1995- Le suicide assisté Le dernier véritable pouvoir
Le suicide assisté , l’euthanasie ou l’Aide médicale au suicide sont des termes bien différents les uns des autres mais qui signifient pratiquement tous la même chose. Le suicide assisté est un sujet bien connu mais dont on discute fort peu. On exprime tous, à un moment ou à un autre, nos souhaits en cas de catastrophe. Ce que l’on désire recevoir ou non comme traitement dans une éventuelle phase terminale. Qui n’en a jamais parlé? De là à passer aux actes, c’est autre chose. Pourtant, le suicide assisté est largement utilisé dans les centres hospitaliers pour des cas terminaux de cancer, de SIDA ou d’autres maladies dégénératives. Le moyen le plus souvent choisi est la morphine.
LE CAS D’HUGUETTE
L’an dernier, je me retrouvais au chevet de ma tante Huguette, à l’hôpital Fleury de Montréal. Huguette combattait un cancer généralisé depuis plusieurs années. Quelques jours avant son admission, elle se plaignait de violentes douleurs au crâne: son cancer progressait. Le jour de ma visite, elle était dans un coma profond et respirait difficilement. C’est alors que son médecin traitant est venu me rencontrer pour me demander la permission d’augmenter la dose afin de la rendre “plus confortable”. Etant le seul membre de sa famille présent sur les lieux à cette heure là, j’ai vite acquiescé, je ne voulais surtout pas que ma tante souffre pour rien. Avant de lui changer son soluté, le médecin insistait beaucoup sur le fait que la dose administrée allait sûrement lui causer un arrêt respiratoire mais que d’ici là, elle souffrirait moins. En fait, ce qu’il me demandait à demi-mot, c’était la permission de l’euthanasier. J’ai alors pris le temps de réfléchir. Je savais que si je disais oui, elle allait y rester.
ALLEZ-Y DOCTEUR!
J’ai finalement pris la décision de demander au médecin de vite la soulager et d’y aller avec ce qu’il fallait pour qu’elle respire mieux et soit plus sereine dans cette interminable fin. L’infirmière est venue changer son soluté. Trois minutes plus tard, elle respirait beaucoup mieux et semblait plus calme. Quinze minutes après, elle ne respirait plus!
LE CAS DE MICHEL
Le cas de Michel diffère un peu de celui d’Huguette mais là aussi, la morphine a fait son oeuvre. Michel était hospitalisé depuis deux semaines à l’hôtel-Dieu de Montréal pour une mauvaise pneumonie. Plus les jours passaient, moins les choses s’arrangeaient. En l’espace de 10 jours et nonobstant la pneumonie, il a développé un ulcère, une grave irritation gastrique, une seconde pneumonie virale, une occlusion intestinale, un blocage de la vessie, la cessation d’activités de ses reins le tout accompagné d’une fièvre. Michel voulait mourir et le faisait savoir à son entourage même s’il gardait toujours un petit espoir de guérison. La veille du décès, il était entré dans un semi coma et respirait très difficilement. Pour le soulager, les médecins ont administré de la morphine dans l’espoir de faire diminuer les sécrétions pulmonaires. Sur son lit de mort, on continuait de lui administrer des médicaments aussi variés que des diurétiques, laxatifs, antiacides et de nombreux autres. A un moment, Michel a commencé à respirer plus rapidement et moins profondément. Le médecin appelé à la chambre a procédé à une seconde administration de morphine en ne parlant aucunement des effets sur le système respiratoire d’une telle dose. Une heure plus tard, il cessait de respirer et succombait “officiellement” à des complications de la pneumonie.
QUE FAIRE DEVANT L’ALTERNATIVE?
Ces deux exemples ne sont pas des cas isolés mais qu’en est-il des gens qui ne souhaitent pas attendre l’inconscience pour terminer les choses? Que faire quand la demande ne vient pas du médecin mais du patient? Le patient est-il moins compétent pour décider lui-même de l’heure de sa mort? Qui sommes-nous pour décider ainsi du sort d’un humain? Un simple OK et voilà une personne morte ou vivante. Pendant toute ma visite à Huguette, je me demandais si je devais la laisser vivre et avoir éventuellement conscience, dans son coma, de la terrible souffrance qui l’affligeait. Est-ce qu’elle m’entendait parler au docteur? Est-ce qu’elle me suppliait sans le pouvoir, de la faire mourir et vite? Personne pour me donner une réponse, ni ses enfants, ni son mari, ni Dieu! C’est curieux comme dans les moments les plus intenses de la vie, malgré toutes les années à se poser la question, on prend une décision spontanée qui n’a rien à voir avec ses convictions. Je ne pensais qu’à une chose: qu’est-ce qu’elle voudrait, là, maintenant?
Heureusement, il y a des gens pour qui, la décision ne revient qu’au malade lui-même. Ces médecins, infirmiers et accompagnants pour qui la demande ferme du patient est suffisante pour procéder. N’oublions pas que le code criminel canadien ne reconnaît pas le droit au suicide assisté, pour les juges, c’est un meurtre. (pensons à madame Sue Rodriguez de Vancouver, ou à ce père de famille du Manitoba qui a mis fin aux souffrances de sa fille quadraplégique)
LE CADEAU ULTIME DE LA VIE
La mort, la fin, le suicide assisté, la non-souffrance sont tous des termes que les patients utilisent pour décrire le plus beau cadeau qu’ils puissent s’offrir. Ce cadeau qui en devient un à partir du moment ou c’est un choix personnel. On a souvent remarqué que les patients qui acceptent la mort et la voient comme un soulagement n’ont plus peur d’y passer. A partir du moment où la décision est prise, la douleur est souvent moins présente, le moral remonte considérablement et c’est presque l’euphorie. Pour eux, le fait d’avoir un choix leur donne un pouvoir immense. Ce pouvoir qu’ils n’auront jamais eu de leur vie, le pouvoir de vie ou de mort. Toutes les personnes ont droit au bonheur. Si le chemin de la sérénité passe par la mort, n’est-ce pas là un moyen comme un autre d’être heureux?
QU’EST-CE QUE LA MORPHINE?
…<< de Morphée, dieu du Sommeil. Le premier connu des alcaloïdes de l’opium, analgésique et hypnotique puissant>>.Ce médicament est le plus utilisé pour “soulager” les souffrances des patients en phase terminale. Mais qu’est-ce que la morphine exactement? C’est une hormone que l’on retrouve naturellement dans le corps humain et qui a pour effet de diminuer la réception de la douleur généralisée. La morphine agit aussi sur le système autonome en perturbant le cycle naturel de la respiration. C’est donc l’outil privilégié de la médecine pour mettre un terme aux souffrances et à la vie si administré à des doses élevées. Durant toute la durée de la recherche sur ce dossier et après avoir consulté plus de cinq médecins et une dizaine d’intervenants, l’unanimité est claire en ce qui concerne l’utilisation de ce médicament comme “euthanasique”.
Dans la communauté gaie même, on retrouve une industrie de la mort assistée bien présente mais peu publicisée. D’après les familles et les patients qui se voient devant la décision de demander une aide au suicide, le médecin traitant reste encore la meilleur référence pour faire part de ses choix. Il est le seul à pouvoir prescrire ce qu’il faut et quand il le faut! Roger-Luc CHAYER
Références: Patients des hôpitaux Fleury, hôtel-Dieu de Montréal et Notre-Dame de Montréal. Sondage de l’Association manitobaine des droits et libertés. Comité sénatorial sur l’euthanasie du Canada.