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Après le « famlâ »*, le « kôn », les « mammy-wata », les sectes ésotériques, les pactes avec les entités mystiques, l’homosexualité est devenue une source d’explication de la richesse. Les Camerounais ne sont pas systématiquement homophobes, mais la théorie du complot est une constante dans leur culture. Plus qu’une constante, elle est une fonction.
Ainsi l’homosexuel est-il davantage un bouc émissaire. Le Cameroun, pour reprendre l’expression de Pierre Prier (Figaro.fr), n’est pas plus « noyauté » par les sectes que le Congo Démocratique, la France ou les Etats-Unis d’Amérique par exemple. On a vécu paisiblement durant de nombreuses années sans s’émouvoir ni de leur criminalisation dans le code pénal ni de leur présence parmi nous. Depuis le scandale médiatique créé par la publication dans une certaine presse des listes d’homosexuels, certaines personnes se sont curieusement radicalisées. Les Camerounais vivent-il en dehors du temps et de l’espace, au point de vouloir dire à notre époque « vade retro ! » ?
En réalité, qu’est-ce qui choque tant dans cette affaire ? La rencontre de deux plaisirs, la sexualité de deux adultes éclairés, quand au même temps, les partouzes se banalisent, et la sodomie se pratique couramment en dépit de la loi ? Les amalgames naissent de la faiblesse de l’argumentaire homophobe, l’on invoque les pratiques mystiques, comme si celles-ci n’avaient pas cours dans les relations hétérosexuelles ; l’enrichissement rapide qui est le plus sûr indicateur de corruption et de détournement de fonds publics trouve subitement sa genèse dans l’homosexualité.
On accuse la mondialisation, en jurant par tous les dieux que c’est une maladie bien occidentale que cette homosexualité : la belle blague ! Le « mevungu » des Pahouins et le « ko’o » des Bassas (Charles GUEBOGUO, 2006) ne sont ils pas des cérémonies initiatiques à caractère homosexuel ? Les conceptions chrétiennes et le code napoléonien condamnaient sans nuances ces pratiques, si cette « maladie » est donc importée d’Occident, les outils de sa répression également nous sont fournis par eux, ce ne sont pas nos traditions qui nous ont dicté cette fermeté vis-à-vis de cette pratique, puisque, à en croire certains, cela n’existait pas jadis.
En conséquence c’est aujourd’hui seulement que nous pouvons nous faire notre idée sur le sujet, sauf à dire que cela n’existe toujours pas. Dans dix ans, il s’en trouvera toujours des phénomènes pour vous expliquer que l’homosexualité féminine ou, plus graves, la pédophilie et l’inceste, dans les années 2000, ça n’existait pas au Cameroun.
C’est d’autant plus prévisible que la confusion entre homosexualité et pédophilie par exemple est régulièrement faite dans les médias les plus sérieux. L’invasion gay a commencé timidement : ils sont là, ne demandent ni à se marier, ni à adopter des enfants, ni à parader gaiement le 20 mai, ils vivent leur vie en somme, en plus on a l’assurance qu’ils ne peuvent pas se féconder entre eux. Malgré tout, cela a visiblement le don d’empêcher le législateur camerounais de dormir sur ses deux oreilles.
De Gaulle, les éthnies et la tolérance
Quel est aujourd’hui l’apport du Cameroun dans le concert des nations ? De quel message spécifique pouvons-nous nous déclarer porteurs ? Si cette question brûle les lèvres, c’est bien parce que c’est celle dont la réponse est la plus évidente pour tous. Le Cameroun est porteur d’un message d’espoir et de tolérance. Il n’est que de voir :
- 1 – Le règlement du différend frontalier camerouno-nigérian. Auraient-ils été des démocrates convaincus que personne n’aurait rien trouvé à redire si les présidents de ces deux pays avaient été récipiendaires du prix Nobel de la Paix.
- 2 – Depuis son accession à l’indépendance, le Cameroun n’a jamais connu de gouvernement militaire. Pourtant, et pour cause, il y a eu des contestations politiques fortes, notamment au milieu des années 80 et dans les années 90.
- 3 – La juxtaposition pacifique de toutes les grandes religions et les moins grandes sans qu’il y ait motif à déclarer des guerres saintes ou la cohabitation harmonieuse de sa foultitude d’ethnies. Les dérives tribalistes existent indubitablement, et continueront d’exister aussi longtemps qu’il y aura des tribus. La solution la plus originale à ce sujet a été proposée par une femme qui a renoncé à se présenter aux dernières présidentielles, Marie-Louise Otabela, qui suggère de détribaliser le Cameroun, c’est-à-dire, pour paraphraser Fichte, de couper leur tête à tous les Camerounais par une belle nuit de Saint Sylvestre, et d’en mettre à la place une autre où il n’y ait plus aucune idée tribale.
Au sujet de la France, De Gaulle aurait, dit-on, demandé un jour comment était-il possible de gouverner un pays qui comptait 258 variétés de fromage. Encore heureux ! S’il avait été camerounais, quel sort eût-il réservé à nos centaines de langues, pour gouverner au mieux ? Faudrait-il éclater notre pays en 258 parties correspondant aux groupes ethniques qui la composent ?
Maitre Nkom n’est pas seule
Le Cameroun doit rester un pays tolérant, garant des droits des minorités, des faibles, des victimes. Les homosexuels ne sont pas des délinquants. Il y a une parenté de valeurs entre les combats des associations qui défendent les prostituées et celles qui voudraient aider à une meilleure socialisation des homosexuels. Dès lors les attaques dont maître Alice Nkom a été victime sont d’une bassesse et d’un pathétique… ! Ni elle, ni moi-même ne tombons sous le coup de la loi camerounaise, qui en son article 267 condamne l’apologie de certains crimes et de certains délits.
L’argumentaire homophobe, en l’espèce, s’était réduit en la diabolisation des FCFA 200 millions que l’Union Européenne avait accordé à un collectif d’associations. Le contexte préélectoral a peut-être joué dans l’engagement du ministre des relations extérieures, dont le gouvernement avait pourtant stigmatisé ceux qui quelques années plus tôt (2006) s’étaient livrés à la divulgation des orientations sexuelles de certaines personnalités. Le ministre des relations Extérieures avait estimé que « Le peuple camerounais n’est pas prêt, ni disposé à aller dans le sens du développement de ces pratiques sur son territoire ». Défendre des faibles, revient-il à promouvoir l’homosexualité ? Quelque chose dans cette comédie passe l’entendement. L’on a même été, c’est vrai, jusqu’à déplacer le problème et à poser la légalité de ce financement, étant entendu que la loi camerounaise de 1990 sur les associations, interdit à celles-ci de recevoir des dons. Une disposition qui à force d’être transgressée a pourtant fini par faire croire que l’erreur commune faisait le droit.
Entre hypocrisie et lâcheté
Les plus homophobes qui sont souvent de grands fans de football ne se sont jamais émus de ces effusions à la limite de l’indécence, qui tranchent d’avec la retenue caractéristique de « l’homme africain » (en supposant qu’il existe une caractériologie qui leur soit typique), même dans la victoire. Ces débordements n’ont jamais scandalisé personne. On trouve acceptables les tapes appuyés de tel coach sur l’arrière-train d’Eto’o Fils, les étreintes fusionnelles sur le terrain avant le match ou pour célébrer un but, les baisers sur le crâne, les tempes, et, accidentellement on veut bien le croire, sur la bouche, la nudité dans les vestiaires, la proximité permanente dans les chambres d’hôtel, les massages thérapeutiques dans des zones fortement érogènes. Ah bien sûr il n’y a rien de sexuel ! La sexualité c’est dans le lit, entre quatre murs, dans le noir. Alors pourquoi braquer les lumières du code pénal sur ces « pratiques » ?
Les diplomates, les touristes et les visiteurs étrangers au Cameroun qui seraient gays ne devraient-ils pas en toute logique être interdits de séjour ? La loi veut-elle dire que l’homosexualité est tolérée tant que personne ne le sait ? Les homosexuels au Cameroun se comportent en coupables, tant l’image que l’on a de soi dans une société est surtout le reflet de ce que renvoie l’entourage. Il y a peu de peuples au monde qui aient jamais unanimement accepté cela, alors il convient sinon de dépénaliser l’homosexualité, d’accepter que ceux-ci puissent être secourus et défendus. On entend ici et là que ce ne sont pas des « gens normaux » : depuis quand met-on en prison des gens qui ne sont pas « normaux » ?
*famla (fam+ la) = plantation du village. Famla signifierait donc dans certaines langues du groupe ethnique bamiléké le travail de la plantation ( ?) Le famla serait une pratique maléfique bamiléké qui consiste à transformer des personnes en forçats inconscients,en main-d’œuvre servile, docile et gratuite dans « les plantations du village ». Le kôn peut être considéré comme l’une de ses variantes en pays bassa. Les mammy-wata (étymologiquement mère des eaux) sont des espèces de sirènes, chez les peuples côtiers (Kribi) qui inondent de richesses ceux dont elle s’éprend…Tous ont ceci de commun qu’ils désignent ou expliquent un enrichissement rapide et facile.