Draws c. Avocats (Ordre professionnel des)
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2011 QCTP 18
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TRIBUNAL DES PROFESSIONS
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CANADA
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PROVINCE DE QUÉBEC
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DISTRICT DE
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LONGUEUIL
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N° :
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505-07-000045-107
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DATE :
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4 mars 2011
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CORAM : LES HONORABLES MARTIN HÉBERT, J.C.Q.
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DENIS LAVERGNE, J.C.Q.
RENÉ DE LA SABLONNIÈRE, J.C.Q.
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DANIEL DRAWS
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APPELANT-intimé
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c.
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MARIE-CLAUDE THIBAULT, en qualité de syndique adjointe du Barreau du Québec
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INTIMÉE-plaignante
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NANCY J. TRUDEL, en qualité de secrétaire du
Conseil de discipline du Barreau du Québec
MISE EN CAUSE
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JUGEMENT
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[1] Daniel Draws (l’appelant) appelle de la décision sur sanction rendue par le Conseil de discipline (le Conseil) le 2 mars 2010, lui imposant une radiation de cinq ans sur les chefs numéros 3, 4, 5, 6, 8 et 10. Il conteste également l’ordonnance de remboursement des sommes appropriées illégalement au motif que cela constitue une double sanction.
[2] La syndique adjointe du Barreau du Québec (l’intimée) allègue que les sanctions sont justifiées en considérant les critères applicables et la preuve présentée à l’audience. Selon elle, l’ordonnance de remboursement ne constitue pas une double sanction puisqu’elle est prévue à l’article 156 du Code des professions (le Code).
LE CONTEXTE FACTUEL
[3] Le 5 février 2009, l’intimée dépose une plainte comportant 11 chefs d’infraction :
Ø aux chefs 3, 4, 5, 6, 8 et 10, s’être illégalement approprié des sommes reçues à titre d’avances d’honoraires de son client;
Ø aux chefs 1, 2 et 7, ne pas avoir déposé dans son compte en fidéicommis des sommes d’argent remises par son client;
Ø au chef 9, avoir fait de fausses déclarations à son client.
[4] Le jour prévu pour l’audition, le 28 mai 2009, le Conseil constate l’absence de l’appelant malgré un avis dûment signifié. L’audience sur le fond se tient en son absence. Une preuve testimoniale et documentaire est présentée. L’audition se termine le jour même et le dossier est mis en délibéré.
[5] Le 21 juillet 2009, le Conseil dépose sa décision sur la culpabilité de l’appelant le déclarant coupable sur les 11 chefs d’infraction.
[6] Le Conseil entend la preuve et les observations sur sanction de l’intimée le 17 février 2010, toujours en l’absence de l’appelant bien que la décision sur culpabilité et l’avis d’audition sur sanction lui aient été dûment signifiés.
[7] Le 2 mars 2010, le Conseil dépose sa décision sur sanction. Sur les chefs 1, 2, 7, et en regard de l’article 59.2 invoqué au chef 9, le Conseil suspend conditionnellement les procédures. Il aurait été plus convenable de prononcer la suspension conditionnelle des procédures lors du jugement sur la culpabilité. Le Tribunal a répété à plusieurs reprises que c’est une règle de droit que de se prononcer sur cette règle au stade de la culpabilité. Même si le conseil commet une erreur, dans les circonstances il n’y a pas lieu de nous prononcer puisqu’il n’y a pas d’appel de la culpabilité.
[8] Le Conseil impose une radiation temporaire de cinq ans pour les chefs 3, 4, 6, 8 et 10; une radiation temporaire de deux ans sur le chef 9 et de six mois pour le chef 11. Ces radiations doivent être purgées concurremment.
[9] Le Conseil rend également une ordonnance de remboursement de la somme de 8 348 $ à l’acquis du client de l’appelant en vertu de l’article 156 d) du Code.
LE POURVOI EN APPEL
[10] L’appelant se pourvoit en appel contre la décision sur sanction du Conseil.
[11] L’appelant soulève premièrement la sévérité de la radiation temporaire de cinq ans pour les chefs 3, 4, 6, 8 et 10 et deuxièmement l’ordonnance de remboursement à l’acquis de son client au motif que cela constitue une double pénalité.
[12] L’intimée soumet que les sanctions sont conformes à la jurisprudence et que l’ordonnance de remboursement constitue un aspect de la sanction prévue à l’article 156 du Code.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[13] Les deux questions en litige sont les suivantes :
Ø les radiations temporaires de cinq ans constituent-elles une sanction déraisonnable justifiant l’intervention du Tribunal et
Ø l’ordonnance de remboursement est-elle une double pénalité si elle est ajoutée à une radiation?
LA NORME DE CONTRÔLE
[14] L’appelant ne traite pas de cette question dans son mémoire.
[15] Dans le cas d’un appel d’une sanction disciplinaire, l’intimée soumet que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique.
[16] L’ensemble de la jurisprudence sanctionne ce principe. La norme de la décision raisonnable commande la déférence envers les conclusions du Conseil à moins que celles-ci ne soient déraisonnables.
[17] Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême définit ainsi les critères de la décision raisonnable :
[47] [...] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[18] Pour décider si l’ordonnance de remboursement prévu à l’article 156 du Code constitue une double pénalité, l’intimée énonce dans son mémoire que la norme de la décision correcte s’applique.
[19] L’appelant n’aborde pas ce point dans son mémoire. Il allègue qu’une ordonnance de remboursement en sus d’une radiation constitue une « duplicité de sanction ». Ainsi formulée, il s’agit d’une question de droit qui concerne l’application de l’article 156 du Code. Ce dernier s’applique à toutes les professions, il est d’intérêt général et il ne relève pas d’une loi constitutive du Barreau.
[20] Dans l’arrêt Dunsmuir :
[60] Rappelons que dans le cas d’une question de droit générale « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre » (Toronto (ville) c. S.C.F.P., par. 62, le juge LeBel), la cour de révision doit également continuer de substituer à la décision rendue celle qu’elle estime constituer la bonne. Pareille question doit être tranchée de manière uniforme et cohérente étant donné ses répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble. […]
[21] La Cour suprême a réitéré récemment les principes de l’arrêt Dunsmuir dans l’arrêt Smith c. Alliance Pipeline Ltd. :
[26] Selon l’arrêt Dunsmuir, les catégories énumérées ci-après sont susceptibles de contrôle judiciaire soit selon la norme de la décision correcte soit selon celle de la décision raisonnable. La norme de la décision correcte s’applique : (1) aux questions constitutionnelles; (2) aux questions de droit générales qui sont « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangères au domaine d’expertise de l’arbitre » (Dunsmuir, au par. 60, citant l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 , [2003] 3 R.C.S. 77 , au par. 62); (3) aux questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents; (4) aux questions « touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité » (par. 58 à 61). En revanche, c’est généralement la norme de la décision raisonnable qui s’applique dans les cas suivants : (1) la question se rapporte à l’interprétation de la loi habilitante (ou « constitutive ») du tribunal administratif ou à « une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » (par. 54); (2) la question soulève à son tour des questions touchant les faits, le pouvoir discrétionnaire ou des considérations d’intérêt général; (3) la question soulève des questions de droit et de fait intimement liées (par. 51, 53 et 54).
(Soulignement ajouté)
[22] Revenant à l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême écrit que le tribunal de révision doit appliquer sa propre interprétation du texte législatif à l’étude :
[50] […] il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit. On favorise ainsi le prononcé de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.
L’ANALYSE
[23] Examinons dans un premier temps, sous le critère de la décision raisonnable, la sévérité de la sanction. Dans un deuxième temps, sous le critère de la décision correcte, l’ordonnance de remboursement en regard de la double sanction.
- Sévérité de la sanction
[24] Le Conseil apprécie la preuve présentée lors des plaidoiries sur la sanction. Il retient notamment les antécédents disciplinaires de l’appelant. En 2003, il a été déclaré coupable d’avoir fait défaut à six reprises de compléter et de faire parvenir sa déclaration annuelle; en 2005 d’avoir fait défaut de répondre à la syndique et enfin en 2007, s’être fait imposer une radiation de 30 jours après avoir été déclaré coupable d’avoir fait défaut de respecter une ordonnance entraînant une condamnation pour outrage au tribunal.
[25] Dans sa décision sur sanction, le Conseil énumère les circonstances aggravantes du cas à l’étude :
[21] En matière de gravité objective, les gestes reprochés à l’intimé sont graves et sérieux.
[22] De façon plus particulière, l’appropriation des sommes d’argent appartenant à son client et les fausses représentations à ce dernier sont des fautes qui se situent au cœur même de l’exercice de la profession d’avocat.
[23] Elles mettent en cause la probité de l’intimé.
[24] Ce faisant, la conduite de l’intimé porte ombrage à l’ensemble de la profession.
[25] Le public est en droit de s’attendre à une conduite irréprochable de l’avocat, notamment en regard des sommes d’argent qui lui sont confiées ; en agissant comme il l’a fait, l’intimé a rompu le nécessaire lien de confiance qui doit prévaloir dans les relations de l’avocat avec son client.
[26] C’est pourquoi, des sanctions sévères s’imposent dans les circonstances.
[...]
[42] Ces sanctions sont justes et raisonnables dans les circonstances.
[43] Elles prennent en compte notamment l’absence totale de collaboration de l’intimé tout au long du processus disciplinaire.
[44] Elles prennent de plus en compte le fait que l’intimé n’ait pas remboursé son client.
[45] Non seulement l’intimé n’a-t-il pas remboursé son client, mais il lui a menti de façon délibérée en lui représentant qu’il avait pris une entente avec le ministère du Revenu alors que cela était faux, avec pour conséquence que son client a dû payer la somme de 4 082.80 $ audit ministère.
[46] Le conseil prend de plus en compte les antécédents disciplinaires de l’intimé et notamment sa culpabilité aux reproches d’avoir fait défaut de répondre à la syndique dans le dossier 06-04-01944 en 2004, les gestes reprochés à l’intimé sous le onzième chef dans le présent dossier constituant une récidive.
(Soulignements ajoutés)
[26] Le Conseil a considéré les décisions antérieures rendues dans des circonstances analogues. Dans le contexte d’appropriations illégales de sommes d’argent variant entre 5 000 $ et 12 000 $, les radiations temporaires imposées sont de l’ordre de 4 et 5 ans.
[27] La décision du Conseil satisfait aux critères de la décision raisonnable énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir.
[28] L’appelant n’a pas démontré de motifs remettant en question la transparence ou l’intelligibilité du processus décisionnel suivi par le Conseil. Il a amplement justifié sa décision sur sanction eu égard à la preuve. La sanction s’inscrit dans la norme d’une décision raisonnable.
[29] Ce motif d’appel est rejeté parce que non fondé.
- L’ordonnance de remboursement
[30] Examinons maintenant la légalité de l’ordonnance de remboursement à l’acquis de la personne spoliée. L’argument de l’appelant veut que le Conseil en prononçant une radiation de cinq ans ait considéré tous les facteurs atténuants et aggravants pour se prononcer. En imposant un remboursement, le Conseil impose une double pénalité puisqu’il a déjà considéré ce fait comme une circonstance aggravante au paragraphe 44 de sa décision.
[31] L’article 156 du Code énonce :
156. Sanctions imposables. Le conseil de discipline impose aux professionnels déclarés coupable d’une infraction visée à l’article 116, une ou plusieurs des sanctions suivantes sur chacun des chefs contenus dans la plainte :
[...]
b) la radiation temporaire ou permanente du tableau, même si depuis la date de l’infraction il a cessé d’y être inscrit;
[...]
d) l’obligation de remettre à toute personne à qui elle revient une somme d’argent que le professionnel détient ou devrait détenir pour elle;
Radiation et amende. Le conseil de discipline impose au professionnel déclaré coupable d’avoir posé un acte dérogatoire visé à l’article 59.1, au moins la radiation temporaire et une amende conformément aux paragraphes b et c du premier alinéa. Il impose au professionnel déclaré coupable de s’être approprié sans droit des sommes d’argent et autres valeurs qu’il détient pour le compte de tout client ou déclaré coupable d’avoir utilisé des sommes d’argent et autres valeurs à des fins autres que celles pour lesquelles elles lui avaient été remises dans l’exercice de sa profession, au moins la radiation temporaire conformément au paragraphe b du premier alinéa.
[32] L’article 156 du Code énumère les différentes sanctions qui peuvent être imposées. Il énonce que « une ou plusieurs des sanctions » mentionnées peuvent être imposées. La radiation temporaire ou permanente est prévue à l’alinéa b et l’ordonnance de remboursement à l’alinéa d.
[33] Le texte de l’article est explicite quant à l’aspect cumulatif de ces sanctions. Rien dans le texte n’indique qu’il s’agit de sanctions disjonctives. Le Conseil, après avoir reconnu la culpabilité d’un professionnel et avoir envisagé une sanction pour la protection du public, examine la possibilité de dédommager la personne victime d’une appropriation illégale par le professionnel fautif.
[34] L’ordonnance de remboursement dénote de la part du Conseil une préoccupation pour la victime et les inconvénients qu’elle a subis. Cette ordonnance s’intègre à la mission de protection du public du Barreau et du Conseil en limitant, en autant que faire se peut, les difficultés occasionnées à la victime par l’acte dérogatoire du professionnel déclaré coupable.
[35] Le Tribunal lors de l’examen de l’article 156 d) du Code écrit dans la cause de Garneau c. Notaires (Ordre professionnel des) :
[51] [...] L’objectif de cette sanction est d’accorder aux personnes lésées la possibilité de récupérer les sommes d’argent confiées au professionnel, mais détournées par celui-ci.
[36] Ce motif d’appel également n’est pas retenu puisque l’imposition d’une ordonnance de remboursement à l’égard de la victime en sus d’une radiation temporaire ne constitue pas une double sanction.
CONCLUSION :
[37] L’appelant ne convainc pas qu’il y a lieu d’intervenir. La décision du Conseil en regard de la radiation temporaire de cinq ans satisfait aux critères de la décision raisonnable énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE l’appel de la décision du Conseil de discipline du Barreau du Québec rendue le 2 mars 2010.
CONDAMNE l’appelant au paiement des déboursés tant en première instance qu’en appel.
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MARTIN HÉBERT, J.C.Q.
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DENIS LAVERGNE, J.C.Q.
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RENÉ DE LA SABLONNIÈRE, J.C.Q.
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M. Daniel Draws
APPELANT-intimé
Agissant personnellement
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Me Marie-Claude Thibault, en qualité de
Syndique adjointe du Barreau du Québec
INTIMÉE-plaignante
Agissant personnellement
Me Nancy J. Trudel, en qualité de secrétaire du Conseil
de discipline du Barreau du Québec
Mise en cause
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Date d’audience :
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8 février 2011
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C.D. No : 06-09-02466
Décision sur culpabilité rendue le 21 juillet 2009
Décision sur sanction rendue le 2 mars 2010