JULIEN, TOI QUI PRÉFÈRES LES HOMMES Publication exclusive du livre de Caroline Gréco

Caroline Gréco

Épisode numéro – 16
«Pas de problèmes. Je sors aussi mais avec papa et donc avec son auto.» Super ! Viens, il faut que je te raconte ce qui m’est arrivé hier, une histoire de dingue, vraiment je ne m’attendais pas à cela. J’espère que je ne vais pas te choquer. Tu sais comment je suis : quand il m’arrive quelque chose, il faut que je le raconte, sinon je suis trop malheureux.
« Donc, il y a un nouveau bar qui s’est ouvert près du Cinéma Rex. C’est un endroit très joli : il est décoré comme un intérieur de vieux bateau. Tout est en acajou verni, sur les murs des lanternes en cuivre donnent une lumière douce et elles sont entourées d’objets typiquement marins : compas, baromètres, et quelques casques de scaphandriers. Le bar, comme une vieille coque, est décoré à la poupe par une très vieille barre à roue et à la proue par une ancre. Il ne manque au barman que la casquette du capitaine !»
«Dans un certain sens, Mathieu le barman, essaie de conduire son embarcation un peu spéciale, secondé par Jean le videur. Il faut montrer patte blanche si l’on veut que l’on vous ouvre : Jean est là pour barrer la route aux clients indésirables.»
« Il y a deux jours, j’ai été boire un pot avec Marc et l’endroit m’a beaucoup plu par son élégance, son ambiance jeune et sympathique. J’ai rencontré d’autres copains. Nous avons beaucoup parlé de Vincent, qui est danseur et va quitter la ville parce qu’il a décroché un contrat fabuleux avec l’Opéra de Paris. Le directeur l’a vu danser ici et tout s’est fait très vite.

Vincent déménage la semaine prochaine. Nous sommes un peu tristes de le voir partir, mais heureux pour lui de cette chance inouïe : il l’a bien méritée.»

«Nous organisons une soirée d’adieu pour fêter son contrat fantastique, le week-end prochain. Nous avons aussi fait des projets pour aller le voir, mais tu sais comment c’est : la vie de tous les jours et les obligations du travail… on se reverra, c’est sûr, mais il va s’éloigner et je le perdrai petit à petit.»

«Avec les copains, il y avait un garçon que je ne connaissais pas : Kevin. Quelle beauté ! Brun, les yeux foncés, un visage fin, pétillant d’intelligence, grand, élancé: il a exactement ma taille.

J’ai un peu parlé avec lui, nous avions envie de nous revoir plus tranquillement, nous nous sommes donnés rendez-vous hier soir, même endroit, même heure. Je suis arrivé un peu en avance. Tu sais, je n’aime pas entrer tout seul dans un lieu public : tous ces yeux, tous ces regards qui ne vous lâchent plus dès que la porte s’ouvre.

En général, je me précipite vers la première place vide, vite, pour disparaître et me confondre dans la fumée des cigarettes, n’être plus qu’une tête parmi tous ces clients. Ce qui me met à l’aise, passé le premier moment, c’est que je rencontre souvent quelque connaissance.» « Au bar, il y avait une fille magnifique. Étrange, pour un lieu presque exclusivement masculin. Cette fille m’intriguait car elle me rappelait quelqu’un. Je cherchais qui, en la dévisageant avec insistance. Au bout d’un moment, je la vois venir vers moi. Déconcerté et inquiet, je me demande quelle attitude adopter. Et puis tout à coup, ça y est, je reconnaissais la fille : c’est le copain avec qui j’avais rendez-vous!»
«Je suis sans paroles, submergé de honte, car toute la salle nous regarde et tous suivent des yeux le travesti. Embarrassé et furieux, je lui dis qu’habillé et maquillé comme ça, il ne m’intéresse pas du tout. Il aurait pu me prévenir ! Je quitte les lieux en colère.
«J’ai horreur des travestis, des folles. Ils me répugnent : tu es une fille ou alors tu es un garçon, mais pas entre les deux. J’aime les situations claires, et puis, moi, je suis un homme et je veux un homme, pas un fantoche aux allures indéfinissables!» Songeuse, je contemplais Julien. Je n’avais encore jamais pensé aux travestis. Quel problème nouveau pour moi! Je pouvais m’estimer heureuse de ne pas devoir l’affronter ! Julien ne pouvait pas lire dans mes pensées, il a terminé son récit en souriant et en disant: «C’était une histoire rigolote, tu ne trouves pas?
- Oui, Julien, oui, rigolote…»

Julien est là avec Jean, son copain que je connais bien. Tous les deux, ont l’air soucieux. Jean d’habitude souriant quand il vient à la maison, est là, devant moi, pâle, les traits tirés. Il me donne l’impression d’avoir encore grandi, tellement il se tient raide et droit. Il secoue sa tête et ses longs cheveux bouclés s’agitent dans tous les sens: «Caroline, j’ai besoin de vous.» Intriguée et pour casser cette ambiance lugubre, je les prends affectueusement chacun par un bras et je les entraîne vers la cuisine: «Allons, mes enfants, venez boire un café et dites-moi tout!»
Jean, silencieux, s’installe. Julien me jette un clin d’œil complice et me dit: «Ah bon?»
Alors Jean prend la parole avec véhémence, mais sa colère cache mal sa déception et sa tristesse.
«J’ai parlé avec mes parents hier : je n’en pouvais plus de leur cacher mon homosexualité, ça devenait insupportable, d’autant plus que je pensais qu’ils avaient des doutes… Donc j’ai parlé. Ils ont très mal pris ma confidence.  Bon sang, mais ne peuvent-ils pas comprendre que je veux vivre ma vie?»
Il s’est levé, est allé jusqu’à la fenêtre. Pendant un long moment, il a observé les voitures qui passaient dans la rue, sans dire un mot: il luttait contre les larmes. Julien m’a regardée, je lui ai fait signe de le laisser tranquille un moment. Nous étions silencieux tous les trois. Jean est revenu s’asseoir en face de moi.
«Caroline, est-ce que cela est normal qu’ils fassent toutes ces histoires, parce que je leur ait annoncé mon homosexualité? J’aurais pu me taire, d’autant plus que je n’habite plus avec eux. Ils n’en auraient rien su. Mais voilà, j’ai voulu être franc et sincère : ce sont mes parents. Je me culpabilisais déjà assez, je me traitais de lâche parce que je n’avais pas le courage de le leur dire… Et voilà comment je suis récompensé! Si j’avais su… Bonjour les parents!»
«Justement, Jean, bonjour les parents!»
Il m’a jeté un coup d’oeil inquiet: «Caroline, je ne vous comprends pas.» Jean, mettez-vous à leur place! «Et à la mienne, qui s’y met?»

Attendez, laissez moi vous expliquer : Jean, lorsqu’un enfant vient au monde, on ne pense pas qu’un jour il pourra être homosexuel. Vous avez peut-être remarqué qu’on lui souhaite une vie longue et heureuse. Et l’on pense inconsciemment déjà à sa descendance !

Avoir des enfants à son tour, c’est continuer la chaîne, un peu magique, de la vie, une vie qu’on lui souhaite belle et facile.
«Les enfants ne me manquent pas – à murmuré Jean – je n’ai pas envie d’en avoir!»

Laissez-moi continuer. Je comprend tout à fait que vous ne vouliez pas d’enfants. Cela n’est pas une obligation, il y aussi des couples qui n’en veulent pas. Les enfants dérangent, posent beaucoup de problèmes, il faut les supporter, discuter, les faire obéir… et accepter qu’ils ne suivent pas l’exemple de papa et maman, qu’ils deviennent musiciens alors que les parents les voudraient architectes ou comptables alors qu’on les imaginait ingénieurs… Quand un enfant attendu arrive, peu importe qu’il soit beau ou moche, cet enfant c’est la plus grande merveille du monde, pour les parents. Jean, vous avez certainement déjà vu le regard de jeunes parents sur leur petit: quelle adoration! C’est formidable!

Un jour, cet enfant vous dit: «Je suis homosexuel.»
Mettez-vous  un instant, si vous le pouvez, à la place des parents. Il faudrait qu’ils acceptent cela tout simplement! Mais alors, Jean, si cela était si simple, pourquoi ne l’avez-vous pas dit tout de suite à votre père et à votre mère, lorsque vous en avez été sûr? Pourquoi attendre quelques années?   Vous vous demandez pourquoi  ils se mettent en colère. Vous ne comprenez pas?
Jean regardait ses mains et se taisait. Au bout d’un long moment, il m’a regardée: «Je suis   homosexuel et je leur fais honte.» Pourquoi ?
«Parce que je suis dans un monde  qui leur est inconnu et qui leur fait peur!» «Parce que vos parents vous aiment!»
Jean m’a regardée d’un drôle d’air. Peut-être pensait-il que j’étais devenue complètement folle! J’ai répété: «Parce qu’ils vous aiment! Parce qu’ils sont tellement surpris par cet aveu, parce qu’ils ont peur pour vous. Ils savent que vous n’avez pas choisi une voie facile: on se moque souvent d’un homosexuel. La nature nous crée homme et femme   pour la continuer.

Vous, vous êtes sur une  voie différente et cela dérange beaucoup: vous avez d’autres habitudes, une autre façon   de voir les choses et les gens, une autre manière de fonctionner.

Vous savez, Jean, quand une situation nous choque ou nous dépasse, on s’en défend plus facilement par la moquerie. Vos parents savent qu’étant homosexuel vous allez  être exposé à des railleries, vous allez être montré du doigt, on rira de vous, on vous singera: vous en souffrirez. Les parents ne souhaitent que le bonheur de leurs enfants, c’est très dur pour eux aussi de vivre cela.

«Quelle exagération! A dit Jean. Les homosexuels sont de plus en plus acceptés maintenant.
Alors, Jean, pourquoi cachez-vous vos tendances et vous ne dévoilez que devant des amis sûrs?
Julien avait écouté jusqu’ici sans dire un mot:
«Alors, maman, nous sommes maudits »!

Suite de cette publication dans notre prochaine édition…
Pour lire l’oeuvre de
Caroline Gréco intégralement,
rendez-vous au
www.gayglobe.us/Julien


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