Slate Afrique
C’est dans la nuit du 26 juillet 2011, à Essos, un quartier populaire et animé de la capitale camerounaise, que deux hommes, 19 et 22 ans, sont arrêtés en compagnie d’un troisième, plus âgé. Ils rentrent en voiture, après avoir vidé quelques verres à la terrasse d’un bar. Selon la police, les trois compagnons auraient été surpris pratiquant un rapport sexuel à bord de leur véhicule. D’après des associations de défense du droit des minorités sexuelles saisies du dossier, l’allure très «féminisée» des deux plus jeunes —maquillage et coiffure— aurait justifié leur arrestation lors d’un contrôle de police. Ils sont conduits au commissariat, gardés à vue jusqu’au 1er août, date de leur déferrement devant le procureur de la République.
D’après ces mêmes associations, ils auraient été battus et livré des aveux sous la contrainte. Le procureur délivre alors un mandat de détention provisoire contre les deux garçons, tandis que leur coaccusé sur qui pèse également une accusation de tentative de corruption est, lui, libéré, officiellement pour problème de santé. Pour Maître Alice Nkom qui assure la défense de ces jeunes hommes, l’affaire serait émaillée de violations de droit susceptibles d’annuler la procédure:
«Les faits se sont passés le 26 juillet. Ils ont été déférés au Parquet le 1er août. Donc ils sont restés en garde à vue dans les locaux de la Police judiciaire du 26 au 1er août alors que la garde à vue est de 48 heures. Mais en plus, elle n’était pas justifiée parce que le texte prévoit qu’il n’y a pas de garde à vue lorsqu’il y a un domicile connu.»
Maître Nkom ne souhaite pas s’appesantir sur les conditions de détention de ses clients, ses «enfants» comme elles les appellent affectueusement. Une chose est sûre: il ne fait pas bon être incarcéré pour homosexualité dans un univers pénitencier tristement célèbre pour sa surpopulation et sa violence. L’avocate préfère jouer la carte de l’optimisme sur l’issue du procès pour cause de dossier vide, assure-t-elle.
Le 23 août, les deux hommes sont présentés devant le Tribunal de Première instance d’Ekounou, sur les hauteurs de Yaoundé. Le juge doit se prononcer sur leur demande de mise en liberté provisoire. La presse camerounaise n’a que succinctement relaté l’affaire, pourtant ils sont une bonne centaine de journalistes à attendre aux abords du palais de Justice. Ils sont venus «les» voir comme pour mettre un visage sur ce qui est considéré par la grande majorité de la population, au mieux comme une maladie de blancs, au pire comme une pratique diabolique ou un outil de promotion sociale. Les deux hommes sont escortés par leurs gardiens jusque dans la salle d’audience. Ils arrivent dans le box des accusés, sous les regards du public. Le visage poupon, minces tous les deux, vêtus de jeans, chemise claire pour l’un, débardeur violet pour le second. Le verdict tombe: ils retourneront en prison et attendront leur procès derrière les barreaux. Leur demande est rejetée au motif de «garantie de représentation insuffisante».
Arbitraire et homophobie
Le vendredi 26 août 2011, RFI faisait savoir que quatre autres personnes avaient été arrêtées le 10 août, inculpées pour homosexualité. Ce qui porte à sept le nombre d’interpellations pour le même motif en un mois. Pour les associations de défense des droits des minorités sexuelles, il ne fait pas de doute que cette nouvelle affaire est une énième arrestation arbitraire. Le Cameroun en totaliserait chaque année près de 200. Les interpellations se font dans les rues, aux terrasses de bar prétendument gay ou encore sur dénonciation. L’acte restant évidemment difficile à prouver hors flagrant délit, de nombreux prévenus seraient jugés coupables après des aveux obtenus par la force, selon les associations militantes qui dénoncent inlassablement le climat de violente homophobie entourant ces affaires.
Le Collectif constitué des Adolescents contre le sida (Sid’ado), l’Association pour la défense des homosexuel-le-s (Adefho) et des familles d’enfants homosexuels (Cofenho) va plus loin, et considère illégal le fameux article 347 bis du code pénal qui punit l’homosexualité. Maître Alice Nkom, par ailleurs fondatrice de l’Adhefo souligne les contradictions du système camerounais:
«Lorsque le Cameroun a signé un traité, une convention qui dit “zéro discrimination” on ne doit pas pouvoir trouver une loi interne qui établit une discrimination dans son libellé. Cet article lui-même est irrégulier et il viole des dispositions qui lui sont supérieures.»
Des lendemains sombres
Les militants de la cause homosexuelle tirent par ailleurs la sonnette d’alarme à propos du code pénal camerounais en préparation. Stéphane Koche est le vice-président de l’Adhefo:
«Dans l’alinéa 2 (l’alinéa 1 reprend le texte actuel, ndlr) l’homosexualité est punie d’une peine de prison allant jusqu’à 10 ans, si l’acte est commis sur un mineur dont l’âge est compris entre 16 et 21 ans. L’alinéa 3 prévoit jusqu’à 15 ans de prison et une amende de 2 millions de francs CFA (3000 euros) si l’infraction est commise sur un mineur de moins de 16 ans. L’article qui suit immédiatement (347.2) intitulé pédophilie reprend in extenso l’alinea 3 de l’article 347.1. Il y a un amalgame entretenu, volontaire, des autorités en charge de cette réforme entre la pédophilie et l’homosexualité.»
Maître Alice Nkom a également fait part de ses craintes concernant une recrudescence des arrestations en cette période préélectorale propice à contenter la population, majoritairement homophobe.
De leurs côtés, les autorités continuent d’affirmer que le peuple n’est pas prêt à accepter ces pratiques. La Commission nationale des droits de l’homme et des libertés tient à peu de mots près, le même langage tout en assurant néanmoins s’assurer du respect des procédures.
Rappelons que selon la législation actuelle, les rapports sexuels entre personnes de même sexe sont punis de six mois à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 20.000 à 200.000 francs CFA (entre 30 et 300 euros). Ce sont les peines encourues par les «présumés homosexuels» qui se présenteront le 27 septembre 2011 au tribunal. Ils ont plaidé non coupables.