Hollywood n’est toujours pas prêt pour un acteur de film d’action ouvertement gay

Slate.fr

Si vous voulez incarner un homo à l’écran, aucun problème, regardez Matt Damon ou Ewan McGregor. Mais être homo «dans la vraie vie» et sauver le monde à l’écran, ce n’est toujours pas possible.

Superman à Acapulco, le 25 décembre 2013. REUTERS/Jesus Solano- Superman à Acapulco, le 25 décembre 2013. REUTERS/Jesus Solano –

En 2008, le magazine de la culture gay OUT mettait en couverture le journaliste star de CNN Anderson Cooper et l’actrice Jodie Foster avec le titre «The Glass Closet» («le placard de verre»).

Dans ses colonnes, le magazine s’interrogeait sur toutes ces célébrités notoirement connus comme homosexuelles mais refusant de faire leur coming-out «public».

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Interrogé par le magazine, un responsable de relations publiques expliquait:

«Il y a quatre types de gays à Hollywood: le gay déclaré, le gay dont la situation est connue de tous mais dont personne parle, le gay marié qui n’en parle jamais et le gay procédurier qui attaque systématiquement. En d’autres termes, l’absence de placard, le placard de verre, le placard en acier et le placard qui sert de cercueil.»

Si, dans un monde idéal, une telle classification ne devrait pas exister; si, dans un monde idéal, personne ne devrait avoir à exposer son orientation sexuelle devant des milliards d’autres êtres humains, il semble quand même que le monde dans lequel nous vivons est ainsi fait. Mais le monde change.

Cinq ans après l’article de OUT, le «placard de verre» n’en est plus vraiment un: Anderson Cooper a fait son coming-out en 2012 dans un e-mail à l’auteur Andrew Sullivan. Jodie Foster l’a fait en 2013 pendant la cérémonie des Golden Globes.

Et beaucoup ont suivi à Hollywood: l’acteur de la série Prison Break, Wentworth Miller, l’acteur de la série Alias, Victor Graber, celui de la série Kyle XY, Matt Dallas, les actrices Raven-Symoné et Maria Bello, l’acteur vu dans Skyfall et Le parfum, Ben Whishaw, et pas mal d’autres moins connus.

Même dans le milieu sportif, réputé beaucoup plus macho que le milieu du show-business, plusieurs athlètes ont révélé leur homosexualité: du basketteur de la NBA Jason Collins au plongeur Tom Daley en passant par le footballeur Robbie Rogers ou le catcheur Darren Young.

1997 paraît loin. Cette année, la comédienne Ellen DeGeneres faisait la couverture de Time Magazine pour dire «Yep, I’m Gay» et voyait sa sitcom Ellen, pourtant si populaire, annulée par ABC l’année suivante après une énorme chute d’audience.

Il semble loin ce temps, Ellen étant aujourd’hui à la tête d’un des talk-shows les plus regardés de la télé américaine et d’ores et la présentatrice des Oscars. En juillet 2012, à propos des coming-out de Anderson Cooper et du chanteur Frank Ocean, le New York Magazine titrait son article: «La nouvelle est sortie. Et tout le monde, captivé, bâilla.»

Voilà. Hollywood (et le monde qui l’entoure) a changé. Dans une certaine limite…

Car il y a encore un tabou, un sérieux tabou. Celui des grands héros du cinéma populaire, les alpha-mâles des blockbusters, ceux qui jouent dans les films d’action, ceux qui jouent les super-héros, les hommes musclés, viriles qui finissent inévitablement par embrasser leur partenaire féminine à la fin du film.

Il n’y a jamais eu de coming-out de ce côté-ci d’Hollywood. Rock Hudson, la plus grande star de comédies romantiques des années 1950-60, n’a jamais révélé son homosexualité jusqu’à sa mort du sida en 1985 –même si le tout Hollywood savait.

A l’écran, pas de problème. Mais dans la vraie vie…

Depuis, rien n’a changé. Et les rumeurs d’homosexualité de Tom Cruise, de John Travolta, de Hugh Jackman, de Will Smith ou de Vin Diesel font le bonheur des discussions de comptoirs et de soirées entre amis. Qu’elles soient alimentées par des acteurs porno en manque de notoriété, par l’appartenance à une secte, une présence un peu trop marquée dans des comédies musicales, une vie privée beaucoup trop privée ou par une vie maritale trop «propre», ces rumeurs prouvent quand même une chose: quand on place sa virilité au centre de sa carrière, il n’est pas (encore) possible d’être homosexuel dans «la vraie vie».

Au cinéma, c’est possible. Pour de faux. Jake Gyllenhaal, Jim Carrey, Ewan McGregor, Heath Ledger, Matt Damon, Michael Douglas, Tom Hanks ou Sean Penn l’ont bien prouvé. Là aussi, c’est une évolution récente.

Pour de vrai, les acteurs craignent pour leur carrière. Ils craignent de ruiner les fantasmes de tous ces petits garçons et adolescents qui ont les posters de leurs films dans leur chambre, ces posters où ils étalent leurs muscles suintants et tiennent fièrement dans leur bras l’actrice qu’ils viennent de sauver des méchants aliens/terroristes.

Ils craignent par conséquent de ne plus trouver de travail, de ne plus être choisi pour les rôles pour lesquels ils sont taillés, pour les rôles qui leur payent leur villa hollywoodienne et leur loft new-yorkais. Dans l’article de OUT Magazine, il y a cette phrase:

«A Hollywood, les choix ne se font pas sur le positif mais sur le négatif. Celui-ci est trop ci ou trop ça. Et les acteurs ne veulent pas être ceux qui donnent le signal d’alarme.»

Bref, s’entendre dire «tu es trop gay» par un producteur ou une directrice de casting n’est pas une option quand on postule au rôle de nouveau sauveur de l’humanité.

Voyez Luke Evans. L’acteur britannique de 34 ans est sur le point de devenir le nouveau héros de films d’action qu’on s’arrache. Sa filmographie est réglée au millimètre pour atteindre cet objectif. La première fois qu’on l’a vu au cinéma, c’est dans le très viril Choc des Titans en 2010, suivi des Trois Mousquetaires et des Immortels en 2011. Cette année, on l’a vu dans Fast & Furious 6, dans le rôle du méchant, et dans Le Hobbit dans le rôle de Bard.

Résultat: en guise d’apothéose à ce début de carrière sévèrement burné, il a été choisi pour être le nouveau The Crow et le nouveau Dracula dans Dracula Untold.

Voilà une carrière à Hollywood sur de bons rails. Avec tout ce qui va avec: juste après Le Choc des Titans, une certaine Holly Goodchild, une attachée de presse pour Armani, annonçait fièrement leur liaison, et c’est elle qui l’accompagne désormais à toutes les avant-premières.

Sauf que…

Sauf que Luke Evans, il y a plus de dix ans, en 2002, lorsqu’il était jeune premier dans la comédie musicale de Boy George Taboo, se disait ouvertement gay dans le magazine The Advocate. «Des gens viennent me voir dans les pubs, les pubs gay bien sûr, et n’arrivent pas à croire que je sois gay!» disait-il fièrement.

Deux ans plus tard, il réitérait même le message dans le magazine gay londonien QX alors qu’il jouait dans la pièce Hardcore, sur l’industrie du porno:

«Je l’ai fait pour moi. Je n’étais pas heureux de vivre dans le mensonge. Alors jouer dans Taboo était le bon moment de faire mon coming-out. Et ça n’a pas du tout gêné ma carrière

Alors, en 2011, quand le blogueur et journaliste Michael Jensen tenta d’en savoir plus sur ce «revirement» auprès de l’attachée de presse de Evans, il  se passa deux choses.

La première: le commentaire habituel «je ne commente pas la vie privée de mes clients dans les médias etc. etc.»

La deuxième: un changement brutal de la fiche Wikipédia transformant «Luke Evans est ouvertement gay»:


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