Le Monde
Sept mois après l’abrogation de la loi controversée dite “Don’t Ask, Don’t Tell” qui interdisait depuis 1993 aux militaires gays d’afficher leur homosexualité sous peine de renvoi, le président américain, Barack Obama, a donné, vendredi 22 juillet, son feu vert à la présence d’homosexuels dans l’armée. Cette décision permet l’abrogation définitive, dans soixante jours, du tabou gay après dix-huit ans d’une loi controversée.
Avec le secrétaire à la défense, Leon Panetta, et le plus haut gradé américain, l’amiral Mike Mullen, le président a certifié, vendredi au Congrès, que la préparation des forces armées en vue d’accueillir des personnes homosexuelles dans ses rangs était achevée et que le tabou gay pouvait être levé.
L’armée avait souhaité disposer de temps pour préparer ses troupes à l’arrivée ou au coming-out de soldats homosexuels. Un travail pédagogique a donc été mené ces derniers mois auprès des militaires des cinq branches de l’armée américaine (Air Force, Army, Coast-Guard, Marines, Navy).
“L’un des principes de l’armée, c’est d’avoir un code de conduite et de s’y tenir. Donc en faisant ce travail pédagogique, l’armée s’est assurée que ses soldats comprenaient bien les nouvelles règles du code de conduite. De ce point de vue, c’est une bonne chose qu’elle ait mis en place cette préparation”, explique au Monde.fr Jonathan Hopkins, porte-parole de OutServe, une association pour les militaires LGBT (lesbiens, gays, bisexuels et transsexuels) actuellement en service et qui se bat depuis un an pour l’abrogation de “Don’t Ask, Don’t Tell”.
Le Pentagone avait anticipé le vote du Congrès en publiant, le 30 novembre 2010, un rapport sur l’application de l’abrogation de la loi. Ce document de 95 pages décrit la pédagogie à suivre pour expliquer les changements que va entraîner l’arrêt de “Don’t Ask, Don’t Tell” et a servi de base à la préparation menée dans l’armée depuis plusieurs mois. Trois grands principes dominent l’état d’esprit du rapport : “leadership, professionnalisme, respect”.
LES GRADÉS DEVRONT FAIRE PREUVE DE LEADERSHIP
Dans ce document, on peut ainsi lire : “Lors des 17 dernières années sous ‘Don’t Ask, Don’t Tell’, les commandants ont dirigé avec succès des militaires ayant des points de vue très différents sur l’engagement de militaires gays ou lesbiennes. Après l’abrogation, les commandants continueront à diriger avec succès des militaires ayant des points de vue très différents sur l’engagement de militaires gays ou lesbiennes. La loi aura changé, mais les défis du commandement restent les mêmes : la tâche d’un commandant est de construire la cohésion de son unité et de maintenir sa préparation afin que celle-ci soit capable d’accomplir sa mission avec efficacité.”
Eileen Lainez, porte-parole du département de la Défense, explique au Monde.fr que “la préparation à l’arrêt de ‘Don’t Ask, Don’t Tell’ s’est surtout concentrée sur les changements qu’impliquent l’abrogation de cette loi. Notre but, c’est que les membres de l’armée continuent de se traiter les uns les autres avec dignité et respect.”
Chaque branche de l’armée était libre de préparer ses troupes selon la méthode qu’elle souhaitait, mais toutes ont adopté un calendrier en trois temps. Ont d’abord été briefés les personnels pouvant être souvent confrontés à des problèmes liés à l’abrogation de “Don’t Ask, Don’t Tell”, comme les aumôniers ou les employés des ressources humaines. Puis ce fut le tour des gradés et, enfin, de l’ensemble de l’armée.
DES MISES EN SITUATION POUR PRÉPARER L’ARMÉE
Des présentations de vingt à trente minutes ont été faites auprès des militaires pour les informer des changements à venir et répondre aux éventuelles questions. Des mises en situation ont également été proposées pour préparer les membres de l’armée américaine à certaines situations particulières.
Ces 14 scénarios ont été révélés sur le site Internet de OutServe. L’un d’entre eux décrit un commandant étant informé qu’un de ses soldats fréquente un bar gay. “Dans ce cas, le commandant ne doit rien faire. À moins que l’établissement ne se trouve dans un périmètre interdit aux soldats ou qu’il y ait une preuve que le comportement du soldat n’est pas conforme au code de conduite de l’armée, il n’y a aucune interdiction contre le fait de se rendre dans un bar gay”, affirme les directives de la Navy.
Un autre scénario dépeint un adjudant découvrant à la télévision que l’une de ses soldates défile en tenue civile lors d’une manifestation en faveur des droits des homosexuels, avec une pancarte sur laquelle est écrit : “Soutenez la présence des gays et lesbiennes dans l’armée !”. “La participation d’un soldat à un défilé et le fait de porter une pancarte soutenant les droits des homosexuels ne constitue pas une faute professionnelle, sauf si ses actions sont interdites ou qu’elles discréditent l’armée. Par exemple, défiler en uniforme ou pendant son service serait interdit, sauf accord de la hiérarchie“, indique le mémo.
L’association OutServe a pu rencontrer l’équipe du Pentagone en charge de la préparation des militaires à l’arrêt de “Don’t Ask, Don’t Tell” et juge de façon positive l’action entreprise. Cependant, “la préparation en elle-même n’est pas suffisante”, estime Jonathan Hopkins. “Le bon déroulement de l’abrogation de cette loi va vraiment dépendre du comportement des gradés sur le terrain, de la façon dont ils œuvrent pour qu’elle soit réellement mise en application”, dit-il.
Selon le Pentagone, “la préparation s’est bien déroulée”. Il faudra toutefois attendre 60 jours après l’annonce de Leon Panetta pour que la fin de “Don’t Ask, Don’t Tell” entre réellement en vigueur.
Romain Brunet