SIDA : rendez-nous la peur d’en mourir
Thursday, December 1st, 2011NouvelObs
LE PLUS. Comme si la maladie avait disparu avec les années, de plus en plus de jeunes sont convaincus qu’ils n’ont plus besoin de porter de préservatif, ou, pire, que l’on peut guérir facilement si l’on est atteint du VIH. Notre chroniqueuse Gaëlle-Marie Zimmermann appelle à la prudence…
Gaëlle-Marie Zimmermann
> Par Gaëlle-Marie Zimmermann Chroniqueuse sexo/société
Edité par Melissa Bounoua Auteur parrainé par Benoît Raphaël
Il y a quelques semaines, alors que je bavardais avec un jeune homme d’environ 25 ans, j’ai failli avaler le combiné de mon téléphone, sous le coup de la stupéfaction. Nous devisions paisiblement autour de sujets essentiels comme la vie à la campagne, l’ânesse dépressive de mon voisin, la coupe idéale pour un bon costard, et la sexualité avec ou sans capotes.
Des préservatifs exposés à Beijing en Chine dans le cadre de l’exposition
Des préservatifs exposés à Beijing en Chine dans le cadre de l’exposition “family planning” le 4 avril 2009 (STR/AFP)
Forte de mon âge canonique et de mon humour merdique de vieille combattante, je m’apprêtais à évoquer de plaisants souvenirs, comme ce jour où j’ai fait mon premier test de dépistage suite à un accident de préservatif (oui, la capote avait décidé qu’elle m’aimait – contrairement à son propriétaire – et avait quitté le pénis qu’elle protégeait pour rester avec moi. Je veux dire, pour de vrai. Avec moi vraiment), quand soudain, mon interlocuteur s’est mis à délirer.
Et par “délirer”, j’entends bien “délirer”, à savoir débiter une telle dose de conneries à la minute que j’en ai eu le vertige. Et comme aujourd’hui c’est fête, je partage. Ce jeune homme, pourtant éduqué et généreusement cérébré, m’a donc dit en substance :
“Nan mais AIDES, faut qu’ils arrêtent avec leur politique de la peur… Sans déconner quoi, tu veux connaître les vrais chiffres ? Aujourd’hui, les statistiques sur les contaminations par le VIH sont fausses. On fait peur aux gens, et on exagère vachement les risques. Sérieux, faut pas venir me dire que, si tu mets pas de capote, tu risques de choper le SIDA. A ce jour, et au moment où je te parle, si je baise avec une fille sans préservatif, on peut dire que le risque d’être contaminé par le VIH est quasi-nul. Quasi-nul, tu vois ce que je veux dire ?”
Oui mon lapin, je vois. Ce que je vois, c’est que tu n’as pas grandi dans la peur du SIDA, et que tu ne t’es pas, comme moi, mangé pendant des années (j’ai été jeune et en totale découverte sexuelle à la fin des années 80 et au début des années 90) des campagnes d’informations terrifiantes qui te promettaient une mort dans d’atroces souffrances si tu t’envoyais en l’air sans préservatif.
Ce que je vois, c’est que, malheureusement, tu n’as pas été précisément ciblé par ces campagnes, et que ta peur imprécise et sans limites ne s’est pas, comme la mienne, nourrie de la vision de Tom Hanks squelettique et affaibli dans le film “Philadelphia”, ni des récits alarmistes de médecins ultra-médiatisés, décrivant la douleur des patients à l’agonie.
Ce que je vois également, c’est que le recul et les capacités d’analyse qui te permettent de ne pas être une victime du marketing et des manipulations médiatiques, ce même recul dont tu peux légitimement être fier parce qu’il te donne l’impression d’être à la fois au-dessus de la mêlée et profondément humaniste, sera justement celui qui fera de toi une victime en puissance, et un potentiel porteur du virus, un jour, peut-être, au détour d’un coup de bite non couvert.
Et ce que je vois aussi, c’est qu’une fois dans ta vie, tu aurais dû gober la politique de la peur, la bouffer avec avidité, t’en mettre plein les oreilles et le crâne, et croire vraiment que la vérité est bien celle-ci : le SIDA, à ce jour, est toujours un truc qui peut te tomber sur le coin de la gueule quand tu es de ceux qui pensent que le risque est quasi-nul.
Contrairement à ce que semblent penser pas mal de jeunes gens en 2011 (pas la majorité, mais encore trop pour leur propre bien), l’existence de traitements médicaux efficaces ne font pas de la vie avec le VIH une promenade de santé, paisible et sécurisée.
Alors la politique de la peur, dans toute sa splendeur excessive, ses dérives, ses manipulations et ses effets pervers, a probablement une seule et très bonne raison d’exister : quand elle plânait au-dessus de nos hormones en folie, elle nous imprégnait si fort que jamais nous n’aurions eu l’inconscience de baiser sans capote.
Nous ne savions pas de quoi nous avions peur, de quelle maladie nous risquions de mourir ou par quelles souffrances nous pouvions être terrassés, mais c’était si puissant et si violent que même rouges de honte, bafouillants et mortifiés, nous achetions des capotes.
Et au moment fatidique de l’ensachage de quéquette, celui où on se demande si on n’est pas en train de rompre le charme de l’instant, et de foutre en l’air le début de la meilleure partie de baise du siècle, ce tragique moment d’hésitation qui nous donnait envie de faire l’impasse pour ne pas tout gâcher, la peur revenait en force ; et il nous suffisait de l’écouter une petite seconde pour déchirer le sachet d’un geste ferme (maladroit, mais ferme) avant de nous attaquer à l’engin.
Cette peur de mourir du SIDA a, je pense, contribué à ce que je puisse écrire cette chronique aujourd’hui en étant séronégative. Rendez-nous cette peur. Et instillez-la sournoisement dans l’esprit de ces jeunes coqs qui pensent que “le risque est quasi-nul”.