En 1750 Quand les homos finissaient au bûcher
Thursday, May 30th, 2013FranceTV infos
Si les débats actuels ont un mérite, c’est de permettre de rappeler qu’avant de parler de mariage, la dépénalisation de l’homosexualité fut longue à venir. Encore la France fut-elle le premier pays au monde à supprimer le crime de sodomie de son arsenal juridique, en 1791. Jusqu’à cette date, “sodomites”, “pédérastes” et “bougres” risquaient leur vie. Retour sur la dernière exécution capitale d’un couple d’homosexuels, en 1750.
Au milieu du XVIIIe siècle, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on n’affiche guère ses préférences sexuelles quand elles ne sont pas « conformes ». Si la puissance publique ne punit plus que rarement les “gens de la manchette” – le surnom donné aux homosexuels de sexe masculin -, elle déploie des trésors d’inventivité pour les dissuader de se rencontrer en public – ce n’est pas tant l’acte qui pose problème aux yeux de la justice du Roi que l’exhibition. Pour cela, le guet déploie tout un réseau d’espions, les “mouches” : des agents de surveillance expédiés dans tout Paris pour repérer les lieux de rencontre et réaliser des flagrants délits – quitte à provoquer la chose en s’exhibant. Une fois identifiés, les coupables sont conduits devant un officier qui relève leur identité et alimente un fichier toujours utile. La plupart du temps, les malheureux s’en sortent au prix d’un interrogatoire musclé, d’un fichage à vie et d’une belle frayeur. La morale publique est sauve et le Roi content. Jusqu’en janvier 1750.
Le soir du 4 janvier, vers 23h30, deux hommes sont surpris par les agents du guet rue Montorgueil, à deux pas des Halles actuelles. Le sergent Dauguisy déclare – on dispose toujours du texte de son rapport – qu’il a “vu deux particuliers en posture indécente et d’une manière répréhensible, l’un desquels lui a paru ivre”. Le témoignage d’un “particulier passant” sera décisif, l’homme jurant qu’il a vu les deux individus “commettre des crimes que la bienséance ne permet point d’exprimer par écrit”.
Les deux hommes sont conduits au Châtelet. Le premier, Bruno Lenoir, est un cordonnier de 20 ans. Le second, un domestique, a une quarantaine d’années et s’appelle Jean Diot. Lenoir, fou de terreur, nie en bloc et jure ses grands dieux qu’il ne connaît pas Diot. Il déclare que Diot “est venu l’accoster et lui a proposé l’infamie, qu’il l’a même prié de le lui mettre par derrière, que pour cet effet (lui-même) a défait sa culotte et que lui déclarant le lui a mis par derrière, sans cependant finir l’affaire”. Jean Diot n’admet pas grand-chose de son côté, concédant tout juste qu’il a pu défaire sa culotte “pour faire de l’eau”. Le procès se tient dès le mois d’avril 1750. Le procureur est décidé à faire un exemple et demande que les accusés soient brûlés vifs. La sentence est confirmée en appel le 5 juin 1750 : “ont été déclarés dûment atteints et convaincus du crime de sodomie; pour réparation ils ont été condamnés à être conduits dans un tombereau à la place de Grève, et là y être brûlés vifs avec leur procès, leurs cendres ensuite jetées au vent, leurs biens acquis et confisqués au Roi (…). Le 6 juillet 1750, un avocat raconte la scène qui s’est déroulée comme prévu place de Grève, sans émotion particulière, et ajoute que “l’exécution a été faite pour faire un exemple, d’autant que l’on dit que ce crime devient très commun et qu’il y a beaucoup de gens à Bicêtre pour ce fait. (…) On n’a point crié le jugement pour s’épargner apparemment le nom et la qualification du crime.” S’il note cette exécution, c’est simplement pour rappeler que la précédente remontait à 1720, dans une affaire où les condamnés avaient été reconnus coupables du même acte, mais également de blasphème. Jusqu’au 4 août 1982, ce n’était pas celui-ci qui était puni par le Code pénal, mais bien cet “attentat infâme contre la nature” (l’expression est de… Voltaire) resté longtemps un crime, en France comme ailleurs – moins longtemps qu’ailleurs, en fait.