Naître ou ne pas naître homosexuel?

Le débat existe depuis la nuit des temps. Il affronte neurologues ou biologistes et chercheurs versus psy- chanalystes, sociologues et même philosophes. Il confronte l’idée d’un déter- minisme génétique de l’ho- mosexualité à une construc- tion sociale ou une idéologie. L’absence de preuves tangi- bles nourrit la controverse, qui est ravivée depuis la ren- trée scolaire 2011.
L’objet de la polémique : un chapitre intitulé « Devenir homme ou femme » ou la notion d’orientation sexuelle vue sous l’angle de la théo- rie des genres. On pourrait résumer ainsi : l’orienta- tion sexuelle des humains est-elle innée ou résulte-t- elle d’un choix personnel influencé par notre histoire familiale et sociale ?
Après la polémique sur le mariage gay ou l’adop- tion par les couples homo- sexuels, une affaire du même acabit n’est pas pas- sée inaperçue. Et pour cau- se ! Elle concerne un chapi- tre inclus dans les manuels scolaires de Sciences et vie de la terre (SVT) des classes de premières :
«Devenir homme ou fem- me». Pour faire simple, il y est expliqué que si l’on naît homme ou femme avec une identité sexuelle définie, no- tre orientation sexuelle, elle, se construit et peut varier au fil du temps à travers un contexte social et culturel.
Dans l’un des manuels, (Edi- tion Belin), y est par exemple écrit ceci : «Chacun apprend à devenir homme ou femme selon son environnement et l’éducation reçue. Il existe un autre aspect encore plus personnel de la sexualité : c’est l’orientation sexuelle.
Je peux être un homme et être attiré par les femmes. Mais je peux aussi me sentir 100% viril et être attiré par les hommes.»
Quand la notion d’orienta- tion sexuelle sème la dis- corde
Près de 80 parlementaires du groupe UMP et une gran- de partie de l’enseignement catholique se sont insurgés contre cette conception de l’orientation sexuelle, qui selon eux, ne serait qu’une construction sociale et non une réalité scientifiquement prouvée.
Les protestataires mettent officiellement en cause la théorie des genres ; officieu- sement, l’enseignement de l’homosexualité et des diffé- rentes orientations sexuel- les à l’école, qui doit, disent- ils, rester cantonné dans la sphère du privé.
Issue d’une fusion entre plu- sieurs courants : marxisme, existentialisme et féminisme des années 70, la théorie des genres est d’abord ap- parue aux États-Unis sous le nom de Gender studies. Incarnée par la philosophe Judith Butler, elle défend une conception du genre comme construction sociale des notions de féminin et de masculin : le genre, qui se retrouve dans les repré- sentations que l’on se fait de ce qu’est un homme ou une femme. Comme l’affirmait Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient ». Ce serait ainsi le contexte de la vie qui amène chaque individu à choisir son orien- tation sexuelle, plus que la différence sexuelle liée à la naissance. Or, cette notion dérange une partie de l’opi- nion française qui y voit une critique sous-jacente : positionner l’homosexualité et la transsexualité dans la
« normalité ». Ce à quoi d’autres répondent que cette théorie enseignée au lycée pourrait au contraire aider à lutter contre les préjugés et les discriminations, dont le problème de l’homophobie à l’école fait parti.
Inné versus acquis
Cette vive critique ravive surtout un débat toujours ardent : l’orientation sexuel- le est-elle déterminée biolo- giquement ? Peut-on naître homosexuel ou les préféren- ces érotiques sont-elles plu- tôt le fruit d’un apprentissa- ge acquis à partir du vécu, de l’éducation, de la famille et de la société ?
Pour le médecin psychiatre et pédopsychiatre Stéphane Clerget, auteur de l’ouvrage Comment devient-on homo ou hétéro ?*, nos préférences sexuelles seraient le fruit d’un apprentissage. « On naît avec la possibilité de tomber amoureux ou de prendre du plaisir sexuellement avec un homme aussi bien qu’avec une femme » écrit ce der- nier. A l’exemple de ce que pensait Freud, nous nais- sons tous bisexuels. « Nos désirs, parfois refoulés, peu- vent remonter à la surface et réorganiser notre psychis- me, parfois à l’occasion d’un événement de vie » ajoute encore Stéphane Clerget.
Notre façon d’aimer dépend donc de nombreux facteurs de vie : ils sont culturels, familiaux, provenant de l’en- tourage, de l’environnement, de la façon dont on a été éle- vé ou même perçu enfant…
Biologiquement, ce proces- sus s’expliquerait même par les connexions entre les neurones, qui ne sont pas figées. D’où la possibi- lité qu’au cours de la vie, les préférences amoureuses et sexuelles soient susceptibles de changer et d’évoluer.
Toutefois, on ne peut pas nier que certains facteurs soient codés génétiquement. C’est ce qu’affirme Jacques Balthazart, neuro-endocri- nologue du comportement à l’Université de Liège, pour qui une partie des facteurs de l’homosexualité serait gé- nétique. Selon le chercheur, « une réaction immunitaire développéeparlamèrepen- dant la gestation affecterait les préférences sexuelles ».
L’homosexualité serait, de ce fait, provoquée par « une in- teraction entre des facteurs génétiques et hormonaux chez l’embryon » explique t’il. « Un stress important subi par la mère pendant la grossesse pourrait déséqui- librer la machine hormonale et l’embryon et influencer durablement son orientation sexuelle » relate le cher- cheur dans un entretien pu- blié par Le Monde.
L’homosexualité ne serait ainsi pas due à des raisons psychanalytiques.
Plusieurs études, principa- lement américaines, rappor- tées par le site Doctissimo, ont déjà essayé de corrobo- rer ce fait : l’homosexualité aurait un caractère inné. En 1991, le docteur Le Vay, neu- rologue, tente de démontrer qu’une très petite structure : l’INH3, connue pour être active dans le comportement sexuel des mammifères, serait deux fois plus volu- mineuses dans les cerveaux des personnes homosexuel- les étudiées. De même qu’en 1993, l’équipe de Dean Ha- mer suggère la particularité sur le bras long du chromo- some X que la mère transmet à son enfant à la naissance et qui serait plus fréquent chez les homosexuels.
Même son de cloche à l’Ins- titut Karolinska de Stoc- kholm. Une étude publiée en 2009 jeta le trouble en affirmantquelecerveaudes homosexuels et des lesbien- nes serait asymétrique par rapport à un cerveau d’hété- rosexuel.
Une répartition asymétri- que si l’on s’en réfère à la substance grise de certai- nes fonctions cognitives ou comportementales entre les 2 hémisphères du cerveau rapporte Philippe Ciofi, neu- roanatomiste au neurocen- tre de l’INSERM à Bordeaux.
Mais à cette question des différences entre un cerveau homosexuel et un cerveau hétérosexuel, la neurobiolo- giste Catherine Vidal, direc- trice de recherche à l’Ins- titut Pasteur répond par la négative. « Le cerveau est à la fois un organe biologique et culturel » écrit-elle. « Il se construit en fonction de l’histoire propre de chacun ».
Il n’y aurait donc pas de dif- férences innées selon le Dr Vidal. « C’est bien souvent le milieu social qui oriente les comportements dans un sens ou dans un autre ». A l’hypothèse hormonale du sexe cérébral, la chercheuse répond qu’il est aujourd’hui très difficile d’établir des études pour comparer les cerveaux. Ces expériences, très coûteuses, demandent un nombre de cobaye trop important. De plus, elles in- téressent peu les chercheurs qui préfèrent travailler sur les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson.
Les théories passent, le mystère demeure…
Faut-il en conclure que l’orientation sexuelle évolue selon ses désirs propres et pulsions, son histoire et ses aléas ? Une certitude de- meure:iln’yaaujourd’hui pas de fatalité ou de dé- terminisme biologique de l’orientation sexuelle.
Nombreux sont les cher- cheurs à s’accorder pour dire qu’il est impossible, à l’heure actuelle, de connaî- tre précisément et de définir le rôle de l’inné et de l’acquis aux origines de l’homo- sexualité.
Comme le résume Steven Pinker, psychologue et pro- fesseur à l’Université améri- caine de Harvard : « Il existe une influence génétique à l’homosexualité, mais elle reste probable et n’a rien d’absolu. Si vous êtes un garçon ayant hérité de cer- tains gènes, vos chances d’être homosexuel sont aug- mentées, mais elles ne sont pas déterminantes à 100% ».

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Roger-Luc Chayer Journaliste et éditeur de Gay Globe TV et de la Revue Le Point
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