Quand l’Église veut jouer dans mes culottes
Thursday, March 22nd, 2012Par: Roger-Luc Chayer
À peine quelques heures après sa nomination au poste d’Archevêque de Montréal, en remplacement de Monseigneur Jean-Claude Turcotte, Cardinal à la retraite, Monseigneur Christian Lépine se retrouve face à une controverse de taille, lui qui a prétendu par le passé qu’il pouvait transformer les gais en hétérosexuels. Je suis toujours fasciné par ces hommes d’Église, ces imams et ces rabbins qui, sous le prétexte de la foi et de leur morale, veulent jouer dans les culottes de leurs ouailles. Changer les gais en hétéros, juger les homosexuels et leur refuser les mêmes droits qu’au reste de la population, interdire aux femmes de se faire avorter suite à un viol, jouer au touche-pipi avec nos enfants quand ils sont en situation d’autorité… Ces exemples me fascinent car peu d’organisations se drapant d’une moralité biblique se mêlent autant de sexualité que l’Église, un paradoxe qui soulève de plus en plus de réactions de la part d’un public qui valorise et exige aujourd’hui la laïcité complète de la sphère publique.
Quelles sont les implications de telles déclarations sur les gais de la part de Monseigneur Lépine? La Charte québécoise des Droits et Libertés prévoit que toute discrimination basée sur l’orientation sexuelle est illicite et que cette discrimination est génératrice de dommages moraux. Quand l’Église catholique et son plus haut représentant à Montréal déclarent que l’on peut intervenir directement auprès de personnes homosexuelles pour les transformer en hétérosexuels, on cible directement une minorité protégée, sans distinction et on tente de crédibiliser cette thèse en invoquant la liberté de religion pour éviter évidemment les poursuites judiciaires basées sur l’atteinte d’un droit protégé par la Charte.
Or, la liberté de religion elle aussi est partie intégrante à la Charte québécoise, on mentionne d’ailleurs à l’article 3 : Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association. Mais cette garantie de liberté religieuse entre directement en conflit avec les articles 5 (Toute personne a droit au respect de sa vie privée), l’article 10 (Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle), l’article 10.1 (Nul ne doit harceler une personne en raison de l’un des motifs visés dans l’article 10), et l’article 11 (Nul ne peut diffuser, publier ou exposer en public un avis, un symbole ou un signe comportant discrimination ni donner une autorisation à cet effet).
La Charte prévoit certainement une protection pour l’Église qui souhaiterait convertir des fidèles à sa religion ou à ses croyances mais convertir la nature des humains, vouloir changer leur orientation sexuelle, n’est certainement pas ce qui était prévu par le législateur quand il a voté la loi en y introduisant une protection pour la liberté de religion.
Toute personne qui décide de ne pas pratiquer une religion est, elle aussi, protégée par cette même Charte car sa liberté de conscience est reconnue à l’article 3. Le refus par l’Église catholique montréalaise de reconnaître ce droit est certainement une situation qu’il serait intéressant de tester devant la Commission des Droits de la Personne dans le cadre d’une plainte.
Contactée sur cette question, la Commission hésite à donner son avis en l’absence de recours mais m’informe que règle générale, si une plainte devait être déposée contre Monseigneur Lépine et l’Archevêché de Montréal pour discrimination basée sur l’orientation sexuelle car les déclarations de l’Église quant à la possibilité de changer cette orientation visent un groupe social dans son ensemble, elle serait certainement recevable au stade initial. Est-ce qu’une personne de la communauté gaie montréalaise aura le courage et la détermination de porter ces propos devant la Commission? Ça reste à voir!