Posts Tagged ‘toi qui préfères les hommes’

JULIEN, TOI QUI PRÉFÈRES LES HOMMES Publication exclusive du livre de Caroline Gréco

Friday, November 29th, 2013

Caroline Gréco

Épisode numéro – 16
«Pas de problèmes. Je sors aussi mais avec papa et donc avec son auto.» Super ! Viens, il faut que je te raconte ce qui m’est arrivé hier, une histoire de dingue, vraiment je ne m’attendais pas à cela. J’espère que je ne vais pas te choquer. Tu sais comment je suis : quand il m’arrive quelque chose, il faut que je le raconte, sinon je suis trop malheureux.
« Donc, il y a un nouveau bar qui s’est ouvert près du Cinéma Rex. C’est un endroit très joli : il est décoré comme un intérieur de vieux bateau. Tout est en acajou verni, sur les murs des lanternes en cuivre donnent une lumière douce et elles sont entourées d’objets typiquement marins : compas, baromètres, et quelques casques de scaphandriers. Le bar, comme une vieille coque, est décoré à la poupe par une très vieille barre à roue et à la proue par une ancre. Il ne manque au barman que la casquette du capitaine !»
«Dans un certain sens, Mathieu le barman, essaie de conduire son embarcation un peu spéciale, secondé par Jean le videur. Il faut montrer patte blanche si l’on veut que l’on vous ouvre : Jean est là pour barrer la route aux clients indésirables.»
« Il y a deux jours, j’ai été boire un pot avec Marc et l’endroit m’a beaucoup plu par son élégance, son ambiance jeune et sympathique. J’ai rencontré d’autres copains. Nous avons beaucoup parlé de Vincent, qui est danseur et va quitter la ville parce qu’il a décroché un contrat fabuleux avec l’Opéra de Paris. Le directeur l’a vu danser ici et tout s’est fait très vite.

Vincent déménage la semaine prochaine. Nous sommes un peu tristes de le voir partir, mais heureux pour lui de cette chance inouïe : il l’a bien méritée.»

«Nous organisons une soirée d’adieu pour fêter son contrat fantastique, le week-end prochain. Nous avons aussi fait des projets pour aller le voir, mais tu sais comment c’est : la vie de tous les jours et les obligations du travail… on se reverra, c’est sûr, mais il va s’éloigner et je le perdrai petit à petit.»

«Avec les copains, il y avait un garçon que je ne connaissais pas : Kevin. Quelle beauté ! Brun, les yeux foncés, un visage fin, pétillant d’intelligence, grand, élancé: il a exactement ma taille.

J’ai un peu parlé avec lui, nous avions envie de nous revoir plus tranquillement, nous nous sommes donnés rendez-vous hier soir, même endroit, même heure. Je suis arrivé un peu en avance. Tu sais, je n’aime pas entrer tout seul dans un lieu public : tous ces yeux, tous ces regards qui ne vous lâchent plus dès que la porte s’ouvre.

En général, je me précipite vers la première place vide, vite, pour disparaître et me confondre dans la fumée des cigarettes, n’être plus qu’une tête parmi tous ces clients. Ce qui me met à l’aise, passé le premier moment, c’est que je rencontre souvent quelque connaissance.» « Au bar, il y avait une fille magnifique. Étrange, pour un lieu presque exclusivement masculin. Cette fille m’intriguait car elle me rappelait quelqu’un. Je cherchais qui, en la dévisageant avec insistance. Au bout d’un moment, je la vois venir vers moi. Déconcerté et inquiet, je me demande quelle attitude adopter. Et puis tout à coup, ça y est, je reconnaissais la fille : c’est le copain avec qui j’avais rendez-vous!»
«Je suis sans paroles, submergé de honte, car toute la salle nous regarde et tous suivent des yeux le travesti. Embarrassé et furieux, je lui dis qu’habillé et maquillé comme ça, il ne m’intéresse pas du tout. Il aurait pu me prévenir ! Je quitte les lieux en colère.
«J’ai horreur des travestis, des folles. Ils me répugnent : tu es une fille ou alors tu es un garçon, mais pas entre les deux. J’aime les situations claires, et puis, moi, je suis un homme et je veux un homme, pas un fantoche aux allures indéfinissables!» Songeuse, je contemplais Julien. Je n’avais encore jamais pensé aux travestis. Quel problème nouveau pour moi! Je pouvais m’estimer heureuse de ne pas devoir l’affronter ! Julien ne pouvait pas lire dans mes pensées, il a terminé son récit en souriant et en disant: «C’était une histoire rigolote, tu ne trouves pas?
- Oui, Julien, oui, rigolote…»

Julien est là avec Jean, son copain que je connais bien. Tous les deux, ont l’air soucieux. Jean d’habitude souriant quand il vient à la maison, est là, devant moi, pâle, les traits tirés. Il me donne l’impression d’avoir encore grandi, tellement il se tient raide et droit. Il secoue sa tête et ses longs cheveux bouclés s’agitent dans tous les sens: «Caroline, j’ai besoin de vous.» Intriguée et pour casser cette ambiance lugubre, je les prends affectueusement chacun par un bras et je les entraîne vers la cuisine: «Allons, mes enfants, venez boire un café et dites-moi tout!»
Jean, silencieux, s’installe. Julien me jette un clin d’œil complice et me dit: «Ah bon?»
Alors Jean prend la parole avec véhémence, mais sa colère cache mal sa déception et sa tristesse.
«J’ai parlé avec mes parents hier : je n’en pouvais plus de leur cacher mon homosexualité, ça devenait insupportable, d’autant plus que je pensais qu’ils avaient des doutes… Donc j’ai parlé. Ils ont très mal pris ma confidence.  Bon sang, mais ne peuvent-ils pas comprendre que je veux vivre ma vie?»
Il s’est levé, est allé jusqu’à la fenêtre. Pendant un long moment, il a observé les voitures qui passaient dans la rue, sans dire un mot: il luttait contre les larmes. Julien m’a regardée, je lui ai fait signe de le laisser tranquille un moment. Nous étions silencieux tous les trois. Jean est revenu s’asseoir en face de moi.
«Caroline, est-ce que cela est normal qu’ils fassent toutes ces histoires, parce que je leur ait annoncé mon homosexualité? J’aurais pu me taire, d’autant plus que je n’habite plus avec eux. Ils n’en auraient rien su. Mais voilà, j’ai voulu être franc et sincère : ce sont mes parents. Je me culpabilisais déjà assez, je me traitais de lâche parce que je n’avais pas le courage de le leur dire… Et voilà comment je suis récompensé! Si j’avais su… Bonjour les parents!»
«Justement, Jean, bonjour les parents!»
Il m’a jeté un coup d’oeil inquiet: «Caroline, je ne vous comprends pas.» Jean, mettez-vous à leur place! «Et à la mienne, qui s’y met?»

Attendez, laissez moi vous expliquer : Jean, lorsqu’un enfant vient au monde, on ne pense pas qu’un jour il pourra être homosexuel. Vous avez peut-être remarqué qu’on lui souhaite une vie longue et heureuse. Et l’on pense inconsciemment déjà à sa descendance !

Avoir des enfants à son tour, c’est continuer la chaîne, un peu magique, de la vie, une vie qu’on lui souhaite belle et facile.
«Les enfants ne me manquent pas – à murmuré Jean – je n’ai pas envie d’en avoir!»

Laissez-moi continuer. Je comprend tout à fait que vous ne vouliez pas d’enfants. Cela n’est pas une obligation, il y aussi des couples qui n’en veulent pas. Les enfants dérangent, posent beaucoup de problèmes, il faut les supporter, discuter, les faire obéir… et accepter qu’ils ne suivent pas l’exemple de papa et maman, qu’ils deviennent musiciens alors que les parents les voudraient architectes ou comptables alors qu’on les imaginait ingénieurs… Quand un enfant attendu arrive, peu importe qu’il soit beau ou moche, cet enfant c’est la plus grande merveille du monde, pour les parents. Jean, vous avez certainement déjà vu le regard de jeunes parents sur leur petit: quelle adoration! C’est formidable!

Un jour, cet enfant vous dit: «Je suis homosexuel.»
Mettez-vous  un instant, si vous le pouvez, à la place des parents. Il faudrait qu’ils acceptent cela tout simplement! Mais alors, Jean, si cela était si simple, pourquoi ne l’avez-vous pas dit tout de suite à votre père et à votre mère, lorsque vous en avez été sûr? Pourquoi attendre quelques années?   Vous vous demandez pourquoi  ils se mettent en colère. Vous ne comprenez pas?
Jean regardait ses mains et se taisait. Au bout d’un long moment, il m’a regardée: «Je suis   homosexuel et je leur fais honte.» Pourquoi ?
«Parce que je suis dans un monde  qui leur est inconnu et qui leur fait peur!» «Parce que vos parents vous aiment!»
Jean m’a regardée d’un drôle d’air. Peut-être pensait-il que j’étais devenue complètement folle! J’ai répété: «Parce qu’ils vous aiment! Parce qu’ils sont tellement surpris par cet aveu, parce qu’ils ont peur pour vous. Ils savent que vous n’avez pas choisi une voie facile: on se moque souvent d’un homosexuel. La nature nous crée homme et femme   pour la continuer.

Vous, vous êtes sur une  voie différente et cela dérange beaucoup: vous avez d’autres habitudes, une autre façon   de voir les choses et les gens, une autre manière de fonctionner.

Vous savez, Jean, quand une situation nous choque ou nous dépasse, on s’en défend plus facilement par la moquerie. Vos parents savent qu’étant homosexuel vous allez  être exposé à des railleries, vous allez être montré du doigt, on rira de vous, on vous singera: vous en souffrirez. Les parents ne souhaitent que le bonheur de leurs enfants, c’est très dur pour eux aussi de vivre cela.

«Quelle exagération! A dit Jean. Les homosexuels sont de plus en plus acceptés maintenant.
Alors, Jean, pourquoi cachez-vous vos tendances et vous ne dévoilez que devant des amis sûrs?
Julien avait écouté jusqu’ici sans dire un mot:
«Alors, maman, nous sommes maudits »!

Suite de cette publication dans notre prochaine édition…
Pour lire l’oeuvre de
Caroline Gréco intégralement,
rendez-vous au
www.gayglobe.us/Julien

JULIEN, TOI QUI PRÉFÈRES LES HOMMES Publication exclusive du livre de Caroline Gréco

Thursday, August 22nd, 2013

Volet no.14
J’insistais pour qu’il en dise plus, malgré mon étonnement: qui aurait pu prévoir une telle conversation il y a seulement peu de temps? Il a coupé court : «Caroline, ma chérie, la journée a été sympathique et belle, mais tout ce soleil m’a fatigué. Je vais voir s’il y a quelque chose de bien à la télé, et j’irai au lit de bonne heure. Tu viens aussi?»

Je croise un jeune homme qui va livrer des fleurs et je pense à ma joie lorsque je reçois aussi un bouquet. Il y a quelques jours, Maurice, un copain de Julien, a téléphoné parce qu’il était en panne avec sa moto. Julien n’était pas à la maison, je m’apprêtais à sortir et Maurice se trouvait justement dans le quartier où je devais me rendre. Je l’ai donc dépanné et quelle n’a pas été ma surprise de recevoir, le lendemain, un très beau bouquet de fleurs : dahlias, lis, œillets, pois de senteur et quelques marguerites jaunes formaient un ensemble très coloré et gai. On sentait le souci du choix, de la composition. Pendant presque toute la semaine, ce bouquet m’a réjoui le cœur et surtout la vue!

Mario, un autre ami de Julien, vient me voir de temps en temps, même s’il sait que mon fils n’est pas là lorsqu’il passe. Ses visites me font très plaisir.  Mario a l’air heureux de bavarder avec moi. Sa famille habite dans le Nord, et il n’a presque plus de contacts avec elle, depuis qu’il les a mis au courant de son homosexualité. La seule personne qui s’intéresse encore à lui est sa grand-mère, qui vit à sept cent kilomètres mais qui lui fait régulièrement de longues visites par téléphone. Mario m’offre souvent une rose. Belle, splendide. On sent qu’il l’a choisie longuement. Il m’offre la fleur en arrivant, avec un regard heureux et triste en même temps. En offrait-il à sa mère?

Est-ce que ce geste lui fait revivre des  bons moments de sa vie, quand ses parents ne soupçonnaient pas encore son état et qu’il partageait sa vie avec eux et sa sœur?

M’offre-t-il cette rose en souvenir de ce temps passé ? Ou bien, est-ce que Julien lui a dit un jour, par hasard, combien j’aimais les fleurs? En tout cas, j’aime les visites de ce garçon plein de vie, passionné de musique, qui sait si bien me transmettre son enthousiasme et qui apporte souvent un de ses disques que je ne connais pas encore, pour me faire entendre une nouvelle interprétation de tel ou tel artiste.

Hier, on a sonné à ma porte : j’ai vu un immense bouquet de roses qui avait l’air de marcher avec deux jambes…

C’était Jean, un ami de Julien, qui venait m’offrir cinquante magnifiques roses, en remerciement d’une traduction assez compliquée que je lui avais rédigée pour sa thèse d’histoire. Émue, je ne savais que dire devant un cadeau aussi inattendu et somptueux!

En réfléchissant à ces gestes de remerciement et de sympathie, je réalisais que jamais un ami de Frédéric n’avait eu cette idée. Il m’est arrivé de recevoir des boîtes de chocolat, des livres… Je crois qu’en général les hommes réservent cet hommage floral lorsqu’ils sont invités à un dîner, à une réception, ou alors ils envoient des fleurs pour exprimer des sentiments amoureux, transmettre un message tendre.

Beaucoup d’homosexuels aiment les fleurs et les plantes vertes, dont ils prennent un grand soin. C’est donc tout à fait normal pour eux d’offrir quelque chose qu’ils aiment. Ont-ils à ce niveau une sensibilité plus développée, ou tout simplement une autre façon de transmettre un message d’amitié?

Ce soir, Philippe et moi sortons. Depuis un certain temps, Julien désirait inviter des copains à la maison. J’étais un peu inquiète de la réaction de Philippe, mais quand Julien lui en a parlé, sa réponse m’a étonnée : «Profites-en, puisque nous ne sommes pas là »

Julien l’a embrassé, pour le remercier, et j’aurais bien fait pareil, étonnée et heureuse de constater ce début d’ouverture de la part de mon mari. Si je n’ai pas montré ma joie, c’est parce que je connais trop bien Philippe : je ne dois jamais réagir à chaud, surtout dans les questions délicates, je risquerais de faire plus de mal que de bien, et de perdre ainsi tous mes acquis. Par contre, revenir plus tard sur le sujet, ne peut être que bénéfique.

Donc depuis quelques jours, Julien ne parle que de cette soirée, de la table qu’il va préparer, de la couleur de la nappe qu’il va choisir, en harmonie avec la couleur prédominante du bouquet de fleurs qu’il va acheter, des couverts en argent qu’il vaudrait mieux nettoyer (je n’en vois pas l’utilité, ils me semblent propres et brillants!) et du menu. «Encore quelque chose, maman, il me faut des bougeoirs, est-ce que je peux prendre les chandeliers vermeils du salon? Ils donneront un air de fête à la table.»

Puis, préoccupé : «Il faudra aussi que je réfléchisse à la couleur des bougies.» Julien est très raffiné, je sais que tout sera parfait, et comme de plus il est fin cuisinier, je lui fais confiance : le repas sera excellent ! Mais que va-t-il cuisiner? «J’hésite encore, maman, j’ai envie de préparer la terrine antillaise, tu sais, celle à base de crabes et de fruits de mer, parce que je sais que mes copains aiment les crustacés et les coquillages. Ensuite, je voudrais faire un canard à l’orange et un gâteau au chocolat ou alors j’achèterai une glace, ça me donnera moins de travail!»

Médusée, étonnée, je me tais. Le luxe et la somptuosité de cette soirée me semblent déplacés : pour trois copains, trois garçons! Je pensais aux repas avec les amis de Frédéric : quelle différence! «Ne t’en fais pas maman, je leur ferai un plat de spaghetti, tu me prépareras une bonne sauce qui va avec, par exemple celle avec les anchois et les olives, ils vont adorer! Et puis un plat de fromages et un gâteau. Ce sera super!» Et maintenant, tout ce raffinement, côté Julien! Est-ce que cela n’était pas trop ridicule? Pour des garçons! Je me suis sermonnée avec véhémence : «Assez, Caroline! Si c’est le souhait de Julien, tu n’as rien à dire! De toute façon, tu ne seras pas là et cette soirée ne te concerne pas. Ce sont des homosexuels et même s’il s’agit de garçons, tu sais maintenant qu’ils sont différents. Julien connaît ses amis, il est souvent invité à des soirées et s’il prépare un dîner aussi raffiné, c’est que cela se passe ainsi, d’ailleurs, il te l’a bien expliqué, et il ne veut pas être critiqué pour la première fois qu’il invite quelqu’un à la maison. Tu connais Julien: il aime beaucoup ce genre de réception. Souviens-toi, c’est toujours lui qui se propose pour la décoration des grands dîners fêtes à la maison : anniversaires, Noëls… et puis la décoration, c’est son boulot et il aime cela!»

Ma pensée va tout de suite à Philippe : que dira-t-il devant tous ces préparatifs somptueux? Je suis un peu inquiète. Il faut absolument que je lui en parle, que je le prépare. Je ne me sens pas trop à l’aise. Philippe commence par accepter un peu la différence de son fils, mais il ne faut pas trop le brusquer, le choquer, tout va trop vite. Attention, il ne faut pas brûler les étapes, sinon on va perdre tout ce qui a été acquis! Il va falloir, une fois de plus, que je négocie tout cela… et que le ciel me vienne en aide!

Nous voilà donc en route pour notre dîner chez nos amis, encore surpris, parce que, au moment de partir, Julien nous a dit : «Papa, maman, lorsque vous reviendrez, je suis sûr que mes copains seront encore là. Je voudrais vous les présenter. Maman, tu connais déjà Jean et Mario, mais papa ne les a encore jamais rencontrés.»

Je regardais Philippe pendant que Julien parlait. Mon mari a regardé son fils avec gentillesse. «Volontiers, Julien, je voudrais bien les connaître, tes copains. Nous ne rentrerons pas trop tard. Passe une bonne soirée et surveille ton canard : il ne faut pas qu’il brûle! A tout à l’heure!»

Stupéfait, car c’était la première fois que mon mari lui parlait ouvertement de ses amis, de son envie de faire leur connaissance, Julien terriblement ému est parti très vite vers la cuisine, en criant pour se donner une contenance : «Mon Dieu, mon canard!»

C’est seulement dans la voiture que j’ai pu parler tranquillement. «Philippe, c’est vrai que nous allons rentrer de bonne heure?
- Bien sûr, ma chérie!»
Un long silence. J’étais aussi émue que mon fils, heureuse que petit à petit, une ouverture semblait possible. Mon mari m’étonnait! «Tu sais, Caroline, dans la vie, il faut avoir le courage de voir les choses en face, de prendre le taureau par les cornes, comme on dit. Avec Julien je ne peux pas jouer encore longtemps à cache-cache. Tu es là, ma chérie, pour faire le trait d’union entre nous, mais je suis son père, et il serait bon que j’essaie de continuer à l’être!
Il n’y avait rien à ajouter! La soirée me semblait merveilleuse. Tout était beau. Que de chemin parcouru depuis quelques mois!

Effectivement, nous ne sommes pas rentrés tard. Notre soirée avait été très réussie, nous avions retrouvé de vieux amis, avec lesquels nous avons beaucoup de souvenirs de jeunesse en commun et le temps avait passé très vite. Nous étions un peu tristes de quitter si tôt cette bonne ambiance, mais pour nous la soirée n’était pas terminée : Julien nous attendait et nous étions curieux de voir notre fils avec ses amis et en même temps un peu angoissés et inquiets à l’idée de les rencontrer.

Julien, toi qui préfères les hommes 13

Wednesday, July 24th, 2013

Caroline Gréco

Sébastien avait envie depuis longtemps de dévoiler son lourd secret à son père: il était sûr qu’il l’aurait mieux compris que sa mère, qui faisait souvent beaucoup d’histoires pour peu de choses. Aujourd’hui, le sujet était brûlant, ils avaient laissé la mère en pleurs et Sébastien était heureux, finalement, que son père lui ait proposé cette sortie. Mais pourquoi son père ne disait-il toujours rien? Et pourquoi avait-il pris la direction du centre ville? Il roulait maintenant dans ces ruelles étroites… Avec toute cette circulation, il fallait faire attention, ce n’était vraiment pas l’endroit idéal pour causer! Et voilà, brusquement le père freine, range l’auto sur le côté et commence à parler avec une femme qui s’approche… Sébastien est encore plus perplexe quand il voit le genre de bonne femme: une prostituée! Son père lui parle, sort son portefeuille et revient vers la voiture. Il a un regard étrange, on y lit une certaine gêne mêlée à un peu de honte, mais la voix est très autoritaire et il est toujours très en colère.

«Va voir cette femme, Sébastien, et prouve que tu es un homme!»
Il repart avec la voiture et laisse son fils, complètement ahuri, sur le trottoir, avec la prostituée. Sébastien a fait une fugue. Il n’est plus jamais rentré à la maison. Il s’est retrouvé tout seul, à dix-sept ans, dans une grande ville. Seul, sans connaissances, sans argent, très secoué par la réaction de son père, au bord du désespoir : il a coulé, il s’est vendu pour manger, pour avoir un toit, pendant quatre ans il s’est prostitué. Il était encore au lycée, lorsqu’il est parti de chez lui.

Pas de formation, impossible de trouver du travail, mais au moins, avec la prostitution, l’argent ne manquait pas.

Il a eu la chance de rencontrer Florent. On ne peut pas dire que celui-ci soit beau, avec son début de calvitie, ses pommettes saillantes et les lourdes paupières qui lui donnent un air endormi. Et pourtant, son regard est empreint de bonté et donne envie de l’entendre parler, de le connaître plus à fond. Depuis un an, Florent et Sébastien vivent ensemble et grâce à cet ami, Sébastien a réussi à sortir de la prostitution, de l’alcool et de la drogue et a retrouvé sa dignité d’homme.

Florent lui a trouvé une place de vendeur dans un magasin d’habillement et si leur couple reste assez solide pour continuer à s’aimer encore, Sébastien a toutes les chances de s’en sortir.

Il ne parle jamais de sa mère et pour son père, il n’a que des mots de haine. Il m’arrive de penser aux parents de Sébastien, car moi aussi, après la confession de Julien, j’ai eu envie de le mettre à la porte.

Quel drame pour ces gens, ils n’ont pas réussi à supporter leur enfant! Ont-ils des regrets? Des remords? Est-ce que le père de Sébastien aurait réagi d’une façon différente s’il avait pu savoir comment allait vivre son fils, en quittant la maison? Se sentent-ils coupables? Comment vivent-ils après la disparition de leur fils? Et si Sébastien allait les voir?

«Jamais! M’a-t-il répondu. Je suis parti une fois, je ne suis pas masochiste!»
Nicolas s’en sort de façon moins dramatique. Il a réussi à cacher sa différence à ses parents, qui ne se doutent vraiment de rien. Ils sont juste étonnés que leur garçon n’ait pas encore trouvé de fille à son goût.

Nicolas a toujours eu des rapports assez froids avec ses parents. Ce n’était pas par manque d’affection, mais chez lui on était incapables de se dire un mot gentil, d’avoir un geste tendre. Pas question donc, pour Nicolas, de raconter ses états d’âme. Les parents disaient de leur fils qu’il était très secret. Vers treize-quatorze ans, lorsque Nicolas s’est aperçu que les garçons étaient beaucoup plus intéressants que les filles, il a soigneusement caché cette drôle de découverte. Depuis, sa tactique est restée la même : il est entouré d’un groupe mixte, il a toujours de très bonnes copines, mais les rapports avec elles sont seulement platoniques. Rien dans son comportement ne paraît suspect, si ce n’est une attitude qui fait dire que Nicolas est un garçon timide.

Mais Nicolas a une deuxième vie bien cachée et secrète! Depuis qu’il a commencé à travailler, il a quitté la banlieue et la maison paternelle, pour s’installer en ville, près de son lieu de travail. Il a un appartement assez spacieux, avec une grande terrasse, pleine de fleurs. Chez lui viennent surtout ses amis homosexuels. Nicolas paraît à l’aise dans sa nouvelle vie, bien qu’il cache soigneusement ses penchants en dehors de chez lui.

Depuis six mois, il vit avec un ami. Nicolas téléphone souvent à ses parents, mais les voit peu, et de préférence chez eux. Quand, de temps en temps, il les invite chez lui pour un repas, l’ami est mis à la porte pour la soirée: il ne faut surtout pas que les parents s’aperçoivent de son existence! Jusqu’à quand cet ami sera-t-il d’accord de jouer à ce jeu de cache-cache? Jusqu’à quand Nicolas pourra-t-il préserver sa vie privée?

*

Une grande plage de sable en Camargue. Il fait beau et nous voulons profiter du soleil et de l’espace. Nous avons l’impression d’être en vacances, même s’il ne s’agit que d’un dimanche ordinaire.  Au début, on roule sur la plage, avec la voiture. D’autres nous ont précédés et le sol est dur. Au bout d’un kilomètre, se sable devient plus mou, les autos s’enlisent : les gens s’arrêtent.
Sagement nous garons notre voiture à côté des autres et nous continuons à pieds. Au bout de dix minutes de marche, il n’y a presque plus personne. Nous laissons derrière nous le bruit et la foule. Nous arrivons aux dunes et choisissons un endroit où nous poser. La mer est d’huile. Tout à l’heure, nous continuerons notre balade le long de la plage où nous rencontrerons quelques pêcheurs et quelques personnes qui aiment la solitude.

J’adore ces longues promenades dans cet environnement tranquille, loin de l’agitation de la ville. Julien est venu avec nous.
Le soleil monte de plus en plus à l’horizon, quelques personnes viennent profiter de ce grand espace de sable et de calme. Deux jeunes arrivent: ils ont l’air très amoureux, ils se caressent en s’enduisant de crème solaire, s’embrassent, vont se baigner, s’éclaboussent et rient comme des enfants: ce sont deux garçons. Julien est scandalisé.

«Quelle honte de se donner ainsi en spectacle, il y a des gens qui passent, des enfants. Il y a des choses qu’on ne fait pas en public, ils n’avaient qu’à rester chez eux!»

Je regarde mon mari qui fait semblant de ne rien voir. Je pars marcher. Mélangés aux baigneurs, il y a des couples d’hommes. Ils ont l’air discrets. Jamais encore je n’avais prêté une attention si particulière aux hommes. Je quitte la plage, je plonge, je nage le plus loin possible et je ris toute seule en pensant à Frédéric, qui me disait un jour en souriant: «Maman, lorsqu’on a une 2CV jaune, c’est fou les 2CV jaunes qu’on croise sur la route, et pourtant leur nombre n’a pas augmenté tout à coup. Il me semble que tu appliques cette règle aux homosexuels depuis que Julien t’a parlé. Attention à faire la part des choses!»

Le soir, Julien était sorti chez des amis, j’ai dîné tranquillement en tête à tête avec Philippe. Nous avons parlé de la journée. Mon mari s’est étonné de la fréquentation de cette plage que nous connaissons depuis des années. Il est vrai que c’était la première fois que nous remarquions tous ces couples d’homosexuels. Était-ce à cause de Julien que nous étions devenus si perspicaces? «J’étais mal à l’aise, a dit Philippe, surtout avec ce couple à côté de nous!»

Et moi qui croyais qu’il n’avait rien remarqué! J’ai profité des bonnes dispositions de mon mari et de l’absence de Julien pour essayer de le faire parler sur l’homosexualité.

«Tu veux savoir pourquoi j’éprouve ce malaise vis-à-vis des homosexuels? Je me le demande aussi, c’est très difficile de l’exprimer. J’essaie de m’imaginer avec un homme et j’éprouve un tel dégoût physique que cela me paralyse et me donne envie de hurler. C’est tellement contre nature! Grotesque, insurmontable pour moi, bref, ça ne passe pas. Tu te vois, toi, Caroline, avec une femme?»

Et devant ma mine horrifiée: «Tu vois, nous avons les mêmes réactions!» Après un moment de réflexion: «Dommage, nous n’aurons jamais de petits enfants de Julien.
- Mais Philippe, si notre fils était resté célibataire ou avait choisi de devenir prêtre, pour les enfants cela aurait été pareil! Exact, a dit Philippe, après un moment de réflexion, mais célibataire ou curé, ça passe mieux qu’homosexuel. Derrière ce mot, il y a tous les fantasmes que chacun de nous peut mettre, et cela me gêne beaucoup. »

Suite de cette
publication dans notre prochaine édition.

Pour lire le livre  gratuitement dans sa version intégrale et le tome II – À Dieu Julien, rendez-vous au www.gayglobe.us/
julien/