Caroline Gréco
Il arriva un moment où notre homme dut se rendre à l’évidence : cette satanée bête avait disparu, jamais il ne pourrait la tuer !
Alors notre chasseur sentit brutalement toute la fatigue l’envahir. Pendant des jours et des jours, il avait marché, couru, espéré et, brusquement, il devait s’avouer vaincu! Ses cheveux avaient blanchi, son pied n’était plus aussi ferme quand il courait, l’espoir de voir la biche s’était éteint, il n’avait plus de but, il était perdu. Il s’allongea à l’ombre d’un grand manguier et s’endormit pour toujours. L’espoir était mort, et la vie aussi. Carole est une fille du Nord. Son père, fonctionnaire a été nommé dans le sud de la France, et toute la famille s’est installée à Aix-en-Provence. Carole était un peu inquiète de terminer sa dernière année d’études dans une nouvelle fac, et désolée de quitter tous ses amis et sa grande famille. En même temps, elle était ravie de venir dans le sud en laissant la grisaille du nord.
Carole est une fille pleine de vie, sportive, d’un contact facile. Elle a découvert l’escalade et l’amour en même temps, puisque c’est en escaladant les falaises de la montagne Sainte Victoire qu’elle a fait la connaissance de Quentin ! Trois mois plus tard, ils s’installaient ensemble. Le temps a passé vite, tout allait pour le mieux, l’année scolaire arrivait à sa fin et les examens étaient terminés.
On parlait de vacances, de voyages, mais auparavant Carole avait décidé de faire une escapade à Lille pour embrasser sa grand-mère malade. Quentin voulait profiter de ces deux semaines de solitude pour terminer un rapport très compliqué et urgent. À son retour à la maison, Carole trouva dans la salle de bains un bâton de rouge à lèvres qui ne lui appartenait pas : elle ne se maquillait pas. Inquiète et intriguée, elle demanda des explications à son ami qui, après une explication interminable et très pénible, lui dit sur un ton excédé : « Que veux-tu, Carole, j’ai horreur de la solitude, ce n’est pas la première fille qui vient ici quand je suis seul, autant te le dire une fois pour toutes!» Carole, désespérée, le quitta sur le champ.
Vers la fin de l’été, Carole apprit par un ami que Quentin était séropositif. Elle en fut peinée, tout en se disant qu’il n’avait que ce qu’il méritait, et puis, brusquement, prise de panique, elle fit un contrôle. L’horreur se lisait sur la feuille de résultats : il l’avait aussi contaminée !!! Séropositive, mais saine. Elle surmonta le choc, aidée par sa famille et ses amis.
Elle lutte avec courage, avoue être encore pleine forme. Se trouvant au chômage, elle envisage alors de fonder une société de commerce. Elle va donc voir son banquier pour lui soumettre le projet et discute des modalités du prêt. Elle reçoit un questionnaire médical. Elle réfléchit longtemps : Faut-il qu’elle dise la vérité et qu’elle avoue sa séropositivité ? Dans ce cas, elle sait à l’avance que tout est fichu. A-t-on le droit de poser des questions pareilles? Qui peut dire si Carole est condamnée? Dans un mois ? Dans dix ans ? Où en seront les recherches sur le sida ? Quelle chance a-t-elle de s’en sortir ? Pourquoi n’a-t-on pas prévu aussi l’éventualité de mourir demain d’un accident de la route ? Pourquoi enlever tout espoir d’une vie normale ? Au nom de quoi ? De la peur de la maladie?
Il y a dix ans, Claude a eu un très grave accident de la route : deux côtes cassées, la rate éclatée et un traumatisme crânien. Il a, hélas, été transfusé avec du sang infecté par le virus VIH. Son épouse a demandé le divorce quand elle a appris la séropositivité de son mari et l’a quitté en emmenant Yann, leur enfant de quatre ans, qui pleure souvent et ne comprend toujours pas pourquoi il ne peut plus voir son papa, même si celui-ci est malade. Elle s’est débrouillée pour que le droit de visite de leur enfant soit refusé au père. Voilà encore une « mort d’espoir ». Que risque le petit en allant rendre visite à son papa et en passant de temps en temps, un week-end chez lui?
On nous dit souvent qu’on est maintenant bien informé sur les dangers de contamination par le virus VIH, mais très peu de gens sont vraiment au courant. Régis et Nina ont appris avec beaucoup d’émotion et de tristesse que Rodolphe, un de leurs meilleurs amis, est actuellement hospitalisé. Ils ne savaient pas que ce garçon était séropositif et ne comprennent d’ailleurs pas pourquoi Rodolphe ne leur a rien dit. Comment leur faire comprendre cette impression d’exclusion et cette honte que l’on ressent lorsqu’on apprend qu’on ne fait plus partie des bien portants, que la fin peut arriver très vite ? Régis et Nina donc, après en avoir discuté entre eux, ont décidé d’aller rendre visite à Rodolphe. Que s’est-il passé dans leur tête, quand ils se sont trouvés devant la porte de la chambre ? Régis n’a pas voulu entrer et a brusquement interdit à Nina de se rendre au chevet de leur ami, craignant la contagion !
Combien de personnes soi-disant bien informées sont prises d’une panique inexplicable devant un malade du sida?
Pourquoi la lèpre, tout d’un coup, vient-elle à mon esprit? Il y a une vingtaine d’années, je me trouvais, avec mon mari, dans le sud de l’Inde pour des vacances. Entre la visite d’un temple et d’un monument, nous sommes arrivés dans une léproserie. Le voyage à travers cette campagne indienne avait été magnifique. La mousson venait de se terminer et tout était vert. L’eau avait rempli les rivières et les réservoirs, les paysans pouvaient de nouveau cultiver la terre pendant ces quelques mois riches de l’année. Il ne fallait pas perdre de temps, avant que la chaleur n’assèche à nouveau la terre. Tout était en fleurs, c’était splendide.
vailler dans cette léproserie. Lors d’un de ses voyages en Inde, il avait été touché par la misère de ce pays et avait décidé de consacrer « un peu de son temps » comme il disait, aux lépreux. Certains malades guérissent, mais leur corps continue à porter les traces de cette terrible maladie. La tâche d’Henri était d’essayer de rendre un visage humain à ces malades défigurés par la lèpre, afin qu’ils puissent de nouveau être acceptés dans la société. Car si les signes de leur maladie restent visibles, comment croire en leur guérison ? Henri donnait un aspect humain à ces pauvres visages déformés. Avec un sourire malicieux, il nous avait confié :« Je gagne beaucoup d’argent, dans ma clinique avec tous les liftings, je peux me permettre de le partager avec les plus démunis ! »Nous avions été très impressionnés par cette rencontre, par cette générosité, et aussi par Bénédicte, la femme d’Henri, que nous ne connaissions pas et qui nous a accueillis chaleureusement. Devant elle, trottait en souriant un petit enfant blond, Florent, leur fils !
La léproserie était située sur un grand terrain. Quelques arbres apportaient un peu de fraîcheur. Une petite maison blanche abritait l’infirmerie et le logement de ceux qui soignaient et nourrissaient les lépreux ; il y avait neuf cent malades : des hommes, des femmes mais il y avaient aussi des enfants! Plusieurs petites maisons, avec de grandes ouvertures à la place des fenêtres, abritaient chacune une vingtaine de malades. Ceux qui pouvaient encore se déplacer se promenaient et se rendaient chez les autres.
Notre arrivée était un événement : leur résidence n’était pas un lieu touristique, et les visites étaient très rares!
La dégradation physique des lépreux est dure à supporter. Les yeux sont souvent le seul point vivant de leurs visages déformés. Nous avons été entourés par des dizaines de malades qui nous souriaient et essayaient de se faire comprendre. Nous ne parlions pas tamoul, et Henri nous servait d’interprète. Il nous avait expliqué auparavant, que nous ne risquions absolument rien au niveau de la contagion.
« Si tel était le cas, je ne serais jamais venu avec ma femme et surtout pas avec Florent ! Vous êtes, comme moi, bien nourris, en bonne santé. La lèpre ne pourra pas vous infecter. Il ne faut pas toucher les plaies des malades, mais, de toute façon, les pansements les protègent et vous ne risquez vraiment rien. »