Julien, toi qui préfères les hommes 13

Caroline Gréco

Sébastien avait envie depuis longtemps de dévoiler son lourd secret à son père: il était sûr qu’il l’aurait mieux compris que sa mère, qui faisait souvent beaucoup d’histoires pour peu de choses. Aujourd’hui, le sujet était brûlant, ils avaient laissé la mère en pleurs et Sébastien était heureux, finalement, que son père lui ait proposé cette sortie. Mais pourquoi son père ne disait-il toujours rien? Et pourquoi avait-il pris la direction du centre ville? Il roulait maintenant dans ces ruelles étroites… Avec toute cette circulation, il fallait faire attention, ce n’était vraiment pas l’endroit idéal pour causer! Et voilà, brusquement le père freine, range l’auto sur le côté et commence à parler avec une femme qui s’approche… Sébastien est encore plus perplexe quand il voit le genre de bonne femme: une prostituée! Son père lui parle, sort son portefeuille et revient vers la voiture. Il a un regard étrange, on y lit une certaine gêne mêlée à un peu de honte, mais la voix est très autoritaire et il est toujours très en colère.

«Va voir cette femme, Sébastien, et prouve que tu es un homme!»
Il repart avec la voiture et laisse son fils, complètement ahuri, sur le trottoir, avec la prostituée. Sébastien a fait une fugue. Il n’est plus jamais rentré à la maison. Il s’est retrouvé tout seul, à dix-sept ans, dans une grande ville. Seul, sans connaissances, sans argent, très secoué par la réaction de son père, au bord du désespoir : il a coulé, il s’est vendu pour manger, pour avoir un toit, pendant quatre ans il s’est prostitué. Il était encore au lycée, lorsqu’il est parti de chez lui.

Pas de formation, impossible de trouver du travail, mais au moins, avec la prostitution, l’argent ne manquait pas.

Il a eu la chance de rencontrer Florent. On ne peut pas dire que celui-ci soit beau, avec son début de calvitie, ses pommettes saillantes et les lourdes paupières qui lui donnent un air endormi. Et pourtant, son regard est empreint de bonté et donne envie de l’entendre parler, de le connaître plus à fond. Depuis un an, Florent et Sébastien vivent ensemble et grâce à cet ami, Sébastien a réussi à sortir de la prostitution, de l’alcool et de la drogue et a retrouvé sa dignité d’homme.

Florent lui a trouvé une place de vendeur dans un magasin d’habillement et si leur couple reste assez solide pour continuer à s’aimer encore, Sébastien a toutes les chances de s’en sortir.

Il ne parle jamais de sa mère et pour son père, il n’a que des mots de haine. Il m’arrive de penser aux parents de Sébastien, car moi aussi, après la confession de Julien, j’ai eu envie de le mettre à la porte.

Quel drame pour ces gens, ils n’ont pas réussi à supporter leur enfant! Ont-ils des regrets? Des remords? Est-ce que le père de Sébastien aurait réagi d’une façon différente s’il avait pu savoir comment allait vivre son fils, en quittant la maison? Se sentent-ils coupables? Comment vivent-ils après la disparition de leur fils? Et si Sébastien allait les voir?

«Jamais! M’a-t-il répondu. Je suis parti une fois, je ne suis pas masochiste!»
Nicolas s’en sort de façon moins dramatique. Il a réussi à cacher sa différence à ses parents, qui ne se doutent vraiment de rien. Ils sont juste étonnés que leur garçon n’ait pas encore trouvé de fille à son goût.

Nicolas a toujours eu des rapports assez froids avec ses parents. Ce n’était pas par manque d’affection, mais chez lui on était incapables de se dire un mot gentil, d’avoir un geste tendre. Pas question donc, pour Nicolas, de raconter ses états d’âme. Les parents disaient de leur fils qu’il était très secret. Vers treize-quatorze ans, lorsque Nicolas s’est aperçu que les garçons étaient beaucoup plus intéressants que les filles, il a soigneusement caché cette drôle de découverte. Depuis, sa tactique est restée la même : il est entouré d’un groupe mixte, il a toujours de très bonnes copines, mais les rapports avec elles sont seulement platoniques. Rien dans son comportement ne paraît suspect, si ce n’est une attitude qui fait dire que Nicolas est un garçon timide.

Mais Nicolas a une deuxième vie bien cachée et secrète! Depuis qu’il a commencé à travailler, il a quitté la banlieue et la maison paternelle, pour s’installer en ville, près de son lieu de travail. Il a un appartement assez spacieux, avec une grande terrasse, pleine de fleurs. Chez lui viennent surtout ses amis homosexuels. Nicolas paraît à l’aise dans sa nouvelle vie, bien qu’il cache soigneusement ses penchants en dehors de chez lui.

Depuis six mois, il vit avec un ami. Nicolas téléphone souvent à ses parents, mais les voit peu, et de préférence chez eux. Quand, de temps en temps, il les invite chez lui pour un repas, l’ami est mis à la porte pour la soirée: il ne faut surtout pas que les parents s’aperçoivent de son existence! Jusqu’à quand cet ami sera-t-il d’accord de jouer à ce jeu de cache-cache? Jusqu’à quand Nicolas pourra-t-il préserver sa vie privée?

*

Une grande plage de sable en Camargue. Il fait beau et nous voulons profiter du soleil et de l’espace. Nous avons l’impression d’être en vacances, même s’il ne s’agit que d’un dimanche ordinaire.  Au début, on roule sur la plage, avec la voiture. D’autres nous ont précédés et le sol est dur. Au bout d’un kilomètre, se sable devient plus mou, les autos s’enlisent : les gens s’arrêtent.
Sagement nous garons notre voiture à côté des autres et nous continuons à pieds. Au bout de dix minutes de marche, il n’y a presque plus personne. Nous laissons derrière nous le bruit et la foule. Nous arrivons aux dunes et choisissons un endroit où nous poser. La mer est d’huile. Tout à l’heure, nous continuerons notre balade le long de la plage où nous rencontrerons quelques pêcheurs et quelques personnes qui aiment la solitude.

J’adore ces longues promenades dans cet environnement tranquille, loin de l’agitation de la ville. Julien est venu avec nous.
Le soleil monte de plus en plus à l’horizon, quelques personnes viennent profiter de ce grand espace de sable et de calme. Deux jeunes arrivent: ils ont l’air très amoureux, ils se caressent en s’enduisant de crème solaire, s’embrassent, vont se baigner, s’éclaboussent et rient comme des enfants: ce sont deux garçons. Julien est scandalisé.

«Quelle honte de se donner ainsi en spectacle, il y a des gens qui passent, des enfants. Il y a des choses qu’on ne fait pas en public, ils n’avaient qu’à rester chez eux!»

Je regarde mon mari qui fait semblant de ne rien voir. Je pars marcher. Mélangés aux baigneurs, il y a des couples d’hommes. Ils ont l’air discrets. Jamais encore je n’avais prêté une attention si particulière aux hommes. Je quitte la plage, je plonge, je nage le plus loin possible et je ris toute seule en pensant à Frédéric, qui me disait un jour en souriant: «Maman, lorsqu’on a une 2CV jaune, c’est fou les 2CV jaunes qu’on croise sur la route, et pourtant leur nombre n’a pas augmenté tout à coup. Il me semble que tu appliques cette règle aux homosexuels depuis que Julien t’a parlé. Attention à faire la part des choses!»

Le soir, Julien était sorti chez des amis, j’ai dîné tranquillement en tête à tête avec Philippe. Nous avons parlé de la journée. Mon mari s’est étonné de la fréquentation de cette plage que nous connaissons depuis des années. Il est vrai que c’était la première fois que nous remarquions tous ces couples d’homosexuels. Était-ce à cause de Julien que nous étions devenus si perspicaces? «J’étais mal à l’aise, a dit Philippe, surtout avec ce couple à côté de nous!»

Et moi qui croyais qu’il n’avait rien remarqué! J’ai profité des bonnes dispositions de mon mari et de l’absence de Julien pour essayer de le faire parler sur l’homosexualité.

«Tu veux savoir pourquoi j’éprouve ce malaise vis-à-vis des homosexuels? Je me le demande aussi, c’est très difficile de l’exprimer. J’essaie de m’imaginer avec un homme et j’éprouve un tel dégoût physique que cela me paralyse et me donne envie de hurler. C’est tellement contre nature! Grotesque, insurmontable pour moi, bref, ça ne passe pas. Tu te vois, toi, Caroline, avec une femme?»

Et devant ma mine horrifiée: «Tu vois, nous avons les mêmes réactions!» Après un moment de réflexion: «Dommage, nous n’aurons jamais de petits enfants de Julien.
- Mais Philippe, si notre fils était resté célibataire ou avait choisi de devenir prêtre, pour les enfants cela aurait été pareil! Exact, a dit Philippe, après un moment de réflexion, mais célibataire ou curé, ça passe mieux qu’homosexuel. Derrière ce mot, il y a tous les fantasmes que chacun de nous peut mettre, et cela me gêne beaucoup. »

Suite de cette
publication dans notre prochaine édition.

Pour lire le livre  gratuitement dans sa version intégrale et le tome II – À Dieu Julien, rendez-vous au www.gayglobe.us/
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