous a rendu encore plus angoissés. Luc a avoué sa séropositivité et il a commencé à pleurer.

Nous étions atterrés, je n’ai pas dormi de la nuit. Quelle vie, quel monde, quelle malédiction! Que faire? Maman, tu m’écoutes? À quoi penses-tu , maman?»

Le désarroi de Julien m’a impressionnée. J’ai lutté contre ma peur, il ne fallait pas qu’elle gagne, que je me laisse étouffer par cette panique que Julien me transmettait. Que lui dire?

Il y a ceux qui pensent qu’avec des précautions sérieuses ils ne risquent rien. D’autres sont tellement inconscients qu’ils se croient invulnérables, au-dessus de tout, et ont des relations avec un ou plusieurs partenaires comme si le sida n’existait pas. Lorsque les problèmes sérieux arrivent et que la mort est inévitable, il est bien trop tard pour le désespoir!

Julien fait des contrôles réguliers. Entre le moment où il sort du laboratoire et le résultat des examens, il y a toujours une semaine un peu angoissante à vivre : difficile de savoir ce qui se passe exactement dans la tête de mon fils. Inquiétude ? Optimisme ? Je suis certainement aussi soucieuse que lui. Et si le résultat était positif, que dire, que faire?

Fabien, Christophe, Éric sont morts du sida. Maintenant c’est Marc qui ne va pas bien : la maladie évolue tout doucement et bien sournoisement; «Marc, c’est l’ami complice de ma jeunesse, dit Julien. C’est à lui, en premier que j’ai osé parler de mon homosexualité, c’est lui qui m’a emmené pour la première fois dans un bar gay puis dans une boîte.»

«Nous nous sommes toujours tout raconté : nos amours, nos déceptions. Il n’y a jamais eu d’amour entre nous, mais une solide amitié qui, pour moi, vaut de l’or. Marc n’a jamais eu la vie facile, mais il toujours le sourire. Il est très chaleureux avec sa façon de me taper sur l’épaule pour me dire bonjour lorsque nous nous rencontrons : “ Ca va, petit?”

«Quoi qu’il arrive, je sais que je peux, à tout moment, compter sur lui : Marc est là. Mais plus tard?» À Noël, Marc a eu plusieurs malaises et a dû être hospitalisé plusieurs fois. C’est à cette époque qu’un médecin lui a annoncé brutalement qu’il était en phase finale, qu’il n’avait plus que trois mois de vie. Un jour il se trouverait brusquement paralysé: ce serai le signe de sa fin imminente. Comment décrire l’angoisse de Marc et dire mon mépris envers ce docteur qui a donné des délais qui se sont révélés faux et qui traumatisent tellement Marc! Même si ce médecin avait un compte à régler avec les homosexuels, c’est trop ignoble de parler de cette façon à un malade!

Nous sommes maintenant de nouveau bientôt en hiver et la vie de ce garçon n’a pas changé. Il continue à travailler, à faire la fête, à vivre un maximum. Mais, lorsqu’il se retrouve seul, l’angoisse, l’horrible angoisse est là!

J’ai découvert un autre monde, un monde étrange et parfois déroutant. Petit à petit, je change mes repères, j’accepte des idées nouvelles, même si parfois je m’y perds un peu. Quand je suis trop découragée, quand je ne sais plus comment avancer, je pense à Julien et je me sermonne : je dois y arriver, je dois le faire pour Julien, par amour pour lui et parce que je ne veux pas le perdre.

J’arrive à considérer comme tout à fait normales des situations qui, il y a quelques temps, m’auraient scandalisées. Normales?
Hier, j’étais en voiture. Je roulais lentement dans les rues étroites et encombrées du centre ville. Je cherchais une place pour me garer. A un coin de rue, j’ai laisser passer un jeune qui traversait juste devant moi. Ce garçon avait apparemment aperçu quelqu’un et se dirigeait vers cette personne avec un regard si heureux et amoureux, que cela m’a frappée. Tout en lui exprimait son bonheur: sa démarche, le balancement de ses bras, son port de tête. J’ai pensé… «Si c’était la nuit, on pourrait voir son aura, si je dois un jour représenter l’amour, je me souviendrai de lui.» Jamais encore un amoureux ne m’avait autant impressionnée, par la joie qu’il dégageait.
Plus tard, lorsque débarrassée de ma voiture je parcourais les ruelles de la vieille ville, j’ai revu à nouveau le garçon avec son partenaire : c’était un couple d’homosexuels! Garçon ou fille, quelle importance? Tout me paraissait simple et beau. J’ai pensé à Julien : quelles auraient été mes réactions, si c’était lui que j’avais rencontré à la place de cet inconnu? Cela m’a laissée perplexe : est-ce que cela m’aurait choquée? Est-ce que j’aurais eu mal? Ou bien, cet amour, qui me paraissait si beau, aurait-il réussi à me réconcilier avec les tendances de mon fils? Difficile à dire, à imaginer. Sur le moment, ce couple d’amoureux ne me dérangeait pas du tout et il restera, dans mes souvenirs, comme un des beaux visages de l’amour.

Sébastien a vingt-deux ans. Il est moyennement grand, ses cheveux blonds et bouclés entourent un visage aux traits réguliers. Les yeux sont gris, le nez est fin mais un peu trop long et la bouche entrouverte laisse apercevoir une rangée de dents bien sagement alignées. Sébastien est très nerveux, toujours en mouvement, on dirait qu’il ne sait pas rester immobile: lorsqu’il est assis, ses jambes se balancent constamment et ses mais sont toujours occupées à tripoter sont paquet de gauloises ou son briquet. Il fume beaucoup, avec des gestes saccadés et gauches. Son regard m’intrigue. On le dirait perpétuellement effrayé par quelque chose. Ses yeux sourient et il semble être plus calme lorsque Florent vient à côté de lui. Toute son angoisse semble alors disparaître et il parle plus facilement. Sébastien a vécu dans un petit bourg. Ses parents, des gens aisés, n’ont jamais voulu admettre l’homosexualité de leur fils.

Il avait dix-sept ans lorsque son père l’a surpris avec un ami. La scène a été terrible. Il n’a pas supporté que son fils unique prenne ce chemin. Combien de tristesse dans ces cris, de déception, de rage de ne pouvoir rien faire pour changer une telle situation, combien de peur aussi du qu’en dira-t-on, en ville. Le père n’a pas su ouvrir le dialogue, il a voulu s’imposer avec toute son autorité: il a pris son fils avec lui dans sa voiture. Ils ont roulé un moment en silence vers la ville voisine, chacun plongé dans ses pensées. Sébastien était surpris par cette balade en voiture, mais aussi heureux d’être seul avec ce père qu’il ne voyait pas souvent, toujours sur les routes pour son travail.

Peut-être pouvaient-ils enfin avoir une conversation d’homme à homme, sans la mère au milieu? Elle était gentille, sa mère, mais encombrante, elle voulait tout savoir, tout contrôler…

Julien, toi qui préfères les hommes 11

Wednesday, April 3rd, 2013

Caroline Gréco

J’observe Julien : il vient de s’acheter un miroir qu’il a installé dans sa chambre. Il se regarde souvent en disant : «Je suis moche !» Il me fait penser à la marâtre de Blanche Neige: Miroir, dis-moi qui est la plus belle !

Julien est beau, et il le sait. Il a beaucoup de classe, il s’habille avec une élégance discrète, il a un succès fou, aussi bien auprès des filles que des garçons.

«Je sais me défendre des filles et de toute façon, elles ne m’intéressent pas, physiquement. Par contre, côté garçons, j’ai le choix. Lorsque je vais en boîte, ils sont tous à mes pieds, je n’aurais qu’à claquer du doigt. Pouah ! Je n’aime pas cet étalage de viande. Je me suis fait une réputation de quelqu’un de froid, fier et distant. Cela me met à l’abri de beaucoup de choses!»

Lorsque je suis arrivée à la maison, ce soir là, Philippe était déjà rentré. Il lisait dans le petit salon-bibliothèque, ou du moins il essayait de s’occuper en m’attendant. Je le connais trop bien pour ne pas m’être aperçue tout de suite que quelque chose le tourmentait profondément. Il fumait sa pipe, assis dans un fauteuil, les jambes croisées. Son pied se balançait doucement, et je suis sûre qu’il n’arrivait pas à lire le livre qu’il avait entre les mains.

«Caroline ?»

Sa voix était angoissée. Il guettait mon retour, car la porte du petit salon était restée ouverte. Mon mari, qui aime le calme et a horreur d’être dérangé, la ferme habituellement. Dès qu’il a entendu le bruit de la clé dans la serrure, il m’a appelée, à plusieurs reprises. Il m’a à peine laissé le temps de déposer les paquets à la cuisine, que déjà il m’entraînait vers sa « tanière », refermait la porte et me disait, avec une voix qui tremblait un peu: «C’est une catastrophe, on est au courant de l’homosexualité de Julien ! Mon Dieu, quel scandale, quel malheur, quelle honte ! Tout le monde rira de nous !»

J’avais rarement vu Philippe aussi agité : il allait vers la fenêtre, revenait vers moi, faisait semblant de ranger un livre, déplaçait légèrement un fauteuil … Perplexe et contrariée, je lui ai demandé de m’expliquer qui était d’abord ce « on ». Une personne, un groupe d’individus? Son désarroi m’agaçait.
«Philippe, assieds-toi et raconte!
Jean-Louis, tu sais, la tapette …
– Ne parle pas n’importe comment, Philippe, Julien l’est aussi !» Je le regardais durement.

«Excuse-moi, ma chérie … Jean-Louis, donc, a été à l’Écu hier au soir, tu sais, il s’agit de ce club homosexuel de la rue Kennedy. Julien y était aussi, et naturellement, c’est la première chose que Jean-Louis m’a racontée cet après-midi, lorsque nous nous sommes retrouvés pour écouter la conférence du cancérologue allemand, le Professeur Schmidt. Tu connais Jean-Louis, tu sais combien il est bavard, il doit être très heureux de pouvoir dire, autour de lui, que j’ai un fils homosexuel. Il ne s’en privera pas, j’entends déjà les rires gras et les commentaires qui vont suivre. Que faire? J’ai honte!»

Mon mari se cache le visage dans les mains, attendant visiblement de moi un secours, qu’il sait pourtant impossible. Je ne savais que dire. Dans ma tête, les pensées défilaient à une allure vertigineuse : Julien est homosexuel. Bien. À nous maintenant de faire face à ce genre d’agression, de réagir avec fermeté et bon sens : quelque part, dans notre orgueil, cela fait mal, très mal. Étonnant que cette situation éclate seulement maintenant au grand jour.

Je me suis rapprochée de Philippe, j’ai entouré ses épaules de mon bras, je lui ai ébouriffé les cheveux, et, en essayant de sourire, je lui ai dit :
«Et alors? Cela devait arriver un jour, cela fera jaser pas mal de monde, mais, au bout d’un certain temps, ils en auront assez et les bavardages cesseront. Philippe, nous sommes deux, nous pouvons nous soutenir moralement. Pense au désarroi de Julien, il est encore plus à plaindre que nous. Courage! Et dis-toi que ce n’est qu’un début!»

Je me suis assise tout contre lui, dans ce grand fauteuil confortable, je me suis blottie contre lui et nous sommes restés un long moment sans parler, plongés dans nos pensées sombres. Des larmes silencieuses coulaient sur les joues de mon mari. Je me sentais tellement impuissante à le consoler. Un long moment plus tard, Philippe a murmuré:
«Caroline …
– Oui ?
– Faut-il le dire à Julien?
– Je ne crois pas, mon chéri, il est déjà assez perturbé comme cela, et puis est-ce que cela changerait quelque chose?»

Julien dit souvent qu’il se sent bien dans sa peau d’homosexuel et qu’il n’a aucune peine à assumer son état. Il le répète trop souvent pour que cela soit convaincant. Je pense qu’il veut y croire, qu’il doit y croire et se donne ainsi du courage pour accepter cette situation. Son angoisse, qu’il réussit mal à cacher, et sa question «Est-ce qu’il sait?» Lorsque nous le présentons à quelqu’un qu’il ne connaît pas, montrent bien que son homosexualité n’est pas toujours simple et facile à vivre.

Il est parfois difficile de s’accepter. Cela dépend d’abord de soi-même, mais l’entourage, les amis, les parents, peuvent aider ou, au contraire, avoir une influence négative. L’acceptation ou la non-acceptation de l’homosexualité est vraiment une réaction très personnelle.

Robert est très fier de son état. Vers dix-sept, dix-huit ans, lorsqu’il s’est aperçu qu’il préférait les garçons, il a annoncé cette nouvelle à toutes les personnes qu’il connaissait et s’est mis à draguer tous les hommes qu’il rencontrait. L’entrée dans le monde du travail lui a porté quelques coups durs, car son homosexualité affichée n’était pas acceptée si facilement. Il a continué à draguer, mais plus discrètement. Robert a horreur des filles, qu’il ne supporte pas, à part ses deux sœurs, avec qui il partage des liens d’affection.

Les enfants, qu’il trouve trop bruyants et sources d’embêtements, ne lui manquent pas et il donne l’impression d’être vraiment à l’aise dans homosexualité. Il parle volontiers des Grecs anciens et de la chance qu’ils avaient de faire partie d’une civilisation homosexuelle. Il espère et souhaite que cette approbation sociale se réalise petit à petit, en France, car «les homos, chez nous, deviennent de plus en plus nombreux et il n’y a pas de raisons que cela ne se fasse pas.»

Il milite avec ferveur pour tout ce qui est homosexuel: prises de position, rencontres, associations, revues … et dit ouvertement que chacun de nous, avant de choisir sa voie, devrait faire des expériences sexuelles des deux côtés: cela permettrait d’être sûrs de notre choix. Que dire, que faire, devant de telles affirmations, aussi présomptueuses.

Jean-Paul est un beau garçon brun, beau, sportif, passionné de tennis et de ski. De taille moyenne, bien proportionné, rien dans son comportement ne laisse supposer qu’il est homosexuel. Il est ingénieur et a un poste de responsabilité dans une grande société internationale. Il est tellement complexé par la honte et la peur d’être rejeté par la société, qu’il cache soigneusement son état. Pour faire croire qu’il est comme tout le monde, il s’est fait une réputation de «dragueur de filles». Aucune, dit-il, ne lui résiste. Mais les soirs de déprime, il s’effondre chez ses copains homosexuels, en criant son dégoût des filles, sa peur d’être découvert et son désespoir devant la vie.

Mon amie Sophie a vu le film Maurice. Il s’agit d’une histoire d’amours particulières dans un collège anglais au siècle dernier. Elle ne s’y attendait pas du tout et cela lui a donné à réfléchir. Naturellement, je suis allé le voir!

Au dix-neuvième siècle, les homosexuels anglais étaient condamnés à mort. Au début de ce siècle, ils encouraient des peines de prison assez sévères, et ils étaient fouettés! Combien d’hommes ont dû avoir une vie secrète et infernale, combien de délations, de drames, de souffrances, de vies brisées: ce secret si lourd, cette angoisse d’être découvert et jugé, insulté et méprisé par tous : même la vie en prison devenait insupportable!

Par quelles affres, par quels cauchemars ont dû passer ces gens-là avant de se découvrir, d’avouer leur amour. Quels subterfuges, et combien de précautions  à prendre pour pouvoir s’aimer. Quelques décennies seulement nous séparent de cette époque et combien de changements!

Julien, toi qui préfères les hommes

Sunday, February 3rd, 2013

« Personnellement, je pense qu’il peut y avoir effectivement un blocage chez l’enfant à un certain moment : peut-être une faiblesse psychologique? Ne me demande pas pourquoi il n’arrive pas à franchir cette crise. À mon avis, ce ne sont pas forcément les parents qui sont responsables.» Émerveillée et presque sous le choc, je l’écoutais parler. Une vanne s’était ouverte, mais pourquoi maintenant? Après tous ces mois de silence et de réflexions en solitaire, avait-il enfin besoin d’en parler? Ou alors, le désespoir de Julien avait-il servi de détonateur? Je me gardais bien de poser des questions qui, au fond, n’avaient plus tellement d’importance.

«On dit aussi que les causes de l’homosexualité pourraient être, dans certains cas, hormonales. Mais rien n’est vraiment sûr dans ce domaine, on ne peut pas dire que l’homosexualité soit une maladie. J’en ai longuement discuté à plusieurs reprises avec Xavier, mon ami psychologue, et avec Jacques, qui est sexologue. J’avais besoin de comprendre. Lorsque le problème surgit chez les autres, c’est facile de dire des bonnes paroles, d’expliquer, mais quand cela vous arrive, c’est vraiment autre chose!

Philippe, ne crois-tu pas que cela soit dû à un phénomène de société?” Tant de barrières morales ont disparu, des jeunes n’hésitent pas à vivre de nouvelles expériences, «pour voir», pour éprouver de nouvelles sensations. Ils ne craignent plus de s’afficher. Du reste, on en voit de plus en plus.
– Je pense que les jeunes maintenant ont un souci de vérité qui n’existait pas autrefois : ils n’ont pas peur de clamer haut et fort ce à quoi ils croient, ce qu’ils pensent. Ils sont plus authentiques, plus sincères, ils n’ont pas envie de cacher leur façon de vivre ou de penser. Souviens-toi, à leur âge, nous étions très préoccupés par le qu’en dira-t-on, et cela nous ôtait une certaine liberté. Le jugement des autres était très important, alors qu’aujourd’hui, les jeunes sont plus indépendants, plus vrais.

«J’ai lu dans XY  les conclusions d’une enquête du sociologue Frederik Whitam, qui a travaillé dans des communautés homosexuelles de pays aussi différents que les États-Unis, le Brésil, le Guatemala et les Philippines. Voici ce qu’il a observé :
1) les personnes homosexuelles apparaissent dans toutes les sociétés.
2) Le pourcentage d’homosexuels semble le même dans toutes les sociétés et reste stable dans le temps.
3) Les normes sociales n’empêchent ni facilitent l’émergence de l’orientation homosexuelle.
4) Des sous-cultures homosexuelles apparaissent dans toutes les sociétés qui ont un nombre suffisant de personnes.

«Actuellement, les homosexuels n’ont plus à se cacher et c’est pour cela qu’on les remarque.

Depuis que Julien nous a dévoilé ses tendances, il est normal que nous soyons devenus plus sensibles à tout ce qui touche l’homosexualité: je suis sûr que tu n’aurais jamais remarqué tous ces couples de garçons auparavant!
-Tu as peut-être raison, Philippe, ai-je dit songeuse.
-Te souviens tu, ma chérie, de notre bonheur lorsque Julien était petit? Il n’y avait rien de plus extraordinaire au monde! Nous avons fait tellement de projets pour lui, nous étions sûrs de sa réussite, rien de désagréable ne pouvait lui arriver. Et puis, nous étions là pour le protéger.
“Quelle présomption, quel orgueil! Dans un certain sens, quelle punition pour nous maintenant! Je me demande pourquoi?”
Il s’est levé, m’a embrassée avec des larmes dans les yeux, a fait quelques pas en direction de la porte, s’est arrêté pour me regarder avec un pauvre sourire en murmurant:
«Quelle catastrophe, mon Dieu, quel gâchis!»
Paradoxalement, cela m’a donné du courage: je n’étais plus seule à porter ce lourd fardeau, j’avais retrouvé mon mari. Je savais que je ne devais pas trop l’agresser avec mes états d’âme, mes questions, au début tout au moins, mais je savais aussi qu’il était là, prêt a me venir en aide dans les moments de déprime: tout devenait moins compliqué, plus acceptable pour moi.
J’avais encore une question à lui poser. Elle me tenait à coeur: la réponse était pour moi très importante, car elle allait m’éclairer sur la façon dont il était prêt à accepter toutes les personnes et les habitudes qui faisaient partie de la vie de Julien.
«Philippe, comment vas-tu vivre cela?»
Je ne m’étais pas bien exprimée. Étonné, il m’a répondu:
«Mais ma chérie, ne crois-tu pas que nous sommes obligés de vivre avec Julien tel qu’il est? Ou alors il faudrait le mettre à la porte, définitivement! Quoi qu’il fasse ou dise, il reste notre enfant!
– D’accord, nous l’acceptons, mais jusqu’où? Julien vit encore à la maison. Es-tu prêt à tolérer son mode de vie, ses copains? Jusqu’ici tu ne les as jamais rencontrés. J’en connais quelques uns, ils sont tout à fait convenables, mais je sais que Julien a fait un tri et ne tient absolument pas à ce que je rencontre ceux parmi ses amis qui sont trop efféminés ou trop maniérés. Et toi? Es-tu prêt à les rencontrer? Permettras-tu à Julien d’inviter quelqu’un pour un repas? Quelle tête feras-tu lorsque tu le rencontreras? Que diras-tu si Julien venait nous annoncer:
«Je suis amoureux, je voudrais vous le présenter.»
Es-tu prêt à vivre cela? Ou bien préfères-tu qu’il prenne un appartement pour vivre sa vie?»
Mon mari s’est tu longuement en me regardant pensivement. Le temps passait, chacun de nous était perdu dans ses pensées, puis Philippe a murmuré, en secouant la tête:
«Caroline, ma chérie épargne-moi ça. Son amoureux? Pas encore, je n’ai pas le courage d’affronter cela, donne-moi le temps de m’habituer…Si j’y arrive un jour!»
Après avoir encore réfléchi, il a ajouté:
«Écoute, Julien vit avec nous. Apparemment, il se trouve bien à la maison car il ne parle pas de s’en aller. Je crois que moralement il a besoin de nous. Lui aussi doit apprendre à s’accepter. J’ai beaucoup réfléchi et je sais que je dois l’aimer tel qu’il est.»
Petit sourire triste:
«Plus facile à dire qu’à mettre en pratique! Il faudra qu’un jour moi aussi je rencontre ses amis. Ne sois pas trop pressée, je dois m’habituer à l’idée. Julien a passé l’âge des sermons, qui d’ailleurs ne serviraient à rien. M’imposer pour qu’il change de vie? Tu le sais aussi bien que moi, cela est impossible, nous ne pouvons pas l’obliger à changer ses tendances. Il faut que j’arrive à considérer la vie affective et sexuelle de Julien comme un mode de vie acceptable.

«J’ai terriblement besoin de toi, ma chérie, comme c’est difficile!»

Vu de l’extérieur, on pourrait envier Julien. Lorsqu’on le voit avec ses amis, il a l’air heureux. Leur groupe paraît très joyeux et très vivant. Il donne l’impression de traverser la vie en s’amusant: longs bavardages au téléphone, rendez-vous, sorties, rentrées au petit matin ou le lendemain… Et pourtant! Ses interminables conversations téléphoniques me font penser à celles que j’avais, vers mes quatorze ans, avec ma meilleure amie:
«Ah bon, tu l’as vu? Comment le trouves-tu? Non, mais tu as vu son nez? Cra cra il est, je te jure. Oui, amusant, mais vraiment laid! Ah oui? Ils se sont séparés? Remarque, cela ne m’étonne pas, j’ai toujours pensé qu’ils n’allaient pas ensemble!… Mais oui, je l’ai vue, sa chemise! Elle est super belle!»

Et là, pendant un moment on parle de la couleur, de la forme, du pantalon qui va avec… Et puis, on se met d’accord pour le soir:
«Oui, mais ne dis pas à Jean que j’ai vu René, parce que je ne veut pas qu’il sache …»
Moi, j’avais quatorze ans. Je découvrais que les garçons étaient intéressants, je découvrais la vie. Mon amie, ma confidente faisait les mêmes découvertes. Tout nous semblait beau, nous étions heureuses.

Julien n’a pas cette joie sereine, même si ses discours ressemblent parfois à mes commérages de jeune adolescente. Il est très seul et ne peut que rarement compter sur un ami sûr.

Il est très narcissique. Le mythe de Narcisse exprime bien le vertige de l’attrait du double.

Narcisse s’est vu dans le reflet de l’eau d’une rivière et est tombé amoureux de lui même. La même aventure se répète pour Julien. Si ses amours ne durent qu’un temps, c’est parce qu’il croit se retrouver dans l’ami dont il se dit amoureux. Il se projette dans l’autre et il s’aime, jusqu’au jour où il s’aperçoit de son erreur.

«Au moins, es-tu content de moi, bel aigle?
– Oui, si tu me trouves très beau .»
À cela s’ajoute le culte du corps. Sa personne est importante et il faut en prendre soin, car son premier critère de choix, d’attirance, est la beauté. Il faut plaire. Il peut parler longuement de sa coiffure, de ses vêtements. Il sait comment faire pour avoir une peau plus douce, des cheveux brillants et souples, il connaît les derniers eaux de toilette, les parfums …

Au bout de cela : le spectre du vieillissement, la perte de l’énergie sexuelle.

Suite de cette
publication dans notre prochaine édition.
Pour lire le livre  gratuitement dans sa version intégrale et le tome II – À Dieu Julien, rendez-vous au www.gayglobe.us/julien/

Julien, toi qui préfères les hommes

Sunday, December 16th, 2012

Suite no. 8
Le paysage était magnifique, entouré de montagnes austères. Le ciel bleu avait cette luminosité particulière qu’on ne trouve qu’en haute montagne. Ça sentait bon l’été et le bonheur. Nous étions très gais dans la voiture, les vacances venaient de commencer et tout était prétexte à rire.

Dans l’église, j’ai senti la nervosité de Julien. Tendu, les traits tirés, j’étais sûre que, même si son regard allait vers les mariés, il ne voyait rien, perdu dans ses pensées. À un certain moment, j’ai cru qu’il allait se trouver mal. Tantôt debout, tantôt assis, prenant brusquement sa tête entre ses mains, il donnait l’impression de souffrir. Impossible d’en savoir davantage, Julien ne répondait pas à mes questions. Étonnée, soucieuse, je ne comprenais rien.

« Ça va ?
– Ça va ! »
À la sortie de la cérémonie, j’ai perdu mon fils, dans le joyeux tumulte, entre la pluie de riz, les flashes des photographes et tous ces amis que je retrouvais.`

Un cercle de jeunes est venu entourer les mariés en chantant, Julien était parmi eux, très à l’aise : son malaise avait donc disparu? Nous sommes rentrés tard dans la nuit. La chaleur m’empêchait de dormir. À un certain moment, j’ai cru entendre un bruit dans le couloir, une porte qui claquait.

Julien pleurait sur son lit et son désespoir faisait peine à voir. Je me suis souvenue de son comportement étrange à l’église, j’ai cru y voir un lien : mais lequel ? Intriguée, je me suis assise à coté de lui, en lui entourant affectueusement les épaules de mon bras. Nous sommes restés silencieux pendant un long moment. Julien a fini par se calmer. «Jamais, je ne pourrais jamais …
– Qu’est ce que tu ne pourras jamais, mon chéri?» Pourquoi cette douleur ?

« Jamais je ne pourrais avoir des enfants, une vie comme tout le monde, claire, nette, heureuse. Parfois, quand je suis avec un ami, il y a des regards, des mots qui font mal. Surtout, surtout je voudrais des enfants, moi aussi, j’adore les gosses, tu le sais. Avoir un petit, le conduire dans la vie … Maman, pourquoi je ne suis pas comme les autres ? Pourquoi suis-je comme cela ? La vie est injuste. Quand j’ai vu la mariée à l’église, avec son sourire heureux, j’ai haï son mari, j’en ai été jaloux, j’en voulais à la terre entière et je me disais : «Toi, jamais, jamais, tu ne pourras faire ça!» Et j’ai pensé aux enfants que je ne pourrais pas avoir. J’avais envie de mourir sur le champ. Foudroyé. De toute façon, ma vie ne sert à rien. Je serais toujours montré du doigt, ridiculisé: je suis homosexuel !»

Un long silence.
« Tu sais, parfois je délire. Je me dis que je pourrais faire un enfant à une fille, oui, mais après ? Je ne resterai jamais avec elle, cela n’est vraiment pas possible.

Alors, à quoi servirait-il de faire un petit si je ne peux pas lui assurer une vie de famille, avec un papa et une maman? Je suis un raté, pire, un pédé »

J’ai senti arriver mes larmes : non, il ne fallait pas que Julien me voie ainsi. J’avais peur que ma voix ne me trahisse. Je l’ai serré très fort dans mes bras. Que pouvais-je lui répondre ? Nous sommes restés un long moment silencieux. Julien a poussé un long soupir en murmurant : « Si au moins j’avais un ami, un vrai…»

J’avais envie de crier ma douleur avec lui, car je le sentais si désespéré et si seul devant les problèmes et les complications de la vie. Bien sûr, nous, sa famille, nous sommes là : une affection profonde nous unit mais Julien est à l’âge des projets, à l’âge où la vie s’ouvre grand devant soi, où tous les espoirs sont permis, à l’âge où l’on cherche l’autre, pour faire un long bout de chemin ensemble.

« Maman, a dit doucement Julien, je me sens aussi mal moralement qu’il y a deux ans : déchiré, vide. A l’époque je ne pouvais pas t’en parler mais maintenant je peux te raconter que j’étais tombé amoureux fou d’un garçon qui me paraissait être le compagnon idéal. Beau, cultivé, intéressant, heureux de vivre. Tu connais ce sentiment de plénitude, de bonheur ? Plus rien ne pouvait m’arriver. Je l’aimais. Cela a duré dix mois.»
– Dix mois ? »
– Il m’a quitté. Je suis tombé en enfer. Tout s’est écroulé autour de moi, plus rien n’avait de sens, de valeur. J’étais anéanti et je ne pouvais pas t’en parler. Depuis, je suis incapable d’aimer. J’ai parfois des coups de foudre qui durent quelques jours, quelques semaines, mais cela passe comme c’est venu et je ne sais que faire souffrir l’autre. En même temps j’espère, tu comprends ? Crois-tu que je pourrai à nouveau aimer quelqu’un ? Le temps passe et je ne fais rien de bon. Que vais-je devenir ? »

Nous étions assis sur son lit, il avait la tête sur mon épaule, je lui caressais doucement les cheveux; Le temps passait, la nuit était bien entamée, la fête avait duré longtemps. Peu à peu Julien s’est calmé, il a fini par s’assoupir. Je l’ai laissé tout à fait endormi, après avoir bordé son lit comme je le faisais lorsqu’il était petit.

J’étais épuisée, moi aussi, mais malgré ma fatigue j’ai eu beaucoup de mal à m’endormir. Enveloppée dans une immense tristesse, je me posais la même question que Julien : « Homosexuel…Mais pourquoi?»

Le lendemain, j’ai raconté à mon mari le triste récit de Julien et son désespoir de la nuit. J’étais encore bouleversée par toutes ces confidences et j’avais besoin de son réconfort. Je ne pouvais plus porter ce lourd fardeau toute seule. Ce n’était pas possible, pensais-je, que Julien traverse sa vie en souffrant ainsi.

Il n’y avait que mon mari qui pouvait m’aider, Julien était son enfant aussi, il ne pouvait pas rester insensible à sa peine.

Nous n’avions jamais eu de sujets tabous, cette situation était bloquée depuis trop longtemps, il fallait qu’on se retrouve et qu’on partage nos peines et nos espoirs.

Après le récit des événements de la nuit, mon mari m’a regardée avec tristesse et a seulement dit :
« Pauvre gosse ! »
Cela m’a donné du courage: ainsi, il ne fuyait plus le dialogue, un petit contact était en train de s’établir ! Il y a eu un long moment de silence : nous étions de nouveau très proches, et j’étais bien. Mon mari a posé sa main sur la mienne, en me regardant avec beaucoup d’affection et m’a dit: «L’idée de l’homosexualité de Julien ne m’a plus quitté depuis ce triste jour de l’aveu. En tant que médecin, j’ai peut-être su tout de suite, et mieux que quiconque, ce que cela signifiait.»

Je n’osais pas rompre le silence qui s’ensuivit. Au bout d’un long moment, mon mari continua: «Il n’y a rien à faire, il faut l’accepter, simplement. Et c’est bien là où le bât blesse. On ne sait pas encore vraiment pourquoi un enfant peut avoir de tels penchants. À l’heure actuelle, on ne peut qu’avancer des hypothèses.»

« Tu sais, on parle beaucoup de la crise œdipienne, quand l’enfant, vers cinq-six ans, est amoureux de sa mère, jaloux de son père qu’il considère comme un rival ! On dit que si l’enfant n’arrive pas à dépasser ce problème, à accepter le père, puis à s’identifier à lui, il peut en résulter des troubles du comportement, l’homosexualité dans certains cas. Maintenant, pourquoi l’enfant n’arrive-t-il pas à surmonter cette crise ? Les psychologues avancent diverses raisons : traumatisme important dans l’enfance, mère trop possessive, ou qui a transféré sur son fils un amour qu’elle ne trouvait plus chez son mari, père absent, inexistant, trop autoritaire, ou présentant des défauts tels qu’il ne peut servir de modèle.

« Tout cela est à prendre avec un certain recul, ce ne sont que des hypothèses malgré tout.»

Suite de cette
publication dans notre édition numéro 88
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Julien, toi qui préfères les hommes 6

Tuesday, August 21st, 2012

Cet amour est basé sur la confiance réciproque. Leur maison est toujours ouverte aux copains et aux gens qu’ils aiment. Ils parlent de leur travail, de leurs espoirs, de leurs joies, de leurs soucis, bref de leur vie. Je pourrais dire que leur devise est : construire et vieillir ensemble, dans la fidélité.

Les couples homosexuels sont beaucoup plus fragiles. Cela tient peut-être à leur conception de l’amour et à l’impossibilité d’avoir une descendance. Les enfants tiennent une place considérable dans le couple : un enfant c’est le prolongement de soi-même, une sorte d’immortalité. Et puis, quelle aventure pour de jeunes parents  d’aider un petit à grandir, de lui apprendre à affronter la vie, de le suivre jusqu’au moment  où, devenu adulte il prendra la relève   pour faire, à son tour, la même chose, avec une personne aimée !

Lorsqu’on parle de la famille, on pense à la famille élargie, à un clan protecteur, rassurant, qui est là surtout en cas de coups durs ou d’événements heureux, avec ses personnalités bien différentes, parfois difficiles à supporter, mais toutes unies par un sentiment très fort : l’appartenance au clan! Lorsqu’une liaison homosexuelle se termine, que reste-t-il aux deux partenaires, si ce n’est une plus grande solitude? Lorsqu’on est jeune, on trouve assez vite un nouvel ami, mais arrivé à un certain âge, quelles sont les chances de ne pas vieillir seul ?

tranquillité où nous étions seuls, j’a demandé à Frédéric s’il était au courant de l’homosexualité de son frère, et ce qu’il en pensait.
« J’ai commencé à me poser des questions il y a bien longtemps – a dit Frédéric – Julien avait de drôles de copains. J’étais mal à l’aise avec eux. Au début, je pensais que c’était à cause de la différence d’âge : Julien et ses amis étaient vieux par rapport à moi et parfois, ils m’intimidaient.

Je ne les connaissais pas beaucoup, car Julien ne voulait pas les amener à la maison et je n’avais donc pas trop de contacts avec eux. Je ne les aimais pas vraiment, parfois leurs regards avaient quelque chose de troublant, ce qui me mettait mal à l’aise, quelques uns avaient des manières assez efféminées que je ne supportais pas.

« Un jour, j’ai rencontré Ralph devant la maison. Il cherchait Julien, car il avait quelque chose d’important à lui dire, et ne voulait pas téléphoner par peur de vous, les parents. Il savait que je rentrais du lycée, et il espérait me rencontrer.

Nous avons été boire un café ensemble. C’était une période où je commençais à avoir des soupçons sur le comportement de Julien.

Je n’avais pas le courage de lui en parler ouvertement : le sujet était délicat ! Et si je me trompais dans mes déductions ? Il aurait pu prendre cela comme une injure. J’attendais l’occasion, elle se présentait ! J’ai parlé avec Ralph tout naturellement, comme si j’étais au courant de tous les états d’âme de mon frère et bien sûr, cela marché ! Ralph a d’abord parlé de lui, de sa difficulté à cacher son homosexualité dans son entourage. J’étais surpris, car je ne pensais pas que Julien faisait partie de tout un groupe de garçons homosexuels. Il venait de se séparer de Corinne, tu t’en souviens ? Je pensais qu’il avait été tellement déçu par cet amour qu’il ne voulait pas entendre parler de filles pour un moment, après tout c’était une réaction normale après un échec amoureux et les copains étaient là pour le soutenir moralement.
« J’ai joué le jeu, j’ai fait celui qui savait tout de Julien et j’ai passé un moment très instructif et très sympathique, je dois dire, avec Ralph.
« En rentrant, je me suis expliqué avec mon frère. J’étais déçu qu’il ne m’en ait jamais parlé. J’étais son petit frère, celui auquel on ne raconte pas tout parce qu’il y a une différence d’âge … Parfois, il me considérait comme un bébé, mais j’allais avoir quinze ans. Je me sentais adulte parce que les filles commençaient à m’intéresser. Je croyais être très proche de Julien, avec lequel je partageais mes petits secrets et je lui en voulais de m’avoir caché cela.
« Julien a eu l’air surpris que je l’attaque ouvertement. Embêté et soulagé que je sois au courant, il m’a supplié de ne rien dire à personne, m’a fait jurer un silence total, surtout vis-à-vis de toi et de papa. Il avait l’intention de vous en parler, mais plus tard. C’est ainsi que je suis devenu son complice  a conclu Frédéric en souriant.
Et Marie, est-elle au courant ?
– Bien sûr, elle sait. Nous nous disons tout, et je ne pouvais lui taire cela. Marie a accepté sans problème l’homosexualité de Julien. Lorsqu’elle était au lycée, elle avait un très bon copain homosexuel et ensuite, dans ses stages à l’hôpital, elle en a rencontré d’autres, à plusieurs reprises. Elle dit qu’en général, ce sont des garçons très doux et très gentils et qu’elle a un bon contact avec eux. Tu sais, maman, actuellement on en rencontre tellement et de partout que cela ne choque plus, cela devient presque une chose banale, admise par tous. »
J’ai regardé Frédéric pensivement :
« Dis-moi, Fred, un jour tu auras des enfants. Si un de tes gosses est homosexuel, comment réagiras-tu ? »
Le sourire de Frédéric a disparu. Il m’a répondu :
« Bonne question, maman, horrible question : ce que j’en pense : de tout cœur, je ne me le souhaite pas, cela serait très dur ! »
J’ai souvent peur, parce que je pense que Julien est en danger. Quel danger ?
En apprenant l’homosexualité de Julien, j’ai découvert un monde que je connaissais mal, qui jusqu’ici ne m’intéressait pas et sur lequel je ne m’étais jamais penchée.
J’ai peur de cette ambiance trouble qui règne dès que deux homosexuels sont ensemble, de ces restaurants, boîtes de nuit, saunas ou lieux publics, de ces jardins ou squares qu’ils sont seuls à fréquenter, dès la nuit tombante. C’est ce comportement séducteur qui me fait peur : un homosexuel a un besoin inné de plaire, cela fait partie de sa personnalité.
Julien et ses amis sont prêts à donner un rendez-vous, à suivre n’importe quel garçon qui leur plaît. Parfois, derrière une belle façade, on trouve des ruines, des décombres sales. Il faut rester prudent lorsqu’on veut rentrer dans l’édifice, il y a danger qu’un pan de mur tombe et vous blesse sérieusement.

Actuellement Julien est amoureux de Paul : il dit vouloir la fidélité réciproque. Est-il sincère ? Ce ne sont peut-être que des affirmations pour me rassurer. Il connaît mes principes et ne désire probablement pas de nouvelles discussions.

Il y a quelques jours, nous avons eu la visite d’un neveu: André est étudiant en pharmacie et passionné de modélisme. Il participe à toutes les compétitions et arrive souvent parmi les premiers. Il a une collection importante de coupes, dont il est très fier. Petit, mince, la démarche sautillante, des yeux d’un bleu profond, une grande bouche toujours prête à faire la grimace pour amuser son auditoire, on ne peut pas rester insensible à sa bonne humeur : c’est un charmeur sympathique.

Julien rentre à la maison avec son ami Robert. Grand et beau gosse, mais toujours mal rasé, cheveux châtains, une tête toute ronde, de petits yeux et un regard auquel rien n’échappe. Il donne l’impression d’être quelqu’un de sérieux, et très bien élevé. Que cache-t-il derrière ce masque trop poli? Il y a quelque chose qui me gêne dans sa politesse et dans sa façon d’être.

Les garçons se rencontrent. C’est le coup de foudre pour Robert, le neveu lui plaît à la folie, mais nous sommes tous là, nous ne sommes au courant de rien et nos bavardages tranquilles et anodins empêchent la moindre phrase déplacée.

Le soir, Julien très énervé me raconte qu’il s’est disputé avec son ami parce que celui-ci lui a dit :
« André est tellement mignon, il me plaît trop, j’espère que toi, au moins, tu en as profité ! »

Damien, un autre ami de Julien, a une liaison depuis quatre mois avec Henri qui possède une grande propriété vinicole. Je connais de vue ce domaine, situé à quelques kilomètres seulement de la propriété d’amis chez qui nous nous rendons souvent. Il est situé sur les collines qui entourent la ville : des hectares de vignes qui changent les couleurs du paysage selon les saisons : noires et blanches sous la neige, elles deviennent vertes au printemps. J’aime ce vert tendre des premiers jours qui s’obscurcit et s’affirme au fur et à mesure que l’été arrive. Je préfère encore la période qui suit les vendanges, lorsque l’automne est là, bien installé. Les feuilles, pour le recevoir, revêtent leurs plus belles couleurs et c’est un mélange, une explosion de jaunes qui, en passant par les roux arrive aux différents tons de marrons : le bouquet final d’un feu d’artifice qui sait que l’hiver est proche et que la colline va s’endormir jusqu’au printemps prochain.

Le coeur de ce domaine est une grande maison du dix-huitième siècle, à laquelle on accède par un large portail et une longue allée de frênes centenaires.

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Julien, toi qui préfères les hommes

Saturday, June 30th, 2012

Maman, j’aurais dû te parler depuis bien longtemps, mais j’avais si peur de ta réaction et de celle de papa, cela me bloquait complètement. Vous m’avez traumatisé le soir où vous aviez invité le Professeur D. et sa femme. Pendant le dîner celui-ci a raconté une histoire qui se voulait drôle et ou il était question d’homosexuels. C’était sordide et triste. A partir de là, vous avez eu une discussion sur les “pédés” et vos phrases étaient remplies d’un tel mépris et d’une telle méchanceté que j’ai eu peur.

Je retenais mon souffle, incapable d’avaler la plus petite gorgée d’eau et je tremblais. Heureusement vous étiez trop engagés dans votre conversation pour vous en apercevoir. Cette soirée m’a beaucoup marqué. Pendant la nuit, inutile de te dire que je n’ai pas réussi à fermer l’oeil. J’ai pensé qu’il était temps de quitter la maison et de prendre un ap- partement. Vous n’aurez jamais rien su de mes tendances, de mes amours. On aurait pu continuer à se voir tranquille- ment : je n’aurais jamais avoué. En même temps j’étais pris de remords, car partir ainsi c’était pour moi une solution de facilité. Tu sais que je n’aime pas avoir des secrets aussi lourds et importants envers vous. Et cela en aurait été un, énorme.

Je me sentais terriblement coupable et je m’en voulais de ne pas avoir eu le courage de vous en parler. Je me sens si léger maintenant que vous êtes au courant ! »

Il m’a serré fort dans ses bras : j’ai retrouvé le petit Julien qui m’embrassait en riant et en m’étranglant, comme il le faisait avant de m’expliquer qu’il avait fait une bêtise. J’ai regardé mon fils en sou- riant parce que je devais me donner une contenance et que je jugeais stupide et inu- tile de montrer mon déses- poir. Si Julien avait pu devi- ner mes états d’âme il aurait eu trop de peine et drama- tiser encore plus la situa- tion aurait été du chantage.

Il avait dit lui même:
«C’est venu comme ça, je n’ai pas eu à choisir. Et mainte- nant, pour Paul, tu m’aidera à le dire à papa?»

Paul a dévoilé à ses parents qu’il est homosexuel et amoureux de Julien. Pleurs de la mère, courroux du père: «Tu es malade, tu dois te faire soigner!»

Paul, complètement débous- solé, a revu Julien: «Ce sont mes parents qui sont fous, ils ne me comprennent pas.»

Julien m’a dit: «Pour les pa- rents de Paul, c’est plus dur à accepter, parce qu’ils sont moins proches de leur fils.»

C’est vrai que Julien et moi avons fait un grand bout de chemin ensemble, et que j’ai beaucoup appris. J’ai fait des efforts terribles pour essayer de le comprendre, parce

que j’aime mon fils et que je ne veux pas le perdre. Par mo- ments, j’arrive à accepter des idées ou à comprendre des si- tuations qui, il y a quelque temps, m’auraient semblé impos- sibles à vivre et m’auraient fait hurler. Mais, par moments, je craque, complètement. La tristesse, le désespoir, toutes ces questions auxquelles je suis incapable de répondre et ce sentiment de culpabilité qui revient lorsque mon moral est au plus bas, avec ses « pourquoi » torturants … Comment vivre avec cela?

Julien est amoureux de Paul. Que signifie pour lui « aimer » ? Julien a besoin d’un ami, de tendresse, de contacts hu- mains, il a besoin d’un confident, il a besoin de rire, de vivre. Alors, pourquoi cette saturation au bout de quelques jours ? « Paul est trop possessif, trop jaloux ! J’ai besoin d’air, de liberté, de revoir les autres copains. Je ne veux surtout pas que Paul les rencontres, ils seraient capables de me le voler. Et puis, ils sont jaloux, ils vont tout critiquer, je ne veux pas d’histoires. »

Et devant mon air étonné :
« Mais maman, j’aime Paul et je ne veux pas le perdre ! » Me voilà de plus en plus perplexe : nous ne donnons pas la même signification à l’amour.
Difficile d’accepter pleinement ce mode de vie de Julien : amoureux, lui ? Mais comment peut-il avoir envie de cou- cher avec un garçon ? L’embrasser ? Faire l’amour ? L’envie me prend de secouer mon mari, de lui crier : « Au secours, aide-moi ! Je me noie ! » Mas mon mari continue à vivre, comme s’il n’était au courant de rien. C’est la fuite : totale, éperdue.

Le matin, nous prenons généralement notre café ensemble tous les trois. Il y a parfois des situations comiques, comme par exemple lorsque Julien passe la nuit chez Paul. Je sou- ris en voyant le regard étonné et interrogateur de mon mari devant la place vide de notre fils, tout en espérant, en vain, une question qui ne vient pas.

Les jours passent et le mutisme de Philippe m’inquiète et me démoralise. Mon mari a un comportement vraiment bizarre : il semble tout à fait à son aise quand il est avec Julien : très décontracté, il discute sérieusement ou discute avec lui comme s’il avait complètement oublié la confidence de son fils. Avec moi, c’est la même chose, mais si par malheur j’es- saie de parler d’homosexualité, je le sens se raidir. Tout se fige dans sa façon d’être : le regard se durcit, les épaules se redressent, les mouvements deviennent plus saccadés, oh, tout cela est à peine perceptible. Je lui en veux de dresser ainsi un mur entre nous. Il ne prend même pas la peine de répondre à mes questions, on pourrait croire qu’il est subi- tement devenu sourd. Pourtant, il faudrait qu’on puisse en discuter tous les deux, cela est nécessaire pour qu’on arrive à faire face, à accepter.

Que pense-t-il de Julien dans son for intérieur ?

Comment Philippe fait-il pour paraître si décontracté avec son fils ? Quelle souf- france, quelle tristesse doit- il éprouver, mais nous par- courons le même chemin et si nous pouvions communi- quer, le fardeau serait peut- être un peu moins lourd à porter.

Comment m’y prendre pour briser ce mur de silence ? Je ne sais plus.

Frédéric et Marie ont profité d’un long week-end de congé pour venir nous rendre vi- site. Nous sommes toujours tellement heureux de les revoir ! La maison avait pris son air de fête : j’avais mis des fleurs partout, au salon, dans leur chambre, et je m’étais surpassée à la cui- sine, pour préparer ces bons petits plats que mon fils aime bien : feuilleté au jam- bon, rôti de veau flambé au cognac et inondé de crème fraîche dont la recette est un secret de famille, puisque ma mère l’a apprise de sa mère, et pour finir, une tarte aux fraises dont Frédéric dit toujours qu’il serait capa- ble de faire des kilomètres à pied pour venir la manger !

Frédéric ne ressemble pas trop à son frère Julien, et pourtant ils ont la même taille élancée, le même sourire

joyeux lorsqu’ils sont heu- reux et le même froncement de sourcils quand ils ne comprennent pas quelque chose. Cela m’amuse tou- jours de voir mes deux fils côte à côte : Julien, habillé avec beaucoup de goût et d’élégance, Frédéric, qui ne se soucie absolument pas de ses vêtements et porte le plus souvent un jean, un T- shirt et un pull sur les épau- les, sa petite laine, comme il dit, pour ne pas avoir froid.

Marie, petite et brune, a des cheveux courts et frisés, de grands yeux sombres et un petit nez en trompette. Elle s’habille simplement, mais avec une certaine élégance. Marie est très douce, silen- cieuse et toujours souriante. Elle a un caractère optimis- te et gai. Elle termine ses études d’infirmière. Frédéric est étudiant à Paris, dans une école d’ingénieur. Leur bonheur éclate dan leurs yeux, dans leurs sourires. Joie tranquille et profonde. J’étais bien. Je les regardais, et j’essayais de comparer un amour comme le leur à un amour homosexuel. Frédé- ric et Marie partageaient un sentiment profond et pai- sible : ils l’espèrent long et durable.

Julien, toi qui préfères les hommes

Saturday, April 28th, 2012

Où est le vrai Julien ? Joue-t-il un rôle, celui de l’enfant que nous désirons qu’il soit, lorsqu’il est à la maison ? Et quand il drague … Oh non, c’était trop dur! Cela tournait à l’obsession. Je ne voulais pas l’aide d’un psychologue, j’avais trop peur de m’entendre dire que tout était bien de ma faute. Il fallait réagir face à la réalité, oublier mes principes et essayer de comprendre Julien pour ne pas le perdre. Dans tout ce travail de remise en question, d’acceptation, dans mes révoltes ou dans mes crises de culpabilité je me sentais ligotée par toutes ces barrières morales très strictes que mes parents m’avaient appris à respecter dans ma jeunesse et que je croyais avoir abandonnées tout au long de ma route, pour les remplacer par d’autres règles qui me paraissaient plus justes et surtout plus conformes à ma façon de voir.

Et voilà que toutes les vannes s’ouvraient. Homosexuel, mon fils ! C’est sale, c’est dégoûtant, c’est un péché ! Il faut le guérir, le sortir de là, avant que cela ne se sache. Quelle honte ! Mon éducation religieuse et ma foi profonde m’em- pêchaient d’accepter : comment situer l’homosexualité par rapport à l’Église et à Dieu ? J’ai lu. Passionnément, avec avidité, ce fut une boulimie de lecture.

C’est difficile lorsque l’on n’est pas spécialiste, de trouver une bibliographie complète. J’ai fouiné dans la bibliothèque de ma ville, dans les librairies.

Un article, dans le journal La Croix, m’a fait découvrir Xavier Thévenot et son livre Homosexualité masculine et morale chrétienne . Dans ce livre, le premier que j’ai lu sur le sujet, les témoignages de quelques homosexuels m’ont intéressée : ceux qui sont chrétiens parlent de leur sentiment de culpabilité par rapport à l’Église et à leur foi. Des théories psycho- logiques essaient d’expliquer pourquoi on naît, pourquoi on devient ainsi et, enfin

les relations de la Bible à l’homosexualité sont évo- quées. J’ai pris conscience de la grande souffrance des homosexuels. Ce livre me les a rendus proches, humains.

Derrière ce mot qui me fai- sait frémir, j’ai découvert un monde d’hommes et de fem- mes qui un jour, se décou- vraient être attirés par des personnes du même sexe, qui essayaient de lutter contre ces tendances et n’y par- venaient pas, qui devaient s’accepter ainsi : ce n’était souvent pas du tout facile ni confortable. La plupart d’en- tre eux se sentaient coupa- bles, honteux, mais cela ne les empêchaient pas de vivre leur foi. Marc Oraison aussi, dans son livre La Question homosexuelle m’a donné à réfléchir : … Le fait d’être homosexuel n’est en aucune manière un mal «moral». L’ho- mosexualité n’existe pas,

ce qui existe ce sont des sujets humains qui, à partir du moment où la conscience de la sexualité est vraiment acqui- se, éprouvent des émotions ou des attirances explicitement sexuelles pour des sujets du même sexe qu’eux. Ont est saisi par la complexité et l’immense diversité de ce que l’on obser- ve. Il n’est pas « difficile » de juger : c’est impossible ! …

Ces lectures m’ont aidée à mieux comprendre le problème, je suis devenue plus tolérante.
Ensuite il y a eu Freud

… Plusieurs individus, hautement respectables, des temps anciens et modernes, ont été homosexuels et, parmi eux on retrouve quelques-uns des plus grands hommes (Platon, Mi- chel Ange, Léonard de Vinci, etc…). C’est une grande injus- tice de persécuter l’homosexualité comme un crime mais c’est aussi une cruauté.

Freud a toujours reconnu qu’il n’arrivait pas à trouver l’ex- plication de cette inversion. Des articles, des romans, des émissions à la télévision, des films et de longs bavardages avec Julien m’ont beaucoup apporté. Toutes ces lectures m’ont d’abord rassurée quand à ma culpabilité. Les expli- cations psychologiques m’ont fait comprendre que l’homo- sexualité de Julien était maintenant acquise et que, si dans certains cas des hommes arrivent à changer définitivement leur tendance sexuelle, cela reste rare.

Avec un peu de bon sens et de fermeté envers moi-même dans mes réflexions personnelles, j’ai compris que je ne de- vais plus croire à un miracle, mais accepter l’idée du chemin pris par Julien : admettre son mode de vie, ses amis, moins penser au qu’en dira-t-on et plus à mon fils, me faire à l’idée qu’il soit amoureux d’un garçon. Cela a été le plus dur, le plus pénible : comment l’accepter ?

Le travail n’a pas été facile et le cheminement fut éprouvant. Je suis partie pleine de bonnes intentions. Cela n’a pas suf- fi. La communication a été parfois pénible. Il me semblait dire des choses sensées, les phrases de Julien aussi étaient belles, mais nous ne nous comprenions pas. Nous étions sur deux planètes et nous cheminions en parallèle, sans ja- mais nous rencontrer. Il y a eu mes crises de rage, de colère, de désespoir, ces journées où je ne voulais plus le voir, ces nuits où je tournais en rond, où je pouvais enfin pleurer, m’abandonner à mon chagrin. Seule.

Julien faisait peine à voir. Dans nos affrontements, il me criait sa déception devant mes réactions, il s’en voulait de m’avoir parlé ! Il m’évitait, sortait avec des copains, rentrait tard, ce qui, évidemment, augmentait mon angoisse. Nous nous sommes détestés, haïs, en un mot : aimés. Nous nous sommes battus, nous sommes tombés. Malgré nos désac- cords l’autre était toujours là, prêt à tendre une main. Nos discours étaient souvent maladroits, mais nous avons fini par trouver un terrain d’entente.

Peu à peu mes colères se sont calmées. J’ai réussi à parler tranquillement avec Julien. Ses explications m’ont aidée à comprendre. Il me semblait alors que j’étais capable d’accepter vraiment cette différence.

«Je me sens totalement homme, je suis sûr de mon identité sexuelle, elle me convient tout à fait. Je suis un homme comme les autres, à un détail près: j’aime les hommes! Pourtant j’ai fait des expériences avec des filles, mais je suis mieux avec les garçons.

- Pourquoi avec les garçons, pourquoi cette attirance, peux-tu m’expliquer?
- Comment savoir? Je n’ai pas eu à choisir. Déjà vers huit ans, lorsqu’on me disais “quand tu seras papa”, je savais, je ne peux pas t’ex- pliquer ni comment ni pour- quoi, que je ne me marierais jamais. Au plus profond de moi-même, je me sentais dif- férent des autres, mais j’étais incapable d’y voir clair. Je crois que je me sentais très fort, à cause justement de ce secret. Vers treize, quatorze ans les filles ne m’intéres- saient toujours pas et ce fut ainsi même plus tard. J’ai eu quelques amies c’est vrai, mais je ne les voyais pas comme des filles, j’éprouvais envers elles beaucoup d’ami- tié, sans plus.»

«Je ne sais pas moi-même pourquoi les garçons m’atti- rent tellement, je ne peux que le constater. Les épau- les, le buste d’un garçon peuvent m’émouvoir plus que les beaux seins d’une fille. Quand je rencontre un garçon, j’ai envie de le sédui- re, il m’attire, c’est instinctif, c’est ainsi. Je vois un garçon : il me plaît, c’est réciproque, on fait l’amour. C’est simple. Avec les filles ce n’est pas pa- reil, tout est beaucoup plus compliqué avec elles. C’est plus subtil, plus dangereux aussi, à cause des gosses. Je crois que je peux te l’avouer : elles me font peur!

- Mais Corinne alors?
- Corinne est venue à un moment où je me posais des sacrées questions sur mon identité sexuelle. On s’est aimés, jusqu’au jour où j’ai rencontré un garçon. J’ai alors compris qu’il ne ser- vait à rien de faire semblant de courir les filles.

Avec lui j’avais enfin trouvé ma voie. Et voilà, mainte- nant j’ai rencontré Paul. Je suis bien avec lui, nous avons les mêmes goûts, il est très cultivé, il m’apporte tel- lement ! Je voudrais que tu le rencontres mais surtout ne dis rien à personne, on ne va pas me comprendre.

Suite de cette publication dans notre édition numéro 84

Pour lire le livre gratuitement dans sa version intégrale et le tome II – À Dieu Julien, rendez-vous au www.gayglobe. us/julien/

Julien, toi qui préfères les hommes

Sunday, March 11th, 2012

Qui pouvait être cette nouvelle fille ? Peut-être une fem- me mariée ? La voyait-il en cachette ? Ou alors était-il seul ? Pouvait-on vivre sans amour à vingt-trois ans ? L’ami- tié de ses copains lui suffisait-elle ? A bien y réfléchir, eux non plus n’avaient pas d’amies. Bizarre. Évidemment, avec la révélation de Julien, tout devenait clair et je me deman- de comment j’ai pu être tellement aveugle pendant tout ce temps!
Je pense à toutes ces soirées, où il me disait sortir avec Françoise et il me racontait avoir rencontré tel ou tel autre copain qui s’était joint à eux. Au fur et à mesure que Julien me parlait, Françoise disparaissait de son récit. Si je lui en faisais la remarque, il me répondait toujours qu’il n’était pas amoureux de cette fille et qu’il était donc normal qu’elle ne soit pas au centre de ses soirées. Je me souviens aussi de tous ces week-ends dont je ne savais pas grand-chose :
« Je suis invité chez Nicolas. Il y aura aussi Jean et Ralph. Tu sais combien nous sommes passionnés d’ordinateurs : nous allons être bien occupés pendant ces deux jours. Je dormirai là-bas, c’est plus simple.» Et voilà. J’étais rassurée, je savais où il était.
Impossible d’avoir un partage, un secours moral de la part de mon mari. J’ai essayé de lui en parler dès son retour. J’avais le coeur si lourd, ce problème me semblait énorme.
Philippe m’a regardée en souriant : « Ma chérie, tu ne t’aperçois pas de la gravité de ce que tu me dis là ? Tu devrais être habituée aux provocations idiotes de la part de ton fils : il a toujours essayé de te faire marcher. En ce moment on parle telle- ment d’homosexualité, c’est presque devenu une mode, et Julien veut se faire re- marquer, une fois de plus. »
J’ai eu le souffle coupé. Pen- dant un instant j’ai voulu croire mon mari… Non !
Le comportement de Julien après son aveu démontrait, hélas, la sincérité de ses pro- pos. Furieuse et déçue je me suis énervée. Philippe m’a traitée d’hystérique. Plus tard, je me suis demandée si la réaction de mon mari n’était pas tout simplement un moyen de se préserver, car, j’en suis sûre mainte- nant, il a tout de suite su que Julien disait vrai.
Cela a été dur, mais j’ai fini par convaincre mon fils que, s’il avait choisi cette voie, il fallait qu’il aille jusqu’au bout et que c’était à lui d’en informer son père.
Philippe a commencé par se fâcher très fort. Il a fait semblant de ne pas prendre cette déclaration au sérieux. Énervés, le père et le fils ont échangé des mots très durs et Julien est sorti, en claquant la porte. Julien parti, mon mari s’est tourné vers moi sans un mot. Son désarroi m’a fait peine. Il s’est vite repris et m’a dit d’un ton glacial : « Dis-moi que ce n’est pas vrai ! » Sa colère est revenue, il a pris un air dégoûté et m’a assu- rée que « ça lui passera », ensuite il s’en est pris à la liberté actuelle des mœurs, aux enfants qui font « n’importe quoi » et aux parents qui ne servent plus à rien, puisque de toute façon ils ne sont jamais écoutés. Il s’est déclaré convaincu que tout cela était une mode et que ces garçons étaient des provocateurs. J’ai essayé de le faire réfléchir, calmement, en lui disant combien il était nécessaire de garder le contact avec Julien et combien son fils avait besoin de ne pas se sentir rejeté par lui, par nous. Il s’est tu et m’a ensuite de- mandé, avec beaucoup d’autorité, de ne jamais plus lui par- ler de « ça ».
« Je suis en retard, j’ai un rendez-vous. » Et il est sorti.
Étrangeréactionquededire«C’estunemode,çaluipassera, » alors que mon mari, médecin, a plus de connaissances que moi sur le plan médical et psychologique et pourrait bien mieux comprendre Julien. En se fâchant si fort, en disant n’importe quoi et ensuite, en prenant le parti de se taire, Philippe m’a fait mesurer à quel point cette affirmation de Julien l’a touché au plus profond de lui-même, combien cela lui a fait mal, combien il doit souffrir. Lorsque de temps en temps j’essaie de revenir sur le sujet, il ne prend même plus la peine de me répondre. Moments difficiles à vivre.
J’ai découvert à quel point l’homosexualité de Julien se ré- vélait, pour nous parents, un mode de vie tellement contre nature, totalement incompréhensible, inacceptable. Difficile de raconter à des amis, à des connaissances : « Mon fils est homosexuel ». Dans le cœur de tout parent, cela fait mal et on en a honte : honte d’avoir un enfant différent. Devant un enfant handicapé, on éprouve de la pitié et de la tris- tesse, on partage la douleur. La première réaction devant un homosexuel, c’est le dégoût et la moquerie. On imagine tout de suite un homme efféminé et maniéré dans son com- portement et dans sa façon de parler. La société accepte mal l’homosexuel, qui est caricaturé, ridiculisé, injurié.
Je me souviens de la première fois que j’ai découvert ce rejet. J’étais au cinéma avec des amis et, avant la projection du film que nous avions choisi de voir, il y a eu un court métra- ge : il s’agissait de l’histoire d’une fille très belle qui se pros- tituait. Lorsqu’elle arrivait dans la chambre avec son client, celui-ci s’apercevait que la fille était un travesti.
Le film se voulait drôle, la salle avait l’air de bien s’amuser, moi j’avais envie de pleurer de tristesse : tristesse et dégoût pour cet homme tellement mal à l’aise dans sa tête et dans son corps, qui cherchait des hommes pour avoir des rap- ports sexuels, mais qui éprouvait le désir de se déguiser en femme. Pourquoi ? Avait-il envie de l’être réellement ? Ou bien était-ce un moyen pour trouver plus facilement des clients? Comment Julien allait-il être jugé par nos familles ?
Notre entourage ? Il me sem- blait déjà entendre des peti- tes phrases pleines de sous- entendus, les rires étouffés, les sarcasmes. Dans mon angoisse, je me demandais comment nous pourrions cacher ses tendances, il ne fallait pas qu’on lui fasse mal.
Brusquement, pour me ras- surer, j’appelais mon fils sous un prétexte futile. Je le regardais en me disant: «Tu n’es pas sa mère, tu ne le connais pas, est-ce que tu décèles un comportement anormal ? Comment pour- rait-on voir qu’il est homo- sexuel ?» Ensuite venait un sentiment de honte et cette question: «Si par hasard cela se voit, aurais-tu le cou- rage de sortir avec lui dans des lieux publics ?» Assez ! Où trouver l’apaisement ?
Impossible d’en parler autour de moi. J’ai fait de timides essais avec quelques amis choisis, qui me parais- saient ouverts. Je n’ai pas parlé directement de Julien, cela m’était impossible. J’ai orienté la conversation sur l’homosexualité. Je me suis bien vite rendue compte que je m’étais trompée de route. La première personne m’a déclaré n’avoir jamais eu à faire avec des « gens de ce genre » et que le sujet ne l’in- téressait pas.
Le deuxième ami a prit un air dégoûté et m’a répondu que les homosexuels étaient des détraqués, des malades, qu’il y en avait de plus en plus, signe que notre société n’allait pas bien et que, si par malheur un de ses fils « tournait mal », il le renierait sur le champs et le considé- rerait comme mort.
Cela m’a laissée perplexe. Le problème était là, et il me fallait comprendre pour trouver une certaine paix, mais je tournais en rond. Je passais par des moments de grosse déprime, puis je me révoltais devant ce que je croyais être une grande injustice. Pourquoi cela chez nous ? L’homosexualité de Julien était devenue pour moi une idée fixe, j’y pen- sais constamment. Je voyais des homosexuels partout, les couples d’hommes me fascinaient, mon regard ne les lâchait plus, je me met- tais en position de voyeur et je pensais à mon fils : comment est-il lorsqu’il est avec un copain ? Est-ce que son comportement change ? Reste-t-il le garçon sim- ple, drôle et sympathique que je connais ou bien ses manières changent-elles ? Devient-il efféminé ? Dans sa voix ? Dans ses gestes ?
Suite de cette publication dans notre édition numéro 83
Pour lire le livre gratuitement dans sa version intégrale etletomeII-ÀDieu Julien, rendez-vous au www.gayglobe. us/julien/

Julien, toi qui préfères les hommes

Saturday, February 4th, 2012

Publication exclusive du pre-
mier livre de Caroline Gréco
portant sur l’annonce de l’ho-
mosexualité d’un jeune à ses
parents.
Photo: Julien – Gay Globe Média Publié avec l’aimable autorisation de l’auteure et de Gilles Schaufelberger
Suite no.2
Vos enfants ne sont pas vos enfants,
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même. Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. Vous pouvez leur donner votre amour
mais non vos pensées
Car ils ont leurs pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes, Car leurs âmes habitent la maison de demain,
que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier. Vous êtes les arcs par qui vos enfants,
comme des flèches vivantes, sont projetés. L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini, et il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin. Que votre tension, par la main de l’Archer soit pour la joie ;
Car de même qu’Il aime la flèche qui vole,
Il aime l’arc qui est stable.
J’ai trouvé un certain réconfort en le relisant. La liberté est quelque chose de tellement important pour moi, oui mais quand votre enfant part sur un chemin de traverse, com- bien c’est difficile de le laisser partir!
Pourquoi Julien a-t-il choisi une voie aussi compliquée? Homosexuel. Comment en est-il arrivé là? Pourquoi faut-il qu’il fasse partie de ce monde à part? Difficile à comprendre et à admettre.
Et si cela était de ma faute? Si j’en était responsable? Cette question lancinante ne cessait de me tourmen- ter, elle se lézardait en des milliers de : « J’aurais dû… Si j’avais su »…
Ai-je été une mère trop pos- sessive? L’ai-je trop protégé, trop gâté, peut-être trop aimé? Julien est un hypersensible, un écorché vif qu’un rien peut blesser profondément. Calme et solitaire, agréable à vivre, malgré ses contes- tations parfois bruyantes, il n’a que très peu d’amis, que je ne connais pratique- ment pas. Bien qu’il soit très grand, on le prend parfois pour une fille. Cela est dû à sa silhouette mince et élé- gante, à ses traits fins et à ses cheveux mi-longs.
L’idée de l’homosexualité a dû me traverser l’esprit au moins une fois, car je me souviens maintenant avoir pensé que, malgré son as- pect délicat, il n’avait pas vraiment des gestes effémi- née. Parmi ses amis il n’y a jamais eu beaucoup de filles. Je me souviens de cette lon- gue amitié avec Thibaut, qui a duré jusqu’à l’année der- nière, mais il me semble que c’était surtout leur passion de la voile qui les unissait. Est- ce que celui-ci connaissait les tendances de Julien ? En ont- ils parlé ensemble ? Se sont-ils disputés à cause de cela ? Ou alors est-ce Christelle, l’amie de Thibaut qui a découvert les penchants homosexuels de Julien et qui n’a plus voulu que les deux garçons se voient ? Leurs chemins, en tous cas se sont brusquement séparés et Julien n’a jamais voulu me donner d’explications. Quel désarroi dans ma tête, depuis la conversation de hier soir ! Homosexuel ! Moi, sa mère, qui me sentait si proche de lui, je n’ai pas été capable de le déceler ! Comment cela a-t-il été possible ? Et me voilà partie dans une remise en question sur la profondeur des liens qui nous unissent, me voilà en train de chercher la faille, le pourquoi… Tout cela est au fond très clair : cela est dû à mon comportement : si j’avais été plus disponible, plus patiente, moins pressée, plus à son écoute… Mais non, voyons, ce n’est pas pour cela qu’on devient homosexuel !
Les heures passaient et je tournais en rond, avec mes ré- flexions morales et mes questions, qui loin de m’apaiser em- brouillaient encore plus ma pauvre cervelle. Et maintenant, comment l’aider ? Oui, mais que voulais-je dire avec ce mot : « aider » ? L’aider à accepter son homosexualité ou l’aider à abandonner cette tendance ? A partir de là, deux nouvel- les questions se posaient : accepter le choix de Julien ou me faire plaisir ? J’étais constamment au croisement de ces deux routes, choisissant, selon l’humeur ou la déprime du moment, une direction, pour en changer quelques minutes plus tard, en essayant de me raisonner, sans y parvenir.
Au fil des jours, en réfléchissant bien, je découvrais des petits détails, des réactions de comportement de Julien auxquels je n’avais vraiment pas fait attention, auxquels je n’avais donné aucune importance et qui, pourtant auraient dû me mettre en alerte et semer le doute en moi.
Comment aurais-je pu penser à l’homosexualité? « Ce gen- re de choses n’arrivera pas dans ma famille », me disais-je lorsque, rarement il est vrai, j’entendais parler d’un homo- sexuel.` « C’est un malheur, pensais-je, mais enfin, si les parents avaient réagi un peu vite, ils auraient pu éviter ce genre de situation.»
Je me sentais bêtement en sécurité et sûre de moi, de ma vie et surtout de celle de ma famille. Homosexuel? Rien que le mot me donnait la nausée et me faisait frémir. Les miens étaient à l’abri de certaines perversions, mes enfants étaient magnifiques, j’étais fière d’eux, il était impossible qu’une chose aussi monstrueuse arrive chez nous; Aujourd’hui, je me demande avec un grand sentiment de culpabilité si j’aurais pu changer l’orientation sexuelle de mon fils en étant plus attentive et moins fière. Est-ce ma faute ?
Julien est beau : cheveux blonds, grands yeux noisette, om- bragés de longs cils, des traits fins, grand, svelte. Une fosset- te se creuse, sur la joue gauche seulement, lorsqu’il sourit:
ce sourire le rajeunit. Je le revois, enfant, quand il venait m’embrasser avec ce sourire éclatant, en me ser- rant le cou jusqu’à m’étouf- fer. Je savais alors qu’il avait fait une bêtise et qu’il commençait à user de tout son charme pour essayer de se faire pardonner, bien avant de me parler de son méfait! Ah, les sourires, les éclats de rire et les bisous de Julien! Je proclamais qu’il était très affectueux, qu’il était doux comme une fille. Mon mari faisait semblant de se fâcher et réclamait sa part de tendresse. Je le trai- tais de jaloux en riant. Je ne voyais pas plus loin!
A l’adolescence, il a com- mencé à soigner de plus en plus sa tenue vestimentai- re, à aimer les bijoux et les eaux de toilette. Naïvement je pensais qu’il découvrait les filles : était-il amoureux? Et pourtant il était entouré presque exclusivement de copains : il est vrai qu’à cet âge on est très secret. Son hypersensibilité a sûrement été mise en alerte quand je m’étonnais que sa bande soit composée seulement de garçons. Là encore, combien j’étais naïve! Je pensais que cela était dû à leur grande timidité ! Un jour, il m’a pré- senté Corinne, après m’avoir avoué son amour pour elle. Ils avaient dix-sept ans tous les deux. Leur couple m’at- tendrissait. Je me disais que Julien devenait adulte et j’en étais fière, en même temps j’avais le sentiment de le perdre un peu : était-ce de la jalousie? Corinne a dis- paru au bout de trois mois. Les copains sont restés. Quelque temps après, Julien m’a avoué être amoureux de Lucienne, qui, hélas! avait déjà un ami.
L’amitié avec Françoise a duré plus d’un an. Ils se voyaient tous les jours lon- guement et lorsque Julien rentrait à la maison ils se téléphonaient encore inter- minablement. Ils avaient un comportement d’amoureux et pourtant je n’ai jamais vu, entre eux un geste ten- dre, un baiser. Cela m’intri- guait beaucoup. Julien m’a toujours dit que ce n’était qu’une excellente amie, sans plus. Je n’arrivais pas à comprendre. Je savais que Julien avait quelques difficultés avec sa bande de copains qui n’aimait pas Françoise mais même à ce moment là, je n’ai jamais eu le moindre soupçon. Fran- çoise disparue, seuls sont restés les copains. Julien me cachait peut-être un nouvel amour ?
Suite de cette publication dans notre édition numéro 82
Pour lire le livre gratuitement dans sa version intégrale et le tome II – À Dieu Julien, rendez-vous au www.gayglobe. us/julien/

Julien, toi qui préfères les hommes

Friday, December 9th, 2011

Publication exclusive du pre-
mier livre de Caroline Gréco
portant sur l’annonce de l’ho-
mosexualité d’un jeune à ses
parents.
Photo: Julien – Gay Globe Média Publié avec l’aimable autorisation de l’auteure et de Gilles Schaufelberger
Aux parents dont les enfants sont différents!
Je suis triste et perdue ce soir. Je suis là, dans cet apparte- ment que j’aime et je voudrais être à des kilomètres de chez moi. Je suis sous le choc, j’ai mal à l’estomac, mal à la vie, je tourne en rond dans ces pièces que je connais dans leurs moindres détails, et même la présence des objets familiers me laisse perplexe : j’ai l’impression de visiter une maison que je connais bien, mais qui n’est pas la mienne. Le temps s’est arrêté : où est passée l’âme de cet appartement ? Et pourtant, j’aime ce salon avec le grand canapé et ses fau- teuils en cuir, la petite table basse en verre, où traînent toujours journaux, livres et revues. Je traverse la pièce, dé- place un bibelot, redresse un tableau, gestes automatiques et bêtes, mais qui me donnent l’impression de faire quelque chose. Je n’arrive pas à rester tranquille, à me calmer. Tout est silencieux, froid, tout me semble hostile. Alors, pour me donner du courage, je fais le tour des chambres, comme le faisait Julien lorsqu’il revenait après quelques jours d’absence.
« Maman, je fais mon tour ! »
C’était la phrase rituelle après les embrassades de bienve- nue. Il passait ensuite bruyamment de pièce en pièce :
« Oh, joli ce bouquet… Et cette chaise, où l’as-tu dénichée ? Ah, ici tout est à sa place. »
Il reprenait ainsi possession de « son » territoire, de « sa » maison, en commençant par sa chambre. Je le retrouvais au salon, vautré dans un fauteuil.
« Comme on est bien, chez soi ! »
Il a fallu une petite phrase pour que le monde bascule pour moi. Julien rentrait d’un week-end, heureux. Il m’a regardée, le visage in- quiet et les yeux brillants. Très vite, il m’a dit :
« Maman, je dois te dire quelque chose de très sé- rieux : je suis homosexuel et amoureux ! »
Un cyclone me secoue, me laissant anéantie, déses- pérée, sans force. Dans ma tête, c’est la cavalcade des pensées folles, sans réponse. Julien ? Ce n’est pas possi- ble ! Mon Dieu, non, pas lui !

Que va-t-il devenir ? Com- ment l’en empêcher ? Quelle horreur, quel dégoût ! Il faut le changer, le guérir, vite, avant qu’il ne soit trop tard ! Trop tard pour quoi ? L’angoisse m’étreint : com- ment le dire à mon mari ? Comment réagira-t-il, lui qui est parfois assez intransi- geant et qui a des principes sévères ! Pourra-t-il encore accepter son fils après cet aveu ? J’ai peur. Il y aura des discussions sans fin, des scènes, des larmes … Est-ce que Frédéric est au courant ? Est-ce que son frè- re lui a fait des confidences ? Cela fait deux ans qu’il est parti poursuivre ses études à Paris et nous ne le voyons plus que pour les vacances, mais les deux garçons ont toujours été très unis.

Je regarde Julien dans les yeux : il a son sourire clair, net, pétillant. Non, il n’a pas changé. Et alors ? Cela ne s’inscrit pas sur son front !

J’essaie de déceler des gestes efféminés, j’essaye de repérer de quelle façon on peut voir sa différence… Rien ! Il est là, devant moi, pareil à lui-même, souriant comme d’habitude. Homosexuel !

Enfin, voyons, cela ne se fait pas en un jour ! La voix de la raison essaie de se faire entendre dans ma tête en déroute. Julien n’est plus un enfant, il est libre de choisir sa route. J’ai toujours donné la priorité absolue à la liberté du choix. On peut conseiller un adulte, discuter, peser le pour et le contre, clarifier ses idées, en reparler, lui laisser un temps de réflexion, mais c’est lui, lui seul qui doit prendre ses res- ponsabilités, faire son choix, et en assumer les conséquen- ces.

Si moi je l’oblige, si je lui impose mes idées, cela ne durera pas. Sa volonté et son envie le feront revenir sur cette déci- sion forcée. J’ai toujours milité avec ferveur pour la liberté. Changer Julien ? Je sais que c’est impossible et que j’en suis incapable. La panique me reprend : que faire ? Si je suis honnête envers moi-même, si je le laisse vraiment libre de choisir, je suis obligée d’accepter son choix, de le tolérer, même si cela me paraît affreux. Alors, il n’a qu’à partir vivre sa vie. J’imagine Julien ici, à la maison, me présentant un ami : quelle honte, c’est affreux, non jamais je ne pourrais le supporter ! Je vais mettre Julien à la porte, que je ne le voie plus, que je ne pense plus à lui, oui, que je l’oublie… Qu’il s’en aille vite, qu’il fasse sa vie, mais loin. Que personne ne soit au courant, les grands-parents, la famille, les amis… Je ne veux pas de scandales, je ne veux pas voir son copain homosexuel ! Comment peut-il être attiré par les garçons ? C’est trop laid, trop moche, trop sale. Julien ! Pourquoi ? Pourquoi devient-on comme ça ? Je me sens vidée, je suis désespérée.

Tout d’un coup, il y a du brouillard devant mes yeux, je m’aperçois que je pleure et je pense :
« Mais je l’aime, cet enfant ! »
Il me fait si mal, mais j’aurais encore plus mal si je ne le voyais plus. Oublier Julien ? Je suis folle, je ne pourrais pas. Je ne sais plus où j’en suis, ce que je dois faire ni ce que je dois dire. Il faut que je fasse un gros effort et surtout que je ne coupe pas le contact. Il faut que nous puissions parler en toute franchise. Quoi qu’il dise, je ne dois pas fermer la porte de la communication.

En serais-je capable ?
Julien me regarde étonné :
« Maman, tu pleures ? »
Je me tais, je fais un effort pour me dominer. Énervé, Julien dit :
« Ce n’est pas la peine d’en faire un drame ! Je suis comme ça, je n’y peux rien. J’ai beaucoup hésité avant de t’en par- ler, mais je ne veux plus te mentir. Et puis, zut, tu es ma mère, tu as le droit de savoir ! »
Et devant mon silence :
« Si tu veux, je fous le camp. Tu seras tranquille, dans cette maison, avec papa, tu ne devras plus me supporter.
- Julien, ai-je dit tout bas, ne soit pas idiot, ce n’est pas la peine d’en rajouter ! Calme-toi, laisse-moi m’habituer… Dieu sait si j’étais loin de m’imaginer tout cela. »

Nous sommes restés un long moment face à face, en si- lence. A quoi pensait Julien ? Un baiser léger :

« Bonne nuit, maman. Ne t’en fais pas »
Et il est parti dans sa cham- bre en murmurant :

« Quelle affaire ! Si j’avais su… »
Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit-là : est-ce que Julien a vite trouvé le som- meil ? Nos yeux cernés et notre mauvaise mine, le len- demain matin, en disaient long sur nos échanges de la soirée. Je suis sûre que Ju- lien ne s’attendait pas à ce que je prenne son aveu avec autant de « complications ». Il était surpris et étonné de ma réticence à accepter son homosexualité et cela le mettait mal à l’aise et le chagrinait. Tous ses efforts pour essayer de dissiper ce climat lourd et pénible qui gênait nos relations, d’habi- tude simples et confiantes, ne faisaient que renforcer le malaise. Dans ma tête, cette petite phrase « mon fils est homosexuel » prenait une place démesurée, qui tour- nait à l’obsession : impossi- ble de faire la part des cho- ses ! Et mon mari qui était parti à un congrès pendant cinq jours ! Il aurait été bon d’en parler avec lui, cela m’aurait calmée, j’en suis sûre. Pour le moment je gar- dais cette confidence

bien cachée au fond de moi, en attendant avec impatien- ce son retour.
Pourquoi Julien avait-il attendu que son père soit absent ? Était-il tellement ému par la découverte de cet amour ? N’avait-il pas pu se taire plus longuement ? Craignait-il la réaction de son père ? Voulait-il d’abord me tester ?

Je me demandais avec cu- riosité depuis quand Julien était attiré par les garçons. Mon Dieu, tout cela était bien pénible, compliqué, fatiguant : quelle confusion dans ma pauvre tête !

En tout premier lieu, il ne fallait sous aucun prétex- te perdre le contact et la confiance de Julien, mais lui montrer et lui faire com- prendre que tout continuait comme avant, le laisser par- ler, s’il en avait envie, de son copain, de ses copains et surtout, avec beaucoup de tendresse, lui montrer que je ne le rejetais pas et que mon amour pour lui restait toujours le même : profond et immense.

Julien est parti travailler et je suis restée seule devant ma tasse de café vide : seule, assommée, pensive. Et tout d’un coup, ce texte de Khalil Gibran m’est revenu en mé- moire : ————

Suite de cette publication dans notre édition numéro 81 – Janvier 2012.

Pour lire le livre gratuitement dans sa version intégrale et le tome II – À Dieu Julien, rendez-vous au www.gayglobe. us/julien/

Deux livres de Caroline Gréco publiés sur Gay Globe Média

Sunday, May 15th, 2011

Deux livres de Caroline Gréco publiés sur Gay Globe Média

Gay Globe Média, au https://www.gayglobe.us, annonce la publication en primeur de deux livres de l’auteur Caroline Gréco portant sur l’annonce de l’homosexualité d’un jeune homme à ses parents et de l’annonce de la séropositivité d’un jeune homme à ses parents. Deux documents références d’une grande aide pour les parents d’enfants gais.


Julien, toi qui préfères les hommes: Caroline Grécoje suis triste et perdue ce soir. je suis là dans cet appartement que j’aime et je voudrais être à des kilomètres de chez moi. je suis sous le choc, j’ai mal à l’estomac, mal à la vie, je tourne en rond dans ces pièces que je connais dans leurs moindres détails, et même la présence des objets familiers me laisse perplexe : j’ai l’impression de visiter une maison que je connais bien mais qui n’est pas la mienne… Il a fallu une petite phrase pour que le monde bascule pour moi. Julien rentrait d’un week end, heureux. Il m’a regardée, le visage inquiet et les yeux brillants. Très vite, il m’a dit: “Maman, je suis homosexuel et amoureux!

Commence alors pour cette mère très aimante un lent et douloureux parcours qui l’amènera à comprendre puis à accepter le choix de Julien. Le récit que Caroline Gréco en donne nous a semblé remarquable par sa pudeur, son authenticité et son honnêteté. Il met en lumière les préjugés ambiants sur l’homosexualité mais aussi les difficultés de la condition homosexuelle. Il rend compte surtout du défi posé aux parents qui découvrent l’homosexualité de leurs enfants.

À Dieu, Julien: Caroline Gréco «C’est là, au bord de la rivière, dans ce pré où tu aimais venir te reposer et admirer la nature, que nous t’avons vraiment quitté. Tes cendres étaient dans le caveau familial mais nous avions souhaité planter cet arbre avec tes amis, en souvenir… Nous avions tous quelque chose en commun : toi et la douleur de ta perte. Tu n’étais plus là, mais à cause de cette douleur qui nous unissait, nous nous sentions moins seuls et nous trouvions une certaine consolation dans ce partage … »

Julien est mort du sida. C’est avec sa famille qu’il a affronté la maladie et le regard des autres. Témoin et complice de tous ces jours, ces mois et années d’espoir, d’angoisse et de souffrance, Caroline Gréco, sa mère, nous raconte ce combat. Dans ce récit remarquable par sa pudeur, elle nous parle aussi de la complexité de sa relation avec ce fils aimé, de l’incommunicabilité et de l’agressivité qu’elle a dû parfois affronter avec humilité malgré sa douleur. Ensemble, ils ont parlé de la vie, de la mort. Ou simplement, ils ont échangé un regard, des gestes de tendresse. Caroline Gréco a accompagné son fils jusqu’au bout.

La publication en primeur sur GGTV se fait avec l’aimable autorisation de Caroline Gréco, donnée avant son décès en 2010 des suites d’une longue maladie et pour rendre hommage à Julien, de son vrai nom Pascal Coste, décédé en mai 1995. Ces deux publications sont offertes tout à fait gratuitement en version PDF directement sur le site de Gay Globe Média au https://www.gayglobe.us. Les versions papier ne sont plus disponibles sur le marché, ces publications sont donc exclusives.

Hommage à Caroline Gréco

Monday, January 31st, 2011

Dimanche dernier, la famille de l’auteure Caroline Gréco (Julien toi qui préfères les hommes et À Dieu, Julien), décédée avant les fêtes, se réunissait afin de lui rendre un hommage tout spécial et de remettre ses cendes à la mer, juste devant le port de Marseille en France. C’est sur un voilier que son époux lui a rendu un hommage dont voici le texte:

Caroline, ma toute belle, ce qui reste de toi, nous allons le confier à la mer, comme tu le désirais. Tu aimais la cérémonie du 2 Novembre, où on rendait en rade de Marseille, par un jet de couronnes, hommage aux morts que la mer avait accueillis. Aujourd’hui, tu les rejoins. Ce sont des cendres, et que peut-on dire de cendres ? Peuvent-elles servir de support à la mémoire ? Peuvent-elles évoquer ce qui fut vie et lumière ? Ce ne sont qu’un résidu terne et anonyme qui ne porte aucune image. Et pourtant cela reste encore un symbole de ce que tu fus, car sinon, pourquoi leur accorder une dispersion entourée d’un certain décorum, d’un certain cérémonial ? Ce bateau, ces amis rassemblés, ce recueillement, cette évocation, ces souvenirs qui jaillissent …

Et voilà qu’un instant tu revis. Tu revis dans toute la force de mon amour, tu revis dans les images que tu as laissées dans nos cœurs. Tu étais forte et douce, tu te donnais sans compter, tu étais providence et bonté , tu savais aimer et consoler au delà de toute raison. Moi qui ai partagé ta vie, je savais combien tu étais bonne et quel exemple tu me donnais quand je rechignais à te suivre. Je savais qu’avec toi, la vie valait la peine d’être vécue, et nous l’avons vécu dans la joie et la complicité. Ce que nous avons bâti, nous l’avons bâti ensemble, les liens que nous avons tissés, nous les avons tissés ensemble, ce que nous avons donné, nous l’avons donné ensemble. Mais tu étais la pointe de la flèche, et moi l’empennage, qui suivais la trajectoire.

Nos amis sont là, pour te rendre un dernier hommage, et je sais que tu resteras vivante dans leur souvenir. Ils m’ont entouré avec constance dans les heures douloureuses de ta maladie, ils m’ont entouré de leur affection quand j’en avais tant besoin, ils m’ont témoigné combien ils t’avaient aimé, et leurs témoignages m’ont bouleversé : j’ai ainsi découvert qui tu étais, non seulement pour moi, mais aussi pour ceux qui t’entouraient. Qu’ils en soient profondément remerciés.

Ma Caroline, ma douce femme, que la mer soit accueillante à ces pauvres restes, comme le Paradis où tu vis maintenant dans la présence du Père et dans la joie éternelle l’a été pour ton âme resplendissante. Veille sur nous de là-haut, intercède pour nous, et dis bien à la Vierge Marie de nous ouvrir grand ses bras miséricordieux. Et que la mer, la mer éternelle, prenne, quand nous la regarderons, un peu de ton sourire.

Hommage à Caroline Gréco par Gilles Schaufelberger

Hommage à Caroline Gréco par Gilles Schaufelberger

Hommage à Caroline Gréco

Hommage à Caroline Gréco

1996- À Dieu, Julien: Lettre d’une mère à son fils mort du SIDA.

Thursday, January 27th, 2011

Caroline Gréco nous offre ici un second livre traitant du SIDA et particulièrement, de l’homosexualité de son fils Julien. Le premier, (italique) Julien, toi qui préfères les hommes (fin de l’italique), publié aux Éditions Critérion, avait eu un assez large succès. Dans ce second livre, Caroline Gréco parle à son fils comme dans une lettre posthume.

Julien est mort du SIDA. C’est avec sa famille qu’il a affronté la maladie et le regard des autres. Témoin et complice de tous ces jours, ces mois et années d’espoir, d’angoisse et de souffrance, Caroline Gréco, sa mère, nous raconte ce combat. Dans ce récit remarquable par sa pudeur, elle nous parle aussi de la compléxité de sa relation avec ce fils aimé, de l’incomunicabilité et de l’agressivité qu’elle a du parfois affronter avec humilité malgré sa douleur. Ensemble, ils ont parlé de la vie, de la mort. Ou simplement, ils ont échangé un regard, des gestes de tendresse. Caroline Gréco a accompagné son fils jusqu’au bout.

Tout au long de cette histoire vraie, on a l’impression que l’auteure nous parle, comme si la lettre nous était adressée. On assiste à la longue agonie d’un sidéen mais aussi à l’amour inépuisable d’une mère pour son fils. En plus d’être un guide qui saura réconforter de nombreux parents et amis de personnes atteintes, il saura aussi être un réconfort pour ceux qui se sentent seuls devant cette maladie si dégradante.

À Dieu, Julien se lit facilement

1995- Julien, toi qui préfère les hommes Le livre d’une mère

Thursday, January 27th, 2011

Ce récit est remarquable par sa pudeur, son authenticité et son honnêteté. Il met en lumière les préjugés ambiants à l’égard des personnes homosexuelles, mais souligne aussi avec lucidité les difficultés de la condition homosexuelle. Il rend compte, de manière bien informée et sensible, du défi posé aux parents lorsqu’ils découvrent que leur fils (ou leur fille) a une orientation homosexuelle. Un tel ouvrage sera fort utile, tant pour les parents concernés que dans l’optique d’une vulgarisation intelligente et non idéologique de la question homosexuelle.” Telle est l’opinion de monsieur Denis MÜLLER, professeur d’éthique à la faculté de théologie de l’Université de Lausanne, en Suisse, sur le premier livre de Caroline Gréco.

En effet, cette mère apprend que son fils est homosexuel et sa vision du monde change soudainement. Elle se voit plongée malgré elle dans un monde de préjugés, un monde ou les homosexuels sont des “déviants”, le monde dans lequel son fils vivait déjà depuis de nombreuses années. RG a obtenu une entrevue avec Caroline Gréco dont voici quelques extraits.

RG: Quand avez-vous senti le besoin d’écrire votre vécu?

C.G.: Mon livre n’est pas si récent que cela. Je l’ai écrit il y a trois ans, et j’ai eu du mal à le faire publier. Les éditeurs, qui parfois m’ont fait des éloges, me répondaient par un refus. Pourquoi? Peut-être que l’homosexualité est un sujet tabou pour eux? Pourtant on publie des livres bien plus “scandaleux” que ma petite histoire de Julien…

A l’époque, Julien n’était pas encore malade. J’ai écrit ce livre pour les parents d’enfants homosexuels. A partir du moment ou Julien m’a mis au courant de son homosexualité, il m’a beaucoup parlé de ses copains et de la difficulté qu’ils avaient avec leurs parents lorsqu’ils avouaient leur tendance et de sa joie de pouvoir enfin me parler. J’ai pensé alors à tous ces parents qui n’arrivaient pas à accepter leur enfant “différent”, j’ai pensé à leur souffrance, à leurs drame. Ce livre leur est destiné. Je voudrais, à travers mon histoire, les aider à comprendre et surtout à ne pas perdre le contact avec leur enfant. Il s’agit pour certains parents, d’une expérience douloureuse et il est bon de savoir qu’elle est partagée. Je pense en particulier à ceux qui restent enfermés dans leur désespoir et qui n’oseront jamais en parler et à tous ceux qui rompent tout contact avec leur enfant.

RG: Comment doit-on comprendre et utiliser ce livre?

C.G.: Ce livre n’est ni un guide, ni un roman puisque c’est une histoire vécue. C’est un clin d’oeil d’amitié et d’encouragement pour les parents qui ont de la peine à accepter l’homosexualité de leur enfant. Julien a lu ce livre. Il m’a beaucoup encouragée car il pensait lui aussi aux parents et il était fier que sa mère ait réussi à se faire publier.

RG: Quelle a été la réaction des groupements homosexuels et des parents en général à la sortie de votre livre en France?

C.G.: J’ai été contactée par plusieurs associations homosexuelles qui ont apprécié mon livre et qui voulaient me rencontrer. Des centres AIDES, des associations homosexuelles à Paris, entre autre “Contact, puis à Grenoble. En février dernier j’ai participé à une émission télévisée de France 3, “Le cercle de famille” (voir horaire de TV5 Québec) où ils avaient réuni une mère, son fils homosexuel, une lesbienne, un jeune homme qui a profité de l’émission pour avouer à ses parents qu’il était homosexuel, un psychiatre et moi. La télé c’est toujours frustrant. On aurait envie de dire tellement de choses et puis on vous compte les minutes… J’aime pas ça!

RG: Que vous a apporté l’expérience de la rédaction de cet ouvrage en tant que parent?

C.G.: Au début c’est un pari que j’avais fait avec moi-même et je ne pensais pas pouvoir le gagner. Je me suis laissée prendre au jeu et en même temps c’était bon pour moi de mettre noir sur blanc des tas de réflexions qui me venaient à l’esprit et que j’effaçais de ma tête quand cela me dérangeait trop. Devant mon bout de papier, je me sentais obligée d’aller jusqu’au bout de ma pensée et cela m’a aidée à éclaircir pas mal de points.

Caroline Gréco a envie de continuer à écrire. Dans son prochain livre elle parlera du SIDA. Elle parlera de Julien, de sa maladie mais aussi de tous ces garçons qui meurent seuls, à l’hôpital, et de tous ces parents qui les abandonnent, car ils ont le SIDA!!! <<…C’est un scandale tellement grand, je ne peux pas ne pas le dire! Je dédierai, à titre posthume, ce prochain livre à Julien…>>

Caroline est devenue par la force des choses une amie et alliée des personnes homosexuelles. Elle a empruntée le chemin du combattant et en est ressortie gagnante, à notre gloire à tous. Un livre à lire, un livre à offrir à ceux qui veulent des réponses!

Pour commander le livre s’adresser aux éditions CRITERION, 11 rue Dugay-Trouin, 75006, Paris, France. Julien, toi qui préfère les hommes / Caroline GRECO. Paris Critérion, 1994. 109 pages. Cote A 1933. Prix 59FF (environ 15$).

Caroline Gréco s’éteint à quelques heures de Noel

Friday, December 24th, 2010

L’auteure Caroline Gréco, connue internationalement pour ses deux oeuvres “Julien toi qui préfères les hommes” et “À Dieu Julien”, vient de succomber à un cancer agressif du cerveau qui s’était généralisé aux poumons et au foie. Caroline Gréco a été la mère de Pascal Coste qui est décédé en 1995 des suites du SIDA et qui fait actuellement la couverture de l’édition #72 de Gay Globe Magazine.

Le message  email envoyé par son époux Gilles Schaufelberger aux amis et membres de la famille était empreint d’une grande tendresse laissant entrevoir un espoir malgré la triste situation causée par le décès de l’auteure très impliquée par le passé avec Contact Provence, une association venant en aide aux parents d’enfants gais.

Ma toute belle, ma douce, ma forte, ma bonne, ma tant aimée Pia nous a quitté ce soir à 22h. Elle s’est éteinte sans souffrir, par arrêt respiratoire. Que ceux d’entre vous qui savent prier demandent au Seigneur de déployer son tapis rouge et de convoquer ses choeurs célestes pour l’accueillir en son paradis. Et que tous, vous gardiez son souvenir en vos coeurs : elle restera vivante tant que quelqu’un pensera à elle.

Son départ s’est fait à moins de deux heures de Noel et sa mémoire lui survivra longtemps parions-le.

72- Pascal, Caroline, Gilles et Julien!

Sunday, December 5th, 2010

Par
Roger-Luc Chayer
Photo
Gracieuseté de Pia,
Claire et Gilles
Schaufelberger
En ce mois international du
SIDA, le destin a voulu que je
vous parle à la fois d’un être
très spécial, Pascal Coste et
de sa mère Caroline Gréco non
pas pour vous raconter le récit
d’une relation parent-enfant gai
mais pour vous raconter l’histoire
d’une famille qui, dans les
pires moments, a été capable
de convertir son tragique destin
en avancement majeur pour la
société dans son ensemble. Je
vais vous parler de ma famille
adoptive, de Pascal, d’un formidable
papa, de Caroline et
d’une contribution majeure à la
société et à la vie gaie.
Pascal Coste a été mon amoureux
secret pendant quelques
années, à la fin des années
80 jusqu’à son décès en 1995
des suites du SIDA. Pascal se
savait atteint depuis longtemps
mais n’a jamais voulu me le
dire ou me le faire savoir. C’est
uniquement après son décès,
absolument imprévu pour moi,
que j’ai appris, par l’entremise
de sa mère l’auteure Caroline
Gréco, que celui que j’aimais
était parti pour toujours et qu’il
avait vécu difficilement son état
sérologique, interdisant totalement
à quiconque de m’en informer.
Pascal avait toujours voulu
faire une couverture de magazine,
Gay Globe honore sa
mémoire en lui consacrant
sa couverture
Le deuil de Pascal a été terrible.
J’ai cessé de manger pendant
des semaines, j’ai perdu 50 livres,
rien ne fonctionnait dans
ma tête et c’était causé d’une
part par le choc de l’annonce
de son décès, moi qui étais à
Montréal et qui devais le recevoir
en visite mais aussi par
la fatalité et l’impossibilité de
lui dire comme je l’avais aimé.
Nous sommes 15 ans plus tard
et je vis encore avec ce deuil.
Mais voilà, le décès de Pascal
a été le point de départ ou
presque, d’une magnifique relation
avec ses parents l’auteure
Caroline Gréco et Gilles Schaufelberger.
Ce lien significatif
avec la mémoire de Pascal
Caroline Gréco
a été vital pour moi et au fil des
années, j’ai trouvé chez cette
famille la continuité d’une affection
qui a fait de moi en partie
ce que je suis devenu.
Depuis quelques mois les lecteurs
de Gay Globe savent que
l’auteure Caroline Gréco, ma
“belle-mère” et mère adoptive
devenue amie très intime combat
une maladie grave qui l’empêche
maintenant de parler ou
de marcher.
J’étais avec Caroline au téléphone
il y a quelques jours et
bien que silencieuse à cause de
la maladie, je pouvais l’entendre
respirer et cette simple présence
remplissait mon coeur d’une
immense joie. Caroline vient de
recevoir un diagnostic très sombre
et le pronostic est négatif,
catastrophique même selon
son époux Gilles qui a réussi à
trouver la force de partager la
nouvelle avec moi. C’est donc
avec le coeur blessé et brisé
que je me rend à l’évidence que
Caroline nous quittera peut-être
bientôt. Contrairement aux derniers
moments pour Pascal, j’ai
encore la possibilité de lui parler
et je vais conclure ce texte
avec ma “Lettre à Caroline”.
Salut Caroline, je sais que le
combat contre la maladie que
tu mènes depuis quelques mois
est difficile mais je veux que tu
saches que chaque instant que
tu nous donnes est un privilège.
Tu sais déjà comme les lecteurs
de Gay Globe et la société en
général te sont reconnaissants
pour ce que tu as fait par le passé
et pour les deux magnifiques
oeuvres que tu lègues à l’humanité
et dont tu peux être fière.
En nous racontant l’expérience
de parents qui apprennent
l’homosexualité de leur enfant
et en nous revenant avec
ton expérience de la fin de vie
d’un enfant atteint du SIDA, tu
nous donnes les moyens de
sortir de l’isolement, de mieux
comprendre que chaque instant
dans la vie doit être vécu
au maximum. Tu es pour moi
une source quotidienne de sagesse
et d’admiration, Gilles le
sait, j’ai grandi comme homme
avec tes bons conseils, ma
sagesse me vient de toi et je
veux que tu saches que pour
moi tu sera toujours éternelle.
Si aujourd’hui je signe toujours
“Roger-Luc” et non R.L. comme
avant, c’est grâce à toi quand tu
disais à la fin des années 90,
“tu es un être complet et entier,
signe toujours de ton prénom
complet”, tu te souviens?
Merci Caroline, merci Maman,
je t’aime tendrement et ta mémoire
survivra à tout tu verras…

Caroline Gréco publie sur Gay Globe Média

Monday, November 22nd, 2010

L’auteure marseillaise Caroline Gréco annonce son association avec le média canadien Gay Globe pour la publication en ligne et gratuite de ses deux oeuvres “Julien, toi qui préfères les hommes” et “À Dieu Julien” qui traitent respectivement de la découverte par les parents de l’homosexualité d’un enfant dans le premier cas et de l’annonce de la séropositivité et de la mort causée par le SIDA d’un enfant dans le second livre.

Ces deux livres sont des références pour les parents qui doivent transiger avec ces situation à la fois dramatiques parfois et certainement toujours touchantes. Ils servent de guides quand vient le temps d’aborder ces questions avec ses enfants et les jeunes adultes homosexuels. Caroline Gréco y racontre son cheminement, réel, basé sur sa propre expérience et tente par le récit de ses propres interrogations de trouver des pistes qui aideront les autres parents à mieux comprendre la situation vécue par les enfants homosexuels ou atteints du VIH/SIDA sans jugement.

Plutôt que de rééditer une version papier de ces deux livres, une entente est intervenue entre l’auteure et Gay Globe Média, propriété du journaliste Roger-Luc Chayer afin de permettre la diffusion et la publication totalement gratuite des deux livres, en format PDF, directement à partir d’une page dédiée sur le site de Gay Globe au https://www.gayglobe.us/julien

L’auteure Caroline Gréco combat courageusement la maladie

Sunday, November 7th, 2010

Par Roger-Luc Cayer

L’auteur marseillaise Caroline Gréco, responsable de deux formidables livres sur l’homosexualité, le SIDA et la relation parents-enfants dans ces contextes se bat courageusement contre une maladie grave qui l’empêche pour le moment d’écrire ou de s’exprimer verbalement. Elle peut toutefois prendre connaissance de son courrier et c’est avec le support de son époux Gilles et de leur fille Claire que Caroline peut vaquer à certaines affaires.

Le dernier bulletin de santé de Caroline n’état pas très rose mais on lui souhaite de se remettre vite de cette épreuve car le public a manifesté depuis quelques mois le désir qu’elle revienne à l’écriture et produise de nouveaux livres sur la question des relations parents-enfants gais.

Prompt rétablissement Caroline.

La souffrance de ceux que j’aime…

Tuesday, November 2nd, 2010

Pascal Coste était mon amoureux à Nice (France) dans les années 80 jusqu’en 1991, et j’ai toujours gardé une très forte affection pour ce garçon même après mon retour à Montréal en 1992 lorsque nous n’étions plus un couple en devenir. Il devait venir me visiter à Montréal entre 1992 et 1995 mais il était atteint d’une maladie grave, ce que je ne savais pas et qu’il ne voulait pas que je connaisse, il est décédé en 1995 à quelques semaines de la mise en marché officielle d’un nouveau médicament qui lui aurait sauvé la vie.

Pascal était doté d’une intelligence supérieure, d’un charme naturel fou, il brisait les coeurs partout où il allait sans jamais savoir à quel point il était aimé. Il avait un look GQ et restait toujours ouvert et disponible pour ses amis et ceux qui l’aimaient. Il me manque plus que tout depuis son décès et grâce à lui, indirectement, j’ai réalisé que j’étais sensible au décès de certaines personnes, un peu trop, je ne sais pas comment l’exprimer correctement…

Pascal Coste

Pascal Coste

Je tente le plus possible d’éviter maintenant d’être présent au décès des gens car la mort de Pascal a été terrifiante pour moi et je ne souhaite à personne de vivre de telles émitions. Mon bon ami Jean est décédé il y a deux ans et même si je n’ai pas été présent lors des dernières heures, j’ai été tout aussi affecté par sa souffrance, ne sachant pas quoi dire ou quoi faire.

J’ai souvent demandé à mes lecteurs de me guider, de m’aider à comprendre mes émotions face à la mort de mes amis proches et j’ai toujours été très sensible aux conseils que vous vouliez bien m’envoyer.

Ces temps-ci je suis très préoccupé par les épreuves de santé de la mère de Pascal, l’auteure Caroline Gréco, qui combat une maladie grave avec des traitements très agressifs et je sais qu’elle souffre moralement. Elle était une belle-mère pour moi mais depuis la mort de Pascal, c’est plus une mère qui me parle, qui communique avec moi et qui garde un contact très apprécié et valorisant pour moi.

Caroline Gréco vit des moments difficiles, les lecteurs de Gay Globe la soutiennent beaucoup par des mesages emails de sympathie et si tout va bien, elle pourra reprendre un peu de répit d’ici quelques mois. Je le lui souhaite, beaucoup.

70- “Julien, toi qui préfères les hommes” et “À Dieu, Julien”… L’auteure Caroline Gréco hospitalisée à Marseille

Thursday, August 19th, 2010

Par Roger-Luc Chayer
Photo Caroline Gréco

À la fin Juillet, nous apprenions que Caroline Gréco, auteure de “Julien, toi qui préfères les Hommes” et de “À Dieu, Julien”, deux livres qui ont fait l’histoire dans la communauté gaie, avait été hospitalisée pour un accident et que suite aux investigations faites lors de son séjour à l’hôpital, quelques problèmes additionnels s’étaient greffés à la situation d’origine juste pour compliquer l’affaire.

Gay Globe Média a immédiatement avisé les abonnés, par un message courriel, que Caroline était inquiète et que les messages de support pourraient faire la différence. Mission accomplie, tous les messages reçus ont été acheminés à Caroline et à la veille de sortir d’hôpital pour être soignée à domicile, Caroline Gréco souhaitait s’adresser aux lecteurs dans cette édition. Voici donc son message: “Merci, chers amis, de vos souhaits et encouragements qui m’ont touché et réconforté en ces jours difficiles et ont illuminé ma chambre d’hôpital. Je vous embrasse…”

Les nouvelles sont bonnes aussi quant à la fracture, tout guérira bien et quant au reste découvert lors des examens, au départ plus inquiétant, un traitement a été offert à Caroline qui lui permettra ultimement de retrouver sa qualité de vie habituelle d’ici quelques mois.

Les lecteurs et abonnés de Gay Globe Magazine ont été formidables avec Caroline, elle qui a fait tant pour faire évoluer la mentalité des parents d’enfants gais, nous lui devions bien ça et si tout s’arrange, tant mieux car c’était là notre objectif.

Caroline Gréco
Auteure

Caroline Greco est l’auteure de deux livres phares sur les relations parents-enfants gais et sur la mort d’un enfant gai du SIDA.

Dans “Julien, toi qui préfères les hommes”, Caroline raconte que son fils Julien est arrivé un soir à la maison en disant “Maman, je suis homosexuel et amoureux”. Commence alors pour cette mère très aimante un lent et douloureux parcours qui l’amènera à comprendre puis à accepter le choix de Julien. Le récit que Caroline en donne est remarquable par sa pudeur, son authenticité et son honnêteté. Il met en lumière les préjugés ambiants sur l’homosexualité mais aussi les difficultés de la condition homosexuelle. Il rend compte surtout du défi posé aux parents qui découvrent l’homosexualité de leurs enfants.

Dans “À Dieu, Julien”, Julien est mort du sida. C’est avec sa famille qu’il a affronté la maladie et le regard des autres. Témoin et complice de tous ces jours, ces mois et années d’espoir, d’angoisse et de souffrance, Caroline Gréco, sa mère, nous raconte ce combat. Dans ce récit, elle nous parle aussi de la complexité de sa relation avec ce fils aimé, de l’incommunicabilité et de l’agressivité qu’elle a dû parfois affronter avec humilité malgré sa douleur. Ensemble, ils ont parlé de la vie, de la mort. Ou simplement, ils ont échangé un regard, des gestes de tendresse. Caroline Gréco a accompagné son fils jusqu’au bout.

Publication gratuite sur le site de GGTV

Les deux livres de Caroline sont offerts gratuitement pour lecture, avec l’aimable autorisation de la maison Critérion et de l’auteure.

Rendez-vous tout simplement au https://www.gayglobe.us/julien/ et sélectionnez le livre que vous souhaitez lire à l’écran.