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L’AFFAIRE FUGUES/PJC Les dessous d’une affaire de sexe et de Média

Tuesday, September 9th, 2014

Par: Roger-Luc Chayer

Il y a quelques semaines, une sorte de scandale se manifestait, propulsé par la colère des gens de Fugues à l’idée de ne plus pouvoir voir la distribution de leur guide dans les pharmacies Jean Coutu du Québec.

Selon l’article publié par Fugues au moment des faits, il s’agissait d’une décision finale de la part du premier groupe pharmaceutique québécois qui reposait sa décision sur la très (lire trop) grande place faîte à la nudité et au contenu sexuel dans les pages du guide Fugues.

Tant du côté de Jean Coutu que de celui de Fugues, on parlait uniquement des images de mecs souvent dénudés dans le cadre d’une publication offerte au grand public et accessible à tous.

Mais personne n’avait parlé jusqu’ici des autres éléments pouvant mener PJC à vouloir retirer ces revues. Examinant l’édition de septembre d’un peu plus près, voici ce qu’on pouvait y découvrir entre les pages 160 à 172 dans les diverses petites annonces:
Ésotérisme: 1 médium
(Illégal au Canada)
Esthétique: 1 escorte
Massothérapie non-sexuelle: 58 annonces dont 50% annoncent sur d’autres sites d’escortes et proposent des services sexuels en extras.
Massage naturiste: 3 offres de services sexuels.
Massothérapie non-sexuelle en région: 4 annonces.
Massage région: 3 annonces, services sexuels.
Divers: 1 escorte.
Massage érotique: 15 annonces, services sexuels.

Escortes: 11 annonces, services sexuels complets.

Au total, 96 annonces offrent des services sexuels plus ou moins explicites contre rémunération. Est-ce qu’il était donc raisonnable pour Jean Coutu de conclure que cette publication comportait des éléments sexuels? Il est raisonnable de le croire. La réaction de Jean Coutu pouvait s’expliquer un peu comme pour la vente de cigarettes, autrefois autorisée dans les pharmacies mais dénoncée par les autorités de la santé publique comme une pratique incompatible avec le rôle et la mission d’un pharmacien. En effet, il était illogique de vendre un produit causant assurément le cancer et, au fond du couloir, de la chimiothérapie pour lutter contre ce cancer.

Quand on connaît les troubles sociaux engendrés par la prostitution, la consommation de drogues qui y est souvent associée, la transmission de maladies comme les Hépatites ou le VIH/SIDA de même que l’exploitation des humains et possiblement des mineurs associée à la prostitution déguisée en massothérapie, massages et escortes à gogo, la question soulevée par la réaction de PJC était plus que légitime. Et tout cela sans oublier que Fugues tire profit financièrement de la publication de telles annonces, Jean Coutu avait certainement le droit de se questionner sur l’image projetée mais, après avoir été menacé par le Rédacteur en chef de Fugues de représailles importantes, la chaîne est finalement revenue, pour le moment, sur sa décision…

Revue Fugues: Jean Coutu n’est plus «notre ami»

Thursday, August 21st, 2014

Par Yves Lafontaine 21 août 2014

Magazine Fugues

 

Moins d’une semaine après la tenue à Montréal, des célébrations de la Fierté LGBT, l’un de nos distributeurs nous a fait savoir que le Groupe Jean Coutu désirait interdire dorénavant la distribution du magazine Fugues dans les présentoirs du distributeur, placés dans dix-huit pharmacies de la chaîne. Le prétexte évoqué par Patrice Caron, directeur principal des Opérations détail du Groupe Jean Coutu, est que Fugues serait un magazine sexuel… voire érotique. En discutant avec ce dernier, j’ai constaté, malgré la politesse de nos échanges, que l’entreprise avait une vision très (très) conservatrice — voire passéiste — de la réalité d’aujourd’hui ainsi que de sa clientèle. M. Caron et son employeur semblent oublier qu’environ dix pour cent de leurs clients sont des gais, des lesbiennes, des bisexuels ou des trans (LGBT) et que près de 2000 d’entre eux se procuraient Fugues à chaque mois, via Jean Coutu depuis plus de douze ans.

Sans doute la haute direction de Jean Coutu l’ignore, mais Fugues existe depuis 30 ans cette année. C’est le média d’information principal de la communauté LGBT au Québec. Fugues a été de tous les combats et de toutes les revendications depuis 30 ans pour une plus grande acceptation sociale de l’homosexualité. Il a été un acteur important lors des débats sur la reconnaissance des conjoints de fait de même sexe et du mariage gai. Le contenu du magazine, fort varié, va de l’actualité communautaire, sociale et politique (abordant régulièrement les questions de discrimination et d’homophobie), en passant par les arts et la culture, la vie de nuit, les conseils consommation et bien vivre. On y trouve également, une quinzaine de chroniques et des entrevues majeures avec des personnalités qui font l’événement, tels que, ce mois-ci, le militant des droits Peter Tatchell, la championne mondiale de basketball Cynthia Ouellet et le comédien Benoit McGinnis.

Avec plus de 575 points de distribution à travers le Québec et un tirage de plus de 42 000 exemplaires papier et près de 10 000 téléchargements de ses versions numériques, Fugues rejoint environ 250 000 personnes chaque mois. Inutile de dire qu’avec un lectorat si ciblé et si intéressant économiquement, plusieurs entreprises, dont les principales institutions financières (Desjardins, Groupe TD, Banque Royale et Banque Nationale), plusieurs grands groupes pharmaceutiques, des concessionnaires automobiles, des cliniques médicales, des centres d’esthétisme, des promoteurs d’événements de toutes sortes et de projets immobiliers, des hébergements, des restos et des bars, sont présents régulièrement dans nos pages et sur notre site web, à la fois pour rejoindre une clientèle de choix, mais aussi pour soutenir un média essentiel à une communauté, encore aujourd’hui trop souvent victime de discrimination ou d’intimidation.

En plein mois des célébrations de la Fierté LGBT de Montréal et de Québec, on peut se demander ce qui a justifié la décision de Jean Coutu, sachant que Fugues était déjà distribué depuis plus d’une décennie dans environ une vingtaine de ses pharmacies (deux d’entre elles le distribuaient même depuis près de 20 ans). Au fil des ans, le contenu du magazine a évidemment évolué, mais pas vers un contenu plus sexuel, bien au contraire…

Mais au fond, peut-être ne devrais-je pas être surpris de cette décision. En effet, en 30 ans, JAMAIS le Groupe Jean Coutu n’a daigné annoncer dans nos pages (ou sur le site web de Fugues), malgré les nombreux contacts et sollicitations de notre équipe de vente, et ce, même lors d’éditions spéciales consacrées à la santé et au bien être, à la question de la diversité sexuelle en milieu du travail ou lors des éditions de la Fierté. Comme entreprise, Jean Coutu a évidemment la liberté de choisir ses stratégies de communication comme elle l’entend, mais L’INTERDICTION de distribuer le magazine Fugues dans ses pharmacies va plus loin. L’entreprise envoie maintenant un MESSAGE CLAIR et évident DE REJET, qui sera interprété par «n’ayez pas trop l’air gais», «on ne veut pas de magazines comme ça, ici» «vous n’êtes plus les bienvenus» et «on veut votre argent, mais n’exprimez surtout pas votre réalité»...

Cela dit, aussi désolante soit-elle, cette décision n’est pas dramatique pour autant pour Fugues. En quelques heures notre distributeur aura trouvé d’autres lieux bien plus ouverts (dont évidemment des pharmacies concurrentes) pour distribuer les 1800 exemplaires du magazine Fugues qui étaient disponibles jusqu’à tout récemment dans les entrées de dix-huit pharmacies Jean Coutu. Mais, par le geste posé, il semble évident que les personnes LGBT créent un malaise auprès des employés, de la direction et des partenaires d’affaires de Jean Coutu.

Par principe, suite à la récente décision, que Patrice Caron m’a décrite au téléphone comme «finale et sans appel», et afin de protéger nos lecteurs, nous les encourageons fortement à se procurer Fugues ailleurs et à choisir pour leurs achats des commerces et établissements qui ont démontré très clairement une RÉELLE ouverture. La décision de Jean Coutu est très mal avisée. Sans doute, s’agit-il d’un réflexe du passé, motivé par une ou quelques plaintes de clients ou d’employés rétrogrades à l’esprit fermé, inconscients que le Québec est une société ouverte et diversifiée. «Vivre et laisser vivre», ne dit-on pas? À ce que je sache, personne n’est obligé de prendre un exemplaire de Fugues (ou d’en visiter son site web) si le contenu ne l’intéresse pas ou s’il ne correspond pas à ses valeurs.

Lors des nombreuses entrevues que j’ai accordées cet été, dans le cadre du 30e anniversaire de Fugues et de l’exposition présentée jusqu’au 31 août à l’Écomusée du Fier Monde («Fugues se souvient»), j’ai souvent rappelé combien l’ouverture à la différence s’est faite rapidement au Québec, en particulier au niveau des droits. Mais j’ai également émis mes craintes d’un retour en arrière, d’une possible résurgence de l’intolérance. Et qu’il fallait à ce sujet rester très vigilant. La décision corporative du Groupe Jean Coutu est la preuve tangible que rien n’est acquis et que l’intolérance peut prendre bien des visages, même celui d’une institution québécoise respectée comme Jean Coutu. Une institution qui, au fil des ans, a tout fait pour qu’on croie qu’on y trouvera «de tout, même un ami»…

Yves LAFONTAINE