«Grindr», le GPS pas triste pour gays

Marianne 2

Cette application destinée aux homosexuels permet de géolocaliser sur son smartphone quiconque est disponible pour une rencontre. Là, tout de suite, maintenant !

 

(DR)

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Il en faut peu pour faire naître une rumeur. Le 23 juillet dernier, la planète médiatique a réussi à nous faire croire que «le relais partie de jambes en l’air» était l’épreuve la plus attendue des JO !

Car, le jour de l’arrivée des athlètes à Londres – et pendant vingt-quatre heures -, damned ! un bug a paralysé Grindr. Grindr ? Cette appellation gutturale cache une application gratuite – disponible sur iPhone, BlackBerry et Android – qui permet de géolocaliser les «homo, bisexuels et autres originaux» connectés alentour et les fait apparaître instantanément sur l’écran du smartphone.

Par exemple, à cet instant précis, «Perdican», mâle de 1,90 m et 70 kg, se balade à 723 m de nous, quelque part dans le quartier de la République, à Paris. Perdican, et bien d’autres encore, dont les photos surgissent par ordre de proximité géographique.

Un marché à ciel ouvert

Lancée en 2009 aux Etats-Unis, Grindr a pour le moins réussi son coup : répondre à LA question qui taraudait Joel Simkhai, son concepteur, depuis tant d’années : «Qui d’autre que moi est homosexuel par ici ?» Joel n’était pas seul, il n’en doutera plus jamais : son application compte aujourd’hui 4 millions d’utilisateurs dans le monde, 260 000 en France – dont 200 000 à Paris.

Ruben (1) est l’un d’eux et s’en amuse : «Ça fait partie de la panoplie du parfait gay !» Un outil plus efficace que les sites de rencontres classiques : «Là, dixit Ethan, tu ne perds pas de temps à échanger des mails pendant des semaines pour découvrir que finalement la chimie ne se fait pas.» Non, sur Grindr l’ambiance est, comment dire, plus cash.

A n’importe quelle heure du jour et de la nuit, le «grindrer» qui se connecte voit des messages apparaître comme autant de textos sur son écran : «slt ! tu ch ?» Comprendre : «Salut, tu cherches ?» Sous-entendu : selon ce que tu viens chercher ici, je pourrais peut-être t’aider. Et, généralement, ce n’est pas un trousseau de clés. «Inutile d’imaginer autre chose, ce que propose Grindr, raconte Stéphane, c’est de rendre le cul entre mecs plus facile.»

Pas la peine d’entrer dans la conversation si l’on n’envisage pas d’aller plus loin. Car, très vite, on affiche la couleur. Connecté dans le Xe arrondissement de Paris, on voit ainsi apparaître le ventre (musclé) d’un jeune homme sous-titré d’un laconique «ch bon ppeur» – soit un garçon enclin à pratiquer la fellation, et avec talent, s’il vous plaît ! Voilà pour les hobbies.

Pour se créer un compte sur Grindr, nul besoin de renseigner son goût pour la natation ou le running, ce qui compte, c’est l’âge, le poids et surtout la photo. «La façon dont quelqu’un se présente veut déjà beaucoup dire sur lui», traduit Louis, qui, après un an sur Grindr, ne se lasse toujours pas de regarder les photos de ses coabonnés. Avec une préférence pour le cliché qui revient le plus souvent – au point que le très pointu magazine Interview a shooté pour son numéro du mois d’août une série de mode façon Grindr : boxer moulant, plan jusqu’à mi-cuisses, face à un miroir de salle de bains… Bourdieu se serait délecté de ces arrière-plans risibles.

Un «grindrer» n’attend pas trois phrases pour réclamer ou envoyer une «pic» – pour picture, «photo». Voire une «hot pic», au-dessous de la ceinture, celle-là. «Ce truc désinhibe tellement, ça fait peur», constate Louis, qui s’est surpris à écrire sur Grindr ce qu’il n’aurait jamais dit lors d’une première rencontre dans la vie.

«Les écrans créent une distance», constate le sociologue Eric Fassin (2), avant de faire un parallèle encore de saison: «Ce qui se passe avec l’application, c’est une parenthèse, une mise en suspens partielle des normes habituelles. Comme pendant les vacances où les gens peuvent avoir des pratiques sexuelles différentes, les règles sont un peu suspendues. Mais, surtout, Grindr a fait entrer dans la sexualité anonyme – ancrée dans la culture gay et notamment pratiquée dans les backrooms – des gens qui n’avaient pas l’habitude d’aller dans ces lieux.» Stéphane le confirme : «Ça évite de se retrouver dans une situation qui mettrait mal à l’aise, comme aller seul dans des soirées gay, où je ne mets jamais les pieds.»

En 2012, à l’heure où, sur Twitter, on partage sa pensée en 140 signes, sur Grindr, «on peut baiser en moins que ça», foi d’insiders ! En deux ou trois messages, rendez-vous est pris. «Tu reçois ?» pianote-t-on pour signifier «on se retrouve chez toi ou chez moi ?»

Stéphane, lui, se déplace à chaque fois : «C’est plus facile ensuite de partir que de chasser de chez soi un boulet.» «Il faut dire, précise Ruben, que Grindr est un marché à ciel ouvert, mais parfois la viande n’est pas très fraîche.» Et d’évoquer cette nuit où, en partant, il a «bloqué» son amant d’un soir : une simple pression sur la petite croix rouge de son écran pour empêcher tout échange à l’avenir. «Récemment, ajoute-t-il, un type a ouvert la porte : c’est comme si j’avais reçu une photo du fils et que j’avais eu le père en face de moi.» Demi-tour de l’intéressé. «Croire que l’application abolit les règles du marché sexuel gay est un leurre, s’amuse Eric Fassin. Elle facilite les échanges mais, si pour avoir de la valeur sur ce marché il vaut mieux être jeune avec un beau corps, elle n’y change rien.»

Frivolité revendiquée

Alors, si on a moins de 29 ans et demi et un abonnement dans un club de gym, le jeu de la performance peut débuter. Stéphane «fait des croix dans un carnet» ; Ethan n’a «jamais autant découché de [sa] vie» ; et Louis place un signe «à peu près» devant le nombre conséquent de ses conquêtes. A l’heure du mariage gay et de l’homoparentalité, Grindr revendique son flirt poussé avec la frivolité. «C’est une manière de dire : “Dans cette société-là, où l’on prône des liens sociaux durables, je suis un individu qui peut choisir d’être égoïste et hédoniste”, reprend le sociologue. Et, au lieu de considérer que mon désir est vil, il est sympa, il n’y a pas de problème et c’est facile. On transforme en quelque sorte un stigmate en une fête.»

Aux terrasses des cafés parisiens, la fête peut tourner au colin-maillard virtuel. Ce torse glabre et tatoué (à 5 m) appartient-il à ce type en costume cravate accoudé au bar ? Et lui, qui traverse la rue, ce n’est pas «Tornado» (à 10 m), s’agite-t-on face à la grille de photos qui se renouvelle à mesure qu’une nouvelle «proie» approche.

La centrifugeuse (traduction de grinder) fonctionne à plein régime. Du moins pour les citadins. En province, c’est autre chose, les mètres se convertissent en kilomètres. «Un week-end, je suis allé à Sallanches avec des amis, raconte Ruben. On s’est branchés et… on est allés se coucher. Pas un mec à 10 bornes.» A des années-lumière du mélange détonant parisien où «en une minute, un flic (en civil) te propose “une vraie fouille au corps” ; et un inspecteur des finances “dispo entre 12h et 14h ou 16h30 et 19h”, un “chrono cul”»… Il lève les yeux au ciel : «Encore un hétéro marié qui va rentrer chez lui en disant : “Je suis crevé ce soir”», à l’image du sénateur portoricain Roberto Arango, opposant farouche au mariage homosexuel qui a dû démissionner après la circulation de plusieurs photos de lui nu sur Grindr.

Mais notre avocat BCBG des beaux quartiers a quand même eu de bonnes surprises. Dont cette nuit passée avec un tatoueur de la place Clichy : «celui-là, je ne l’ai pas oublié», sourit-il, mystérieux. D’autres avouent un sentiment de vide: après des mois de chalutage, on a parfois envie de partir à la pêche à la ligne…

https://www.gayglobe.us


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