Dans une Inde profondément conservatrice en matière de relations sexuel-
les et de condition féminine, des couples homosexuels tirent parti du vide
de la loi pour se marier et vivre ensemble au grand jour. Ils risquent pour-
tant jusqu’à dix ans de prison pour homosexualité.
Toutefois, moins de 50 personnes ont été condamnées en application
de la loi de 1861 entrée en vigueur sous la domination britannique. Les
juges se montrent plutôt cléments et les autorités réticentes à lancer une
controverse.
Pour autant, la vie des homosexuels est difficile dans ce pays de castes où
même les hétérosexuels s’embrassent rarement en public. Gays et lesbien-
nes sont ridiculisés, victimes de discrimination au quotidien, de chantage
et de persécution de la part de la police et des autorités, selon les organisa-
tions de défense des droits de l’Homme.
C’est encore plus dur pour les femmes, dont la condition est déjà difficile
quelle que soit leur orientation sexuelle. D’après les estimations officielles,
une femme est violée toutes les heures en Inde, une épouse brûlée toutes
les six heures dans une dispute concernant la dot, et 80% des avortements
illégaux concernent des foetus féminins.
C’est dans ce contexte que Raju, 25 ans, et Mala, 22 ans, ont publiquement
déclaré leur union et se sont présentées comme épouses, ce qui leur vaut la
«Une» des journaux, avec deux autres couples de femmes. Non seulement
Raju et Mala sont homosexuelles, mais en outre Raju est une Dalit, une
Intouchable, une hors caste. Bien que le fossé ne soit plus infranchissable,
le mélange reste peu fréquent entre Indiens de castes différentes, a fortiori
avec des Intouchables.
En décembre, un mois avant le mariage prévu de Mala avec un homme,
celle-ci s’est échappée de chez elle, à Amritsar dans le Nord du pays, et
s’est mariée en secret avec Raju, lors d’une cérémonie hindoue à New
Delhi. Quand elles ont annoncé leur union, leurs familles respectives les
ont fait arrêter. Mais la justice a conclu qu’elles pouvaient vivre ensemble,
le cas n’étant pas prévu par la loi. «Personne ne peut nous séparer. Pas
même la loi. Nous nous sommes juré de vivre ensemble pour le reste de
notre vie en tant qu’époux», a déclaré Raju à la presse.
Un autre couple a été moins chanceux dans l’État du Bihar, dans l’Est du
pays. La police a arrêté Pooja Singh, une veuve, mère d’un garçon de huit
ans, et l’a inculpée pour l’enlèvement de sa compagne âgée de 19 ans,
Sarita. Cette dernière a été rendue à ses parents. Pooja s’apprête à faire
appel de la décision.
Un troisième couple s’est fait connaître à Aroor, dans le Kerala, État du
Sud de la péninsule. Dans ce cas, une jeune femme de 26 ans, Mangala,
était mariée à Venu, un homme de 40 ans. Quand Mangala lui a révélé
que depuis leur mariage, dix ans auparavant, elle fréquentait Ramlath, 23
ans, Venu a accepté d’épouser la maîtresse de sa femme. Ils vivent tous
les trois ensemble.
Ruth Vanita, professeur à l’Université du Montana et auteure d’un livre
sur les mariages homosexuels en Inde et en Occident, estime que le fait le
plus frappant en Inde est que les couples sont issus des classes moyennes
et qu’ils n’ont aucun lien avec des organisations de défense des homo-
sexuels.
Pour Ranjana Kumari, chef du Centre de recherches sociales de New
Delhi, les coupes lesbiens sont plus visibles aujourd’hui, mais «ils sont
toujours totalement rejetés socialement. Seules les personnes ayant un sta-
tut social privilégié peuvent faire tacitement accepter leur orientation».
Les organisations de défense des homosexuels demandent l’abrogation de
la loi sur l’homosexualité. Ruth Vanita souligne pour sa part que la tradi-
tion indienne célèbre depuis des siècles l’amour sous toutes ses formes,
dans la mythologie, le folklore et la littérature. Forte de cet argument, elle
«pense que cette tradition l’emportera sur les gens sans coeur qui partout
s’opposent au droit d’aimer».