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Depuis le début de l’épidémie de sida, les communautés trans sont les grandes oubliées des statistiques officielles sur le VIH et les IST à l’échelle internationale (Namaste, 2010). Pourtant les quelques enquêtes disponibles soulignent la très forte prévalence du VIH dans certains sous-groupes de cette population. En France, de nombreuses associations trans, soutenues par des acteurs de la lutte contre le sida, réclament de longue date une meilleure prise en compte de cette situation dans les études épidémiologiques et socio-comportementales. De ce fait, la revue critique réalisée par Alain Giami et Jonas Le Bail et publiée dans la Revue d’épidémiologie et de santé publique (en anglais) doit être saluée, car elle constitue une ressource de tout premier ordre sur les questions « trans et VIH ».
Les auteurs prennent soin, en introduction, de rappeler que ces dernières années les questions de citoyenneté et de santé des personnes trans font l’objet d’une attention plus grande que par le passé. Dans ce contexte, et constatant l’absence d’enquêtes ciblées en France, l’objectif de l’article est de compiler les données internationales éparses sur le VIH et les IST dans les communautés trans, afin de mieux identifier les facteurs de risque et d’orienter les futurs travaux de recherche. Soulignons que les auteurs se sont attachés à rendre leur travail disponible en français (PDF, 463Ko).
Comment a été réalisée cette revue de littérature
Les articles étudiés dans cette revue critique de la littérature proviennent des bases de données Pubmed et Ovid. A partir de mots-clés ciblés, 124 articles ont été sélectionnées. Les auteurs mettent également en évidence un certains nombres de limites, qui tiennent aux grandes disparités entre les enquêtes concernant la définition des personnes et les méthodologies appliquées. De plus, il n’existe pas pour les trans de population « de référence » : chaque enquête se fonde sur un échantillon particulier et ne peut être extrapolée qu’avec prudence. Il est donc difficile d’établir des critères de représentativité des données analysées.
A ce sujet, la construction de cette revue appelle une critique d’ordre méthodologique. Les articles analysés s’échelonnent sur une longue période, du début des années 1990 à l’année 2010. L’article d’A. Giami et J. Le Bail aurait gagné à mieux prendre en compte la chronologie des travaux, car tant le contexte de l’épidémie que celui des interventions de santé publique ou des mobilisations trans ont profondément évolué au cours de ces vingt années.
Questions de définition
Pour les auteurs, l’une des premières difficultés qui se pose dans la réalisation de cette revue de littérature tient aux multiples enjeux de définition des personnes concernées. Ils constatent la grande diversité des termes utilisés et de leurs multiples implications politiques : transsexualisme, transgenre, trans, transidentité… Des usages qui divisent les experts et les associations trans elles-mêmes. Dans la littérature scientifique anglo-saxonne, la catégorie « transgenre » (transgender) est considérée comme un terme parapluie, englobant la diversité des positionnements identitaires et se différenciant des définitions médicales et psychiatriques. Dans la même logique, les auteurs ont fait le choix d’utiliser dans l’article le terme « trans », qui leur parait le mieux à même de maintenir une « extériorité méthodologique » vis-à-vis des débats politiques.
Se pose de ce fait une autre question, absente de l’article, celle des implications sociales et politiques des recherches menées. Dans un contexte de transphobie structurelle, les chercheurs peuvent-ils faire l’économie de penser (et de mettre en œuvre) la participation des communautés aux recherches les concernant ? Qu’en est-il des travaux référencés dans cette revue ? De plus, « l’extériorité méthodologique » revendiquée par les auteurs est-elle tenable, tant les résultats de la recherche font l’objet d’interprétations et de débats de la part des différents acteurs ? Sur ce point, plusieurs chercheur-e-s, dont V. Namaste (2010), ont ouvert la voie à des perspectives stimulantes, qui démontrent à quel point la participation des groupes étudiés est une condition de la pertinence des recherches. A ce titre, le développement des approches de recherche communautaire dans le domaine du VIH pourrait être un levier précieux (Henry, Spire, 2010).
Prévalence du VIH/IST
A partir des articles étudiés, les auteurs établissent que la prévalence du VIH varie très fortement en fonction du genre : de 11,8% à 27, 7% en moyenne chez les MtF, autour de 2% chez les FtM, même si les hommes trans sont globalement sous-représentés dans les travaux. Peu de données sont disponibles sur les autres IST. En France, la seule enquête actuellement disponible indique une prévalence du VIH de 4,5% (D’Almeida et al, 2008). En dépit des limites méthodologiques constatées, et en l’état des données disponibles, la prévalence du VIH apparait très élevée dans les communautés trans.
Facteurs de risque
Les auteurs établissent ensuite une liste des facteurs de risque à partir des enquêtes disponibles (pour les détails chiffrés et les références des enquêtes, se rapporter à l’article):
- L’expérience de la migration et l’appartenance à un groupe ethnique minoritaire;
- Le travail du sexe;
- Le multipartenariat;
- Les violences, l’exclusion sociale et la santé mentale;
- La détention.
Comme l’indique A. Giami et J. Le Bail, ces différents facteurs sont souvent très imbriqués. On aurait cependant pu attendre des auteurs une démarche plus critique vis-à-vis des catégories utilisées dans les enquêtes. Car, les données le montrent, le constat de l’imbrication et du cumul des situations de risque ne permet pas d’isoler le «travail du sexe» ou «l’appartenance ethnique» comme facteurs de risque. Bien au contraire, ces facteurs ne sont pas homogènes selon les contextes : par exemple, aux Etats-Unis, les femmes trans afro-américaines ou latinas sont très touchées par le VIH, mais pas celles originaires d’Asie. Il apparait que certaines situations de précarité (illégalité du séjour, travail dans la rue, répression policière), peuvent moduler les risques, par exemple en compliquant la négociation de la prévention avec les clients. Le travail du sexe n’est donc pas «en soi» une situation à risque.
De la même manière, le multipartenariat apparaît comme un «facteur de risque» dans certaines des enquêtes ; là encore, cette catégorisation pose problème. Elle a d’ailleurs été largement critiquée par les chercheurs travaillant sur l’homosexualité masculine : pourquoi ré-émerge-t-elle si facilement quand il s’agit des trans? Il est en effet difficile d’envisager le multipartenariat de manière univoque : avoir plusieurs partenaires traduit de multiples réalités. Cela peut refléter des choix de vie/de relations ou le fait d’être travailleur/ses du sexe. Mais cela peut aussi découler de discriminations : le rejet par les partenaires du fait de la transidentité ou la difficulté à établir des relations stables. Par ailleurs, plus que le nombre de partenaire, c’est leur appartenance à un groupe à forte prévalence qui est en jeu. Ainsi, certaines enquêtes montrent les nombreuses connexions, dans les réseaux sexuels, entre les communautés trans et les communautés HSH très fortement touchées par le VIH. Isoler le multipartenariat comme facteur de risque ne permet donc pas nécessairement de mieux comprendre ce qui se joue.
Plus largement, dans les articles étudiés par A. Giami et J. Le Bail, la dimension du contexte est singulièrement absente. Or, pour les sciences sociales, c’est bien le contexte (social, politique, légal, relationnel, etc.) qui façonne les situations de risque, et non simplement les comportements individuels. De ce fait, mettre en exergue, dans les enquêtes, le non usage du préservatif et/ou le partage de seringue (lors de l’usage de substances injectables et/ou de produits psychoactifs) ne donne qu’une vision limitée de la dynamique de l’épidémie dans les populations trans. Sur ce point, les auteurs auraient pu pousser plus loin la critique.
Conclusion
On le voit, des enquêtes épidémiologiques et sociologiques sont indispensables pour mieux renseigner le contexte du VIH dans les communautés trans. Cela passe aussi par l’amélioration des dispositifs existants, lorsque c’est possible et utile, afin de mieux prendre en compte les personnes trans dans les données de santé. Ces enquêtes devront nécessairement être accompagnées de travaux qualitatifs. Cependant, comme l’a souligné V. Namaste (2010), le genre n’est pas toujours l’angle le plus adéquat pour comprendre les vécus des personnes trans. En d’autres termes, pour certains segments de cette population, la prise en compte des réseaux sexuels, de l’orientation sexuelle ou des conditions matérielles de subsistance pourraient s’avérer pertinents afin de mieux envisager l’hétérogénéité des expériences.
On rejoint sans réserve les auteurs Alain Giami et Jonas Le Bail dans leur constat conclusif : la situation sanitaire des communautés trans est très préoccupante au vue des niveaux de prévalence du VIH documentés. Mais elle est aussi complexe, du fait de l’imbrication des facteurs de risque. Les auteurs estiment que les trans constituent une population très diverse, qui n’est pas exposée de manière homogène aux risques du VIH et des IST. Sur le plan méthodologique, les enquêtes menées jusqu’à présent comportent d’importantes limites. L’une des principales étant que les recherches portent, pour la plupart, sur des segments spécifiques de la population trans (plus « à risque » et/ou fréquentant des centres de santé), laissant dans l’ombre une partie des personnes, dont la proportion est difficilement estimable. La publication prochaine des résultats de l’enquête sur la santé sexuelle des trans, menée en 2010 par A. Giami1 va constituer une étape importante pour une meilleure connaissance des ces réalités en France.