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Pourrais-je évoquer le sujet qui me hante totalement ? Ce « coming-out » que je redoute et dont l’imminence bouffe une grande partie de mon énergie ?
Quand je parle à mes parents et que, nourri de leur amour inconditionnel, ils m’exhortent à enfin trouver une femme pour me marier, j’imagine que je leur réponds naturellement :
« Mais papa, maman, j’aime les hommes. »
Si je disais « j’aime les hommes », ça ne pourrait pas être aussi crédible que « j’aime UN homme ». Un vrai, un poilu, qui aime des trucs que j’aime aussi et moi avec. S’il existait déjà celui-là, la rencontre avec eux se ferait naturellement.
« Je vous présente, X, on est ensemble. »
Ma mère demanderait « c’est ton colocataire ? » et je répondrais ironiquement : « Oui sauf qu’on dort dans le même lit ! » Il n’est pas du tout exagéré qu’ils puissent alors se demander intérieurement « qui fait la femme ? », mais je préfère penser qu’ils ont une meilleure image de moi. Même si oui, je fais la femme de temps en temps.
J’ai faim de cette normalité
Mon copain aurait le permis de conduire, lui, et il emmènerait ma grand-mère et ma mère chez Ikea pour choisir les rideaux du salon. S’il a le courage, il irait même plutôt au marché Saint-Pierre, mais ça le rendrait dingue tous ces tissus !
Je peux facilement imaginer que mon père puisse trouver en lui l’interlocuteur passionné de football que je ne suis pas. Ils commenteraient bruyamment les actions décisives de tel joueur, en grondant à tue-tête à chaque faute.
J’ai faim de cette normalité. De ce genre de relation naturelle.
Si le coming-out est réussi, après la crise de nerfs de ma mère, et la grosse colère de mon père qui pourrait me dire que « les homosexuels, c’est contre notre religion », je pense que je pourrais compter sur mes sœurs. Elles pourraient me dire qu’elles s’y attendaient car je ne leur ai jamais caché l’existence d’une copine. Cela nous rendrait peut être même complices ?
Ou alors ma sœur qui me suit depuis une poignée d’années me reprocherait de ne pas l’avoir mis dans la confidence. Elle m’en voudrait longtemps et puis un jour, elle me réinviterait à venir à chez elle pour lui présenter l’homme que j’aime.
Je n’arrive pas à crier « mais putain je suis pédé quoi ! »
Je ne ressens pourtant pas totalement l’urgence de me révéler. Je ne comprends pas pourquoi nous autres homosexuels, nous devons faire l’effort d’annoncer aux hétérosexuels qui nous entourent que nous ne sommes pas comme eux… ?
Si on me demande ce que je fais le soir, je dis « je sors ce soir ». Avec qui ? « Avec mes amis. »
On accepte finalement l’idée que des hétérosexuels s’encanaillent en soirée pour trouver des filles. Je fonctionne exactement sur ce malentendu permanent.
A ma mère qui me demande souvent pourquoi cette amie proche ne me plaît pas, et pourquoi je n’essaie pas de voir « si vous vous entendez bien, qui sait.. ? », je réponds souvent que cette amie proche est comme ma sœur et qu’il m’est difficile de penser à elle autrement. Quand elle me jette à la figure « mais on ne te voit jamais sortir avec une fille ! », je dégage la remarque par un habile « ce n’est pas parce que TU ne vois pas, que cela n’existe pas ».
La perfidie de certaines questions me pousserait presque quelquefois à crier : « Mais putain, je suis pédé quoi ! »
Mais je n’y arrive pas. Quand les mots arrivent sur le bout de ma langue, ils fondent comme des grains de sucre. Je vois les yeux remplis d’amour de mes géniteurs, et je suis envouté. Je me venge peut-être en leur mentant d’avoir à user de tant de stratagèmes.
J’ai envie de cette flamboyance, mais pas comme ça
L’un des auteurs de la revue Minorités, exhorte ses contemporains à se dévoiler. A crier haut et fort qu’ils sont homosexuels, qu’ils sont fiers de vivre la tête haute. J’ai envie de cette flamboyance, mais pas comme ça.
Dans le quartier où je viens d’emménager, il est plus simple de vivre son homosexualité que dans ma cité d’avant. Il est plus simple de recevoir des hommes. Il est plus simple de s’envoyer en l’air. Il est plus simple de revenir de boîte avec un T-shirt rose, avec un ami, de revenir de boîte avec un ami qui a un T-shirt rose.
Mais le confort réside dans l’anonymat. Etre reconnu comme étant le gay de l’immeuble, de la rue, de la ville, ne m’intéresse pas du tout. Comment peut-on concilier notre aspiration à la reconnaissance et à l’anonymat ? Pourquoi devrais-je dévoiler aux autres cet aspect si particulier de ma personnalité ?
OK, OK, je suis de mauvaise foi, nos droits n’avanceront jamais si nous ne sommes pas capables de dire au reste de la population « nous sommes ici ». Tant que nous seront invisibles, le mariage et l’adoption ne seront que des mirages. Mais pourquoi devrais-je faire mon coming-out ? Pour faire plaisir à cet auteur de Minorités ? Ou pour être enfin heureux ? Et si je perdais tout ? Et si je perdais rien ?
Je veux juste vivre en paix.