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Arrêt de la Cour Suprême du Canada dans les dossiers de criminalisation SIDA (Mabior)

Friday, October 5th, 2012

EXCLUSIF: La Cour Suprême du Canada fait jurisprudence et déclare qu’une personne séropositive dont la charge virale est faible ou indétectable n’a pas à déclarer à ses partenaires sexuels qu’elle est séropositive si elle utilise un condom,

contrairement à l’ancienne doctrine. Toutefois, elle confirme qu’une personne séropositive doit obligatoirement utiliser le condom. Elle ne se prononce toutefois pas sur une personne dont la charge virale est indétectable totalement sauf pour dire que les Tribunaux peuvent déterminer au cas par cas de la criminalité de ces personnes selon le contexte. https://csc.lexum.org/fr/2012/2012csc47/2012csc47.html
Voici le jugement intégral:

COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Mabior, 2012 CSC 47 Date : 20121005

Dossier : 33976

 

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Clato Lual Mabior

Intimé

- et -

Réseau juridique canadien VIH/sida, HIV & AIDS Legal Clinic Ontario,

Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida, Positive Living Society of British Columbia, Société canadienne du sida, Toronto People With AIDS Foundation, Black Coalition for AIDS Prevention, Réseau canadien autochtone du sida, Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique, Criminal Lawyers’ Association of Ontario, Association des avocats de la défense de Montréal et

Institut national de santé publique du Québec

Intervenants

 

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 110)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 


 


r. c. mabior

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Clato Lual Mabior Intimé

et

Réseau juridique canadien VIH/sida,

HIV & AIDS Legal Clinic Ontario, Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida, Positive Living Society of British Columbia, Société canadienne du sida, Toronto People With AIDS Foundation,

Black Coalition for AIDS Prevention, Réseau canadien autochtone du sida,

Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique,

Criminal Lawyers’ Association of Ontario,

Association des avocats de la défense de Montréal et

Institut national de santé publique du Québec Intervenants

Répertorié : R. c. Mabior

2012 CSC 47

No du greffe : 33976.

2012 : 8 février; 2012 : 5 octobre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.

en appel de la cour d’appel du manitoba

Droit criminel — Agression sexuelle grave — Consentement — Fraude — Omission de révéler la séropositivité — Accusé sous traitement aux antirétroviraux ayant des rapports sexuels protégés et non protégés tout en se sachant séropositif — La démarche établie dans R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371, demeure‑t‑elle valable pour déterminer si la fraude vicie le consentement aux rapports sexuels? — L’omission de révéler la séropositivité lorsqu’il n’existe aucune possibilité réaliste de transmission du VIH peut‑elle constituer une fraude viciant le consentement? — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 265(3)c), 268, 273.

M a été inculpé de neuf chefs d’agression sexuelle grave par suite de son omission d’informer les neuf plaignantes de sa séropositivité avant d’avoir des rapports sexuels avec elles (al. 265(3)c) et art. 273 C. cr.).  Aucune des plaignantes n’a contracté le VIH.  La juge du procès a déclaré M coupable de six des chefs d’accusation et l’a acquitté des trois autres au motif qu’avoir des rapports sexuels en utilisant un condom lorsque la charge virale est indétectable n’expose pas le partenaire sexuel à un « risque important de lésions corporelles graves » comme l’exige l’arrêt Cuerrier.  La Cour d’appel a modifié la décision, concluant qu’une faible charge virale ou l’utilisation du condom pouvait écarter tout risque important.  Dès lors, M ne pouvait être déclaré coupable que de deux chefs, et la Cour d’appel a inscrit des acquittements pour les quatre autres.  Le ministère public a interjeté appel de ces acquittements.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli en partie, et les déclarations de culpabilité pour agression sexuelle grave sont rétablies relativement aux plaignantes S.H., D.C.S. et D.H. Le pourvoi est rejeté en ce qui concerne la plaignante K.G.

Dans l’arrêt Cuerrier, notre Cour établit que l’omission de révéler sa séropositivité peut constituer une fraude viciant le consentement aux relations sexuelles pour l’application de l’al. 265(3)c) C. cr. Étant donné que le VIH présente un risque de lésions corporelles graves, l’infraction applicable est celle d’agression sexuelle grave (art. 273 C. cr.).  Pour obtenir une déclaration de culpabilité sous le régime de l’al. 265(3)c) et de l’art. 273, le ministère public doit démontrer, hors de tout doute raisonnable, que le consentement du plaignant aux relations sexuelles est vicié par la fraude de l’accusé concernant sa séropositivité.  Le critère exige essentiellement deux choses : (1) un acte malhonnête (le mensonge sur l’état de santé ou l’omission de révéler la séropositivité) et (2) la privation (d’éléments d’information qui auraient causé le refus du plaignant d’avoir des relations sexuelles l’exposant à un risque important de lésions corporelles graves).  L’omission de révéler peut constituer une fraude lorsque le plaignant n’aurait pas donné son consentement s’il avait su que l’accusé était séropositif et lorsqu’un contact sexuel présente un risque important de lésions corporelles graves ou inflige effectivement de telles lésions.

Le critère issu de l’arrêt Cuerrier fait l’objet de deux critiques principales.  Premièrement, on lui reproche son caractère incertain en ce qu’il ne permet pas de départager clairement actes criminels et actes non criminels. Deuxièmement, il confère au droit criminel une portée soit trop grande, soit trop restreinte (le problème de la portée). Bien qu’il puisse être difficile à appliquer, le critère de l’arrêt Cuerrier demeure valable sur le plan des principes.  Il circonscrit avec justesse la portée du droit criminel — réprimer les actes qui exposent à un « risque important de lésions corporelles graves ». La notion de consentement qui le sous‑tend s’inspire de la sagesse de la common law (qui s’abstient de criminaliser toute tromperie incitant à consentir à un rapport sexuel) tout en accordant une grande importance au consentement.

L’exigence d’un « risque important de lésions corporelles graves » formulée dans l’arrêt Cuerrier doit être interprétée comme obligeant une personne à révéler sa séropositivité lorsqu’il existe une possibilité réaliste de transmission du VIH. Cette interprétation est étayée par l’évolution de la common law et des lois en matière de fraude viciant le consentement aux relations sexuelles. Elle est en outre dans le droit fil des valeurs d’autonomie et d’égalité de la Charte qui ont pour effet de protéger le droit de chacun de consentir ou non à des rapports sexuels avec une personne en particulier.  Aussi, cette interprétation tient dûment compte de la nature du préjudice causé par la transmission du VIH et elle ne place la barre ni trop haut ni trop bas pour qu’il puisse y avoir déclaration de culpabilité.  En l’absence de possibilité réaliste de transmission du VIH, l’omission de dévoiler sa séropositivité ne constitue pas une fraude viciant le consentement aux relations sexuelles pour l’application de l’al. 265(3)c).

Il appert généralement de la preuve admise au procès que la possibilité réaliste de transmission du VIH n’est pas établie dans la mesure où, (i) au moment considéré, la charge virale de l’accusé était faible et (ii) un condom a été utilisé.  Cet énoncé général n’empêche pas la common law de s’adapter aux futures avancées thérapeutiques et aux circonstances où des facteurs de risque différents sont en cause.

En l’espèce, les quatre plaignantes ont toutes consenti aux rapports sexuels avec M et témoigné qu’elles n’auraient pas eu ces rapports si elles avaient su que M était séropositif.  Il y a eu pénétration vaginale et éjaculation lors des rapports sexuels avec les quatre plaignantes.  Lors de ses relations sexuelles avec S.H., D.C.S. et D.H., M avait une charge virale faible, mais il n’a pas utilisé de condom. Les déclarations de culpabilité doivent donc être confirmées dans ces cas.  En ce qui concerne K.G., le dossier révèle que la charge virale de M était faible.  Combinée à l’utilisation du condom, cette charge virale faible n’a pas exposé K.G. à un risque important de lésions corporelles graves. Par conséquent, la déclaration de culpabilité prononcée dans ce cas doit être annulée.

Jurisprudence

Arrêt appliqué : R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371; arrêts mentionnés : R. c. D.C., 2012 CSC 48; Proprietary Articles Trade Association c. Attorney‑General for Canada, [1931] A.C. 310; Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1, conf. par [1951] A.C. 179; Lord’s Day Alliance of Canada c. Attorney General of British Columbia, [1959] R.C.S. 497; La Reine c. Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; Boggs c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 49; Skoke‑Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106; R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60; R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49; The Queen c. Clarence (1888), 22 Q.B.D. 23; R. c. Flattery (1877), 13 Cox C.C. 388; R. c. Dee (1884), 15 Cox C.C. 579; R. c. Bennett (1866), 4 F. & F. 1105, 176 E.R. 925; R. c. Sinclair (1867), 13 Cox C.C. 28; Hegarty c. Shine (1878), 14 Cox C.C. 124, conf. par 14 Cox C.C. 145; Papadimitropoulos c. The Queen (1957), 98 C.L.R. 249; R. c. Harms (1943), 81 C.C.C. 4; Bolduc c. The Queen, [1967] R.C.S. 677; R. c. Petrozzi (1987), 35 C.C.C. (3d) 528; R. c. Lee (1991), 3 O.R. (3d) 726; R. c. Ssenyonga (1993), 81 C.C.C. (3d) 257; State c. Marcks, 41 S.W. 973 (1897) et 43 S.W. 1095 (1898); State c. Lankford, 102 A. 63 (1917); United States c. Johnson, 27 M.J. 798 (1988); United States c. Dumford, 28 M.J. 836 (1989); R. c. Maurantonio, [1968] 1 O.R. 145; R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248; R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330; R. c. B., [2006] EWCA Crim 2945, [2007] 1 W.L.R. 1567; R. c. Mwai, [1995] 3 N.Z.L.R. 149; R. c. Find, 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863; R. c. Spence, 2005 CSC 71, [2005] 3 R.C.S. 458; Twining c. Morrice (1788), 2 Bro. C.C. 326, 29 E.R. 182; Conolly c. Parsons (1797), 3 Ves. 625n; Walters c. Morgan (1861), 3 De G. F. & J. 718, 45 E.R. 1056; R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72; R. c. Jones, 2002 NBQB 340, [2002] N.B.J. No. 375 (QL); R. c. J.A.T., 2010 BCSC 766 (CanLII).

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, art. 7.

Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 265, 268, 271(1), 273.

Code criminel, 1892, S.C. 1892, ch. 29, art. 259b), 266.

Crimes Act 1958 (Vic.), art. 22, 23.

Crimes Act 1961 (N.‑Z.), 1961, No. 43, art. 145, 188(2).

Criminal Code Act (N.T.), art. 174C, 174D.

Criminal Law Consolidation Act 1935 (S.A.), art. 29.

Loi modifiant le Code criminel en matière d’infractions sexuelles et d’autres infractions contre la personne et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 125, art. 19.

Offences against the Person Act, 1861 (R.‑U.), 24 & 25 Vict., ch. 100, art. 18, 20.

Doctrine et autres documents cités

Bingham, Tom.  The Rule of Law.  London : Allen Lane, 2010.

Boily, Marie‑Claude, et al. « Heterosexual risk of HIV‑1 infection per sexual act : systematic review and meta‑analysis of observational studies » (2009), 9 Lancet Infect. Dis. 118.

Burris, Scott, et al. « Do Criminal Laws Influence HIV Risk Behavior?  An Empirical Trial » (2007), 39 Ariz. St. L.J. 467.

Cohen, Myron S., et al. « Prevention of HIV‑1 Infection with Early Antiretroviral Therapy » (2011), 365 New Eng. J. Med. 493.

Grant, Isabel.  « The Prosecution of Non‑disclosure of HIV in Canada : Time to Rethink Cuerrier » (2011), 5 R.D.S.M. 7.

Leigh, L. H.  « Two cases on consent in rape » (2007), 5 Arch. News 6.

Nightingale, Brenda L.  The Law of Fraud and Related Offences. Scarborough, Ont. : Carswell, 1996 (loose‑leaf updated 2011, release 3).

Wainberg, Mark A.  « Criminalizing HIV transmission may be a mistake » (2009), 180 J.A.M.C. 688.

Weller, Susan C., and Karen Davis‑Beaty.  « Condom effectiveness in reducing heterosexual HIV transmission » (2002), 1 Cochrane Database Syst. Rev. CD003255.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (les juges Steel, MacInnes et Beard), 2010 MBCA 93, 258 Man. R. (2d) 166, 261 C.C.C. (3d) 520, 79 C.R. (6th) 1, [2011] 2 W.W.R. 211, [2010] M.J. No. 308 (QL), 2010 CarswellMan 587, qui a annulé des déclarations de culpabilité d’agression sexuelle grave inscrites par la juge McKelvey, 2008 MBQB 201, 230 Man. R. (2d) 184, [2008] M.J. No. 277 (QL), 2008 CarswellMan 406.  Pourvoi accueilli en partie.

Elizabeth Thomson et Ami Kotler, pour l’appelante.

Amanda Sansregret et Corey La Berge, pour l’intimé.

Jonathan Shime, Corie Langdon, Richard Elliott et Ryan Peck, pour les intervenants le Réseau juridique canadien VIH/sida, HIV & AIDS Legal Clinic Ontario, la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida, Positive Living Society of British Columbia, la Société canadienne du sida, Toronto People With AIDS Foundation, Black Coalition for AIDS Prevention et le Réseau canadien autochtone du sida.

Michael A. Feder et Angela M. Juba, pour l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique.

P. Andras Schreck et Candice Suter, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario.

François Dadour, pour l’intervenante l’Association des avocats de la défense de Montréal.

Lucie Joncas et François Côté, pour l’intervenant l’Institut national de santé publique du Québec.

 

Version française du jugement de la Cour rendu par

 

La Juge en chef —

I. Aperçu

[1]           Le présent pourvoi soulève la question de savoir si une personne porteuse du VIH qui a des relations sexuelles sans révéler sa séropositivité commet une agression sexuelle grave.

[2]           La personne qui a des rapports sexuels avec une autre sans le consentement de cette dernière commet une agression sexuelle suivant l’art. 265 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46.  Dans l’arrêt R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371, la Cour établit que l’omission d’informer le partenaire de sa séropositivité peut constituer une fraude viciant le consentement.  Étant donné que le VIH présente un risque de lésions corporelles graves, l’infraction applicable est celle d’agression sexuelle grave, dont la perpétration rend passible de la peine maximale d’emprisonnement à perpétuité (Cuerrier, au par. 95; art. 265, 268 et 273 du C. cr.).

[3]           Bien que l’arrêt Cuerrier définisse les éléments fondamentaux de l’infraction, les circonstances précises dans lesquelles l’omission de révéler sa séropositivité vicie le consentement et fait de l’activité sexuelle un acte criminel demeurent floues.  Les parties demandent à notre Cour de les clarifier.

[4]           Je conclus qu’une personne peut être déclarée coupable d’agression sexuelle grave en application de l’art. 273 du Code criminel lorsqu’elle omet de révéler sa séropositivité avant d’avoir des rapports sexuels et qu’il existe une possibilité réaliste qu’elle transmette le VIH.  Lorsque la charge virale de la personne séropositive est faible en raison d’un traitement et qu’il y a utilisation du condom, la condition de la possibilité réaliste de transmission n’est pas remplie, au vu de la preuve qui figure au dossier.

II. Contexte

[5]           L’intimé, M. Mabior, habitait Winnipeg et, chez lui, on faisait beaucoup la fête.  Les gens entraient et sortaient, y compris de nombreuses jeunes femmes.  L’alcool et la drogue abondaient.  À l’occasion, M. Mabior avait des relations sexuelles avec ses jeunes invitées, dont les neuf plaignantes en l’espèce.

[6]           M. Mabior n’a pas informé les plaignantes de sa séropositivité avant d’avoir des rapports sexuels avec elles; au contraire, il a dit à l’une d’elles qu’il n’avait aucune MTS.  Parfois, il enfilait un condom, d’autres fois non.  Il arrivait qu’un condom se brise ou soit retiré, et dans certains cas la nature précise de la protection n’est pas claire.  Huit des neuf plaignantes ont témoigné qu’elles n’auraient pas consenti aux rapports sexuels si elles avaient su que M. Mabior était séropositif.  Aucune n’a contracté le VIH.

[7]           M. Mabior a été inculpé de neuf chefs d’agression sexuelle grave (et autres infractions connexes) au motif qu’il a omis de révéler aux plaignantes sa séropositivité.  En défense, il a présenté des éléments de preuve selon lesquels il suivait un traitement et n’était pas infectieux ou ne présentait qu’un faible risque d’infection aux moments considérés.

[8]           La juge du procès a déclaré M. Mabior coupable de six chefs d’agression sexuelle grave (2008 MBQB 201, 230 man. R. (2d) 184).  Elle l’a acquitté des trois autres chefs au motif qu’avoir des rapports sexuels en utilisant un condom lorsque sa charge virale est indétectable n’expose pas le partenaire sexuel à un « risque important de lésions corporelles graves » comme l’exige l’arrêt Cuerrier.

[9]           M. Mabior a fait appel des six déclarations de culpabilité; le ministère public n’a pas interjeté appel des trois acquittements.  La Cour d’appel du Manitoba a modifié la décision de la juge du procès, concluant qu’une faible charge virale ou l’utilisation du condom (l’une ou l’autre) pouvait écarter tout risque important (2010 MBCA 93, 258 Man. R. (2d) 166).  Dès lors, M. Mabior ne pouvait être déclaré coupable que de deux chefs, et la Cour d’appel a inscrit des acquittements pour les quatre autres.  Le ministère public interjette appel de ces acquittements.  M. Mabior ne forme pas d’appel incident à l’encontre des deux déclarations de culpabilité confirmées par la Cour d’appel.

III. Les dispositions législatives

[10]        Les articles 265 et 273 du Code criminel disposent :

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

a)  d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

. . .

(2) Le présent article s’applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles . . . et les agressions sexuelles graves.

(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison :

. . .

c)  . . . de la fraude.

273. (1) Commet une agression sexuelle grave quiconque, en commettant une agression sexuelle, blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger.

(2) Quiconque commet une agression sexuelle grave est coupable d’un acte criminel passible :

. . .

b)  dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

IV. Les questions en litige

[11]        Les questions en litige sont les suivantes.

A. Que faut‑il entendre par « fraude » viciant le consentement à une activité sexuelle pour l’application de l’al. 265(3)c) du Code criminel?

(1) Difficultés découlant de l’interprétation actuelle de la « fraude » viciant le consentement :

a) l’incertitude;

b) la portée.

(2) Considérations présidant à l’interprétation :

a) les objectifs du droit criminel;

b) l’évolution de la fraude viciant le consentement aux relations sexuelles dans la common law et dans la loi;

c) les valeurs consacrées par la Charte;

d) la situation dans les autres ressorts de common law.

(3) Recherche d’une solution :

a) la tromperie active;

b) l’obligation absolue de révéler;

c) la prise en compte des faits de chaque espèce;

d) la connaissance d’office;

e) la distinction fondée sur la nature du lien entre les personnes;

f) la notion de partenaire raisonnable;

g) faire évoluer la common law.

(4) Possibilité réaliste de transmission du VIH.

V. Analyse

A. Que faut‑il entendre par « fraude » viciant le consentement à l’activité sexuelle pour l’application de l’al. 265(3)c) du Code criminel?

(1) Difficultés découlant de l’interprétation actuelle de la « fraude » viciant le consentement

[12]        Il y a quatorze ans, dans l’arrêt Cuerrier, notre Cour s’est penchée sur la notion de « fraude » visée à l’al. 265(3)c).  Le critère qu’ont établi les juges majoritaires peut être formulé de différentes manières, mais il exige essentiellement deux choses : (1) un acte malhonnête (le mensonge sur l’état de santé ou l’omission de révéler sa séropositivité) et (2) la privation (d’éléments d’information qui auraient causé le refus du plaignant d’avoir des relations sexuelles l’exposant à un risque important de lésions corporelles graves).

[13]        Les parties et la Cour d’appel du Manitoba en l’espèce, de même que la Cour d’appel du Québec dans le pourvoi connexe R. c. D.C., 2012 CSC 48, nous invitent à revoir le critère issu de l’arrêt Cuerrier.  Ce critère fait l’objet de deux critiques principales.  Premièrement, on lui reproche son caractère incertain en ce qu’il ne permet pas de départager clairement actes criminels et actes non criminels (d’où l’incertitude).  Deuxièmement, il conférerait au droit criminel une portée soit trop grande, soit trop restreinte (le problème de la portée).

[14]        Examinons d’abord le caractère incertain imputé au critère de l’arrêt Cuerrier.  L’une des exigences fondamentales de la règle de droit veut qu’une personne puisse savoir qu’un acte est criminel avant de l’accomplir.  La règle de droit exige que les lois délimitent à l’avance ce qui est permis et ce qui est interdit : lord Bingham, The Rule of Law (2010).  Condamner une personne pour un acte dont elle ne pouvait raisonnablement savoir qu’il était criminel est digne de l’univers kafkaïen et va à l’encontre de notre conception de la justice.  La condamnation d’un acte après coup est contraire au concept de liberté consacré à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et elle répugne au système de justice canadien.

[15]        Le critère de l’arrêt Cuerrier se révèle incertain sur deux points : ce qu’il faut entendre par « risque important » et ce en quoi consistent les « lésions corporelles graves ».  Il s’agit de termes généraux susceptibles d’être interprétés différemment par différentes personnes.

[16]        S’agissant de la notion de « risque important », certains affirment que tout risque de lésions corporelles graves est pour ainsi dire important.  D’autres font valoir que pour être important le risque doit atteindre un degré élevé.  Les tenants de l’une et l’autre thèses invoquent des données statistiques.  Un risque de 1 % est‑il « important »?  Doit‑on plutôt fixer la barre à 10 % ou à 51 %, et pourquoi pas à 0,01 %?  Comment le poursuivant peut‑il le déterminer, et le juge trancher?  Et dans la mesure où ni les poursuivants, ni les avocats de la défense, ni les juges ne sont fixés sur ce point, comment le citoyen canadien ordinaire peut‑il s’y retrouver?  À cette incertitude fondamentale s’ajoute une multitude de variables susceptibles d’influer sur le risque réel d’infection.

[17]        On s’est aussi interrogé sur l’exigence d’un risque de « lésions corporelles graves ».  Certaines maladies transmissibles sexuellement (« MTS ») n’occasionnent guère plus qu’un inconfort temporaire qui peut être traité.  Or, même cet inconfort, tant qu’il persiste, peut être grave du point de vue de la victime.  D’autres MTS, comme le VIH, sont extrêmement graves, s’accompagnant de symptômes permanents et invalidants et entraînant parfois la mort.  Il existe entre ces deux pôles de nombreuses autres MTS, certaines plus débilitantes que d’autres.  Lesquelles sont suffisamment graves pour commander l’application du droit criminel?  L’arrêt Cuerrier n’offre pas de réponse claire.

[18]        L’incertitude inhérente aux notions de risque important et de lésions corporelles graves est d’autant plus grande que ces notions sont interreliées.  On fait valoir que plus la nature du préjudice est grave, moins la probabilité de transmission doit être grande pour qu’il y ait risque important de lésions corporelles graves.  Il ne s’agit donc pas d’une simple question de pourcentage de risque et de gravité de la maladie possible.  C’est l’interrelation entre les deux qui importe.

[19]        Dès lors, on se retrouve aux prises avec des calculs complexes qui empêchent souvent de savoir à l’avance si un acte donné constitue ou non un acte criminel pour les besoins de l’al. 265(3)c).  La seconde grande critique dont fait l’objet le critère de l’arrêt Cuerrier concerne sa portée.  Une interprétation trop large risque de criminaliser un acte malgré l’absence du degré de culpabilité morale et du risque de causer préjudice à autrui qui justifient l’application de la sanction la plus grave du droit criminel.  La déclaration de culpabilité assortie d’une peine d’emprisonnement, sans compter les stigmates qui s’y rattachent, est la sanction la plus grave que la loi puisse infliger, et on la réserve généralement à l’auteur d’un acte hautement coupable, un acte perçu comme préjudiciable à la société, répréhensible et inacceptable.  Elle requiert à la fois un acte coupable — l’actus reus — et une intention coupable — la mens rea — dont les paramètres doivent être clairement définis par la loi.

(2) Considérations présidant à l’interprétation

[20]        Fondamentalement, pour interpréter une disposition législative, il faut déterminer quelle était l’intention du législateur, ce qui requiert d’examiner le libellé en cause à la lumière de l’historique, du contexte et de l’objet de la disposition.

[21]        À première vue, le libellé de l’al. 265(3)c) ne renseigne guère sur le sens qu’entendait donner le législateur au mot « fraude », une notion empruntée à la common law.

[22]        Quatre considérations président à l’interprétation de la « fraude » viciant le consentement aux relations sexuelles : a) les objectifs du droit criminel, b) l’évolution de la notion dans la common law et dans la loi, c) les valeurs consacrées par la Charte, en particulier l’égalité, l’autonomie, la liberté, le droit à la vie privée et la dignité humaine, de même que d) la situation dans les autres ressorts de common law.  J’examine chacune de ces considérations successivement.

a) Les objectifs du droit criminel

[23]        L’interprétation de la fraude viciant le consentement aux relations sexuelles doit favoriser la réalisation des objectifs du droit criminel, notamment la détection, la prévention et la répression de la conduite criminelle, laquelle est constituée d’un acte fautif et d’une intention coupable.  La moralité imprègne le droit criminel, mais le législateur n’entend pas criminaliser toute forme d’immoralité.  L’objet principal du droit criminel est la réprobation publique d’actes fautifs en ce qu’ils portent atteinte à l’ordre public et sont si répréhensibles qu’ils justifient une sanction pénale : Proprietary Articles Trade Association c. Attorney‑General for Canada, [1931] A.C. 310; Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1, conf. dans [1951] A.C. 179; Lord’s Day Alliance c. Attorney‑General of British Columbia, [1959] R.C.S. 497; La Reine c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; Boggs c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 49; Skoke‑Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106.

[24]        Le droit établit une nette distinction entre la faute civile et la faute criminelle.  La conduite criminelle exige à la fois un acte fautif et une intention coupable.  Elle requiert un « haut degré de négligence » : R. c. Roy, 2012 CSC 20, [2012] 2 R.C.S. 60, au par. 32.  Comme le dit la juge Charron au nom des juges majoritaires dans l’arrêt R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, au par. 34 :

S’il faut considérer comme une infraction criminelle chaque écart par rapport à la norme civile, quelle qu’en soit la gravité, on risque de ratisser trop large et de qualifier de criminelles des personnes qui en réalité ne sont pas moralement blâmables.  Une telle approche risque de porter atteinte au principe de justice fondamentale voulant qu’une personne moralement innocente ne doive pas être privée de sa liberté.

Les conséquences éventuelles d’une déclaration de culpabilité d’agression sexuelle grave — qui peuvent aller jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité — font ressortir l’importance d’interpréter l’al. 265(3)c) du Code criminel en mettant l’accent sur le caractère moralement blâmable de la conduite en cause.

b) La common law et l’historique législatif de la fraude viciant le consentement aux relations sexuelles

[25]        On relève trois périodes dans l’histoire de la common law en ce qui a trait à la fraude viciant le consentement aux relations sexuelles.  Dans un premier temps, les tribunaux ont estimé que l’omission d’une personne de révéler à un partenaire qu’elle était atteinte d’une grave maladie transmissible sexuellement pouvait constituer une telle fraude, et la personne fautive pouvait être reconnue coupable de viol ou de voies de fait.  Dans la décision The Queen c. Clarence (1888), 22 Q.B.D. 23, le tribunal a mis fin à ce courant et statué qu’il ne pouvait y avoir fraude qu’en cas de tromperie sur la nature sexuelle de l’acte ou sur l’identité du partenaire masculin.  Après maintes années d’application de la Charte, le retour à une conception plus large de la fraude viciant le consentement s’impose.

[26]        Les premières décisions rendues sur la question dont nous sommes aujourd’hui saisis résultent d’une interprétation extensive de la notion de consentement aux rapports sexuels, à savoir qu’un partenaire sexuel (toujours une femme à l’époque) était en droit de refuser un rapport sexuel et que son consentement ne devait pas être obtenu par la tromperie.  Les tribunaux privilégiaient alors une interprétation souple de la « fraude » viciant le consentement aux relations sexuelles.  Sans tenter de la définir, ils se montraient disposés à ce que la notion englobe les éléments fondamentaux du rapport sexuel.

[27]        Par exemple, dans R. c. Flattery, (1877) 13 Cox C.C. 388 (C.A.), une déclaration de culpabilité de viol a été confirmée dans le cas d’un exploitant de kiosque qui, lors d’une foire, avait eu des rapports sexuels avec une jeune femme de 19 ans en prétendant qu’il s’agissait d’un traitement médical.  La cour a statué que le consentement de la victime au contact physique avec l’accusé avait été vicié par la fraude, la victime n’ayant consenti qu’à une intervention chirurgicale, et non à un acte sexuel.

[28]        De même, il appert des premières décisions fondées sur la common law que l’usurpation de l’identité de l’époux — prétendre faussement être le mari de la victime — pouvait constituer une fraude viciant le consentement.  Dans R. c. Dee (1884), 15 Cox C.C. 579 (Ir.), le juge O’Brien ne laisse subsister aucun doute sur ce point :

[traduction]  Cela nous ramène à la question de ce en quoi consiste légalement le crime de viol.  C’est l’atteinte à l’intégrité physique d’une femme sans son consentement, et je ne vois aucune différence réelle entre l’acte commis sans son consentement et celui commis contre sa volonté, celui‑ci correspondant à la formulation de l’acte d’accusation, bien que lord Campbell fasse cette distinction, ou encore entre le refus du consentement et l’opposition.  Le consentement obtenu par le recours à la force ou à la tromperie, ou qui résulte de la crainte, de l’incapacité ou d’un état naturel n’en est pas un.  Le consentement doit viser non pas l’acte, mais l’acte avec la personne en cause — non dans l’abstrait, mais dans la réalité. . . . [p. 598]

[29]        Dans R. c. Bennett (1866), 4 F & F 1105, 176 E.R. 925, on a eu recours à un raisonnement semblable pour conclure que la dissimulation d’une maladie vénérienne équivalait à une fraude viciant le consentement :

[traduction]  Les voies de fait sont visées par la règle selon laquelle la fraude vicie le consentement, et par conséquent, si l’accusé, qui savait qu’il avait cette maladie honteuse, a incité sa nièce à coucher avec lui dans le but de la posséder, et l’a infectée alors qu’elle ignorait son état, tout consentement qu’elle peut avoir donné sera vicié, et l’accusé sera coupable d’attentat à la pudeur.  [p. 925]

[30]        Également, dans R. c. Sinclair (1867), 13 Cox C.C. 28, la Central Criminal Court conclut à la fraude viciant le consentement dans une affaire où l’accusé avait omis de révéler qu’il avait la gonorrhée.  Elle statue que dans le cas où la plaignante [traduction] « n’aurait pas donné son consentement si elle avait connu ce fait, son consentement est vicié par la tromperie dont elle a été victime, et l’accusé sera déclaré coupable de voies de fait » (p. 29).

[31]        Ces décisions se caractérisaient par une interprétation généreuse du consentement et des circonstances où la tromperie pouvait le vicier, une interprétation qui reconnaissait aux femmes en cause le droit de décider d’avoir ou non des rapports sexuels.  Toutefois, elles ont rapidement été écartées par une série de jugements qui ont débouché sur la décision Clarence.  La lecture des motifs rendus dans ces affaires nous fait plonger dans un univers étranger à notre sensibilité actuelle, celui de la moralité victorienne.

[32]        La décision qui amorce le changement de cap est Hegarty c. Shine (1878), 14 Cox C.C. 124 (H.C.J. Ir. (Q.B.D.)), une instance engagée au civil pour voies de fait.  Le maître des lieux, M. Shine, avait eu des relations sexuelles avec sa domestique pendant deux ans. Celle‑ci était devenue enceinte, puis avait donné naissance à un enfant.  La mère et l’enfant avaient contracté la syphilis.  La cour rejette l’action contre M. Shine sur le fondement de la règle ex turpi causa non oritur actio, la demanderesse étant victime de sa propre immoralité, que la loi ne pouvait approuver.  Au sujet de la fraude, les juges majoritaires opinent que cette notion ne s’applique qu’à l’erreur quant à la nature sexuelle de l’acte : [traduction] « dans la présente affaire, la défenderesse a activement consenti à la chose même, c’est‑à‑dire aux rapports sexuels, en ayant pleinement connaissance et conscience de la nature de l’acte » (p. 130).  La cour d’appel ((1878), 14 Cox C.C. 145) confirme que seule la tromperie sur la nature de l’acte peut vicier le consentement.  Elle déplore le triste sort fait à la victime, mais conclut que la loi n’y peut rien.

[33]        La décision Clarence marque la rupture définitive avec l’interprétation antérieure — plus extensive — de la fraude.  Elle confirme que la fraude ne peut vicier le consentement aux relations sexuelles que si la plaignante est trompée quant à la nature sexuelle de l’acte ou à l’identité de l’homme.  Dans cette affaire, les faits étaient simples et il s’agissait d’un couple marié.  Le mari n’avait pas dit à sa femme qu’il avait la gonorrhée et il la lui avait transmise.  Il a été accusé de voies de fait et d’infliction illicite de lésions corporelles.

[34]        Le fait que treize juges ont entendu l’affaire montre l’importance accordée à celle‑ci.  Ils statuent à raison de neuf contre quatre en faveur de l’acquittement du mari.  Les juges majoritaires estiment qu’on a jusqu’alors interprété trop largement la notion de fraude dans le contexte de relations sexuelles, et qu’il faut en limiter l’application aux situations où la plaignante a été trompée sur la nature sexuelle de l’acte ou sur l’identité de l’homme.  Dès lors s’est appliquée pendant près de cent ans la règle selon laquelle la fraude ne vicie le consentement aux rapports sexuels que si elle a trait à la « nature sexuelle de l’acte » ou à l’identité du partenaire sexuel.

[35]        L’opinion du juge Stephen résume le point de vue des juges majoritaires dans Clarence.  Il conclut que l’infraction d’infliction illicite de lésions corporelles ne pouvait avoir été perpétrée en l’espèce.  Le mari avait certes agi illicitement — infecter son épouse étant cruel et susceptible de prouver l’adultère, les dispositions sur le mariage l’interdisaient —, mais on ne pouvait affirmer qu’il avait infligé des lésions corporelles graves.  En effet, on considérait que l’« infliction de lésions corporelles graves » devait comporter une agression physique.  Le juge Stephen arrive à la conclusion que communiquer une maladie à autrui n’équivaut pas à l’agresser physiquement.

[36]        Le juge Stephen examine ensuite la question de l’obtention de relations sexuelles par la fraude.  Il estime que la seule fraude susceptible de vicier le consentement aux rapports sexuels est celle touchant à la nature des rapports ou à l’identité du partenaire sexuel.  La victime qui savait que l’acte était sexuel et qui n’a pas été trompée sur l’identité de son partenaire ne peut prétendre avoir été trompée ni soutenir que son « consentement » a été obtenu frauduleusement.  Le juge Stephen ajoute brièvement que ni R.c. Bennett ni R.c. Sinclair ne s’appliquent.

[37]        Le baron Pollock, également de la majorité, ajoute dans ses motifs que l’activité sexuelle d’un mari avec sa femme ne saurait être illicite (p. 63‑64).  Le mari possède des droits conjugaux sur sa femme, ce à quoi cette dernière a consenti en l’épousant.  Une fois mariée, l’épouse ne peut se soustraire aux exigences de son mari.  Suivant le raisonnement du baron Pollock, comme les actes sexuels entre époux sont licites, ceux accomplis par le mari, même lorsqu’ils revêtent un caractère cruel, doivent être tenus pour licites.

[38]        Le critère de l’arrêt Clarence a été reconnu dans tous les ressorts de common law et s’est appliqué jusqu’à une époque récente.  Une décision de 1957 de la Haute Cour d’Australie, Papadimitropoulos c. The Queen, (1957), 98 C.L.R. 249, illustre la rigueur de son application.  L’accusé avait incité la plaignante à avoir des rapports sexuels avec lui en lui faisant croire qu’ils étaient légalement mariés.  Il a été acquitté de l’accusation de viol.  La cour résume ainsi la règle :

[traduction]  L’affirmation selon laquelle elle a supposé qu’il était parfaitement moral d’avoir des relations sexuelles avec lui ne revient pas à dire qu’il n’y a pas eu consentement.  Pour revenir au point central, le viol consiste dans l’union charnelle avec une femme sans son consentement.  L’union charnelle s’entend de l’acte physique de la pénétration.  C’est le consentement à cet acte qui est requis.  Un tel consentement exige la connaissance de ce qui est sur le point de se produire, de l’identité de l’homme et de la nature de ce qu’il fait.  Mais dès lors que la personne consent véritablement et en toute connaissance, ce qui l’y a incité ne peut annuler la réalité du consentement et rendre l’homme coupable de viol.  [Je souligne; p. 261.]

[39]        Les opinions exprimées par les juges majoritaires dans Clarence ont trouvé écho dans le premier Code criminel canadien en 1892 (S.C. 1892, ch. 29).  Le législateur a défini strictement la fraude en matière de viol et d’attentat à la pudeur de manière qu’elle ne s’entende que des « fausses et frauduleuses représentations à l’égard de la nature et du caractère de l’acte » : al. 259b) et art. 266.  Le législateur donnait ainsi suite aux préoccupations des juges majoritaires dans Clarence.  Il n’y avait tromperie qu’en présence de « fausses et frauduleuses représentations » par opposition à la seule dissimulation, et l’objet de la fraude se limitait à la « nature et [au] caractère de l’acte ».  En conséquence, les tribunaux canadiens ont considéré que la décision Clarence établissait le droit applicable et ils ont continué de considérer que seule la fraude active quant à la nature de l’acte (son caractère sexuel) ou à l’identité du partenaire sexuel constituait une fraude viciant le consentement aux relations sexuelles : voir p. ex. R. c. Harms (1943), 81 C.C.C. 4 (C.A. Sask.); Bolduc c. The Queen, [1967] R.C.S. 677.

[40]        En 1983, le législateur a modifié le Code criminel pour créer l’actuel al. 265(3)c) : S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 125, art. 19.  La mesure s’inscrivait dans une réforme en profondeur du régime applicable aux infractions sexuelles en vue, notamment, de protéger l’intégrité de la personne et de purger le droit criminel de toute discrimination sexuelle.  La nouvelle disposition renvoyait seulement à la « fraude », laissant tomber les éléments « fausses et frauduleuses représentations » et « la nature et le caractère de l’acte » qui en limitaient la portée.  On pouvait certes y voir l’intention du législateur d’élargir la notion de « fraude », mais les tribunaux ont continué à interpréter cette notion restrictivement : voir R. c. Petrozzi (1987), 35 C.C.C. (3d) 528 (C.A.C.‑B.); R. c. Lee (1991), 3 O.R. (3d) 726 (Div. gén.); R. c. Ssenyonga (1993), 81 C.C.C. (3d) 257 (C. de l’Ont. (Div. gén.)).

[41]        À l’occasion, les tribunaux ont adopté une approche plus généreuse à l’égard des circonstances dans lesquelles la fraude pouvait vicier le consentement aux relations sexuelles.  Par exemple, les tribunaux américains se sont montrés plus enclins à déclarer l’accusé coupable de voies de fait ou de viol dans des circonstances semblables à celles de l’affaire Clarence : State c. Marcks, 41 S.W. 973 (1897), à la p. 973, et 43 S.W. 1095 (1898), aux p. 1097 et 1098; State c. Lankford, 102 A. 63 (Del. Ct. Gen. Sess., 1917), à la p. 64; United States c. Johnson, 27 M.J. 798 (A.F.C.M.R. 1988), à la p. 804; United States c. Dumford, 28 M.J. 836 (A.F.C.M.R. 1989, à la p. 839).  Au Canada, dans l’arrêt R. c. Maurantonio, [1968] 1 O.R. 145 (C.A.), le juge Hartt (ad hoc) conclut que [traduction] « les mots “la nature et le caractère de l’acte” . . . ne doivent pas être interprétés strictement et ne viser que l’acte concret accompli, mais doivent plutôt être interprétés comme englobant les circonstances concomitantes qui donnent un sens à cet acte » (p. 153).  Ce courant était cependant minoritaire.

[42]        Les affaires recensées ne sont évidemment pas nombreuses, ce qui s’explique par la portée concrète du critère énoncé dans la décision Clarence.  Il est évidemment rare qu’une femme consente à des relations sexuelles tout en pensant qu’il ne s’agit pas de relations sexuelles ou qu’un homme différent est en cause.  La personne qui se soumet à un examen médical pour finalement s’apercevoir qu’il s’agit plutôt d’un acte sexuel pourrait alléguer la fraude, car elle consent à un acte non pas sexuel, mais médical.  Suivant la décision Clarence et celles rendues dans sa foulée, lorsque la femme a consenti à l’acte sexuel avec l’homme en cause, peu importe qu’il y ait eu tromperie, l’homme ne peut pas être déclaré coupable d’un crime relativement à cet acte.  Il n’est pas surprenant que les répertoires juridiques recensent peu de cas de fraude viciant le consentement.  Le fait est que la fraude pouvait rarement vicier le consentement.

[43]        La common law canadienne en matière de fraude viciant le consentement aux rapports sexuels est maintenant entrée dans une troisième phase et a rompu avec la règle établie dans Clarence.  Les valeurs d’égalité, d’autonomie, de liberté, de droit à la vie privée et de dignité humaine que consacre la Charte commandent la pleine reconnaissance du droit de donner ou de refuser son consentement à des relations sexuelles.  C’est en ayant ces valeurs à l’esprit qu’il faut interpréter la notion de fraude visée à l’al. 265(3)c).  Le courant jurisprudentiel issu de la décision Clarence, qui réduisait la fraude à la question de la connaissance ou de l’ignorance du caractère sexuel de l’acte, n’a plus sa place dans la société canadienne.  Conclure que la plaignante consent au risque de contracter une maladie grave non révélée parce qu’elle sait que l’acte est sexuel heurte notre sensibilité moderne et les valeurs constitutionnelles actuelles.

c) Valeurs consacrées par la Charte

[44]        Les tribunaux doivent interpréter les lois en harmonie avec les normes constitutionnalisées par la Charte : R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45, au par. 33; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248, au par. 35.  Les valeurs consacrées par la Charte ont toujours leur place dans l’interprétation d’une disposition contestée du Code criminel.

[45]        Les valeurs constitutionnelles d’égalité, d’autonomie, de liberté, de droit à la vie privée et de dignité humaine revêtent une importance particulière lorsqu’il s’agit de définir la fraude qui vicie le consentement aux relations sexuelles.  L’ancienne conception étroite du consentement a été remplacée par une nouvelle selon laquelle chacun des partenaires sexuels est une personne autonome, égale et libre.  De nos jours, la répression de l’agression sexuelle vise à protéger le droit de refuser un rapport sexuel : l’agression sexuelle est répréhensible en ce qu’elle nie la dignité de la victime en tant qu’être humain.  C’est en fonction de ces valeurs qu’il faut interpréter la fraude visée à l’al. 265(3)c) du Code criminel.

[46]        Nous avons vu qu’avant l’adoption de la Charte en 1982 et la réforme du régime applicable aux infractions sexuelles en 1983, les tribunaux se montraient réticents à conclure à l’absence de consentement à des relations sexuelles et à l’annulation de ce consentement par la fraude.  Les règles de preuve et de procédure (telle l’ancienne règle voulant que le non‑consentement doive être étayé par la preuve d’un appel à l’aide lancé au voisinage immédiatement après l’agression sexuelle alléguée) ou l’empressement des juges à inférer le consentement de l’habillement ou de l’activité sexuelle antérieure ont fait en sorte que les tribunaux concluent systématiquement à l’existence du consentement.  Dans la même veine, la jurisprudence postérieure à la décision Clarence interprète elle aussi restrictivement la notion de fraude susceptible de vicier le consentement, estimant que celle‑ci n’intéresse que la nature sexuelle de l’acte et que la femme mariée ne peut l’invoquer car elle doit être soumise à son mari en toutes circonstances.

[47]        Après l’adoption de la Charte, le droit canadien a banni cette conception étriquée du consentement et de la fraude.  Des modifications apportées au Code criminel ont supprimé les fardeaux de preuve et les présomptions qui rendaient jusqu’alors difficile la preuve de l’absence de consentement.  Les tribunaux ont statué qu’on ne pouvait inférer le consentement de la manière dont était habillée la plaignante ni du fait qu’elle avait pu flirter : R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330.  Puis, en 1998, l’arrêt Cuerrier a marqué le retour à une interprétation généreuse de la fraude susceptible de vicier le consentement.

[48]        Dans l’esprit des valeurs d’égalité et d’autonomie que consacre la Charte, nous voyons aujourd’hui dans l’agression sexuelle non seulement un crime associé au préjudice émotionnel et physique causé à la victime, mais aussi l’exploitation illicite d’un être humain par un autre.  Se livrer à des actes sexuels avec une autre personne sans son consentement c’est la traiter comme un objet et porter atteinte à sa dignité humaine.  Même si la Charte n’est pas directement en cause, les valeurs qui la sous‑tendent doivent être prises en compte pour interpréter l’al. 265(3) du Code criminel.

d) La situation dans les autres ressorts de common law

[49]        Les parties et certains intervenants fondent leur thèse sur l’approche retenue à l’étranger.

[50]        Un examen comparatif révèle que les ressorts de common law criminalisent la transmission sexuelle effective du VIH lorsque la personne se sait séropositive et que son partenaire ne consent pas de façon éclairée à s’exposer au risque d’infection.  Certains ressorts considèrent la transmission du VIH sans révélation préalable de la séropositivité comme une infraction de voies de fait, et non une infraction de caractère sexuel.  La transmission sans révélation préalable a fait l’objet, en Angleterre, de poursuites pour infliction insouciante de lésions corporelles sur le fondement de l’art. 20 de The Offences Against the Person Act, 1861, 24 & 25 Vict., ch. 100), en Australie, dans l’État de Victoria, de poursuites pour [traduction]  « conduite ayant mis en danger la vie d’autrui» (art. 22 de la Crimes Act 1958 (Vic.)) et, en Nouvelle‑Zélande, de poursuites pour, notamment, [traduction] « indifférence insouciante à l’égard de la sécurité d’autrui . . . ayant causé des lésions corporelles graves » (par. 188(2) de la Crimes Act 1961).  Voir I. Grant, « The Prosecution of Non‑Disclosure of HIV in Canada : Time to Rethink Cuerrier » (2011), 5 M.J.L.H 7, aux p. 31 à 41.

[51]        Cependant, de nombreux pays ne criminalisent pas la tromperie qui expose le partenaire à un risque de transmission, sans toutefois entraîner la transmission effective du VIH.  En Angleterre, le fait d’exposer son partenaire au VIH sans lui révéler sa séropositivité ne vicie pas le consentement.  La fraude ne vicie le consentement que si elle touche [traduction] « à la nature ou à l’objet de l’acte », ce qui exclut la tromperie quant à la séropositivité : R. c. B., [2006] EWCA Crim 2945, [2007] 1 W.L.R. 1567, au par. 12.  Théoriquement, en Angleterre, le poursuivant peut, lorsque la séropositivité n’a pas été dévoilée, invoquer l’art. 18 de The Offences against the Person Act, qui criminalise l’infliction délibérée d’un préjudice, et soutenir qu’il y a eu tentative d’infliction délibérée d’un préjudice.  Cependant, la grande difficulté [traduction] « de prouver que l’intention de la personne était de transmettre sexuellement le VIH (et non seulement d’avoir une relation sexuelle non protégée) » est de nature à dissuader le poursuivant (Grant, à la p. 32).

[52]        En Australie, six des neuf ressorts ne criminalisent pas l’exposition lorsqu’il n’y a pas transmission du virus.  Parmi les trois États qui la criminalisent (au moyen des dispositions suivantes : Crimes Act 1958 (Vic.), art. 22 et 23; Criminal Law Consolidation Act 1935 (S.A.), art. 29; Criminal Code Act (N.T.), art. 174C et D), deux (Victoria et le Territoire‑du‑Nord) prévoient des infractions moindres lorsque aucune transmission ne résulte de l’exposition.

[53]        En Nouvelle‑Zélande, la responsabilité tient entre autres au fait qu’il y a eu ou non transmission.  Lorsque le VIH n’est pas transmis, celui qui a omis de révéler sa séropositivité avant un rapport sexuel fait l’objet de l’infraction moindre de nuisance criminelle (art. 145 de la Crimes Act, 1961; R. c. Mwai, [1995] 3 N.Z.L.R 149 (C.A.)).

[54]        Le professeur Grant résume comme suit ce qui différencie l’approche canadienne de celle retenue en Angleterre, en Australie et en Nouvelle‑Zélande :

[traduction]  Au Canada, la même accusation d’agression [sexuelle] grave est généralement portée peu importe la nature de la tromperie, que le virus soit transmis ou non ou que l’omission de révéler constitue un acte isolé ou habituel.  . . . Dans tous les autres ressorts [considérés dans l’étude], l’infraction reprochée est celle d’infliction d’un préjudice corporel, et non celle de contact sexuel sans consentement. [par. 42]

[55]        Bien que les solutions retenues dans les autres ressorts de common law ne nous lient pas, elles mettent en garde contre un accroissement indu de la portée du droit criminel dans ce domaine complexe et nouveau du droit.

(3) Recherche d’une solution

[56]        Nous avons examiné la nécessité d’un critère clair et adapté qui permette de déterminer l’existence d’une fraude viciant le consentement pour l’application de l’al. 265(3)c) du Code criminel lorsque la séropositivité n’est pas révélée.  Nous avons donc retenu quatre éléments susceptibles de nous guider dans l’interprétation de cette disposition, à savoir la juste portée du droit criminel, l’origine de la notion de fraude en common law et dans la loi, les valeurs consacrées par la Charte et l’approche d’autres pays à l’égard de non‑révélation de la séropositivité.  Dès lors, la question est essentiellement celle de savoir dans quelles circonstances précises l’omission de révéler la séropositivité équivaut à une fraude viciant le consentement pour l’application de l’al. 265(3)c).

[57]        Il appert des quatre éléments d’interprétation que le critère établi dans l’arrêt Cuerrier demeure valable sur le plan des principes et des conséquences.  Rappelons que ce critère exige la preuve de deux choses : (1) un acte malhonnête et (2) une privation.  De façon générale, la première s’entend de l’information inexacte sur la séropositivité ou de l’omission de révéler celle‑ci, et la seconde s’entend de manière tout aussi générale de l’exposition à un « risque important de lésions corporelles graves ».

[58]        Bien qu’il puisse être difficile à appliquer, le critère de l’arrêt Cuerrier demeure valable sur le plan des principes.  Il circonscrit avec justesse la portée du droit criminel — réprimer les actes qui exposent à un « risque important de lésions corporelles graves ».  Il respecte les valeurs constitutionnelles d’autonomie, de liberté et d’égalité, et il tient compte de l’évolution de la common law, soit la rupture justifiée avec le courant jurisprudentiel issu de l’arrêt Clarence.  La notion de consentement qui le sous‑tend s’inspire de la sagesse de la common law (qui s’abstient de criminaliser toute tromperie incitant à consentir à un rapport sexuel) tout en accordant une grande importance au consentement.  Il est vrai que, dans l’arrêt Cuerrier, la Cour repousse les limites du droit criminel plus loin que n’importe quel tribunal d’un autre ressort de common law. Toutefois, on peut soutenir que ce sont les autres tribunaux qui ne sont pas allés assez loin : voir L.H. Leigh, « Two Cases on consent in rape » (2007), 5 Arch. News 6.

[59]        Certains intervenants s’opposent à ce que la transmission du VIH relève du droit criminel parce que les gens pourraient hésiter à se faire traiter ou à dévoiler leur état, ce qui accroîtrait le risque pour la santé couru par le porteur du virus et les personnes avec lesquelles il a des rapports sexuels.  Je ne saurais faire droit à cette thèse à partir du dossier qui nous est présenté.  Les seuls « éléments de preuve » présentés par les intervenants à cet égard sont des études selon lesquelles il est « probable » que la criminalisation dissuade les gens de subir un test de dépistage du VIH : voir notamment M. A. Wainberg, « Criminalizing HIV transmission may be a mistake » (2009), 180 C.M.A.J. 688.  Selon d’autres études, les comportements observés dans les États qui ont opté pour la criminalisation diffèrent peu de ceux observés dans les États qui n’ont pas opté pour elle : S. Burris, et al., « Do Criminal Laws Influence HIV Risk Behavior?  An Emperical Trial » (2007), 39 Ariz. St. L.J. 467, à la p. 501.  Il s’agit de conclusions tirées sous toute réserve, et les études n’ont été ni produites en preuve, ni mises à l’épreuve dans le cadre d’un contre‑interrogatoire.  Elles n’offrent pas l’assise qui nous justifierait de modifier le rôle reconnu au droit criminel dans ce domaine.

[60]        Le critère de l’arrêt Cuerrier ne devrait donc pas être écarté.  Certes, il convient de remédier aux problèmes d’incertitude et de juste portée que soulève son application, mais dans le plus grand respect possible du cadre général établi par l’arrêt Cuerrier.  Je passe maintenant aux solutions préconisées pour remédier aux problèmes d’incertitude et de portée excessive rencontrés dans l’application du critère de l’arrêt Cuerrier.

a) La tromperie active

[61]        L’un des moyens de résoudre les problèmes d’incertitude et de portée liés à l’application de l’arrêt Cuerrier consisterait à ramener le concept d’acte malhonnête à celui de tromperie active, à savoir une déclaration nettement trompeuse ou un mensonge en réponse à une question claire.

[62]        Cette avenue remédierait en grande partie à l’incertitude.  Chacun saurait qu’il ne commet pas de crime s’il ne fait pas de déclaration trompeuse ni ne ment en réponse à une question claire.  L’approche apporterait également une solution à la portée apparemment excessive du droit criminel.  En effet, la définition plus stricte de la fraude empêcherait de criminaliser la conduite de celui qui, par inadvertance ou par négligence, omet de révéler sa séropositivité.

[63]        Cette piste de solution bénéficie d’un certain appui.  Selon les motifs concordants que j’ai rédigés dans l’arrêt Cuerrier, il y a fraude lorsque « la personne affirme qu’elle n’est pas malade » (par. 72; avec le concours du juge Gonthier).  Certains ont accueilli favorablement cette interprétation axée sur la « tromperie active » : voir Leigh, à la p. 7.

[64]        Cependant, cette approche soulève quelques difficultés, la première étant qu’il peut être ardu de distinguer tromperie active et tromperie passive par omission de révéler.  Tout dépend des circonstances.  La prise en compte du contexte brouille la ligne de démarcation entre l’acte criminel et l’acte non criminel.  Les propos échangés avant des ébats sexuels ne sont pas toujours des modèles de clarté.  Les gens ne s’expriment généralement pas de manière précise, et les gestes peuvent se substituer aux mots.  Par exemple, hocher la tête de gauche à droite en réponse à une question sur la séropositivité constitue‑t‑il une véritable dénégation de celle‑ci?  De plus, il peut arriver qu’en raison de propos ou de faits antérieurs, le partenaire ait tout lieu de conclure à l’absence de maladie.  Le juge du procès peut assurément démêler des données factuelles complexes et décider s’il y a eu ou non un acte trompeur.  Il n’en demeure pas moins que le critère pourrait ne pas faire ressortir totalement ou suffisamment la tromperie sous‑jacente à une fraude en particulier, de sorte qu’il pourrait se révéler difficile à appliquer en pratique.

[65]        La seconde difficulté est mise en relief par l’argument selon lequel il n’existe aucune distinction rationnelle entre la tromperie active et la tromperie passive.  Le sort de l’épouse qui fait confiance à son conjoint et qui ne le questionne pas directement sur sa séropositivité devrait‑il être pire que celui de la partenaire occasionnelle qui pose directement la question?  Le fait est que ni l’une ni l’autre n’aurait donné son consentement n’eût été la tromperie.  Une fraude est une fraude, qu’elle soit le fruit d’un mensonge flagrant ou d’une ruse.

b) L’obligation absolue de révéler

[66]        Le ministère public soutient qu’une personne atteinte du VIH devrait toujours être tenue d’en informer un partenaire sexuel, ce qui reviendrait à écarter l’exigence du « risque important de lésions corporelles graves » correspondant au deuxième volet du critère de l’arrêt Cuerrier.

[67]        En établissant un critère précis, cette approche remédie à l’incertitude, mais la solution qu’elle apporte au problème de la portée est moins convaincante.  On pourrait soutenir qu’elle ratisse trop large en matière de culpabilité criminelle.  Une personne qui agit de manière responsable et dont la conduite ne cause pas de préjudice ni n’est susceptible d’en causer pourrait se voir déclarée coupable d’une infraction criminelle et condamnée à une longue peine d’emprisonnement.  Qui plus est, l’approche paraît élargir plus qu’il ne faut la notion de fraude viciant le consentement visée à l’al. 265(3)c) en l’assimilant à la simple malhonnêteté et en supprimant de fait l’élément de « privation ».  Enfin, l’obligation absolue de révéler pourrait être qualifiée d’inéquitable et stigmatiser les personnes atteintes du VIH, qui constituent déjà un groupe vulnérable.  Dans la mesure où elles agissent de manière responsable et ne présentent aucun risque de préjudice pour autrui, les personnes séropositives ne devraient pas avoir à choisir entre révéler leur état de santé ou devoir faire face à la justice criminelle.

c) La prise en compte des faits de chaque espèce

[68]        L’intimé soutient que l’exigence d’un « risque important de lésions corporelles graves » établie par l’arrêt Cuerrier demeure valable.  Il croit toutefois qu’il faut la clarifier en précisant qu’elle ne fait qu’énoncer ce qui doit être prouvé pour que le tribunal conclue à l’existence d’une fraude aux fins de l’application de l’al. 265(3)c).  Dans tous les cas, le « risque important de lésions corporelles graves » doit faire l’objet d’une preuve médicale.  Il s’agit de déterminer si, au moment de la relation sexuelle en cause, celle‑ci présentait un risque important de transmission du VIH.  À cette fin, le ministère public fait habituellement témoigner un expert sur la charge virale de l’accusé au moment de l’infraction, de même que sur les risques liés à la forme de protection par condom utilisée en l’espèce.  Le juge du procès doit être convaincu que la preuve établit hors de tout doute raisonnable que la conduite de l’accusé, au moment de l’infraction, présentait un risque important de lésions corporelles graves.  Tout doute joue en faveur de l’accusé.

[69]        Bien qu’elle respecte les droits de l’accusé, cette approche ne résout pas les problèmes d’incertitude et de portée qui rendent le critère de l’arrêt Cuerrier difficile d’application.  La démarche requise serait onéreuse.  Des témoignages d’experts médicaux devraient être présentés dans tous les cas.  Il s’ensuivrait de longs interrogatoires et contre‑interrogatoires.  Le juge du procès devrait consacrer de longues heures à l’appréciation de la preuve en vue de déterminer si elle établit l’existence d’un « risque important de lésions corporelles graves » au moment de l’infraction alléguée.  Enfin, le risque que les jugements se contredisent entre eux pourrait compromettre l’équité du système judiciaire.  Tout en faisant droit aux conclusions du juge du procès sur la preuve, la cour d’appel pourrait trancher différemment la question mixte de fait et de droit liée au caractère « important » du risque.  Un vide juridique pourrait subsister pendant des années avant que l’accusé ne sache s’il est coupable ou non.  Il en résulterait des frais considérables tant pour la poursuite que pour la défense.  La présente affaire illustre tous ces inconvénients.

d) La connaissance d’office de l’effet de l’utilisation du condom

[70]        Afin de réduire l’incertitude liée au critère de nature factuelle qu’énonce l’arrêt Cuerrier, l’intimé propose que les tribunaux prennent connaissance d’office du fait que l’emploi du condom écarte toujours le risque important de lésions corporelles graves.

[71]        Pour qu’un juge prenne connaissance d’office d’un fait, il faut démontrer que celui‑ci est à ce point « notoire » ou, pour employer un terme plus moderne, « admis », qu’aucune personne raisonnable ne saurait le contester : R. c. Find, 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863, au par. 48; R. c. Spence, 2005 CSC 71, [2005] 3 R.C.S. 458, au par. 53.  Or, en l’espèce, les thèses abondent quant à savoir si, à elle seule, l’utilisation du condom écarte ou non le risque important de lésions corporelles graves, et la controverse est exacerbée par l’évolution rapide de la science et le caractère circonstanciel du risque.  Il ne saurait y avoir connaissance d’office en l’espèce et, à défaut d’un consensus incontestable, celle‑ci ne peut servir de fondement à la formulation d’énoncés généraux sur la question factuelle du risque.

e) La distinction fondée sur la nature du lien entre les personnes

[72]        Une autre façon de resserrer l’exigence du « risque important de lésions corporelles graves » établie dans l’arrêt Cuerrier pour l’interprétation de la fraude visée à l’al. 265(3)c) consiste à ne l’appliquer qu’aux relations spéciales.  D’aucuns laissent entendre que, dans le contexte commercial, l’omission de révéler une chose peut s’apparenter à la fraude lorsqu’il existe entre les parties une relation fiduciaire, quasi‑fiduciaire ou de confiance : B. L. Nightingale, The Law of Fraud and Related Offences (feuilles mobiles).  Cette distinction pourrait fort bien s’appliquer aux relations où l’une des parties est vulnérable, ce qui était le cas des jeunes femmes, souvent intoxiquées, qui ont eu des relations sexuelles avec M. Mabior dans la présente affaire.  Cette approche repose sur le postulat que la personne qui ne demande pas à un partenaire sexuel s’il a une MTS s’expose au risque de contracter le VIH, sauf s’il existe entre eux une relation de confiance.

[73]        Le droit applicable en matière de fraude commerciale offre un certain appui à cette interprétation.  À l’origine, la common law et les tribunaux d’equity estimaient que le seul silence, sans aucune autre forme de comportement qui induisait autrui en erreur, n’était pas frauduleux : Twining c. Morrice (1788), 2 Bro. C.C. 326, 29 E.R. 182; Conolly c. Parsons (1797), 3 Ves. 625n; Walters c. Morgan (1861), 3 De G. F. & J. 718, 45 E.R. 1056.  Or, au fil du temps, l’equity a reconnu que, dans certaines circonstances précises, l’obligation positive de révéler des faits importants s’imposait, notamment dans le cas d’une relation fiduciaire, quasi‑fiduciaire ou de confiance.

[74]        On peut toutefois reprocher à cette approche de trop limiter l’application de la « fraude » visée à l’al. 265(3)c).  Est‑il justifié d’obliger le mari à informer son épouse, mais non une partenaire occasionnelle?  Lorsqu’il y a risque de contracter une maladie qui bouleverse la vie de sa partenaire sexuelle, la réponse est négative.

[75]        Historiquement, la fraude susceptible de vicier le consentement aux relations sexuelles n’a pas connu la même évolution que la fraude commerciale.  Vu son contexte particulier, la fraude d’ordre sexuel comporte des enjeux uniques.  C’est pourquoi elle a généralement fait l’objet d’une interprétation stricte qui obéit à des considérations qui lui sont propres et dont fait rarement partie le lien existant entre les partenaires dans un cas donné.  C’est à l’époque victorienne que l’approche axée sur la nature du lien a le plus imprégné le droit applicable, car on laissait entendre qu’épouses et prostituées — pour différentes raisons liées aux mœurs du temps — ne pouvaient jamais invoquer la fraude viciant le consentement aux relations sexuelles : voir Clarence.  De telles conceptions heurtent notre société éprise d’égalité, qui les juge choquantes.

f) Le partenaire raisonnable

[76]        Une autre interprétation de la « fraude » visée à l’al. 265(3)c) tient aux attentes d’une personne raisonnable et bien informée se trouvant dans la situation  du partenaire éventuel d’une personne atteinte du VIH.  Le critère serait objectif, mais son application prendrait en considération les circonstances propres à chaque cas, notamment la nature du lien entre les parties.

[77]        L’approche est intéressante, car elle tient compte des attentes des parties au vu des faits en cause.  Le critère retenu est donc plus juste que celui fondé sur une norme générale censée s’appliquer à tous les cas.  Dans les circonstances d’une l’espèce, la personne atteinte du VIH peut devoir tenir compte des attentes de son partenaire et agir en conséquence.

[78]        L’approche reconnaît également que le partage de l’obligation de prévenir la transmission sexuelle d’une maladie peut varier en fonction de la relation et de l’époque en cause.  Historiquement, l’une des difficultés inhérentes à la formulation d’un critère qui permette d’établir l’existence d’une fraude viciant le consentement aux relations sexuelles tient à l’évolution des normes sociales et des attentes.  À l’époque victorienne, un mari ne pouvait commettre une fraude viciant le consentement, puisque l’épouse n’avait pas le droit de se refuser à lui.  Plus récemment, certains ont fait valoir que les attentes avaient changé, passant de l’obligation faite à la personne infectée de veiller à la santé sexuelle des deux partenaires, à l’obligation de chacune des parties de veiller sur sa propre santé sexuelle.  Une approche axée à la fois sur la raisonnabilité et le contexte contournerait ces difficultés en adaptant le résultat à la relation qui est à l’origine de l’accusation criminelle.

[79]        Toutefois, l’approche fait elle aussi l’objet de critiques, la plus percutante voulant qu’elle n’établisse pas un critère clair permettant de conclure à la fraude, de sorte qu’on ne peut déterminer avec certitude si un comportement est criminel ou non.  À moins que les partenaires n’établissent eux‑mêmes les paramètres voulus, la personne séropositive doit inférer de la nature de la relation les attentes d’un « partenaire raisonnable ».

[80]        Ce qui appelle une seconde critique — la portée excessive du droit criminel et son corrolaire, l’absence d’équité envers l’accusé.  Dans le feu du désir et dans la perspective d’ébats sexuels, on peut aisément se tromper sur les attentes d’un partenaire raisonnable.  Faut‑il alors criminaliser ce qui constitue, somme toute, une erreur de jugement et condamner le fautif à une peine d’emprisonnement dont la durée peut être de plusieurs années?  Telle pourrait être la conséquence du critère fondé sur les attentes du partenaire raisonnable.

g) Faire évoluer la common law

[81]        Reste donc la possibilité d’accroître la certitude associée au critère de l’arrêt Cuerrier en précisant à quelles conditions est remplie l’exigence du risque important, sur les plans théorique et pratique.  Une telle approche est compatible avec la fonction des tribunaux de common law qui consiste à adapter progressivement les éléments d’une infraction aux exigences de la justice et de l’application concrète.

[82]        Il s’agit donc de pousser plus loin l’arrêt Cuerrier en déterminant dans quelles circonstances une relation sexuelle avec une personne séropositive présente un « risque important de lésions corporelles graves ».  Dès lors, il faut adhérer aux conclusions de fait du juge du procès, sauf erreur manifeste et dominante de sa part.  Que ces conclusions établissent ou non un « risque important de lésions corporelles graves » est une question de droit qu’il convient de trancher : voir C.A., au par. 37.  Il faut entendre par « lésions corporelles graves »  « toute blessure ou lésion, physique ou psychologique, qui nuit d’une manière importante à l’intégrité, à la santé ou au bien‑être d’une victime » : R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72, à la p. 88.  La transmission effective du VIH inflige de toute évidence des lésions corporelles graves.

[83]        Les juridictions inférieures statuent différemment sur cette question de droit.  La juge du procès estime que tout risque de transmission du VIH, aussi minime soit‑il, constitue un « risque important de lésions corporelles graves » (voir le renvoi à ses motifs dans ceux de la C.A., au par. 66).  Par contre, la Cour d’appel conclut qu’un « risque important » connote un risque élevé de transmission du VIH.  À son avis, suivant l’arrêt Cuerrier, un « risque important de lésions corporelles graves » s’entend d’un [traduction] « risque important ou élevé » (par. 80), « par opposition à la preuve d’une “grande probabilité” de non‑infectiosité » (par. 127).

[84]        À mon sens, le « risque important de lésions corporelles graves » se situe entre les pôles que sont l’absence de risque (le critère retenu par la juge du procès) et le « risque élevé » (celui adopté par la Cour d’appel).  Lorsqu’il existe une possibilité réaliste de transmission du VIH, le risque important de lésions corporelles graves est établi, et le second volet du critère de l’arrêt Cuerrier la privation est respecté.  Les considérations suivantes militent en faveur de cette interprétation.

[85]        Premièrement, le « risque important de lésions corporelles graves » ne saurait s’entendre de tout risque, aussi minime soit‑il.  Pareille interprétation reviendrait à adopter l’approche de l’obligation absolue de révéler, qui comporte de nombreuses lacunes, et à faire abstraction du qualificatif « important » employé dans la formulation du critère de l’arrêt Cuerrier.

[86]        Deuxièmement, la norme du risque « élevé » ne tient pas dûment compte de la nature du préjudice causé par la transmission du VIH.  Dans l’arrêt Cuerrier, la notion de « risque important » tient à la fois au risque de contracter le VIH et à la gravité de la maladie lorsqu’elle est transmise, deux facteurs inversement proportionnels.  Plus la nature du préjudice est grave, moins la probabilité de transmission doit être grande pour qu’il y ait « risque important de lésions corporelles graves ».

[87]        Troisièmement, comme je le mentionne précédemment dans l’examen des principes d’interprétation, la norme de la possibilité réaliste de transmission du VIH ne place la barre ni trop haut ni trop bas pour qu’il puisse y avoir déclaration de culpabilité.  La norme correspondant à tout risque, aussi minime soit‑il, pourrait établir un seuil de criminalité trop facile à franchir.  Par ailleurs, limiter l’application de l’al. 265(3)c) aux cas où le risque est « élevé » pourrait avoir l’effet d’excuser un comportement irresponsable et répréhensible.

[88]        Quatrièmement, l’évolution de la common law et des lois en matière de fraude viciant le consentement aux relations sexuelles étaye la proposition selon laquelle le « risque important de lésions corporelles graves » exige une possibilité réaliste de transmission du VIH.  Cette évolution donne à penser que seule la tromperie grave et lourde de conséquences est susceptible de vicier le consentement aux relations sexuelles, ce qui est incompatible avec une interprétation voulant que le « risque important de lésions corporelles graves » requis dans l’arrêt Cuerrier vise tout risque de transmission.  On peut soutenir que la possibilité réaliste de transmission établit un juste équilibre dans le cas d’une maladie dont les conséquences bouleversent la vie, comme le VIH.

[89]        Cinquièmement, les valeurs d’autonomie et d’égalité que consacre la Charte militent en faveur d’une définition de la fraude viciant le consentement qui respecte le droit de chacun de consentir ou non à des rapports sexuels avec une personne en particulier.  La loi doit établir un équilibre entre ce droit et l’impératif de ne criminaliser que le comportement associé à un acte fautif et à un préjudice graves.  Départager l’inconduite criminelle et l’inconduite non criminelle en fonction de la possibilité réaliste de transmission pourrait établir un juste équilibre entre le droit à l’autonomie et à l’égalité du plaignant, d’une part, et la nécessité de faire en sorte que la répression criminelle n’ait pas une portée excessive, d’autre part.

[90]        Enfin, un certain nombre de décisions appuient l’assimilation du « risque important de lésions corporelles graves » à la possibilité réaliste de transmission du VIH.  Hormis celle rendue à l’issue du procès en l’espèce, nulle décision selon laquelle un « risque important » englobe tout risque, aussi minime soit‑il, n’a été invoquée devant nous.  Les décisions sur ce point sont certes peu nombreuses, mais elles valent d’être mentionnées.  Dans R. c. Jones, 2002 NBQB 340, [2002] A.N.‑B. n375 (QC), la cour conclut qu’un risque de transmission de l’hépatite C se situant entre 1,0 et 2,5 pour cent est [traduction] « si faible qu’on ne saurait le qualifier d’important » (par. 33).  Et dans R. c. J.A.T., 2010 BCSC 766 (CanLII), le juge du procès dit qu’[traduction]« [un] risque important s’entend d’un risque dont l’ampleur justifie qu’on le tienne pour important » (par. 56).

[91]        Ces considérations m’amènent à conclure que l’exigence d’un « risque important de lésions corporelles graves » formulée dans l’arrêt Cuerrier doit être interprétée comme obligeant une personne à révéler sa séropositivité lorsqu’il existe une possibilité réaliste de transmission du VIH.  À défaut d’une telle possibilité, l’omission de dévoiler sa séropositivité ne constitue pas une fraude viciant le consentement aux relations sexuelles pour l’application de l’al. 265(3)c).

[92]        Le critère de la possibilité réaliste de transmission proposé dans les présents motifs ne vaut que pour le VIH.  Rappelons que le « risque important » tient à la fois à la gravité du préjudice et à l’ampleur du risque de transmission, deux facteurs inversement proportionnels.  Une maladie transmise sexuellement qui est traitable et qui ne bouleverse pas l’existence ni ne réduit sensiblement l’espérance de vie pourrait très bien ne pas emporter de « lésions corporelles graves » et, de ce fait, ne pas satisfaire à l’exigence de mise en danger de la vie que comporte l’infraction d’agression sexuelle grave prévue au par. 273(1).  L’objet du présent pourvoi n’est pas de tracer la ligne de démarcation dans le cas d’autres maladies que le VIH.  Il suffit de signaler que le VIH est incontestablement une maladie grave qui met la vie en danger.  Bien que son évolution puisse être contrôlée à l’aide de médicaments, le VIH demeure une maladie chronique incurable qui, lorsqu’elle n’est pas traitée, peut entraîner la mort.  C’est pourquoi l’omission d’informer un partenaire sexuel de sa séropositivité peut donner lieu à une déclaration de culpabilité d’agression sexuelle grave suivant le par. 273(1) du Code criminel.  (Cela dit, il se peut que de nouvelles avancées médicales permettent de réduire le taux de mortalité au point de rendre le risque de mortalité presque inexistant, et que l’on ramène l’infraction à celle d’agression sexuelle simple prévue au par. 271(1) du Code criminel.  De même, les chercheurs pourraient un jour trouver un remède, de sorte que le VIH ne cause plus de « lésions corporelles graves » et que l’omission de révéler qu’on en est atteint ne constitue plus une « fraude viciant le consentement » pour l’application de l’infraction d’agression sexuelle.)

(4) Possibilité réaliste de transmission du VIH

[93]        Le principe de droit général suivant se dégage de la jurisprudence en matière de fraude viciant le consentement aux relations sexuelles : l’exigence par notre Cour dans Cuerrier d’un « risque important de lésions corporelles graves » suppose une possibilité réaliste de transmission du VIH.  Le principe vaut pour toute allégation de fraude viciant le consentement à des relations sexuelles fondée sur l’omission de révéler sa séropositivité.

[94]        La question se pose alors de savoir dans quelles circonstances il y a possibilité réaliste de transmission du VIH.  La preuve offerte me convainc que, de manière générale, cette possibilité est écartée i) lorsque la charge virale de l’accusé est faible au moment du rapport sexuel et ii) que le condom est utilisé.

[95]        La conclusion selon laquelle une charge virale faible combinée à l’utilisation du condom écarte la possibilité réaliste de transmission du VIH, de sorte qu’il n’y a pas de « risque important de lésions corporelles graves » pour l’application du critère de l’arrêt Cuerrier, découle de la preuve en l’espèce. Cet énoncé général n’empêche pas la common law de s’adapter aux avancées thérapeutiques et aux circonstances où d’autres facteurs de risque que ceux considérés en l’espèce sont en cause.

[96]        En l’espèce, il appert de la preuve admise au procès qu’il y a eu pénétration vaginale et éjaculation lors des rapports sexuels de M. Mabior avec les quatre plaignantes.  L’accusé suivait un traitement aux antirétroviraux sur une base régulière, mais il n’utilisait le condom qu’à l’occasion.  Son dossier médical indique également qu’il a été traité avec succès pour une gonorrhée et qu’il ne souffrait d’aucune autre infection sexuellement transmissible que le VIH au moment de ses rapports sexuels avec les quatre plaignantes.  À la lumière de cette preuve, trois éléments sont pertinents quant à l’évaluation du risque couru : le risque de base d’une relation vaginale avec un partenaire masculin séropositif, la réduction du risque lorsqu’un condom est utilisé et la thérapie antirétrovirale.  Je les examine tour à tour.

[97]        Comme le signale la Cour d’appel, le risque de base de transmission du VIH lors d’une relation vaginale avec un partenaire masculin infecté (à supposer que l’homme éjacule, qu’il n’emploie pas de préservatif et que sa charge virale soit normale, plutôt que réduite) varie selon les études.  Dans son rapport, le Dr Smith situe le risque par acte entre 0,05 % (1 sur 2000) et 0,26 % (1 sur 384) (p. 4).  Une infirmière en santé publique, Mme McDonald, a témoigné au sujet du protocole post‑exposition du Manitoba, lequel fait état d’un risque par acte de 0,1 % (1 sur 1000).  L’examen systématique et la méta‑analyse de 43 publications portant sur 25 études de population établit le risque couru dans les pays où les revenus sont élevés à 0,08 % par acte sexuel (1 sur 1250) : M.‑C. Boily et al., « Heterosexual risk of HIV‑1 infection per sexual act : systematic review and meta‑analysis of observational studies » (2009), 9 Lancet Infect. Dis. 118.

[98]        Nul ne conteste que le VIH ne passe pas à travers la paroi d’un préservatif masculin ou féminin en latex de bonne qualité.  Cependant, tout risque n’est pas éliminé, car le condom peut être défectueux ou mal employé.  Le Dr Smith a témoigné que l’utilisation systématique du condom réduit le risque de transmission du VIH de 80 pour cent, et il a cité à l’appui l’étude de Cochrane, qui jouit d’une large reconnaissance : S. C. Weller et K. Davis‑Beaty, « Condom Effectiveness in reducing heterosexual HIV transmission » (2002), 1 Cochrane Database Sys. Rev. CD003255.  Il a précisé que ce pourcentage de réduction correspondait à l’utilisation systématique du condom, car il peut être plus élevé s’il y a à la fois utilisation systématique et adéquate du condom, une hypothèse qui n’a cependant pas été vérifiée empiriquement.

[99]        Adoptant l’angle du « risque élevé » d’infection, la Cour d’appel conclut que l’utilisation du condom abaisse le risque de transmission du VIH [traduction] « sous le seuil du risque important » (par. 87).  Toutefois, à mon avis, la preuve n’établit pas que, à elle seule, cette protection écarte la possibilité réaliste de transmission, la norme proposée en l’espèce.  Selon la preuve d’expert, le risque pourrait toujours dépasser le seuil du risque « négligeable » : rapport du Dr Smith, à la p. 6.

[100]     Passons maintenant au dernier élément, la thérapie antirétrovirale.  Comme le signale la Cour d’appel, la transmissibilité du VIH est proportionnelle à la charge virale, soit le nombre de copies du VIH dans le sang.  La charge virale d’une personne séropositive qui n’est pas traitée se situe entre 10 000 et quelques millions de copies par millilitre.  Lorsque le patient suit un traitement aux antirétroviraux, sa charge virale chute rapidement à moins de 1 500 copies par millilitre (charge faible), voire jusqu’à moins de 50 copies par millilitre (charge indétectable) sur une plus longue période de temps.  Selon la preuve au dossier, ces données seraient celles admises de nos jours par la science.

[101]     Le Dr Smith explique dans son rapport que la thérapie antirétrovirale n’offre pas un moyen d’avoir des relations sexuelles sans risque et qu’[traduction] « il est fortement recommandé aux personnes qui ont plus d’un partenaire sexuel, même lorsque leur charge virale est indétectable, d’utiliser systématiquement et correctement le condom » (p. 5 et 7).  Citée par un certain nombre d’intervenants, l’étude à grande échelle la plus récente sur ce point conclut que le risque de transmission du VIH diminue de 89 à 96 % lorsque le partenaire séropositif est traité aux antirétroviraux, peu importe que sa charge virale soit faible ou indétectable : M. S. Cohen et al., « Prevention of HIV‑1 Infection with Early Antiretroviral Therapy » (2011), 365 New Eng. J. Med. 493.  C’est donc dire que la seule thérapie antirétrovirale expose quand même le partenaire sexuel à une possibilité réaliste de transmission.  Toutefois, il appert de la preuve au dossier que le risque de transmission résultant de l’effet combiné de l’utilisation du condom et d’une charge virale faible est de toute évidence extrêmement faible, si faible que le risque devient hypothétique plutôt que réaliste.

[102]     Pour arriver à cette conclusion, je retiens au nombre des éléments qui permettent d’évaluer le risque la charge virale faible, plutôt que la charge virale indétectable.  Ce choix évite les difficultés liées à la preuve d’une charge virale indétectable.  Le Dr Smith a témoigné que plusieurs choses, comme une infection banale ou un aléa thérapeutique, peuvent faire fluctuer la charge virale d’une personne.  Des variations brusques ou passagères élèvent au dessus du seuil de la détectabilité la charge virale d’une personne traitée aux antirétroviraux.  De plus, la détectabilité dépend de la précision d’une technologie en évolution constante : la charge virale qui n’est pas détectable aujourd’hui pourrait très bien l’être ultérieurement grâce à un nouveau test.  Enfin, il convient de signaler le désaccord du Dr Smith avec la Commission fédérale suisse sur le VIH/sida, qui a affirmé en 2008 qu’une personne séropositive dont la charge virale est indétectable n’est pas sexuellement infectieuse.  Il s’agit selon lui d’une affirmation controversée (p. 5).  Il ajoute que cet avis appelle des réserves importantes parce qu’il n’est fondé que sur un examen de la littérature scientifique et qu’il doit être confirmé par la recherche.

[103]     Au vu de la preuve au dossier, force est donc de conclure que l’effet combiné de l’utilisation du condom et de l’existence d’une charge virale faible écarte la possibilité réaliste de transmission du VIH.  Dans ces circonstances, il n’est pas satisfait à l’exigence établie par la Cour dans Cuerrier, à savoir l’existence d’un risque important de lésions corporelles graves.  Il n’y a aucune privation au sens de l’arrêt Cuerrier, et l’omission de l’accusé de révéler sa séropositivité ne constitue pas une fraude viciant le consentement aux fins de l’al. 265(3)c) du Code criminel.

(5) Résumé

[104]     En résumé, pour obtenir une déclaration de culpabilité sous le régime de l’al. 265(3)c) et de l’art. 273, le ministère public doit démontrer que le consentement du plaignant aux relations sexuelles est vicié par la fraude de l’accusé concernant sa séropositivité.  L’omission de révéler (l’acte malhonnête) constitue une fraude lorsque le plaignant n’aurait pas donné son consentement s’il avait su que l’accusé était séropositif et lorsqu’un contact sexuel présente un risque important de lésions corporelles graves ou inflige effectivement de telles lésions (la privation).  La possibilité réaliste de transmettre le VIH établit le risque important de lésions corporelles graves.  Selon la preuve au dossier, la possibilité réaliste de transmission est écartée par la preuve selon laquelle, lors de la relation sexuelle considérée, la charge virale de l’accusé était faible et un condom a été utilisé.  Cependant, l’énoncé général voulant que la charge virale faible combinée à l’emploi du condom écarte la possibilité réaliste de transmission du VIH n’empêche pas la common law de s’adapter aux futures avancées thérapeutiques et aux circonstances où d’autres facteurs de risque que ceux considérés en l’espèce sont en jeu.

[105]     Les règles de preuve habituelles s’appliquent en l’espèce.  C’est au ministère public qu’il incombe d’établir hors de tout doute raisonnable les éléments constitutifs de l’infraction, à savoir l’acte malhonnête et la privation.  Une fois ces deux éléments établis prima facie conformément aux présents motifs, l’accusé peut avoir l’obligation tactique de soulever un doute raisonnable par la présentation d’éléments de preuve selon lesquels, au moment considéré, sa charge virale était faible et un condom a été utilisé.

B. Application

[106]     En ce qui concerne les quatre chefs d’accusation visés par le pourvoi, les plaignantes ont toutes consenti aux rapports sexuels qu’elles ont eus avec l’accusé.  Chacune a déclaré qu’elle n’aurait pas eu de relations sexuelles avec l’accusé si elle l’avait su séropositif.  La seule question en litige est celle de savoir si leur consentement est vicié par l’omission de l’accusé de les informer de sa séropositivité.

[107]     La juge du procès reconnaît l’accusé coupable d’agression sexuelle grave quant aux quatre chefs dans la mesure où était établi que sa charge virale n’était pas indétectable ou qu’il n’avait pas utilisé de condom.  La Cour d’appel annule les déclarations de culpabilité au motif que soit une charge virale indétectable, soit une protection au moyen d’un condom était suffisante.

[108]     Comme je le dis précédemment, à cette étape de l’évolution de la common law, il est possible d’établir un critère clair.  L’absence de possibilité réaliste de transmission du VIH empêche de conclure à l’existence d’une fraude viciant le consentement suivant l’al. 265(3)c) du Code criminel.  Dans la présente affaire, nulle possibilité réaliste de transmission n’a été établie relativement aux rapports sexuels au cours desquels l’accusé avait une charge virale faible et utilisait un condom.  Le pourvoi doit donc être accueilli dans la mesure où la décision de la Cour d’appel va à l’encontre de cette conclusion.

[109]     Lors de ses rapports sexuels avec chacune des plaignantes S.H., D.C.S. et D.H., l’accusé avait une charge virale faible, mais n’a pas utilisé de condom.  Il convient donc de confirmer les déclarations de culpabilité prononcées par la juge du procès sur les chefs correspondants. Reste à statuer sur le cas de K.G. La juge du procès déclare l’accusé coupable au motif que, même s’il a utilisé un condom lors des relations sexuelles avec elle, sa charge virale [traduction] « n’était pas supprimée » (par. 128).  Je rappelle qu’une charge virale faible — par opposition à une charge virale indétectable — combinée à l’utilisation du condom écarte la possibilité réaliste de transmission suivant la preuve présentée en l’espèce. Il appert du dossier qu’au moment de ses rapports sexuels avec K.G., l’accusé avait une charge virale faible. Jumelée à la protection au moyen d’un condom, cette charge virale faible n’a pas exposé K.G. à un risque important de lésions corporelles graves.  La déclaration de culpabilité prononcée par la juge sur ce chef doit être annulée.

[110]     Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi en partie et de rétablir les déclarations de culpabilité pour agression sexuelle grave relativement aux plaignantes S.H., D.C.S. et D.H., ainsi que de rejeter le pourvoi en ce qui concerne la plaignante K.G.

 

 

 

Pourvoi accueilli en partie.

Procureur de l’appelante : Procureur général du Manitoba, Winnipeg.

Procureur de l’intimé : Aide juridique Manitoba, Winnipeg.

Procureurs des intervenants le Réseau juridique canadien VIH/sida, HIV & AIDS Legal Clinic Ontario, la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida, Positive Living Society of British Columbia, la Société canadienne du sida, Toronto People With AIDS Foundation, Black Coalition for AIDS Prevention et le Réseau canadien autochtone du sida : Cooper & Sandler, Toronto.

Procureurs de l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique : McCarthy Tétrault, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario : Schreck Presser, Toronto.

Procureurs de l’intervenante l’Association des avocats de la défense de Montréal : Poupart, Dadour, Touma et Associés, Montréal.

Procureurs de l’intervenant l’Institut national de santé publique du Québec : Desrosiers, Joncas, Massicotte, Montréal.

Supreme Court weighs disclosure of HIV status

Thursday, December 1st, 2011

Latimes

Reporting from Washington—

The Supreme Court gave a generally skeptical hearing to a recreational pilot from San Francisco who wants damages from the government for disclosing his HIV status to the Federal Aviation Administration.

The case before the court Wednesday began in 2002, when the FAA heard a report of a pilot who had hidden his severe medical condition when he renewed his license to fly. Agents decided to check the records of 45,000 pilots in Northern California.

They learned from the Social Security Administration that Stanmore Cooper had obtained long-term disability benefits in 1995 because of his HIV condition. A year earlier, he had reapplied for his pilot’s license but failed to disclose his medical condition to the FAA. At the time, his illness may well have prevented him from renewing his license had it been revealed.

Cooper’s pilot’s license was revoked and he was charged with making false statements to the government. He pleaded guilty to a misdemeanor and was fined $1,000.

Cooper then sued the FAA for violating the Privacy Act, which permits claims for “actual damages.” Lower courts have been split for decades over whether these damages are limited to monetary losses or can also include claims for mental distress.

Justice Antonin Scalia said the 1974 law “goes far beyond” other privacy laws because it included instances where private records were not revealed to the public. Several justices joined Scalia in suggesting it was unlikely Congress wanted to open the door to damage suits for thousands of people who claim mental distress at learning their records had been examined by two agencies.

U.S. District Judge Vaughn Walker in San Francisco had ruled against Cooper and said the law did not include damages for emotional distress. But the U.S. 9th Circuit Court of Appeals disagreed and ruled last year that emotional damages, if proven, were included.

Obama administration lawyers appealed in FAA vs. Cooper. They said Congress did not intend to expose the government to damage claims for emotional distress from thousands of people if two agencies shared records, or even Social Security numbers.

Justices Ruth Bader Ginsburg and Sonia Sotomayor disagreed with the administration’s lawyer. They said the hurt suffered from an invasion of privacy was usually emotional or mental, not monetary. A person who is “subjected to embarrassment and humiliation” has suffered damage, Ginsburg said.

Raymond Cardozo, a San Francisco lawyer for Cooper, said his client would have to prove that he had suffered mental distress in order to win.

But most of the justices sounded as though they were inclined to limit the scope of the damages to monetary losses, such as the loss of a job or medical expenses.

Des propos haineux contre les homosexuels débattus

Sunday, November 6th, 2011

Canoe
La Cour suprême se penche, ce jeudi, sur la propagation de propos haineux contre les homosexuels et sur les limites de la liberté d’expression au Canada.

La Commission des droits de la personne de la Saskatchewan est convaincue que l’activiste anti-gai Bill Whatcott a dépassé les bornes en distribuant des brochures contre les homosexuels à Regina et Saskatoon en 2001 et 2002.

« Nous sommes ici pour protéger et promouvoir la valeur de la liberté d’expression, mais aussi pour vraiment souligner qu’il y a une limite à cela, et une responsabilité qui vient avec », a déclaré David Arnot, qui dirige la commission. Celle-ci avait ordonné en 2005 à M. Whatcott de payer 17 500 $ pour « atteinte à la dignité » aux quatre personnes qui ont déposé des plaintes à la suite de la diffusion des brochures.

Un tribunal de la Saskatchewan avait renversé cette décision, mais la Cour suprême du Canada a accepté d’entendre la cause l’an dernier.

M. Whatcott est tellement déterminé à faire passer son message qu’il a passé la journée de mardi à Ottawa à distribuer 3 000 brochures remettant en question la moralité de l’homosexualité. Il admet ouvertement vouloir choquer.

« Je peux comprendre que vous pouvez être offensés, a-t-il dit. Mais je ne comprends pas comment on peut appeler ça de la haine. Mettre une opinion en avant, ce n’est pas de la haine. »

Bill Whatcott estime que l’on veut freiner sa liberté religieuse et son droit à la libre expression. Il s’est aussi lancé dans une campagne pour abolir les commissions des droits de la personne au Canada.

L’Association canadienne des libertés civiles est l’un des 20 intervenants à comparaître devant les neuf juges de la Cour suprême. Sans cautionner les vues de M. Whatcott, la directrice du programme des libertés fondamentales, Cara Zwibel, s’inquiète que des dispositions légales portant sur le discours haineux conduisent à la censure de débats difficiles au pays.

Mme Zwibel maintient que ceux qui dénoncent le message de M. Whatcott et d’autres vues controversées au pays peuvent utiliser leurs propres outils de communication pour exprimer leurs préoccupations.

« Ce genre de discours doit être dénoncé et contré, dit-elle. Mais il ne doit pas être réduit au silence. »