Posts Tagged ‘peur’

“N’ayez pas peur de l’homosexualité”

Sunday, September 9th, 2012

Lemonde.fr

Défendre la famille et appeler à prier pour elle dans un pays à bonne progression démographique sous-entend qu’elle est menacée. Le mariage de couples gays serait-il de nature à bouleverser la famille et le droit de l’enfant ?

L’Eglise a le droit de s’immiscer dans ce débat législatif. Il s’agit d’une liberté d’expression indiscutable qui ne porte ni de près ni de loin atteinte à la laïcité. Son opinion est d’autant plus utile que le mariage figure dans la liste de ses sacrements. Le cardinal-archevêque, en qualité de président de la Conférence épiscopale, peut faire lire une prière pour le moins réservée sur le mariage gay, mais de quelle opinion est-elle le reflet en dehors de celle de la hiérarchie ?

Selon un sondage IFOP, 65 % des Français seraient favorables au mariage homosexuel et 53 % à l’homoparentalité. L’indication dans le même sondage que 45 % des catholiques ne seraient pas opposés au mariage homosexuel est plus singulière. On doit dès lors regretter que n’ait pas été organisée une discussion entre les catholiques, invités à prier certes, mais pas à “discerner” entre eux et à haute voix. Il n’est pas trop tard.

Il convient en effet de vider une vieille querelle avant même de s’engouffrer dans l’affaire du mariage. L’homosexualité est-elle ou non une des déclinaisons naturelles de la sexualité ? Le mariage gay, au sujet duquel les divergences sont concevables, justifie qu’une ambiguïté soit levée. La thèse officielle désigne cette sexualité sous le vocable de “désordre”.

Ranger les homosexuels, avec d’autres, parmi les “accidentés de la vie”, exprime un sentiment compassionnel, mais ne les considère pas comme des sujets de droit. Plus inquiétant, une instruction de 2005 du Vatican exclut les homosexuels du ministère ordonné, sauf si cette sexualité est “transitoire”. Le Saint-Siège maintient une position hostile à la dépénalisation de l’homosexualité lors des débats aux Nations unies. Cela le place en compagnie de régimes qui continuent pour certains d’infliger la peine de mort aux homosexuels. Il s’agit d’une “véritable tragédie pour les personnes concernées et [d'une] atteinte à la conscience collective”, selon les mots du secrétaire général Ban Ki-moon. Cette humiliation était-elle bien nécessaire ?

En tant que catholique et citoyen de la République, je souhaite entendre l’Eglise de France sur ce point précis. Nous sommes nombreux à le souhaiter, dans et hors l’Eglise. Si celle-ci veut intervenir dans le débat public, et je me range à son droit, elle doit accepter le verdict de l’opinion publique. C’est d’ailleurs un hommage qui lui est rendu, car on attend d’elle des messages en faveur de la dignité humaine.

Il y a peu, le cardinal-archevêque de Lyon, Mgr Philippe Barbarin, évoquait, avec une hauteur chez lui familière, deux grandes figures homosexuelles et chrétiennes, Michel-Ange et Max Jacob. A ces artistes, il disait la gratitude de l’Eglise mais surtout que leur homosexualité était un fait, la situant ainsi hors de portée de tout jugement de valeurs. Cela ne l’a pas amené à se déclarer favorable au mariage gay, mais au moins le fondement d’une discussion purgée de ses peurs et de ses fantasmes est-il rendu possible.

L’ancien cardinal-archevêque de Milan Carlo-Maria Martini allait plus loin et enjoignait aux Etats d’aider les homosexuels à stabiliser leurs unions civiles. Il y a sur le sujet et de toute évidence plusieurs demeures dans la maison du Père…

On conçoit très bien que l’Eglise catholique défende le sacrement de mariage et sa destination première. La solution théologique n’est en effet pas simple. Mais il faut crever l’abcès. Toutes les réserves du monde catholique sont admises à la table des discussions, mais elles ne seront acceptées qu’à la condition, toutefois, de la reconnaissance publique et sans fard de ce que l’homosexualité est une sexualité comme une autre échappant à la sphère du jugement moral et pénal ou du traitement psychiatrique, aussi légitime et digne de reconnaissance que l’hétérosexualité.

Le temps n’est pas encore venu, et on peut le regretter, d’une pastorale pour les homosexuels. Mais est venu celui d’évoquer cette question au sein de l’Eglise et de se délivrer de ces frayeurs, qui ont amené, par exemple, à séparer dans le petit cimetière d’Ebnal (Angleterre) pour les besoins de sa béatification, en 2010, mais contre sa volonté testamentaire, le corps du cardinal britannique John Newman (1801-1890) de celui de son ami le révérend Ambrose St. John, “qu’il aimait d’un amour aussi fort que celui d’un homme pour une femme”. Rien ne dit que ce grand prélat fut gay, rien, mais même cette amitié inquiétait.

Les catholiques doivent pouvoir en débattre au sein de leur communauté, dans des assemblées paroissiales, diocésaines dans leurs associations, là où c’est possible, là où c’est nécessaire, là où c’est désiré. Qu’avons-nous à craindre des paroles puisque nous nous réclamons de la théologie de la Parole ? Nous ne serions pas tous d’accord ? La belle affaire !

C’est ainsi que l’ouverture au monde se fait, ce qui ne signifie pas s’y soumettre. L’Eglise exemplaire dans le dialogue interreligieux se montrerait inapte à tout dialogue intrareligieux ? Les évêques, qui ne sont pas des despotes, devraient oser ce débat. L’historien Michel de Certeau disait dans un trait fulgurant que “c’était au fond du risque que se trouvait le sens”. Et s’il y a bien une injonction biblique et évangélique en forme de leitmotiv c’est : “N’ayez pas peur.”

http://www.gayglobe.us

SIDA : rendez-nous la peur d’en mourir

Thursday, December 1st, 2011

NouvelObs
LE PLUS. Comme si la maladie avait disparu avec les années, de plus en plus de jeunes sont convaincus qu’ils n’ont plus besoin de porter de préservatif, ou, pire, que l’on peut guérir facilement si l’on est atteint du VIH. Notre chroniqueuse Gaëlle-Marie Zimmermann appelle à la prudence…

Gaëlle-Marie Zimmermann
> Par Gaëlle-Marie Zimmermann Chroniqueuse sexo/société

Edité par Melissa Bounoua Auteur parrainé par Benoît Raphaël

Il y a quelques semaines, alors que je bavardais avec un jeune homme d’environ 25 ans, j’ai failli avaler le combiné de mon téléphone, sous le coup de la stupéfaction. Nous devisions paisiblement autour de sujets essentiels comme la vie à la campagne, l’ânesse dépressive de mon voisin, la coupe idéale pour un bon costard, et la sexualité avec ou sans capotes.

Des préservatifs exposés à Beijing en Chine dans le cadre de l’exposition

Des préservatifs exposés à Beijing en Chine dans le cadre de l’exposition “family planning” le 4 avril 2009 (STR/AFP)

Forte de mon âge canonique et de mon humour merdique de vieille combattante, je m’apprêtais à évoquer de plaisants souvenirs, comme ce jour où j’ai fait mon premier test de dépistage suite à un accident de préservatif (oui, la capote avait décidé qu’elle m’aimait – contrairement à son propriétaire – et avait quitté le pénis qu’elle protégeait pour rester avec moi. Je veux dire, pour de vrai. Avec moi vraiment), quand soudain, mon interlocuteur s’est mis à délirer.

Et par “délirer”, j’entends bien “délirer”, à savoir débiter une telle dose de conneries à la minute que j’en ai eu le vertige. Et comme aujourd’hui c’est fête, je partage. Ce jeune homme, pourtant éduqué et généreusement cérébré, m’a donc dit en substance :

“Nan mais AIDES, faut qu’ils arrêtent avec leur politique de la peur… Sans déconner quoi, tu veux connaître les vrais chiffres ? Aujourd’hui, les statistiques sur les contaminations par le VIH sont fausses. On fait peur aux gens, et on exagère vachement les risques. Sérieux, faut pas venir me dire que, si tu mets pas de capote, tu risques de choper le SIDA. A ce jour, et au moment où je te parle, si je baise avec une fille sans préservatif, on peut dire que le risque d’être contaminé par le VIH est quasi-nul. Quasi-nul, tu vois ce que je veux dire ?”

Oui mon lapin, je vois. Ce que je vois, c’est que tu n’as pas grandi dans la peur du SIDA, et que tu ne t’es pas, comme moi, mangé pendant des années (j’ai été jeune et en totale découverte sexuelle à la fin des années 80 et au début des années 90) des campagnes d’informations terrifiantes qui te promettaient une mort dans d’atroces souffrances si tu t’envoyais en l’air sans préservatif.

Ce que je vois, c’est que, malheureusement, tu n’as pas été précisément ciblé par ces campagnes, et que ta peur imprécise et sans limites ne s’est pas, comme la mienne, nourrie de la vision de Tom Hanks squelettique et affaibli dans le film “Philadelphia”, ni des récits alarmistes de médecins ultra-médiatisés, décrivant la douleur des patients à l’agonie.

Ce que je vois également, c’est que le recul et les capacités d’analyse qui te permettent de ne pas être une victime du marketing et des manipulations médiatiques, ce même recul dont tu peux légitimement être fier parce qu’il te donne l’impression d’être à la fois au-dessus de la mêlée et profondément humaniste, sera justement celui qui fera de toi une victime en puissance, et un potentiel porteur du virus, un jour, peut-être, au détour d’un coup de bite non couvert.

Et ce que je vois aussi, c’est qu’une fois dans ta vie, tu aurais dû gober la politique de la peur, la bouffer avec avidité, t’en mettre plein les oreilles et le crâne, et croire vraiment que la vérité est bien celle-ci : le SIDA, à ce jour, est toujours un truc qui peut te tomber sur le coin de la gueule quand tu es de ceux qui pensent que le risque est quasi-nul.

Contrairement à ce que semblent penser pas mal de jeunes gens en 2011 (pas la majorité, mais encore trop pour leur propre bien), l’existence de traitements médicaux efficaces ne font pas de la vie avec le VIH une promenade de santé, paisible et sécurisée.

Alors la politique de la peur, dans toute sa splendeur excessive, ses dérives, ses manipulations et ses effets pervers, a probablement une seule et très bonne raison d’exister : quand elle plânait au-dessus de nos hormones en folie, elle nous imprégnait si fort que jamais nous n’aurions eu l’inconscience de baiser sans capote.

Nous ne savions pas de quoi nous avions peur, de quelle maladie nous risquions de mourir ou par quelles souffrances nous pouvions être terrassés, mais c’était si puissant et si violent que même rouges de honte, bafouillants et mortifiés, nous achetions des capotes.

Et au moment fatidique de l’ensachage de quéquette, celui où on se demande si on n’est pas en train de rompre le charme de l’instant, et de foutre en l’air le début de la meilleure partie de baise du siècle, ce tragique moment d’hésitation qui nous donnait envie de faire l’impasse pour ne pas tout gâcher, la peur revenait en force ; et il nous suffisait de l’écouter une petite seconde pour déchirer le sachet d’un geste ferme (maladroit, mais ferme) avant de nous attaquer à l’engin.

Cette peur de mourir du SIDA a, je pense, contribué à ce que je puisse écrire cette chronique aujourd’hui en étant séronégative. Rendez-nous cette peur. Et instillez-la sournoisement dans l’esprit de ces jeunes coqs qui pensent que “le risque est quasi-nul”.