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GAI OU HÉTÉRO Des algorithmes pourraient le révéler

Friday, November 29th, 2013

Numerama

Selon une étude tchèque, dont les conclusions feront hurler les adversaires du déterminisme, les hommes gays auraient un visage différent des hommes hétéros. Mais alors que les humains peinent à les distinguer, des algorithmes pourraient aider les professionnels du marketing à savoir si le prospect aime plutôt les hommes ou plutôt les femmes.

À l’heure où des entreprises tentent d’établir de façon automatisée un profil psychologique de chaque internaute pour savoir comment leur vendre un produit ou un service, il est aisé d’imaginer que beaucoup de prestataires rêveraient d’être capables de déterminer l’orientation sexuelle d’une cible marketing, sans même que la personne se dévoile volontairement.

Pour réaliser cette étude, les chercheurs ont recruté un groupe de quatre-vingt personnes, composé à parité de 40 hommes gays et de 40 hommes hétérosexuels (auto-déclarés comme tel), de type européen. Chaque individu a alors été pris en photo, et une cartographie de leur visage a été effectuée par un logiciel, avec 11 000 coordonnées référencées pour établir une comparaison par morphométrie géométrique.

Il ressort des résultats, qui demanderaient (ou pas) à être confirmés par un échantillon bien plus important, que les gays présentent certaines caractéristiques physiques plus prononcées que les hétéros. Mais contrairement à ce que les idées reçues peuvent laisser croire, le visage des homosexuels n’est pas plus féminin que les autres.

«Les hommes homosexuels ont présenté des visages relativement plus larges et plus courts, des nez plus petits et plus courts, et des mâchoires plutôt massives et plus arrondies, résultant dans une mosaïque de caractéristiques à la fois féminines et masculines», remarquent les chercheurs.

Aidés par de telles découvertes, les ordinateurs qui n’ont aucun préjugé seraient meilleurs que les humains pour déceler l’homosexualité d’une personne à partir de son visage. Un deuxième volet de l’étude montre en effet que lorsque l’on demande aux hommes de dire si un tiers est homosexuel ou non, le stéréotype commun selon lequel les gays auraient un visage plus féminin les induit les erreur. «Le fait que nous ayons trouvé des différences morphologiques significatives entre les hommes homosexuels et hétérosexuels ne veut pas dire que l’un de ces groupes est facilement reconnaissable dans la rue», prévient Jarka Valentova, la directrice de l’étude.

Témoignage 15/07/2012 à 18h56 Ma thérapie « ex-gay », ou comment je ne suis pas devenu hétéro

Sunday, July 15th, 2012

Rue89

Au lycée, mes parents m’ont fait suivre une thérapie pour que j’arrête d’aimer les garçons. Elle a bien failli me tuer.


Un « rainbow flag » (Torbakhopper/Flicr/CC)

C’est arrivé au début de ma première année de lycée. Alors que je rentrais à la maison, j’ai trouvé ma mère en train de pleurer, assise sur son lit. Elle avait fouillé dans mes e-mails et était tombée sur un message dans lequel je confessais avoir un faible pour un de mes camarades de classe.

« Est-ce que tu es homo ? », m’a-t-elle demandé. Je lui avouais que oui. « Je le sais depuis que tu es petit garçon. » Mais elle ne s’est pas résignée bien longtemps – confrontée à un problème, ma mère ne se démonte pas et se met aussitôt à le résoudre.

Dès le lendemain, elle me tendait une pile de documents imprimés, trouvés sur le Web, à propos de la « réorientation » sexuelle et des remèdes pour soigner l’homosexualité. Je les ai jetés par terre. Je lui ai dit que je ne voyais pas comment parler de moi à un thérapeute allait m’empêcher d’aimer les garçons.

« Les gays ont un mode de vie solitaire »

Ma mère m’a alors demandé si je souhaitais fonder une famille un jour, et puis m’a posé cette question : « S’il existait une pilule qui pourrait te rendre hétéro, est-ce que tu la prendrais ? » J’ai admis que les choses seraient plus simples si une telle pilule existait.

Jusque là, je n’avais jamais réfléchi aux implications que mon attrait pour les garçons allait avoir sur le reste de ma vie. En fait, je m’étais toujours imaginé, arrivé à l’âge de 40 ans, marié à une femme, avec un fils et une fille – mais c’est le cas pour

L’article le plus long
Près de 40 000 signes : le texte de Gabriel Arana est l’un des plus longs que Rue89 a jamais publiés. Les amateurs de récits au long cours trouveront leur bonheur dans le dernier numéro de Rue89 avec les doigts, notre magazine tablettes dispo sur iPad, qui compile dix textes remarquables, et pas seulement par leur taille. Y.G.

tout le monde, non ? « Les homosexuels ont un mode de vie très solitaire », m’a-t-elle dit. Et puis elle m’a parlé du docteur Joseph Nicolosi, un psychologue clinicien en Californie, alors président de la National Association for Research and Therapy of Homosexuality (Narth, « société nationale pour l’étude et la thérapie de l’homosexualité »).

C’est le plus grand groupe de médecins pratiquant ce type de traitements. Elle m’a expliqué que Nicolosi avait aidé des centaines de personnes, qui pouvaient désormais mener des vies « normales ».

J’ai fini par lire les papiers que ma mère avait récupérés dans la poubelle. C’étaient des entretiens avec des patients de Nicolosi, qui expliquaient comment la thérapie les avaient aidés à surmonter la dépression et à se sentir « à l’aise avec leur masculinité ».

Ces témoignages semblaient authentiques, et les patients, reconnaissants. J’ai accepté de partir de notre petite ville, près de la frontière entre le Mexique et l’Arizona, et d’aller à Los Angeles avec mon père pour une première consultation avec ce thérapeute.

Brusque mais affable, le psy m’a mis à l’aise

La clinique de psychologie Thomas-Aquinas se trouvait au treizième niveau d’un immeuble récent de Ventura Boulevard, une des artères de la San Fernando Valley. Au coin de l’étage, le bureau de Nicolosi était décoré d’un tapis vert émeraude et des étagères en acajou alignaient des livres avec des titres comme « Homosexuality : A Freedom Too Far » (« Homosexualité : quand la liberté va trop loin ») ou « Homosexuality and the Politics of Truth » (« Dire la vérité sur l’homosexualité »).

La quarantaine, les cheveux bruns épais et grisonnants, Nicolosi, qui a grandi à New York, parlait avec un léger accent du Bronx. Brusque mais affable, il m’a mis à l’aise.

Une fois assis, Nicolosi nous a expliqué en quoi consistait son « remède ». Même si je ne ressentirais sans doute jamais un frisson d’excitation en voyant une femme marcher dans la rue, en progressant dans la thérapie, mes pulsions homosexuelles diminueraient. Je serais sans doute encore attiré par les hommes, mais ces envies ne me contrôleraient plus.

Le fait qu’il reconnaisse que le changement ne serait pas total a rendu sa théorie plus crédible à mes yeux. Sa confiance dans une issue positive m’a donné de l’espoir. Avant de parler avec lui, je m’étais résigné à rester homo toute ma vie, que cette idée me plaise ou non. Mais peut-être que je pouvais décider, et non plus subir ?

Lors de la deuxième partie de la séance, je suis resté seul avec Nicolosi. « Parlez-moi de vos amis à l’école », m’a-t-il demandé. Je lui ai répondu que j’avais deux amies proches. « Et des amis masculins ? » J’ai admis que j’avais du mal à me lier avec des garçons de mon âge. Quand j’étais en primaire, je préférais aider le prof à nettoyer la classe plutôt que faire du sport pendant la récréation.

Si c’était ça, être homo…

« Est-ce que tu es prêt à commencer une thérapie ? », m’a demandé Nicolosi. « Si tu penses que ça ne marche pas, tu peux arrêter quand tu veux. » J’étais d’accord pour commencer des séances hebdomadaires par téléphone.

Après cet échange seul à seul, j’ai rejoint d’autres patients pour une thérapie de groupe. J’étais de loin le plus jeune. Les autres, quatre ou cinq en tout, avaient entre 40 et 60 ans, et parlaient de leurs années passées à suivre « le mode de vie homo », ce qui n’avait fait que les rendre malheureux.

Ils voulaient des vies normales, accomplies. Ils en avaient assez de fréquenter les discothèques, de prendre de la drogue, de multiplier les partenaires ou d’entamer des relations amoureuses qui ne durent jamais. Ils se plaignaient de l’obsession de la jeunesse qui imprègnait la culture gay. Si c’était ça, être homo (et comme ils avaient trente ans ou plus d’expérience, je leur faisais confiance à ce sujet), alors moi aussi je voulais être normal.

J’ai quitté le bureau avec un exemplaire du livre de Nicolosi le plus récent, Healing Homosexuality (« Soigner l’homosexualité ») et une brochure qui répartissait différentes émotions entre deux rubriques : le « vrai moi » et le « faux moi ».

Le vrai moi se sentait masculin, était « satisfait, à la hauteur », « en sécurité, confiant, capable » et « à l’aise dans son corps ». Le faux moi ne se sentait pas masculin, était frustré et mal assuré, et ne se sentait pas en phase avec son propre corps.

Ce discours sonnait juste : on s’était moqué de moi pendant toute mon enfance parce que j’étais efféminé ; adolescent dégingandé et maladroit, affligé de problèmes de peau, je n’étais certainement pas en phase avec mon corps.

« La preuve que la vérité peut vous libérer »

Un autre document montrait la « relation triadique » qui mène à l’homosexualité : un père absent et passif, une mère surimpliquée, un enfant sensible. J’étais plus proche de ma mère que de mon père, j’étais timide. L’ensemble semblait coller, ce qui m’a rassuré et m’a conforté dans l’idée que je pouvais être guéri.

Selon Nicolosi, l’identification avec un parent de l’autre sexe est en contradiction avec notre identité biologique et notre évolution en tant qu’adulte. A cause de ça, il était impossible de se sentir un être à part entière en ayant des relations homosexuelles. Je voulais devenir un être à part entière.

Le 13 juillet 1998 – année où j’ai commencé la thérapie – une pleine page de pub est parue dans le New York Times, montrant une dame rayonnante arborant une bague de fiançailles et une alliance. « Je suis la preuve que la vérité peut vous libérer », clamait-elle. Cette femme, Anne Paulk, expliquait que des violences pendant son adolescence l’avaient conduite à devenir homosexuelle, mais qu’elle était désormais guérie grâce à la puissance de Jésus Christ.

Cette campagne de pub a coûté 600 000 dollars. Elle avait été payée par quinze organisations de la droite religieuse, dont la Christian Coalition, le Family Research Council et l’American Family Association. Sa diffusion a duré plusieurs semaines, dans des journaux comme le Washington Post, USA Today et le Los Angeles Times. Robert Knight, du Family Research Council, a comparé cette opération à un « débarquement de Normandie » dans la « guerre des cultures » qu’ils étaient en train de mener.

Des journalistes ont fait de ces témoignages (peu d’entre eux ont pris la peine de les vérifier) le signe d’une nouvelle tendance. Newsweek a fait sa couverture sur les thérapies du changement, présentées de façon bienveillante. Des titres régionaux et nationaux ont publié des récits d’anciens gays. Ma mère n’aurait peut-être pas pu trouver si facilement des informations sur ces traitements si la droite chrétienne n’avait pas aussi bien préparé le terrain.

Derrière ces pubs, un coup bien mené

Cette offensive a été lancée vingt-trois ans après que l’American Psychiatric Association (APA, société américaine de psychiatrie) a retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Des formes extrêmes de réorientation sexuelle avaient alors été abandonnées, comme des séances d’électrochoc ou la prise de médicaments déclenchant des nausées.

Un petit groupe de médecins continuait cependant de pratiquer des thérapies par la parole en incitant les patients à voir l’homosexualité comme un trouble du développement. Ces méthodes sont cependant restées marginales jusqu’à ce que la droite chrétienne en fasse la promotion.

C’était là un coup politique bien mené : au lieu de promettre aux homosexuels des châtiments apocalyptiques depuis les chaires des églises, on montrait de la compassion pour eux. Focus on the Family a ainsi intitulé son initiative pour dépasser l’homosexualité Love Won Out (« l’amour a gagné »), et expliqué qu’il fallait prendre soin des homos. On n’hésitait pas à retourner contre eux les arguments des militants homosexuels : au nom de la lutte contre les discriminations, les homos souhaitant changer de bord devaient être libre de le faire.

Les deux groupes les plus importants du mouvement « ex-gay » étaient Exodus International, une organisation chrétienne, et Narth, son équivalent laïc. Si Exodus était l’âme de cette coalition, Narth en était le cerveau. Les deux organisations comptaient beaucoup de membres en commun, et Exodus répétait les théories sur l’attraction entre personnes du même sexe promues par Narth.

Avec Charles Socarides, un psychiatre qui s’était opposé au retrait de l’homosexualité de la liste des maladies mentales, Nicolosi a créé Narth en 1992, conçue comme « une organisation scientifique qui redonne espoir à ceux qui subissent une homosexualité non-souhaitée ».

En 1998, le groupe tenait une conférence annuelle, publiait son propre journal et formait des centaines de psychiatres, psychologues et thérapeutes. Nicolosi est resté la figure de proue de Narth.

Invité chez Larry King et Oprah Winfrey

Il n’y a pas de statistiques disponibles sur le nombre de patients qui ont reçu une thérapie ex-gay, ni même sur le nombre de médecins qui l’ont pratiquée, mais à la fin des années 90 et au début des années 2000, ces méthodes n’avaient jamais eu autant de légitimité. Exodus avait 83 sections dans 34 Etats.

Son président, Alan Chambers, déclarait en 2004 qu’il avait connu « des dizaines de milliers de personnes qui avaient réussi à changer leur orientation sexuelle ». Nicolosi a participé à des shows télé populaires, comme ceux d’Oprah Winfrey et de Larry King, ainsi qu’à 20/20, l’émission de reportages d’ABC.

Certes l’alliance de la droite chrétienne et du mouvement ex-gay n’avait pas forcément fait basculer la « guerre des cultures » en cours. Mais elle avait réussi à remettre en cause l’idée que le meilleur choix pour les homosexuels était de s’accepter eux-mêmes.

Après notre première réunion, j’ai discuté au téléphone avec Nicolosi une fois par semaine pendant trois ans, de l’âge de 14 ans jusqu’à ma sortie du lycée. Comme un rabbin apprenant la Torah à son élève, Nicolosi m’incitait à interpréter ma vie quotidienne à la lumière de ses théories.

J’ai lu dans l’un de ses livres, Reparative Therapy of Male Homosexuality (« thérapie réparatrice de l’homosexualité masculine ») qu’il essaie de se placer comme une figure paternelle, créant une relation que, selon lui, ses patients n’ont jamais eu avec leur père. Et c’est vrai c’est ainsi que j’ai peu à peu été amené à le voir.

Nous avons principalement parlé de mon identité masculine endommagée, qui se manifestait par mon attraction pour les autres garçons. Nicolosi me faisait parler des élèves pour qui je ressentais de l’attirance, et ce que j’aimais chez eux. Que j’évoque leur corps, leur apparence, leur popularité ou leur confiance en eux, il concluait toujours en me demandant si je souhaitais avoir moi aussi ces qualités, si j’avais envie que l’un d’eux me donne l’accolade, m’apprécie et m’accepte.

Bien sûr, j’avais envie d’être aussi attirant que les camarades que j’admirais ; bien sûr, je voulais être accepté et aimé par eux. Ces séries de questions me rendaient encore plus malheureux.

Un manque de connexion avec mon père

Nicolosi m’expliquait, séance après séance, que je me sentais en décalage parce que je n’avais pas connu une affirmation masculine suffisante pendant mon enfance. J’en suis venu à croire que mon attraction pour les hommes étaient le résultat d’un manque de connexion avec mon père. A chaque fois que je me sentais repoussé par un ami masculin – parce qu’il ne m’avait pas appelé comme promis, ou parce qu’il ne m’avait pas invité à une fête – je vivais à nouveau le rejet que m’avait fait subir mon père.

La plupart des garçons, me disait-il, ne se laissent pas atteindre par ce genre de choses – parce qu’ils ont confiance en leur masculinité – mais moi, j’étais blessé parce que ça me ramenait à un traumatisme antérieur.

Mes parents ont été surpris par cette interprétation. Au départ, Nicolosi leur avait dit que notre famille faisait figure d’exception, ne collant pas au modèle de la « relation triadique » – en d’autres termes, que mon orientation sexuelle n’était pas de leur faute.

Quand il est devenu clair que Nicolosi les tenait pour responsables, ils se sont désengagés. Ils ont continué de payer pour la thérapie mais n’ont pas vérifié que je suivais les sessions ou demandé de quoi nous parlions. J’étais heureux de défier ainsi mes parents. Ils ne me laissaient pas sortir assez tard ? Ils ne me donnaient pas assez d’argent ? J’avais sous la main une autorité de confiance qui m’assurait que leurs décisions étaient injustes.

N’importe quel désaccord devenait une preuve supplémentaire que mes parents avaient raté mon éducation.

Malgré la thérapie, mes penchants restent

Alors que la thérapie avançait, je sentais que je comprenais mieux les origines de mes penchants. Le problème, c’est qu’ils étaient toujours là. A la demande expresse de Nicolosi, j’ai dit à ma meilleure amie qu’il fallait que je prenne de la distance avec elle. A la place, Nicolosi m’encourageait à créer des « liens authentiques et asexués » avec d’autres garçons.

Il me mit en relation avec un autre de ses patients, Ryan Kendall, qui avait mon âge et vivait au Colorado. Nous discutions régulièrement par téléphone. La plupart du temps, nos conversations étaient banales, nous parlions des gens qu’on aimait et de ceux qu’on n’aimait pas, de nos devoirs et de nos succès à l’école. Une discussion entre deux potes qui devait, selon notre thérapeute, nous réparer.

Mais fréquemment, nous déviions. Nous avons flirté, une expérience nouvelle pour moi ; il n’y avait pas d’homos déclarés dans mon lycée. Nous nous décrivions l’un à l’autre : il disait avoir des cheveux et des yeux bruns, être petit mais mignon ; je disais être grand et maigre (je ne mentionnais pas mes problèmes de peau).

Nous nous sommes promis de nous envoyer des photos, mais nous ne l’avons jamais fait. « Que dirait Nicolosi de tout ça ? », nous demandions-nous. C’est devenu un refrain, notre façon de reconnaître que nous étions en train de mal nous conduire.

Si nous avons pu créer des liens, c’est en partie parce que nous partagions la même rébellion contre notre médecin. Pour moi, c’était moins un rejet de la thérapie ex-gay que le plaisir de défier l’autorité, mais Ryan était convaincu que le changement était impossible – « Nicolosi est un charlatan », m’a-t-il dit un jour.

« Votre fils ne vivra pas comme un homo »

Malgré mes transgressions, je croyais encore aux théories du médecin. Mais ma relation avec Ryan ne m’a pas permis de régler un plus grand problème : alors que je découvrais à quel point la relation avec mes parents avait défini ma vie intime, j’étais toujours attiré par les garçons.

J’ai chatté sur Internet avec des hommes plus âgés, et j’en ai rencontré certains. Je me sentais coupable, mais j’avais assez confiance en Nicolosi pour lui avouer que je faisais « des expériences ». Il m’a dit d’être prudent, mais que je ne devais pas ressentir de la culpabilité ou m’appesantir là-dessus.

Et m’a expliqué que mon comportement sexuel était d’importance secondaire : si je comprenais suffisamment qui j’étais et améliorais mes relations avec les hommes, mes pulsions disparaîtraient d’elles-mêmes. Il fallait juste que je sois patient.

A la fin de ma dernière année au lycée, Nicolosi a eu une ultime conversation avec mes parents et leur a dit que le traitement avait été un succès : « Votre fils ne vivra jamais comme un homo », leur a-t-il assuré. Quelques semaines plus tard, notre femme de ménage m’a surpris avec un garçon dans le jardin. C’était la fin de la thérapie pour moi.

Mes parents étaient convaincus qu’elle n’avait pas marché parce que Nicolosi les avait rendus responsables de mon état. Ils m’ont envoyé voir un autre thérapeute, avec qui j’ai suivi une seule session, refusant de poursuivre avec lui. Même si j’avais accepté la théorie de Nicolosi expliquant pourquoi les gens étaient homos, je considérais que continuer à m’épancher ainsi n’y changerait rien.

Lorsque je suis parti à Yale, ma mère m’a averti : si jamais elle découvrais que je vivais « comme un homo », mes parents ne paieraient plus pour mon éducation. « Je t’aime assez pour t’empêcher de te faire du mal », m’a-t-elle dit.

Une caution scientifique majeure

En 2001, l’année où j’ai commencé l’université, le mouvement ex-gay a reçu un soutien inattendu, celui du professeur et influent psychiatre de Columbia Robert Spitzer, qui avait mené le combat en 1973 pour retirer l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Quatre années après les émeutes de Stonewall, à New York, la décision avait été un événement majeur pour les militants des droits des homosexuels.

Mais vingt-huit ans après, Spitzer a publié une étude concluant qu’un changement de l’orientation sexuelle était possible. Basé sur 200 entretiens avec des « ex-gays » – le plus grand échantillon rassemblé jusque là –, elle ne se prononçait pas sur l’efficacité des traitements en question.

Cependant, Spitzer expliquait qu’au moins pour un petit nombre d’individus très motivés, ça avait marché. Ce qui, pour le grand public, est devenu : l’homme à l’origine de la révolution de 1973, qu’on ne pouvait suspecter d’homophobie, a validé le principe de la thérapie ex-gay.

Une dépêche d’Associated Press a qualifié ce travail d’« explosif ». Pour reprendre les mots d’un collègue homo de Spitzer, c’était comme « lancer une grenade dans la communauté gay ». Pour le mouvement ex-gay, c’était du pain bénit. Les autres travaux arrivant aux mêmes conclusions avaient été publiés dans des revues sans contrôle scientifique, dans lesquelles les auteurs paient pour figurer au sommaire, comme Psychological Reports. Le travail de Spitzer était repris dans les prestigieuses Archives of Sexual Behavior.

Cette étude est toujours citée par des organisations ex-gay comme preuve que leurs méthodes ont des résultats. Elle a rendu furieux les militants de la cause gay et beaucoup de psychiatres, qui ont critiqué sa méthodologie et sa forme.

Les participants avaient en effet été adressés à Spitzer par des organisations comme Narth ou Exodus, lesquelles avaient intérêt à lui envoyer des personnes à même de confirmer leurs thèses. On se basait sur leurs seules déclarations, sans comparer les résultats avec ceux d’un groupe de contrôle, ce qui aurait permis d’estimer leur crédibilité.

« Et vous, comment ça s’est terminé ? »

Au printemps, j’ai rendu visite à Spitzer dans sa maison de Princeton. Il est venu m’ouvrir en s’aidant d’un déambulateur. Frêle mais l’esprit toujours vif, Spitzer souffrait de la maladie de Parkinson, « une saloperie ». Je lui ai raconté que Nicolosi m’avait demandé, en 2001, de participer à son étude, comptant mon cas parmi ses réussites. Je ne l’ai jamais rappelé.

« En fait, j’ai eu beaucoup de mal à trouver des participants », se souvenait Spitzer. « Après toutes ces années à pratiquer des thérapies ex-gay, on aurait pu penser que Nicolosi aurait beaucoup de succès à revendiquer. Il ne m’a envoyé que neuf patients. »

« Et pour vous, comment ça s’est terminé ? », a-t-il demandé. J’ai dit que j’étais resté dans le placard quelques années de plus, mais que j’avais fini par accepter mon homosexualité. A la fin de mes études, j’ai commencé à avoir des petits amis stables, et en février – dix ans après ma dernière session avec le docteur Nicolosi –, je me suis marié avec mon partenaire.

Spitzer s’était intéressé aux thérapies ex-gay parce qu’elles étaient controversées – « j’ai toujours été attiré par la polémique » – mais il a été gêné par les réactions que ses conclusions ont déclenchées. Il n’entendait pas prouver que les homos pouvaient entamer des thérapies ex-gay. Son objectif était de déterminer si la proposition inverse – le fait que personne n’aie jamais réussi à changer son orientation sexuelle – était vraie.

Je l’ai interrogé sur les critiques émises contre son travail. « Avec le recul, je dois admettre qu’elles sont en grande parties justifiées », a-t-il répondu. « Ce que j’ai établi, ce n’est rien de plus que ce que disent d’eux-mêmes ceux qui ont suivi un traitement ex-gay. »

Il m’a raconté qu’il avait proposé au rédacteur en chef des Archives of Sexual Behaviour de publier un rectificatif, mais que ce dernier avait refusé (sachant cela, j’ai tenté à plusieurs reprises de joindre ce journal, sans succès).

Il me propose un texte de rétractation

Spitzer m’a confié qu’il était fier d’avoir fait partie de ceux qui ont retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Agé de 80 ans, retraité, il avait peur que l’étude de 2001 entache son héritage et fasse souffrir des gens. Il a reconnu que tenter de faire changer d’orientation un homosexuel pouvait « faire des dégâts ».

Mais il n’avait en revanche aucun doute sur la décision prise en 1973. « S’il n’y avait pas eu de Bob Spitzer, l’homosexualité aurait fini par être retirée de cette liste. Mais ça ne serait pas arrivé dès 1973. »

Spitzer commençait à être fatigué, et m’a demandé combien de questions j’avais encore à lui poser. Aucune, ai-je répondu, à moins que vous ayez quelque chose à ajouter. C’était le cas : il souhaitait que je publie le texte de rétractation proposé à propos de l’étude de 2001, « pour que je n’ai plus à me soucier de ça ».

Au début des années 2000, la caution de Spitzer était d’autant plus précieuse pour le mouvement ex-gay que le besoin de soutiens scientifiques sérieux a commencé à se faire sentir. Un groupe de blogueurs défendant les droits des homosexuels a commencé à s’intéresser de près à ces groupes, prêt à dénoncer le moindre comportement hypocrite dans leurs rangs. Et il y avait de quoi faire.

John Paulk, le fondateur de Love Won Out, membre du conseil d’administration d’Exodus International, et mari d’Anne Paulk, a été repéré et photographié dans un bar gay de Washington.

Richard Cohen était le fondateur de Parents and Friends of Ex-Gays and Gays (Pfox, « parents et amis d’ex-gays et de gays »), pendant de Parents Families and Friends of Lesbians and Gays (Pflag, « parents, familles et amis de lesbiennes et de gays »). Il a été exclu de l’American Counseling Association pour des manquements à l’éthique.

Les dérives du mouvement « ex-gay »

On a aussi appris que Michael Johnston, qui a créé le National Coming Out of Homosexuality Day (« journée nationale de la sortie de l’homosexualité »), avait transmis le virus du sida à des hommes rencontrés sur Internet, lors de rapports non-protégés.

Un membre du comité scientifique de Narth a créé une polémique en suggérant que l’esclavage avait été un bienfait pour les Noirs, qui avaient ainsi pu s’échapper du « sauvage » continent africain. Peu de temps après, le conseil d’administration de Narth a exclu Nicolosi, alors encore président. En 2010, on a appris que la secrétaire de direction de Narth, Abba Goldberg, était un escroc qui avait passé dix-huit mois en prison.

Des thérapeutes en lien avec Narth et Exodus ont été accusés d’avoir agressé sexuellement leurs patients, ou bien d’avoir des pratiques médicales douteuses. Parmi eux, Alan Downing, chef thérapeute au Jews Offering New Alternatives to Homosexuality (Jonah, « juifs offrant de nouvelles solutions à l’homosexualité »), qui demandait à ses patients de se déshabiller et de se toucher devant un miroir ; Christopher Austin, membre de Narth condamné pour avoir abusé sexuellement d’un patient ; Mike Jones, affilié à Exodus, qui a demandé à un patient de retirer son T-shirt pour faire des pompes devant lui.

Le mouvement a aussi été sapé par le départ de personnalités importantes. John Evans, qui avait créé le premier groupe ex-gay en dehors de San Francisco, a renoncé à ces traitements lorsqu’un de ses amis, ne parvenant pas à devenir hétéro, s’est suicidé.

L’ancien ex-gay Peterson Toscano, engagé dans ces organisations pendant dix-sept ans, a fondé Beyond Ex-Gay, une communauté en ligne pour les « survivants » de ces thérapies. En 2007, le cofondateur d’Exodus Michael Bussee a présenté des excuses pour le rôle qu’il a joué dans la création de cette organisation.

Face à la résurgence des thérapies ex-gay, des organisations professionnelles ont aussi pris position. De 2007 à 2009, l’APA a passé en revue toutes les études portant sur les tentatives de changement d’orientation sexuelle.

« Ça donne un faux espoir »

Judith Glassgold, à la tête du groupe de travail concerné, a dit qu’il n’avait trouvé aucune preuve que les thérapies ex-gay pouvaient marcher. En fait, ils ont découvert que les traitements proposés risquaient de rendre les patients angoissés, dépressifs et parfois suicidaires.

« Ça donne un faux espoir, ce qui peut être dévastateur », a expliqué Glassgold. « Ça nuit à l’estime de soi en imposant une vision psychopathologique de l’homosexualité. » L’APA déconseille aujourd’hui ce type de pratiques.

Ces dernières années, même Exodus a commencé a prendre ses distances avec les thérapies ex-gays. L’organisation a nuancé ses positions, encourageant ses membres qui souhaitent respecter leurs valeurs religieuses à rester célibataires plutôt que de tenter de changer d’orientation sexuelle. Le groupe ne parle plus de « se libérer de l’homosexualité » (son slogan) mais insiste sur la noblesse qu’il y a à lutter contre des penchants homosexuels.

Exodus s’est aussi détachée de Narth. En septembre 2011, elle a retiré les références aux livres et article de Nicolosi de son site Web. En janvier, le président d’Exodus Alan Chambers a pris la parole lors d’un rassemblement du Gay Christian Network.

Quand on lui a demandé qu’elle était la probabilité qu’un homo parvienne à devenir hétéro, Chambers – qui a un jour clamé qu’il connaissait des milliers de cas où le changement d’orientation avait réussi – a reconnu que « 99,9% » de ceux qui avaient essayé avaient échoué.

Il y avait d’autres signes de ce déclin. Le public de la conférence Love Won Out de Focus on the Family, plus grand rassemblement annuel du mouvement, s’est fait clairsemé. L’événement a finalement été revendu à Exodus. Les militants ex-gays sont moins présents lors des rassemblements de la droite religieuse. Vingt ans après la fondation de Narth, le mouvement a perdu de son lustre.

J’ai été amené à connaître un certain nombre des patients de Nicolosi, et d’autres qui ont suivi des thérapies avec des membres de Narth. Membres d’un réseau informel d’anciens ex-gays, nous nous voyons de temps en temps à des conférences, et échangeons sur les blogs. Le plus connu d’entre eux est peut-être Daniel Gonzales, qui écrit pour le site Box Turtle Bulletin.

Nicolosi a aussi demandé à Daniel de participer à l’étude de Spitzer. Quand il a arrêté la thérapie, il pensait qu’il avait compris pas mal de choses sur sa condition, mais a fini par abandonner l’espoir de résister à ses pulsions. « J’ai perdu un an et demi de ma vie dans cette thérapie », raconte-t-il.

« Pendant longtemps, les trucs que disait Nicolosi à propos des relations homosexuelles ont continué à me hanter. » Ses histoires avec les hommes échouaient systématiquement parce qu’il était convaincu, comme le lui avait enseigné Nicolosi, qu’elles se termineraient de toute façon dès qu’ils serait en paix avec la part masculine de sa personnalité.

Comme un lépreux sans espoir de guérison

Les idées de Nicolosi ont fait plus que me hanter. Lors de mes deux premières années à l’université, je me voyais, en gros, comme un lépreux sans espoir de guérison. Je suis resté dans le placard, mais j’avais malgré tout des relations sexuelles avec des camarades de classe. Je suis devenu de plus en plus déprimé, refusant cependant d’aller voir un psy, de peur qu’il dise à mes parents que je vivais « comme un homo ».

Je réfléchissais à ce que j’allais faire si mes parents décidaient de me couper les vivres. Je pensais rester à New Haven, et trouver un boulot. Je demanderais une bourse de la Point Foundation, qui accorde des aides financières aux gays abandonnés par leurs parents. Je ne voulais pas retourner en Arizona. Je ne voulais pas voir un thérapeute ex-gay.

J’ai passé des heures à la fenêtre de ma chambre, située au troisième étage, me demandant si une chute me tuerait ou me laisserait paralysé. J’avais obtenu une ordonnance pour des somnifères, et j’envisageais d’avaler le flacon entier, avant de me pencher à l’extérieur, en attendant qu’ils fassent effet.

Je ne sais pas trop comment tout ça m’est venu en tête. Peut-être la pression scolaire, mêlée à la contradiction qui grandissait entre mes idéaux et mon comportement. Mais au printemps de ma deuxième année d’université, les différents aspects de ma personnalité que j’avais réussi à maintenir ensemble – la part qui pensait que c’était mal d’être homo, celle qui couchait quand même avec des hommes, celle que je montrais au monde et celle qui souffrait en silence – se sont effondrés.

Pendant deux nuits, je n’ai dormi que par périodes de vingt minutes, bouffé par le désespoir. Je regardais la bouteille dans le placard avec une sorte d’excitation anxieuse. J’en étais arrivé à un point où j’avais davantage peur de ce que j’étais devenu que de celui que j’aurais été si j’avais assumé d’être homo.

Plus que tout, j’avais peur de rentrer

Réalisant que je n’étais pas loin de passer à l’acte, je suis allé au bureau du doyen de l’université et j’ai dit que j’étais suicidaire. Il m’a conduit à une antenne médicale et j’ai été admis à l’hôpital psychiatrique de Yale. Pendant l’entretien d’admission, j’ai eu une crise de panique et j’ai tendu au psy une note manuscrite qui disait : « Quoiqu’il m’arrive, ne me sortez pas d’ici. » J’avais signé et daté. Plus que tout, j’avais peur de rentrer à la maison.

Il faisait gris et froid lors de ma première nuit à l’hôpital. Je me souviens que je regardais par le fenêtre de la pièce, que je partageais avec un schizophrène. La neige couvrait le sol de la cour intérieur en contrebas. N’arrivant pas à dormir, je me suis rendu dans la salle commune et j’ai emporté une série de magazines.

Je tournais les pages, m’arrêtant sur les hommes posant dans les publicités pour des vêtements. Je déchirais ces pages et les plaçais dans des chemises en plastique. Je me suis allongé sur le lit, le classeur contre ma poitrine, murmurant « c’est OK, c’est OK, c’est OK ».

J’ai dû rentrer à la maison, j’y suis même resté pendant un an avant de retourner à l’université. A ce moment, mon père, qui avait rejoint New Haven tout de suite après ma confession, avait réalisé que la thérapie – et la pression que lui et ma mère avait fait peser sur moi – avait fait plus de mal que de bien. « Je préfère avoir un fils homo qu’avoir un fils mort », a-t-il dit.

Cette épreuve a été un tournant, bien qu’il m’ait fallu des années de suivi psychologique pour me débarrasser des théories inculquées pendant ma thérapie avec Nicolosi. Pour la première fois, je rencontrais des professionnels qui acceptait mon orientation sexuelle au lieu de la remettre en question. Et pour la première fois, je m’autorisais à penser que c’était normal d’être homo.

La dérive de Ryan, devenu SDF

Ryan, mon partenaire de thérapie, a été encore plus affecté que moi. Il y a deux ans, je suis tombé sur son nom dans les comptes-rendus d’une procédure judiciaire contre l’interdiction des mariages homos en Californie, la proposition 8, dans laquelle il témoignait des dégâts qu’avait causé Nicolosi. Je suis devenu ami avec lui sur Facebook.

Nous nous sommes récemment rencontrés pour la première fois en personne, dans un restaurant de l’ouest de Manhattan. Nous ne nous étions plus parlés depuis douze ans.

Agé de 28 ans, Ryan venait de déménager de New York pour s’installer à Denver, afin de commencer des études à Columbia. Il ressemblait à ses photos sur Facebook : solide, petit, avec le crâne rasé et de grands yeux bruns.

A 16 ans, Ryan a entamé une procédure judiciaire de dependency-and-neglect [qui entraîne le retrait de la garde de l’enfant, ndlr], afin d’arrêter la thérapie ex-gay. C’est à ce moment que nous avons perdu contact. Il a quitté le lycée et vivait avec des amis ou avec son frère, avant que sa maison soit saisie.

Ryan a été sans-logis à plusieurs reprises. Il a exercé une série de petits boulots et vendu de la drogue pendant une période, mais il était fauché la plupart du temps. Pour manger, il lui est arrivé de remplir un chariot de supermarché puis de s’enfuir du magasin. « J’étais hors de contrôle », m’a-t-il raconté. « Quelque chose était cassé en moi. Je cherchais à me détruire parce que j’avais intériorisé toute l’homophobie de cette thérapie. »

« Pourquoi il n’arrête pas les dégâts ? »

Pour lui, la roue a tourné il y a quelques années, quand il a atterri dans un service administratif de la police de Denver. C’est via ce boulot qu’il a commencé à s’impliquer dans les mouvements de défense des droits des homosexuels.

« Quand j’ai participé à la procédure contre la Proposition 8, c’était la première fois que j’avais l’impression que des gens croyaient vraiment en moi. » Je comprenais ce sentiment : c’est à Yale que j’ai eu pour la première fois l’impression d’être reconnu par des gens intelligents, importants.

J’ai demandé à Ryan ce qu’il dirait Nicolosi s’il se trouvait à la table avec nous. « Je lui demanderais juste pourquoi il n’arrête pas les dégâts. »

Les excuses de Robert Spitzer

Ce récit, publié sur le site de The American Prospect sous le titre « My So-Called Ex-Gay Life » (« ma prétendue vie d’ex-gay »), a été largement remarqué, par des blogs gay comme par des médias généralistes comme New York Times ou MSNBC. Comme prévu, le texte de rétractation de Robert Spitzer, visiblement marqué par son entretien avec Arana, a également été publié.

Le chercheur y reconnaît les erreurs commises lors de la réalisation de l’étude de 2001, et présente ses excuses à la communauté gay.

Je n’arrêtais pas de me demander ce que Nicolosi nous dirait, à moi, à Daniel ou à Ryan. Est-ce qu’il estimerait avoir échoué, ou bien que c’est nous qui avons échoué ? A-t-il écouté les récits de ses anciens patients qu’on trouve partout sur YouTube et dans les blogs ? J’ai décidé de l’appeler pour en avoir le cœur net. J’étais anxieux à l’idée de lui parler à nouveau, j’avais peur de ce que notre conversation pouvait ramener à la surface. Quand j’étais adolescent, il me connaissait mieux que mes parents ou mes amis.

Au téléphone, il m’a dit se souvenir bien de moi, et être surpris d’apprendre que « j’avais pris la voie de l’homosexualité. Vous sembliez vraiment avoir compris ». La conversation a été brève, il était entre deux patients, nous avons cependant convenu de parler à nouveau quelques jours plus tard.

Je l’ai rappelé et je l’ai prévenu que j’enregistrais la conversation. « Moi aussi », s’est-il amusé, « juste au cas où vous diriez “Nicolosi m’a dit que les homos étaient des malades, des pervertis et qu’ils devaient tous aller en enfer” ».

J’ai gloussé. Il était comme dans mon souvenir, irrévérencieux et chaleureux. Il m’a dit qu’il avait pensé à moi depuis mon appel précédent. Je lui ai demandé pourquoi il était si sûr que j’avais « compris », vu que je n’avais pas vraiment changé d’orientation sexuelle.

Nicolosi m’a expliqué que ces techniques avaient progressé – maintenant, ses patients se concentrent davantage sur les moments où l’attraction sexuelle se déclenche, au lieu de parler des causes de l’homosexualité en général. La thérapie en était devenue plus efficace.

Mais une des raisons pour lesquelles elle n’a pas fonctionné avec moi, selon lui, c’est que j’étais coincé : il n’y avait pas d’hommes avec qui je pouvais me lier, et mes parents ne me comprenaient pas. En fait, il m’a dit la même chose que ce qu’il me répétait quand j’étais au lycée.

Le psy refuse d’être tenu pour responsable

Et que dit-il de tous ces récits qui remettent en cause son modèle ? « Après trente ans de pratique, je peux dire que je n’ai jamais rencontré un homosexuel qui a eu une relation d’amour et de respect avec son père », m’a-t-il affirmé. J’avais déjà entendu ça.

Alors qu’il parlait, je pensais que même s’il dit comprendre la condition des homosexuels, il n’a aucune idée de ce qu’ils ressentent vraiment. Pour lui, changer l’orientation sexuelle de quelqu’un est une expérience théorique, il ne l’a jamais vécu. Ce sont ses patients qui doivent vivre avec les conséquences de l’échec de ses méthodes.

J’ai mentionné Ryan et je lui ai dit que celui-ci considère qu’il a détruit sa famille. Nicolosi m’a dit ne pas se souvenir de Ryan. Mais il refuse de reconnaître sa responsabilité :

« Pour ce qui concerne les prétendus dégâts que je fais chez mes patients, de quoi s’agit-il au juste ? Nous traitons en ce moment 137 personnes. Sur trente ans, vous ne pensez pas qu’il devrait y avoir un bus entier de gens abîmés par mon travail ? »

Je lui ai demandé ce dont il se souvenait à mon propos. « Tout ce je peux visualiser, c’est un ado dans sa chambre, dans une petite ville écrasée par la chaleur », a-t-il décrit. « Vous me parliez de la solitude, des enfants à l’école – vous n’aviez vraiment aucun ami. Vous vouliez désespérément vous sortir de l’homosexualité. »

Il a tenté de me tirer les vers du nez, m’a incité à s’ouvrir à lui. C’était lui le thérapeute, et à nouveau j’étais le patient. J’étais réticent. Je lui ai dit que j’avais fini par quitter l’Arizona. « Et je vous ai encouragé à le faire, non ? », a-t-il répondu :

« Honnêtement, Gabriel, j’espère que vous me voyez comme quelqu’un qui ne vous a pas fait vous sentir mal, quelqu’un qui ne vous a pas forcé à croire en une chose à laquelle vous ne vouliez pas croire. »

C’est vrai que pendant la thérapie, je ne me suis pas senti forcé d’adhérer à ses thèses. Comme pour une catastrophe nucléaire, les dommages sont arrivés après, quand j’ai compris que mon orientation sexuelle ne changerait pas.

J’aurais pu raconter à Nicolosi mes pensées suicidaires, le temps que j’avais passé en hôpital psychiatrique. J’aurais pu lui dire que si mes parents ne me comprennent toujours pas, je suis un adulte désormais, et ça ne pèse plus autant sur ma vie.

J’aurais pu lui dire que je m’étais marié à un homme. Mais j’ai pris conscience que ce n’était pas utile : j’avais changé depuis cette époque, pas Nicolosi. Pendant des années, j’ai partagé mes pensées et mes sentiments les plus intimes avec cet homme. Maintenant je veux les garder pour moi.

Traduit de l’anglais par Yann Guégan

https://www.gayglobe.us

La courte his- toire du concept d’hétéro et d’ho- mo/sexualité

Saturday, February 4th, 2012

Le terme hétérosexuel est encore récent. Il serait appa- ru en même temps qu’homo- sexuel, dans une lettre d’un journaliste austro-hongrois au XIXe siècle en réaction à une législation prussienne rendant illégaux les rap- ports entre personnes du même sexe. D’après Hanne Blank, le journaliste sou- haitait en utilisant ces ter- mes «suggérer qu’il y avait deux façons pour les êtres humains d’être sexuels, et qu’elles n’étaient pas hiérar- chisées, elles étaient juste deux saveurs différentes d’un même objet».
L’auteure évoque ensuite le rôle de la psychiatrie dans la popularisation de ces termes et dans «la création de caté- gories de déviances sexuel- les que l’on connaît bien, et en opposition auxquelles les individus se définissent».

Hétéro mais pas si straightLe Village est-il straight?

Thursday, October 1st, 2009

Par: Alain Hochereau

Promenons-nous dans le bois, pendant que les loups n’y sont pas… La

nuit, le Village est le lieu de prédilection d’une faune bigarrée composée

de gais, lesbiennes, transexuels, bisexuels, travestis et même de straights

(bien que pour une fois, ils soient en minorité). Mais, dans la journée, lors-

que les loups se sont réfugiés sous leur couette, on y croise une majorité

d’hétérosexuels.

Le Village serait-il straight?

Par un raccourci intellectuel sans doute paresseux, je m’imaginais que

si le Village était un gai village, c’est parce que les gais y avaient élu

domicile en majorité. Mais, la Chambre de Commerce Gaie de Montréal

ma confirmé qu’il n’y aurait que 17% de gais et lesbiennes dans cet étroit

quadrilataire du quartier Centre-Sud. Et quand bien même cela représen-

terait une concentration deux fois supérieure à la moyenne nationale, cela

ne ferait jamais qu’à peine un gai pour quatre straights.

Je n’étais pas seulement surpris de constater que le Village n’était pas

tellement plus gai que le Plateau Mont-Royal; je voulais comprendre ce

qui faisait de mon quartier un « village ». Je me suis mis à enquêter pour

éclairer mes nombreuses lanternes. J’ai interrogé mes amis gais, des pro-

fessionnels, des psychologues, des historiens, des agents immobiliers…

Tout le monde a semblé très surpris que je me pose la question, tant la

réponse leur semblait évidente : bien sûr que les gais n’habitent pas le Vil-

lage, pourquoi? En revanche, il ne semblait pas y avoir de consensus clair

sur les explications à donner sur les origines et l’identité du Village. Les

statistiques manquent, les études sont peu nombreuses et il y a beaucoup

de tabous et de non-dits. On n’habite pas le Village, mais on y sort. On le

trouve très laid, mais on ne voudrait pas qu’il disparaisse. On ne l’aime

pas du tout et on ne souhaite pas en parler, mais on l’adore pareil et il y a

toujours une place pour lui dans le coeur de chacun. C’est une relation pa-

radoxale d’amour et de haine, à l’instar d’une communauté tiraillée entre

une volonté de reconnaissance et un besoin d’intégration.

Mais je suis straight (traduisez par carré, rationnel) et j’ai donc besoin

de comprendre, lorsque je suis surpris. Et pour savoir qui l’on est, il faut

commencer par comprendre d’où l’on vient.

Un peu d’histoire

Depuis la nuit des temps, il y a des gais comme il y a des hétéros. Ça je le

savais, pour me souvenir des éphèbes grecs, de l’Antinoüs d’Hadrien et des

mignons d’Henri II. Mais c’est vrai que pendant longtemps, on essayait de ne

pas trop le montrer. A Montréal aussi,  il fut un temps où lorsqu’on était gai, on

le cachait. On choisissait son quartier de résidence selon sa culture, ses goûts

et son compte en banque, non pas en fonction de son orientation sexuelle.

Il fallait aussi que ses sorties ne trahissent pas sa nature. Pour noyer le

poisson, les bars gais étaient perdus dans l’Ouest au milieu d’un magma

de lieux straights. Du coup, si on rencontrait un collègue de travail dans

la rue, on ne risquait pas d’être pris pour ce qu’on était. C’était prati-

que pour assurer son anonymat. Pourquoi les bars gais étaient-ils dans

l’Ouest, alors que, jusque dans les années 60, il existait de nombreux bars

et cabarets dans le quartier centre-sud, une infrastructure qui a d’ailleurs

beaucoup facilité la création du Village des années 80? Je n’ai pas trouvé

de réponse. Peut-être pensait-on qu’en s’immergeant dans une population

anglophone qui dominait le Québec d’alors, on pouvait mieux dissiper les

doutes. Peut-être croyait-on qu’en préférant le conformisme anglo-saxon

aux frasques latins, on se garantissait de ne pas risquer de passer pour

un marginal. Dans tous les cas, à l’époque, la dispersion des gais, tant

dans leur résidence que dans leurs sorties, faisait écho à leur besoin de

discrétion.

Dans les années 70, tout le monde se libère et tout le monde revendique :

les femmes, les jeunes, les noirs et les gais. On affiche sa différence et on

se regroupe pour partager des valeurs communes. Né au début des années

80, autour de la création de nouveaux pôles d’attraction comme le Max et

le Cox qui coincide avec la disparition de temples de l’Ouest comme le

Bud’s, le Village devient la vitrine d’une identité qui s’affirme, construite

à l’intérieur d’une zone géographique délimitée. On y sort, on y mange,

on y magazine et on y dort.

Mais si le Village s’est construit comme étendard d’une différence, pour-

quoi diable n’y a-t-il pas plus de résidents gais dans le Village? On m’a

répondu que c’était trop étroit. C’est vrai qu’il n’y aurait peut-être pas de

place pour les quelques 100,000 gais, lesbiennes et bisexuels qui habitent

l’Est de Montréal. Mais il y aurait sûrement assez d’espace pour tenir

compagnie aux 2,000 ménages homosexuels qui y sont déjà installés. On

m’a alors rétorqué que ça ressemblerait trop à un ghetto.

Le Village, un ghetto?

C’est vrai qu’il arrive qu’on parle de ghetto en désignant le Village,

d’ailleurs qu’on soit straight ou gai. Déjà dans les années 70, en plein

mouvement séparationniste, alors que la plupart revendiquait l’émergence

d’une société distincte à l’écart de la majorité straight, certains gais s’alar-

maient du risque de ghettoïsation. Mais un ghetto reste historiquement une

zone géographique où l’on contraint une minorité à demeurer pour la sé-

parer du reste de la population. Ça n’a jamais été le cas des quartiers gais.

Il y a notamment une forte concentration d’étudiants, y compris venus

d’Europe, qui ne peuvent pas se permettre d’habiter dans le quartier latin

ou le quartier Mc Gill. Mais si le Village n’est ni un ghetto où l’on est

contraint de vivre, ni un village où l’on a envie de vivre, il n’est peut-être

qu’une illusion dont on parle beaucoup pour se convaincre qu’il existe.

D’ailleurs, certains m’ont dit qu’une fois que les gais et lesbiennes auront

obtenus les mêmes droits que leurs homologues hétéros et que l’homo-

sexualité ne sera plus un sujet de discussion politique, le Village n’aura

plus sa raison d’être et qu’il disparaîtra.

Peut-être pas…

Selon l’anthropologue québécois Michel Dorais (Eloge de la diversité sexuelle,

Montréal 1999), la communauté homosexuelle se partage historiquement entre

deux idéologies distinctes : l’une intégrationniste, recherchant l’obtention des mê-

mes droits que les hétéros, l’autre séparatiste, revendiquant la reconnaissance d’une

culture homosexuelle autonome, en marge de la majorité hétéro. Et bien, peut-être

que notre Village est une réconciliation de ces deux points de vue, et même, qui

sait, davantage. Car, si le Village n’est pas gai, si le Village n’est pas ce ghetto

dont certains on parlé et qu’il n’a d’ailleurs jamais été, si le Village n’est pas cette

vitrine, cet étendard de la fierté gaie, alors, peut-être n’est-il que ce havre où l’on ne

fait pas que sortir, où l’on ne fait pas qu’habiter, mais où l’on peut vivre. Vivre son

orientation sexuelle, vivre sa différence, son unicité, sans jugement, sans pression

sociale. Vivre et être soi-même. Un endroit où se reposer de la société. Pas juste un

lieu d’expression d’une homosexualité qui veut vivre. Un endroit où les femmes

hétéros viennent se trémousser sans risquer de passer pour des objets sexuels, un

endroit où les hommes hétéros peuvent prendre un verre et bavarder sans avoir la

pression de devoir cruiser, plaire et performer. Et si le Village était un état d’esprit

au delà des différences, une rebellion tranquille face à un monde impersonnel et

névropate, pour vivre en paix avec soi-même?

Je me souviens de petits villages espagnols accrochés aux premiers contreforts

des Pyrénées. Les tavernes se touchent quasiment les unes aux autres. Le soir

venu, on passe de l’une à l’autre sans s’attacher nulle part, en échangeant quelques

plaisanteries avec ceux que l’on croise, qu’on ne connaît pas mais à qui ont sourit

pareil. Ce sont des villages où l’on se colle les uns aux autres, sans arrière-pensée,

ni jugement, juste pour le plaisir de se sentir vivant. C’est peut-être ça le Village…

Le drapeau officiel des hétérosexuels 2005: un parfait mélange

entre les opposés.

C’est une grande fête, un rassemblement volontaire, un carnaval identi-

taire, qui les a fait naître, même si c’était souvent au début une fête plutôt

musclée comme lors des émeutes de Stonewall en 69. On se séparait alors

du reste de la population pour qu’elle nous voit. Peut-être qu’aujourd’hui,

on a moins envie d’être vu. Peut-être en éprouve-t-on moins le besoin. Ça

expliquerait la désaffection grandissante de la communauté pour certaines

manifestations gaies. L’homosexualité a été banalisée par le sida. Un cer-

tain nombre de droits sont désormais reconnus. Il y a encore du chemin

à faire, mais ça s’en vient tranquillement. Et puis, l’homme moderne a

besoin d’espace et de diversité. On a quitté son petit village de campagne

pour s’installer dans les grandes villes. On communique avec le monde

entier et on goûte à différentes cultures. Ce n’est pas pour se retrouver

enfermé dans un autre village : travailler, manger, sortir, dormir dans le

même petit rectangle urbain, comme une petite fourmi dans sa fourmi-

lière. Beaucoup de mes amis s’y refusent, et je les comprends.

Néanmoins, le charme d’un village a en général quelque chose d’irrésisti-

ble qui fait que je m’interroge toujours sur la relative faible représentation

des gais dans le Village.

Mais, le Village est-il vraiment un Village?

Un village, c’est un petit coin de pays où il fait bon vivre. Il y a une bou-

langerie, une épicerie, une boucherie. On va prier à l’église, on devise

sur la Grand Place et on trinque au bistrot. En fait, un village c’est un

endroit qu’on aime et dont on est fier, bref un endroit que l’on s’approprie.

Dans le Village, les places publiques ressemblent à des terrains vagues,

les chapelets de dépanneurs se substituent aux boulangeries, boucheries

et autres épiceries, les commerces battent de l’aile et les immeubles font

grise mine.

Le Village n’est pas un village. Certains disent même que ce n’est à peine

qu’une rue. Pas étonnant qu’on ne veuille pas y habiter quand on en a les

moyens. Les gais nantis résident tous à l’extérieur. Le Plateau, avec ses

parcs et sa vie sur le Mont Royal, est le premier ou deuxième endroit de

résidence de prédilection (selon qu’on parle des gais ou des lesbiennes et

selon les chiffres qu’on utilise, qui sont de toute façon plutôt flous). Car on

n’habite pas dans le Village parce qu’on est gai, mais pour des raisons éco-

nomiques et sa proximité avec le centre-ville. Déjà dans la fin des années

60, à partir de la construction du métro, de nombreux gais se sont installés

dans le quartier, alors que le Village n’existait pas encore.

Le quartier centre-sud offrait des loyers abordables tout en restant à

quelques stations de métro du centre-ville et des bars gais de l’Ouest.

Aujourd’hui encore, on choisit le Village parce que le prix des ré-

sidences y reste abordable et qu’on est à proximité du centre-ville.