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L’islam n’interdit pas l’alcool, plutôt l’ivresse !

Friday, April 25th, 2014

Nawaat.org

Le problème de notre religion, aujourd’hui plus que jamais, C’est qu’on l’appréhende avec autre chose que nos propres yeux. Pour certains, c’est avec les yeux de nos ancêtres et pour d’autres, avec les yeux des juifs et des chrétiens; et d’autres encore, avec ceux d’athées. Dans tous les cas, on ne fournit pas l’effort de l’objectivité en adoptant une attitude qui soit neutre, examinant l’islam en lui-même, d’une manière scientifique.

C’est pourtant ce que recommande et commande notre religion. Si cela était fait, l’islam ne serait plus ce qu’il est aujourd’hui : au mieux un simple culte; au pire, une caricature qui est l’œuvre aussi bien de ceux qui l’attaquent que de ceux qui croient le défendre. Aussi, l’on ne peut que se demander où est donc passée la culture islamique qui a fondé une civilisation universelle.

Heureusement, des voix libres et des consciences pures commencent à dire tout haut ce que les vrais savants de l’islam pensent tout bas. Nous ne citerons ici que l’un d’eux, cheikh Moustapha Rached, docteur égyptien d’AlAzhar (1).

Revenir à l’islam populaire

Ce que je tente depuis quelque temps est cette approche scientifique à laquelle j’appelle, que tout croyant honnête ne peut que vouloir aussi. C’est ce que je poursuivrai dans le présent article.

J’y soutiendrai l’affirmation véridique formulée en titre et qui en étonnera certainement — bien à tort — plus d’un : l’islam ne condamne pas la boisson enivrante, alcool et vin en tant que tels ; c’est l’ivresse qu’il réprouve et ses effets. Il ne s’agit même que de condamnation relative, relevant de la catégorie de ce qu’il est conseillé d’éviter. Pour tout croyant consciencieux, étudiant correctement le Coran et la Sunna en se libérant du conditionnement opéré par les jurisconsultes tant anciens que modernes, c’est la stricte vérité.

Nous en donnerons ici la preuve textuelle en commentant les versets du Coran relatifs à la question ainsi que la tradition prophétique. En précisant l’origine de l’erreur grave qui colonise les esprits des musulmans depuis des siècles, nous en profiterons pour donner scientifiquement la conception authentique du péché en islam qu’il est temps aux musulmans de redécouvrir et de réactiver dans leur théorisation de la religion. Je dis théorisation, car dans la pratique et sans que le croyant s’en rende compte, cette conception est bien mise en oeuvre, ce qui explique le décalage qui a toujours existé entre l’islam populaire et l’islam institué ou institutionnel.

C’est d’ailleurs une telle conception qui fait que l’islam populaire a toujours été, conformément à l’esprit d’origine de l’islam, parfaitement tolérant et ouvert à l’altérité. Il est temps qu’il le redevienne !

L’interdiction est une création des jurisconsultes

Disons, pour commencer, que s’il y a une interdiction qui a prévalu en islam jusqu’à nos jours relativement à tout ce qui est alcool, qu’il soit vin ou autre produit alcoolisé, c’est le fait de la jurisprudence.

Or, cette exégèse obéissait aux lois de son époque et ne peut durer éternellement, l’éternité étant le propre des préceptes coraniques et non des interprétations humaines qui peuvent et doivent varier selon leur temps pour rester en harmonie avec les exigences en évolution des humains et de leurs sociétés.

Pourtant, les musulmans se sont contentés de se reposer sur le travail d’interprétation de leurs devanciers et n’ont plus cherché à interpréter les textes sacrés pour en adapter la compréhension à leur époque. Cela est bien évidemment contraire à la lettre et à l’esprit de l’islam qui appelle à l’effort continuel. C’est pour cela que l’islam, selon un dire du prophète bien connu, demeure en évolution constante, devant être renouvelé chaque début de siècle.

Comment cela serait-il donc possible sans que les fidèles reviennent au Coran et à la Tradition de leur prophète pour les relire et les réinterpréter au vu non seulement du texte et sa forme, non seulement au vu de la société et sa morale à un moment donné de l’histoire, mais aussi et surtout de l’esprit et des visées de la loi religieuse et de la mentalité qui évolue des humains en leur communauté restreinte comme universelle, l’islam étant ouvert par définition à l’altérité et à tous les acquis de l’humanité.

L’islam respecte les libertés humaines

Car l’islam est fondamentalement libéral. Ainsi, après avoir démontré qu’il n’est aucune interdiction en islam de l’apostasie et de l’homosexualité (2), nous démontrons dans cet article que l’alcool et le vin, toute boisson enivrante n’est pas interdite en islam, car ce n’est que l’ivresse qui l’est. Aussi, nous pensons que le musulman qui boit du vin et ne s’enivre pas le fait sans pécher nullement; surtout, il lui faut veiller particulièrement à ne pas faire ses prières en étant ivre. Je dirais même : en ne touchant pas à l’alcool, par sécurité et respect total pour la prière.

Au fond, ne vaut-il pas mieux un tel musulman qui boit une boisson enivrante et qui s’applique à ne pas verser dans l’excès en sachant qu’ainsi il ne pèche pas que les musulmans que nous voyons chez nous abuser de l’alcool avec le sentiment de pécher, et pour cela ne se retenant plus de s’enivrer ?

En levant le tabou de l’interdiction, nous aurons des musulmans responsables veillant, s’ils ne peuvent se retenir de boire de l’alcool, à véritablement respecter leur religion en n’allant pas jusqu’à l’état d’ivresse. C’est la mesure qu’ils apprendront; or, tout est dans la mesure !

Une telle tempérance, d’ailleurs, n’est-ce pas la juste façon de boire, que cela soit de l’alcool ou de toute autre boisson ? C’est assurément la règle d’or en matière d’alimentation et de vie. C’est à la mesure et à la tempérance que l’on reconnaît normalement le vrai musulman, cet être libre et libéré de toute soumission, sauf à son créateur avec lequel il a un rapport direct.

Pour cela, il ne doit pas y avoir d’interdiction en des matières relevant de l’ordre de la vie privée où c’est le libre arbitre qui est seul en mesure de prouver notre foi et sa sincérité. Or, on sait que les hypocrites ne manquent pas et n’ont jamais manqué en islam, et ce depuis le début. C’est d’ailleurs à l’amenuisement au maximum de cette part du diable, inévitable dans la psychologie humaine, que l’islam fait de l’effort maximal, le Jihad Akbar, le seul jihad digne de ce nom en islam. Tout le reste n’est qu’enfantillage et fausse foi depuis la naissance de l’État de l’islam.

Les textes coraniques sur l’alcool

Citons à présent les textes du Coran relatifs à la boisson enivrante. Nous les reproduisons dans la traduction d’une dame qui a su s’imposer aux musulmans grâce à son érudition et dont nombre de machistes cherchent toujours à occulter le sexe en se limitant, consciemment ou inconsciemment, à ne mentionner que l’initiale de son prénom : Denise Masson.

Il s’agit des versets suivants :

البقرة 219 : «يسألونك عن الخمر والميسر قل فيهما أثم كبير ومنافع للناس وإثمهما أكبر من نفعهما».

La vache (219 ) : «Ils t’interrogent au sujet du vin et du jeu de hasard, dis : Ils comportent tous deux, pour les hommes, un grand péché et un avantage mais le péché qui s’y trouve est plus grand que leur utilité.»

المائدة 90 – 91 «يا أيها الذين آمنوا إنما الخمر والميسر والأنصاب والأزلام رجس من عمل الشيطان فاجتنبوه لعلكم تفلحون * إنما يريد الشيطان أن يوقع بينكم العداوة والبغضاء في الخمر والميسر ويصدكم عن ذكر الله وعن الصلاة فهل أنتم منتهون».

La Table servie (90 – 91) : «Ô vous qui croyez ! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées et les flèches divinatoires sont une abomination et une oeuvre du Démon. Évitez-les… — Peut-être serez-vous heureux — * Satan veut susciter parmi vous l’hostilité et la haine au moyen du vin et du jeu de hasard. Il veut ainsi vous détourner du souvenir de Dieu et de la prière. — Ne vous abstiendrez-vous pas ?—»

النساء 43 : «يا أيها الذين آمنوا لا تقربوا الصلاة وأنتم سكارى حتى تعلموا ما تقولون»

Les femmes (43) : «Ô vous qui croyez ! N’approchez pas de la prière, alors que vous êtes ivres — attendez de savoir ce que vous dites !»

Ce sont ces versets qui sont utilisés pour justifier une interdiction mythique puisque, comme on le voit, il n’y est aucune interdiction. À tout le moins, pour pratiquer le raisonnement par l’absurde, s’il y avait interdiction, elle ne serait nullement expresse, directe, claire et sans ambiguïté.

À ces versets, nous ajoutons trois autres où il est aussi question de vin, boisson enivrante ou alcoolisée, et qui renforcent à la fois l’absence d’interdiction ou l’ambiguïté quant à l’attitude du Coran en la matière ;

محمد 15 : «مثل الجنة التي وعد المتقون فيها أنهار من ماء غير آسن وأنهار من لبن لم يتغير طعمه وأنهار من خمر لذة للشاربين».

Muhammad (15) : «Voici la description du Jardin promis à ceux qui craignent Dieu. Il y aura là des fleuves dont l’eau est incorruptible, des fleuves de lait au goût inaltérable, des fleuves de vin, délices pour ceux qui en boivent.» النحل 67 : «ومن ثمرات النخيل والأعناب تتخذون منه سكرا ورزقا حسنا إن في ذلك لآية لقوم يعقلون».

Les Abeilles (67) : «Vous retirez une boisson enivrante et un aliment excellent des fruits des palmiers et des vignes. — Il y a vraiment là un Signe pour un peuple qui comprend ! —»

سورة المطففين 25-28 : «يُسقون من رحيق مختوم* ختامه مسك وفي ذلك فليتنافس المتنافسون * ومزاجه من تسنيم * عينا يشرب بها المقرّبون».

Sourate des Fraudeurs (25-28) : «On leur donnera à boire un vin rare, cacheté par un cachet de musc — ceux qui en désirent peuvent le convoiter — et mélangé à l’eau de Tasnim, une eau qui est bue par ceux qui sont proches de Dieu.»

Tout comme la Bible (3), le Coran présente donc la vigne parmi les bienfaits de Dieu et les élus boiront du vin au Paradis, puisqu’il y est des fleuves de ce nectar, un vin qui n’enivre point.

Interprétation des textes coraniques

La première chose à noter est que le Coran ne procède nullement par interdiction. Ainsi, il n’emploie pas, par exemple, des expressions claires comme : «Il est interdit» ou «telle chose est prohibée», comme c’est le cas dans d’autres matières où l’interdiction est explicite.

Les jurisconsultes ont bien évidemment trouvé des explications à cette attitude qui ne manque pas d’interpeller sur l’intention divine prohibitionniste comme ils le prétendent. Le plus incorrect et le moins islamique dans ces interprétations, c’est non pas la thèse développée qui se respecte étant un effort d’interprétation, mais le fait de vouloir en faire une loi divine. Ainsi, on passe du texte coranique où il n’est nulle obligation à une interprétation humaine qui fait loi contre le Coran. Cela mérite d’interpeller toute conscience libre de tout vrai musulman.

De plus, ce qui relativise la validité de l’interprétation qui a prévalu à ce jour de nos fuqahas, c’est que Dieu précise bien qu’il est des avantages dans le vin à côté de ses inconvénients. Or, au lieu de s’interroger sur la manière de maximiser les avantages et minimiser les inconvénients, on préfère la solution de facilité de tout rejeter. Comme s’il pouvait y avoir sur terre quelque chose purement bonne ou purement mauvaise. Le croire, c’est ôter la raison même de toute religion, surtout la nôtre, qui fait d’ici-bas une terre d’épreuve pour un perfectionnement jamais atteint.

Par ailleurs, il est à noter que le terme qu’on traduit souvent par péché en la matière n’a pas nécessairement en arabe le sens français de transgression de la loi divine. En effet, le terme إثم signifie ce qui emporte exclusion de la rétribution et dont il faut se méfier; ainsi le mensonge en est (4). On voit bien que la gravité est loin d’être la même que celle du terme français consacré. Il en va de même de l’autre expression où le vin est qualifié d’oeuvre du diable رجس. Terme polysémique, il veut dire entre autres : le mal, le sale et la saleté, le puant au propre comme au figuré. On l’utilise aussi pour la punition et par extension pour les idoles. Mais c’est aussi le doute et l’hypocrisie (5). On voit ainsi le décalage entre le sens commun et la vérité sémantique.

Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas le vin proprement dit qui est concerné, mais ses effets manifestés par l’ivresse. Donc, c’est l’excès de vin qui est l’oeuvre du diable; car tout excès est diabolique. Un excès de justice ne vire-t-il pas en excès d’injustice comme le soutenaient déjà les anciens ? (6)

Dans le Coran, au pire, le vin ou l’alcool sont considérés comme à éviter, ce qu’on appelle مكروه (7) mais jamais interdits; la seule interdiction en cette matière est tout à fait logique et elle concerne la prière qu’il est prohibé de faire en étant ivre. C’est ce que dit textuellement le texte coranique; ce qui permet de supposer, paroxystiquement par syllogisme, qu’on peut s’adonner à l’ivresse en dehors de la prière. Il reste que le Coran étant un tout dont le croyant est tenu d’interpréter les versets les uns par rapport aux autres, cela ne saurait être soutenu, la tempérance étant de règle en islam; et l’ivresse est donc à éviter.

Toutefois, le verset ne reste pas moins une bonne illustration de la licéité de l’alcool en islam, puisqu’il implique a contrario que si jamais l’on se laisse allers à l’excès de ne pas boire raisonnablement au point de l’ivresse, il est impératif alors de bien veiller à ne pas faire ses prières dans cet état. On voit à quel point l’islam a élevé la tolérance et l’esprit de miséricorde divine.

Mais, répétons-le : la position de l’islam reste bien claire en matière de boisson enivrante : il est nécessaire de garder son contrôle sur soi et ne point le perdre; aussi, on doit éviter non pas de boire, mais de boire jusqu’à l’ivresse qui est le résultat d’une intempérance que l’islam réprouve.

Pour montrer encore l’incorrection de l’interprétation actuelle, notons que le premier verset de la Table servie, cité ci-dessus, a été interprété par les fuqahas comme une interdiction indirecte de toucher à l’alcool. Or, il ne faut pas oublier que ce verset est lié au suivant, ce qui prouve que cette interdiction indirecte porte encore sur l’ivresse et ses méfaits, surtout sur le fait de ne pas faire la prière dans un tel état.

Il va de soi que la plus grande preuve de la licéité du vin en islam reste son existence au paradis. Il est bien précisé, en effet, que c’est un vin qui n’entraîne pas l’ivresse, le croyant demeurant maître de lui-même. Aussi, il suffit au musulman sur terre de boire du vin comme il boirait celui du paradis. Cela veut dire de ne pas en boire au point de perdre ses esprits et tomber en ivresse. Boire raisonnablement, c’est éviter d’être ivre; alors, on ne viole pas la loi religieuse qui ne prohibe, au mieux, que l’ivresse.

La Tradition prophétique en matière d’alcool

S’agissant de la Sunna authentique(8), nous ne trouvons, bien évidemment que ce qui conforte ce que nous venons d’exposer du Coran. Ainsi, Mouslem et Boukhari rapportent les dires suivants : —(9) كل مسكر حرام

— «Tout ce qui est enivrant est illicite»(10) — كل ما أسكر عن الصلاة فهو حرام (11)— «Tout ce qui enivre éloignant de la prière est illicite » (12)

— كل مسكر خمر وكل مسكر حرام، ومن شرب الخمر في الدنيا فمات، وهو يدمنها، لم يتب، لم يشربها في الآخرة — Tout ce qui est enivrant est du vin et tout ce qui est enivrant est illicite. Or, quiconque boit du vin ici-bas et meurt alcoolique, sans s’en repentir, n’en boira pas dans l’au-delà.(13)

— من شرب الخمر في الدنيا ثم لم يتب منها حرمها في الآخرة(14) — Quiconque boit une boisson enivrante ici-bas sans s’en repentir, en sera privé dans l’au-delà.(15)

Interprétation de la Tradition prophétique

On voit bien que la Sunna parle d’ivresse et d’alcoolisme; et pour toute sanction divine, elle prévoit juste la privation dans l’au-delà. Toutefois, et la Tradition est claire, la punition n’est prévue que pour quiconque s’accoutume à la boisson enivrante au point de ne plus pouvoir s’en passer; c’est bien d’alcoolisme qu’il est question.

D’ailleurs, on trouve dans les Sahihs un chapitre consacré à la licéité de la boisson alcoolique tant qu’elle n’enivre pas.(16) On y raconte aussi que lors de la nuit du voyage nocturne الإسراء on présenta à l’Envoyé de Dieu deux coupes, l’une contenant du vin et l’autre du lait, en précisant qu’il choisit le lait. Cela prouve qu’aucune réprobation ne concerne le vin en tant que tel sinon il n’aurait pas été présenté au prophète. Aussi, quand on conclut l’histoire par l’exclamation de Jibrîl que si le prophète avait choisi le vin, sa communauté se serait égarée, cela prouve deux choses : que le prophète aurait bien pu prendre la coupe de vin, d’une part, et que l’égarement de sa communauté serait venu de l’abus de vin jusqu’à l’alcoolisme. Ce qui confirme cette analyse, c’est que les Arabes étant réputés être portés à l’excès, surtout du temps de l’Antéislam; c’est d’ailleurs l’un des vices que leur religion est venue corriger. (17)

On trouve de plus chez Mouslem les conditions qui ont amené la révélation supposée de l’interdiction de la boisson alcoolisée et qui concernaient un comportement fort répréhensible de la part de Hamza, oncle du prophète, causé par l’ivresse.

S’agissant de la sanction, il est clair qu’elle concernait plutôt des faits d’ivresse. Et malgré cela, il est établi que le prophète n’édicta aucune sanction à part ce qu’il pratiqua de sa vie et qui était plus symbolique qu’autre chose. En effet, la seule peine connue du temps du prophète était de frapper l’ivre, tantôt à l’aide de palme, tantôt de sandales. Ce n’est que du temps d’Abou Bakr que les 4O coups de fouet firent leur apparition.(18) Il ne fait aucun doute que la tradition de flageller s’est répandue après le prophète qui disait juste de frapper celui qu’on lui amenait en état d’ébriété.(19)

D’ailleurs, on lit chez Boukhari que Ali Ibn Abi Talib a bien confirmé que le prophète ne fit aucune recommandation précise au sujet de la punition; et faisait attention, pour sa part, à ne pas trop faire de mal quand il châtiait, estimant que si le puni devait mourir sous ses mains, il serait redevable du prix du sang.(20) Quelle plus belle preuve de l’erreur de nos jurisconsultes qui condamnent sévèrement non pas l’ébriété, mais le simple fait de toucher à l’alcool !

Car c’est bien pour ébriété que le prophète a sanctionné. Par ailleurs, ce qui est important à dire ici, c’est que ce n’est pas la question de savoir si une peine a été prescrite ou pas; puisque la peine si elle était prescrite l’était assurément pour une époque révolue. Et avec l’évolution du temps, elle ne reste pas inscrite dans le marbre puisque notre religion se veut adaptée parfaitement aux exigences de son temps et donc évolue, seuls son esprit et ses visées étant éternels. Ainsi, aujourd’hui, appliquerait-on l’ablation de la main, pourtant expressément prescrite ?

Influence de la tradition judéo-chrétienne

Il est clair que l’interprétation faite par nos jurisconsultes dans le sens de l’interdiction en islam du vin et de toute boisson enivrante vient de l’influence de la tradition judéo-chrétienne. Il ne faut pas oublier, à ce propos, ce que rappelait Ibn Khaldoun à propos des savants musulmans qui étaient pratiquement tous non Arabes :(21) في أن حملة العلم في الإسلام أكثرهم العجم

Cela veut dire que les exégètes de l’islam qui a été révélé en arabe devaient connaître cette langue et ses subtilités; ce que ces savants firent de la meilleure façon qui soit. Il n’empêche, et les sciences psychologiques et sociologiques le démontrent aujourd’hui assez, ils n’ont pu se défaire d’une certaine influence, bien que souvent inconsciente, de leur milieu d’origine marqué par une tradition judéo-chrétienne évidente.

Or, comme l’islam est venu rétablir la vérité en matière de révélation abrahamique, ses exégètes n’ont pu que puiser dans la tradition abrahamique ce qui ne leur a pas semblé contraire à l’esprit de la nouvelle religion, osant interpréter cet esprit au vu de celui des religions judaïque et chrétienne. En la matière, ils ne faisaient certes que se conformer à une tendance généralisée dans la société, une morale ambiante, un esprit d’ensemble. Or si cela était valable pour cette époque-là, il ne peut plus l’être aujourd’hui.

Pourtant, et on l’a noté ci-dessus, il n’existait pas non plus dans la Bible une condamnation du vin ni des boissons enivrantes. Il ne demeura pas moins qu’on y trouvât de quoi orienter l’exégèse du Coran, des dispositions spécifiques qui ont été généralisées.(22)

Aujourd’hui, la sécularisation ayant triomphé en Occident, on est unanime à dire que les Écritures saintes n’interdisent pas le vin, mais condamnent l’ivresse et ses effets. Ce qui est assez juste au vu des textes de la Bible; mais cela n’était pas nécessairement l’interprétation dominante à l’époque de la constitution du fiqh musulman.

Cela venait surtout de la notion du péché qui était dichotomique dans la tradition judéo-chrétienne alors qu’elle était dans la tradition grecque plutôt contradictorielle (23) comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire acceptant l’harmonie et la complémentarité des contraires. La langue arabe en donne d’ailleurs la plus parfaite des illustrations qui accepte le sens et son contraire. Ainsi, encore une fois, l’islam était-il, dans les textes coraniques, en avance sur son temps.

La vraie conception islamique du péché

La conception islamique du péché était donc plutôt conforme à une tradition antérieure à la tradition judéo-chrétienne qui est la tradition grecque oubliée par l’Occident. On sait désormais, d’ailleurs, que c’est la civilisation musulmane qui a ramené l’Occident à son héritage grec.

En effet, il existe dans la pensée grecque une distinction importante entre ce qui est qualifié de péché et ce qui relève de la «pollution».(24) Si l’on peut agir sur le péché, arriver de diverses manières à l’éviter, on a affaire à une sorte de péché automatique avec la pollution qui est aussi impitoyable qu’un virus, et est donc indépassable. Par conséquent, il nous faut accepter une telle fatalité, «faire avec», comme on dit. Ainsi, pour la nature humaine, le péché est ponctuel, mais la pollution est structurelle. Et il importe de reconnaître cet aspect des choses pour aboutir à une sorte de sagesse de la nécessité. Or, c’est le cas en islam qui fait une telle distinction.

Le lieu n’est pas indiqué ici pour nous étendre sur la théorie islamique du péché (on y reviendra); appliquée à l’alcool, cette théorie permet au musulman d’être en mesure d’adopter, dans sa vie quotidienne, une posture existentielle, sage et équilibrée, intégrant le mal qu’on ne peut dépasser et qu’il nous faut dompter. C’est tout le sens et la philosophie de l’effort maximal, الجهاد الأكبر en islam.

En matière de boisson alcoolisée, la logique islamique n’est donc pas celle d’un quelconque dépassement du mal, mais d’une tension jamais achevée vers la perfection, qui n’ignore pas l’imperfection, en faisant même un élément essentiel de la vie. C’est la voie vers Dieu du pécheur qui est ainsi toujours croyant tant qu’il est engagé sur cette voie, et surtout s’il est dans la bonne direction. Peu importe s’il traîne ou prend même une fausse orientation, l’essentiel est qu’il continue son parcours vers Dieu. C’est ce que les Soufis ont compris avec leurs notions de طريقة (voie) et de سالك : l’itinérant vers Dieu ou encore le pèlerin.

Nous y reviendrons dans la section qui suit; mais disons tout de suite que c’est cette conception grecque réhabilitée par l’islam que la conscience occidentale a répudiée en réalisant une partition aberrante entre le bien et le mal, devenus ainsi antagonistes. Une telle coupure radicale a pris naissance assez tôt marquant la tradition judéo-chrétienne et dessinant les contours du conflit métaphysique entre le bien et le mal que les sciences modernes récusent désormais en admettant une part d’ombre nécessaire pour l’équilibre psychologique de l’être humain.(25)

Le vin, symbole du nouveau vivre-ensemble islamique

Pour finir, notons que le vin est pris chez nos soufis comme une preuve éminente de piété; ainsi, il est souvent utilisé comme un symbole de l’amour divin. Il s’agit, bien sûr, du vin du paradis, celui dont on boit sans s’enivrer. Ainsi, Nabolsi dit : « Ce vin, c’est l’amour divin éternel qui apparaît dans les manifestations de la création.» (26)

Lisons aussi ces beaux vers du poème «Le vin de l’ivresse» de Hafez qui provoqua tant l’admiration de Goethe :

La nuit dernière, j’ai vu les anges qui frappaient à la porte du cabaret,

qui pétrissaient l’argile d’Adam pour en façonner des coupes.

Ceux qui résident au-delà du voile sacré, les purs de l’univers angélique,

m’ont tenu compagnie, à moi, le mendiant des rues, pour boire le vin de l’ivresse.(27)

Goethe

Les soufis nous ont donc donné depuis longtemps la recette magique pour honorer l’islam authentique. Sur terre, pour les musulmans du commun des mortels, il suffit de faire pareil aux bienheureux du paradis et suivre leur exemple en buvant de l’alcool, s’ils ne peuvent s’en retenir, tout en veillant à ne jamais trop boire, ni boire jusqu’à l’ivresse. Ils veilleront ainsi à rester pieux en buvant juste la quantité que l’organisme permet sans la moindre altération du contrôle sur soi.(28)

C’est un peu comme quand on veut conduire une voiture; on veille à ne pas dépasser la dose qu’autorise l’alcotest, au-delà de laquelle il est interdit de conduire aussi bien pour sa propre sécurité que celle d’autrui. Il en va donc de même pour le croyant, son alcotest devenant son respect des prescriptions religieuses pour bien se conduire en société et ne pas avoir à provoquer d’accidents dommageables pour tous. On voit encore une fois à quel point l’islam était en avance sur son temps, inventant une sorte d’alcotest social pour le fidèle !

Cela, nos soufis l’avaient compris depuis bien longtemps en assurant qu’il n’y avait point d’opposition entre une foi honorée de la meilleure façon qui soit en s’en tenant au Coran et à la Sunna et à rien d’autre, tout en ne contrariant pas sa nature, y compris, s’il le fallait, par la consommation de boisson alcoolisée. Écoutons donc ce que disait Omar Kayyam s’adressant aux faux musulmans du salafisme (29) :

يا مدعي الزهد أنا أكرم منك، وعقلي ثملا أحكم تستنزف الخلق، وما استقي، إلا دم الكرم، فمن آثم؟

Il nous faut peut-être ici rapatrier dans nos sociétés musulmanes cette publicité occidentale qui disait ceci : «un verre, ça va ! trois verres, bonjour les dégâts !» En l’occurrence, les dégâts relèveront à la fois de l’ordre civil et religieux. Et voilà notre religion redevenue civile en notre État civil consacré par la nouvelle constitution !

Notre société est donc appelée à se réformer en réformant sa législation basée sur nombre de méprises religieuses. Ainsi, on ne reniera point nos racines religieuses, mais il s’agira de racines qu’on aura déterrées de sous les immondices qui ont manqué de les tuer.

Cela permettra à l’arbre de l’islam de revivre de nouveau et de produire les plus beaux fruits comme avant, alors qu’aujourd’hui il n’a plus de fruits que ce qui s’est pourri sur des branches elles-mêmes en train de mourir. Et c’est surtout faute de racines revitalisées grâce au travail d’entretien nécessaire que notre religion ne recommande jamais assez, ayant même fait une loi de la renaissance de l’islam à chaque début de siècle. Or, nous sommes au début d’un nouveau siècle ! C’est le vivre-ensemble de l’islam reconquérant les esprits, mais un islam tolérant et démocratique, un islam postmoderne, l’i-slam !

Écoutons encore ce que disait du vin le poète andalou Ibn AlFaridh annonçant ce que la spiritualité islamique pourrait apporter comme bienfaits à l’Occident matérialiste si les musulmans savaient renouer avec les trésors de leur religion afin d’en faire justement la foi universelle qu’elle est en tant que sceau des révélations :

« Si les souffles de son parfum s’exhalent en Orient, un homme privé d’odorat devient dans l’Occident capable de les sentir. »(30)

Et terminons en beauté avec le génial Hafez (31) :

وشارب الخمر الذي لا رياء فيه ولا نفاق خير من بائع الزهد الذي يكون فيه الرياء وضعف الأخلاق

Notes

1- Il est inutile ici de donner une référence, il suffit de taper le nom du cheikh sur internet pour avoir accès à des informations le concernant. Notons qu’il a obtenu un doctorat à l’université d’AlAzhar en soutenant brillamment que le voile n’est nullement une obligation islamique.

2- Nous y avons consacré deux articles sur nawaat avant de publier les deux essais, en arabe puis français. Cf. Pour le renouvellement du Lien Indéfectible 1. L’apostasie en islam 2. L’homosexualité en islam, Afrique Orient, Casablanca, Maroc, février 2014 — في تجديد العروة الوثقى، 1- حقيقة الردة في الإسلام 2. – حقيقة اللواط في الإسلام، أفريقيا الشرق، الدار البيضاء، المغرب، نوفيمبر 2013

3- L’Ancien Testament place le vin parmi les bonnes choses procurées à l’homme par la Providence, cf. par exemple ce qu’on lit dans la Genèse : «Que Dieu te donne de la rosée du ciel Et de la graisse de la terre, Du blé et du vin en abondance !» (27 : 28) ou dans le Deutéronome «Je donnerai à votre pays la pluie en son temps, la pluie de la première et de l’arrière-saison, et tu recueilleras ton blé, ton moût et ton huile» (11 14). Bien entendu, le moût ou moût de raisin est le jus de raisin destiné à la fermentation.

4- Voir, par exemple : معجم المصطلحات والألفاظ الفقهية د. محمود عبد الرحمن عبد المنعم، دار الفضيلة، القاهرة، الجزء الأول، ص 58

5- Op. cit. 127 الجزء الثاني، ص

6- Summum jus summa injuria, disaient les Romains; une règle de droit toujours pertinente.

7- Sur le sens religieux du terme, cf. معجم المصطلحات والألفاظ الفقهية، الجزء الثالث، ص 324

8- Nous ne considérons véritablement authentique que la Sunna telle que rapportée par les deux Sahihs en privilégiant les dits prophétiques présents aussi bien chez Boukhari que chez Mouslem

9- Pour Mouslem, nous avons utilisé la version suivante : صحيح مسلم بشرح النووي، المكتبة العصرية، بيروت، 2007 – 148 / 5 كتاب الأشربة -

10- La traduction est de nous.

11- Cf. Mouslem, op. cit.

12- La traduction est de nous.

13- La traduction est de nous.

14- Pour Boukhari, nous avons utilisé la version suivante : صحيح البخاري بشرح النووي، المكتبة العصرية، بيروت، 2007 – 148 / 5 كتاب الأشربة -

15- Pour Boukhari, nous avons utilisé la traduction suivante : Sahih al-Boukhari traduction et commentaire, tome 4, Al Qalam éditions, Paris 2008, p. 347.

16- Il s’agit notamment du نبيذ. que d’aucuns traduisent en sirop non enivrant obtenu à partir de dattes en précisant qu’il était servi au prophète. Cf. la traduction française de BouKhari, op. cit.tome 4, p. 359.

17- Cf. BouKhari, traduction française, op. cit. tome 4 p. 348.

18- Cf. Boukhari, traduction française, op. cit. tome 5, p. 10-11.

19- Cf. Boukhari, traduction française, op. cit. tome 5, p.11-12

20- Cf. Boukhari, traduction française, op. cit. tome 5, p. 13.

21- C’est le titre du chapitre 43 de la partie 6 de la Muaqddima. Cf. تاريخ البن خلدون، دار الكتب العليمة، الطبعة الثانية، 2003، ص 228. Le chapitre commence ainsi : من الغريب الواقع أن حملة العلم في الملة الإسلامية أكثرهم العجم، وليس من العرب حملة علم، لا في العلوم الشرعية ولا في العلوم العقلية، إلا في القليل النادر. وإن كان منهم العربي في نسبه، فهو أعجمي في لغته ومرباه ومشيخته، مع أن الملة عربية صاحب شريعتها عربي.

22- Par exemple, Lévitqiue : “Tu ne boiras ni vin, ni boisson enivrante, toi et tes fils avec toi, lorsque vous entrerez dans la tente d’assignation, de peur que vous ne mouriez” (10 : 9), cela concernait les prêtres en fonction qui avaient une obligation d’abstinence de vin selon la loi mosaïque – Nombres : “Il s’abstiendra de vin et de boisson enivrante” (6 : 3), cela concerne ce qu’on appelle Naziréat, ceux qui se destinent à Dieu, pour lesquels l’abstinence de vin était aussi une des obligations – Juges : “Maintenant prends bien garde, ne bois ni vin ni liqueur forte, et ne mangue rien d’impur.” (13 : 4), c’est aussi pour le Naziréat précité (voir aussi 13 : 7 et 13 : 14) – Proverbes : “Le vin est moqueur, les boissons fortes sont tumultueuses; Quiconque en fait excès n’est pas sage” (20 : 1) – Isaïe : “Malheur à ceux qui ont de la bravoure pour boire du vin, Et de la vaillance pour mêler des liqueurs fortes” (5 : 22) –.Luc : “Car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira ni vin, ni liqueur enivrante, et il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère” (1 : 15) – Éphésiens : “Ne vous enivrez pas de vin : c’est de la débauche; Soyez, au contraire, remplis de l’Esprit’” (5 : 18):

23- Cf. par exemple, la postface du livre capital de Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Bordas, 1969.

24- Voir sur cette question Dodds (E.R.) Les Grecs et l’Irrationnel, Paris, Gallimard, p. 46. On peut aussi lire à ce sujet l’œuvre importante de Michel Maffesoli qui nous inspire ici : La part du diable, Champs, Flammarion, p. 46.

25- Ainsi, dans la tradition augustinienne, le mal n’existe pas en soi, il est qu’une «privation du bien» (privatio boni).

26- Cf. Nabolsi, Commentaires de la Khamriya الخمرية d’Ibn ul-Fâridh ابن الفارض, traduction d’Émile Dermenghem : L’Éloge du Vin, Paris, 1931, Véga éd ومطلع القصيدة هو : شربنا على ذكر الحبيب مدامة | سكرنا بها من قبل أن يخلق الكرم

27- Hâfez Shirazi حافظ الشيرازي, poème traduit par R. Lescot, in Anthologie de la poésie persane (11e-20e s.) , textes choisis par Z. Safâ, Paris, 1964, Gallimard éd. p. 261. Pour plus de détails sur le vin dans la poésie arabe musulmane, on peut consulter en ligne avec intérêt l’article suivant الخمر والشعر في الحضارة العربية الإسلامية للمستشرق يوحنا كريستوف بيرجل تجمه عن الألمانية وقدم له الباحث فابت عيد

28- Les Romains disaient ainsi que la vérité est dans le vin ; In vino verita. Cela signifiera pour le musulman que le vin lui permettra de vérifier s’il est bien pieux en ne buvant que la dose qu’il faut afin de rester maître de lui-même, ne jamais être en état d’ivresse, et donc se conformer à sa religion.

29- أحمد رامي : الترجمة العربية لرباعيات الخيام، دار العودة، بيروت، 1983، ص 28

30- ‘Omar ibn ul-Fâridh : al-Khamriya, traduction d’Émile Dermenghem : L’Éloge du Vin, Paris, 1931, Véga éd. Voici le vers en arabe : ولوعبقت في الشرق أنفاس طيبها | وفي الغرب مزكوم لعاد له الشم

31- أغاني شيراز أو غزليات حافظ شيرازي، ترجمةإبراهيم أمين الشواربي، القاهرة 1944، ص 68

L’homosexualité n’est pas interdite en islam

Friday, April 25th, 2014

Huffington Post Maghreb

En illustration de la religion de l’État civil que nous appelons de nos vœux, nous livrons ici la lecture authentique de l’islam de la question de l’homosexualité, l’abordant hors la tradition judéo-chrétienne marquant le droit musulman.

Nous avons démontré qu’il n’est nulle interdiction de l’homosexualité en islam pur, dans un long article sur internet, disponible sur mon blog, et récemment édité au Maroc, chez Afrique Orient, dans le cadre d’une série entendant réformer l’exégèse de notre religion.

Nous l’avons prouvé avec force arguments scientifiques et religieux, appelant à revenir à une saine interprétation de l’islam pour en saisir l’essence démocratique et humaniste, admirablement incarnée par le soufisme des origines.

Une thématique clé

Le choix d’une telle thématique n’est pas innocent; outre le fait d’oser parler d’un sujet tabou, soigneusement tu, il pointe l’archétype du rejet d’autrui, la stigmatisation de l’autre, sexuellement hérétique. Or, l’acceptation du différent est inévitable en démocratie, condition sine qua non du vivre-ensemble.

C’est aussi un sujet transcendant les courants politiques, nombre de démocrates ne cachant pas leur homophobie ou la cachant mal, tandis que certaines tendances supposées traditionalistes osent y voir la manifestation souveraine d’une vie privée relevant de la liberté tant qu’elle est dans l’intimité, hors domaine public.

C’est surtout une des matières où l’on voit la survivance en islam de croyances étrangères ayant une forte coloration judéo-chrétienne, alors que l’islam a eu, en la matière, une attitude novatrice, en rupture avec la morale de l’époque.

Le plus aberrant est qu’au moment où les peuples d’Occident abandonnent les travers liberticides de leur tradition religieuse à la faveur de la sécularisation des mœurs et de la démocratie, on la retrouve dans une religion dont les tenants prétendent vouloir la démocratie.

Le Coran ne prohibe pas l’homosexualité

Dans le Coran, il n’est nulle prescription condamnant une telle pratique du sexe. Il n’y est question que de récits relatifs aux gens de Loth; or, un récit ne fait pas loi. Pourtant, c’est d’eux qu’on a fait matière judicative.

Soutenir que l’esprit des récits était prohibitif, c’est ne pas expliquer le recours ici à pareil esprit, mais pas dans d’autres matières où l’on exige un texte. Et on ne répond pas au motif d’absence d’une disposition explicite pour ce qu’on considère la plus grave des turpitudes.

Dans le Livre saint, ce qui fait l’objet d’interdiction, ce sont les rapports hors mariage. Et il n’est question que de rapports hétérosexuels, sauf à faire une lecture grammaticalement erronée, dénoncée par les exégètes de renom, comme Tabari.

De plus, la preuve de tels rapports pour en faire délit est stricte, exigeant une intimité avérée par le témoignage de l’intromission de témoins oculaires. Ce qui rend l’existence du délit d’adultère quasi impossible, sinon inexistant, sauf à se faire en public, le faisant relever d’autres catégories juridiques.

La Sunna ignore l’homosexualité

Il en va de même pour la Tradition du prophète qui, dans ses deux plus authentiques recueils de Boukhari et Mouslem, ne rapporte aucun dit en la matière.

Il s’en trouve certes dans d’autres recueils de moindre importance; mais on sait à quel point la tradition du prophète a fait l’objet de faux au nom de la bonne cause, la fin justifiant les moyens.

Si des témoignages sont rapportés sur le fait que le prophète aurait statué sur la question, d’autres des plus crédibles soutiennent le contraire. Ce sont eux qui donnent le vrai, le fiable, en l’absence de hadith authentifié par les deux recensions majeures.

C’est la jurisprudence qui interdit l’homosexualité

Partant de l’adultère, les jurisconsultes ont inventé la prohibition de l’homosexualité. Par syllogisme, ils en ont décrété l’interdiction tout en n’hésitant pas – comble de l’illogisme – à en faire un délit plus grave.

Ce faisant, les légistes musulmans n’ont fait qu’introduire en islam une interdiction propre aux religions antérieures explicites dans l’interdiction de l’acte homosexuel. Ibn Khaldoun l’a bien démontré, les savants en islam étaient quasiment tous d’origine non arabe.

Or, même quand on répudie une foi, on ne reste pas moins marqué par l’atmosphère dans laquelle on a vécu; et les traits caractéristiques de l’époque étaient à la pruderie des religions précédant l’islam.

La tradition arabe est libertaire

Pour le sexe comme pour la nudité, les Arabes n’étaient pas pudibonds mais de mœurs libres, sinon libertaires. Ainsi, le pèlerinage se faisait nu; et le premier de l’ère islamique a respecté cette tradition. En cela, les Arabes avaient les traits de leur esprit en harmonie avec une philosophie grecque à l’aura certaine dans leur civilisation naissante.

Cela a fait la performativité de la culture arabe en son temps d’efflorescence avant que la pudibonderie de l’Ancien et du Nouveau Testaments ne vienne altérer la vision des musulmans de leur foi. Le balancier du progrès changea alors de camp, se retrouvant dans des sociétés s’ouvrant à des mœurs libérées au moment d’une fermeture dogmatique en islam. Elle réduisit l’ancienne entièreté de l’être arabe, l’homme parfait des soufis, à un monstre asexué dans une enclosure religieuse répudiant l’esprit d’une foi venue en révolution mentale.

Nos législations sont islamiquement illégitimes

Le droit musulman actuel est donc islamiquement illégitime, d’inspiration judéo-chrétienne. En une Tunisie se voulant démocratique sans reniement des racines islamiques, il est impératif de conformer le droit positif à la pureté de l’esprit et de la lettre de l’islam. C’est le cas de l’interdiction de l’homosexualité. Il en va de même pour l’apostasie, nullement incriminée, et pour d’autres matières, tel le mythe de la prohibition de la boisson enivrante, l’islam ne rejetant que l’ivresse.

C’est à une refonte totale du droit des mœurs que le législateur doit s’atteler urgemment, conformant l’arsenal actuel de la dictature à la nouvelle constitution et à l’islam correctement interprété.

En terre tunisienne, hédoniste par nature, la matière sexuelle ne doit plus être taboue. Car le sexe est concomitant au progrès humain; comment l’homme serait-il maître dans l’univers s’il ne se dominait pas? Une lecture sexuelle du progrès montre qu’il est inévitable que le sexe se libère en terre d’islam pour connaître le progrès.

Mostra de Venise : “Il y a une place pour les homosexuels dans l’islam”

Sunday, September 8th, 2013

France24.com

Rencontre, à la 70e Mostra de Venise, avec le réalisateur marocain Abdellah Taïa, qui présente l’adaptation à l’écran de son roman autobiographique, “L’Armée du salut”, chronique d’une enfance marocaine à la découverte de l’homosexualité.

Par Jon FROSCH , envoyé spécial à Venise (texte)

La Mostra de Venise, cette année particulièrement, s’attaque à des sujets lourds – chômage, terrorisme, pollution, guerre… mais peut-être qu’aucun long-métrage n’a réussi aussi bien la jonction entre enjeux politiques et trajectoire personnelle que “L’Armée du salut” du Marocain Abdellah Taïa, présenté dans la Semaine de la critique.

Ce réalisateur âgé de 40 ans a adapté au cinéma un roman autobiographique, écrit en 2006, où il retrace son éveil à l’homosexualité au gré des rencontres avec des hommes dans des ruelles sombres et des squats, au Maroc, un pays où cette pratique sexuelle est passible de prison.

Extrait de “L’Armée du salut” (En arabe sous-titré anglais)

À la fin du film, le principal protagoniste se retrouve en Suisse, loin des restrictions des mœurs marocaines, mais nostalgique de son pays. Dans la vraie vie, Abdellah Taïa est installé à Paris depuis dix ans et publie régulièrement. Il a reçu le Prix de Flore pour “Le Jour du roi” (éditions du Seuil, 2010).

FRANCE 24 a rencontré Abdellah Taïa pour parler de son film, son parcours, son point de vue sur l’homosexualité, l’islam, le Maroc et la France.

FRANCE 24 : Espérez-vous que la diffusion du film soit autorisée au Maroc ?

Abdellah Taïa : Plus qu’espérer, je veux qu’il sorte au Maroc. J’ai soumis le scénario du film au centre national du cinéma marocain. Je ne voulais rien couper, rien édulcorer pour obtenir cette autorisation. Je me suis dit qu’il s’agit de personnes intelligentes, qui savent très bien que je suis homosexuel. Ils ont donné leur accord et j’espère qu’ils iront jusqu’au bout de la logique, qu’ils autoriseront la sortie du film.

Je sais bien qu’il y a beaucoup de choses dans le film qui vont choquer des spectateurs. Pour ma part, je ne vois rien de choquant, parce que ce film parle de la réalité. Je ne suis pas le seul à la vivre, ni à la voir.

Qu’est ce qui vous a poussé à adapter votre roman au cinéma et à faire vos premiers pas dans le septième art ?

Déjà, le cinéma est une obsession énorme dans ma vie. Depuis l’adolescence, j’ai ce rêve à la fois naïf et sérieux d’en faire un jour. J’ai nourri un grand amour pour le cinéma égyptien qui était la seule culture à laquelle on avait accès au Maroc en tant que pauvres. Ces films qui passaient à la télévision nous ont énormément appris sur l’amour, par rapport à nous même et à la société. Cela m’a quasiment sauvé en tant qu’individu homosexuel, parce que j’ai trouvé une façon de construire un autre monde, et personne ne pouvait me dire que c’était mal.

Sinon mes références cinématographiques, en tant qu’adulte, sont la trilogie d’Apu de l’Indien Satyajit Ray, le cinéma de Rainer Werner Fassbinder pour son romantisme noir, son goût pour le mélodrame, sa critique de l’Allemagne et son regard a la fois subversif et très tendre sur l’homosexualité. Il y a aussi “Le Narcisse noir” de Michael Powell, qui a eu une influence directe sur “L’armée du Salut”.

Comment évolue le statut des homosexuels au Maroc ?

Les homosexuels n’existent toujours pas aux yeux de la société. La loi considérant toujours l’homosexualité comme un crime, ils peuvent aller en prison. Le regard social continue à être très dur et très castrateur envers eux.

Extrait de “L’Armée du salut”DR

En revanche, la presse marocaine a beaucoup changé son regard sur l’homosexualité. Par exemple, ils prennent ma défense et donnent la possibilité aux homosexuels de s’exprimer. Une revue s’adressant en arabe aux jeunes homosexuels a été créée par de jeunes homosexuels. De même, il existe aujourd’hui le mot “mithly”, qui a été inventé il y a à peine six ans pour désigner un homosexuel sans le juger. Et ce mot est en train d’être utilisé partout !

Ce qui ne bouge pas, c’est le pouvoir. Ça reste quand même impossible de faire son coming out au Maroc et dans le monde arabe. Le Maroc est plus avancé que les autres pays arabes sur cette question, parce qu’il y a au moins des débats, quelque chose qui a été initié dans la presse et dans les médias.

À la fin du film, on ressent la nostalgie du personnage principal, installé en Suisse, qui pleure en entendant une chanson marocaine. Que ressentez-vous aujourd’hui par rapport à votre pays d’enfance ?

Que j’ai une forte connexion avec mon pays de naissance, c’est sûr. J’aurai cela toute ma vie. J’ai vécu au Maroc 25 ans. Tout ce qui est marocain est en moi, en termes de culture, de violence, de sexualité, de folklore. Tout cela m’a nourri.

Mon sentiment est double. Je vois ce qui, dans ce pays, m’a empêché de devenir ce que je suis, de m’émanciper, de réfléchir. Je vois tout ce qui étouffe les gens. Mais ça n’altère pas mon sentiment très fort pour ce pays.

Être à Paris n’est pas non plus le paradis. Y vivre est dur, comme ailleurs. Il y a des rapports de pouvoir, de manipulation. Mais l’accès à la culture y est extraordinaire, même si on n’a pas d’argent. Et puis Paris permet aux gens, même ceux qui ne sont pas Français, de se battre, de se lancer dans quelque chose, de se dire “je vais y arriver”. Malgré les obstacles, le racisme, le fait d’être considéré comme des immigrés.

Êtes-vous musulman pratiquant ?

Je suis musulman libre, dans le sens culturel. Je défends complètement la laïcité. L’islam ne doit pas être politique. Mais je ne veux pas renier l’islam. Je me sens lié aux grands auteurs de la civilisation musulmane, aux grands philosophes, aux grands sociologues, aux grands poètes.

Je viens d’un monde où les gens ont besoin de se libérer de la religion. Mais si je passe mon temps à dénigrer ces gens-là, ce serait un mauvais service à leur rendre. Je dois au contraire affirmer et réaffirmer l’attachement que j’ai pour eux tout en étant ce que je suis.

Selon vous, il y a-t-il une place pour les homosexuels dans l’islam aujourd’hui ?

Bien sûr qu’il y a une place pour les homosexuels dans l’islam ! Le plus grand poète arabe est homosexuel, Abû Nouwâs. Il a écrit des poèmes où il chante l’amour des garçons. Donc cette place existe. Ceux qui ne veulent pas qu’elle existe ne gagneront pas. Pour moi, c’est une évidence.