jean-luc romero

Le célèbre politicien français, auteur de plusieurs ouvrages littéraires
sur le SIDA et la politique, était de passage au Québec en mai et
participait du coup à de nombreux événements gais dont le festival
AlternʼArt de Québec ou quelques rencontres avec des groupes
communautaires de Montréal. Suite à sa visite, Monsieur Romero
a accepté de répondre aux questions du Point et de nous brosser un
compte rendu de ses rencontres.
Vous revenez tout juste dʼun périple en sol québécois, quels étaient les
objectifs de cette visite ?
Ils étaient double : dʼune part, rencontrer les acteurs de la lutte contre le
sida pour échanger sur nos politiques et même collaborer et dʼautre part,
participer à la première édition du festival gay et lesbien AlternʼArt à
Québec.
Ce voyage nʼétait pas votre premier en sol québécois, quʼest-ce qui vous
attire vers le Québec ?
Jʼai le Québec au cœur. Cʼest une province que jʼadore. Vous avez un sens
de lʼhospitalité hors norme et jʼapprécie la grande tolérance de la société
québécoise. Vous êtes un exemple pour lʼhomme politique français que je
suis.
Le nom de Romero est très connu en France, avez-vous remarqué
que vous aviez une certaine notoriété au Québec et si oui, comment
expliquez-vous cela ?
Cʼest vrai que je suis un peu connu au Québec et cʼest, en partie, grâce
au Point et aux médias gays, mais aussi à Radio-Canada et aux radios
communautaires qui relatent régulièrement mes actions en France et
présentent mes livres, notamment «On mʼa volé ma vérité», «Virus de vie»
et le dernier «Je nʼai jamais connu Amsterdam au printemps». Jʼai été surpris
de lire dans plusieurs magazines des comptes-rendus de la cérémonie de
remise de la Légion dʼHonneur qui mʼa été donnée récemment en France.
De plus, cʼest toujours émouvant de voir quʼon trouve mes livres au Québec
et jʼavoue avoir ressenti une certaine fi erté en voyant, dans la vitrine de
la grande librairie Pantoute à Québec, mes ouvrages et des fl yers pour la
conférence que jʼorganisais dans cette belle ville.
Vous avez été déclaré «Homme politique de lʼannée» en 2001 par le
magazine VSD en France, comment expliquez-vous quʼun homme
politique puisse être aussi populaire dans un climat politique
habituellement très cynique dans les pays francophones ?
En France, malgré ce vote, je ne suis pas populaire chez tout le monde !
Mais, je crois avoir un peu la confi ance des jeunes qui trouvent mes
combats courageux. Ils sentent que je les comprends et ils me marquent
leur confi ance. En province, les gays me sont aussi reconnaissants de porter
nationalement et localement leurs demandes dʼégalité. Par contre, lʼélite
gay, à Paris, me méprise souvent. Normal, on ne peut pas plaire à tout le
monde…
Votre horaire était très chargé lors de votre visite au Québec, que
souhaitiez-vous passer comme message ?
Je voulais dʼabord apprendre : comprendre notamment comment votre
classe politique traite les questions liée à lʼhomosexualité.
A cet égard, jʼai été très intéressé par mes entretiens avec Pierre Brunet,
président du conseil municipal de Montréal, le jeune maire du Village Martin
Lemay, Jean-Paul LʼAllier, maire de Québec – que jʼai trouvé extrêmement
sympathique – et même lʼancien ministre Marc Bellemare, un des candidats
à sa succession à la mairie de Québec qui mʼa fait lʼhonneur dʼassister à
lʼune de mes conférences. Je suis très admiratif de la décomplexion de vos
hommes politiques sur la question gay : ils ont beaucoup à apprendre aux
politiciens français. Jʼai cependant essayé de les mobiliser sur la politique
de réduction des risques chez les toxicomanes qui est embryonnaire chez
vous contrairement à la France. Jʼespère que je les aurai un peu convaincu
dʼavancer dans ce domaine difficile…
Vous avez eu droit à une rencontre privée avec le Ministre Philippe
Couillard de la Santé (Québec) quel message avez-vous livré au
ministre et quelle a été sa réponse ?
Jʼai été très heureux de rencontrer durant un long petit-déjeuner votre
ministre de la santé. Jʼai évoqué de nombreux sujets de santé et bien sûr
longuement le VIH/sida. Nous avons aussi parlé de lʼinterdiction faite aux
homosexuels de donner leur sang. Je lui ai démontré que cette interdiction
nʼavait plus de sens aujourdʼhui et quʼil fallait passer de la notion de
populations à risques à celle de comportements à risques. Il a semblé
intéressé par mes arguments et mʼa promis de saisir lʼinstance compétente
sur cette interdiction que jʼestime gravement discriminatoire.
Dʼaprès-vous et avec votre expérience de la santé homosexuelle en
France, quelle serait la solution pour le Québec au problème de
démobilisation face à la prévention du SIDA ?
Dʼabord, il faut entretenir un bruit de fond permanent pour ne pas donner le
sentiment que le sida est un problème réglé. En France, à ma demande, le
sida a été déclaré, par le Premier ministre, grande cause nationale en 2005.
Cʼest un geste politique fort car je crois que le sida se soigne aussi par la
politique. Les élus doivent être à la pointe du combat contre cette maladie
discriminante. Ensuite, il faut refaire des campagnes massives et rappeler
que le sida reste une maladie obstinément mortelle. Enfin, il faut remobiliser
les communautés, notamment homosexuelle et toxicomane, pour quʼelles
portent un message fort, responsable et non discriminant.
Le Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin
et Jean-Luc Romero
Concrètement, si nous devions parler aux jeunes avec leurs propres
mots, comment leur diriez-vous de se protéger du SIDA et de quelle
façon tenteriez-vous de les convaincre de sʼouvrir les yeux ?
Je pense que pour sʼadresser aux jeunes, rien de mieux quʼun autre jeune !
Je ne suis donc pas le mieux qualifié ! Je crois quʼil ne faut plus essayer de
jouer sur la simple peur qui ne fonctionne pas dans nos pays riches, dʼautant
que les jeunes nʼont pas vu mourir leurs amis comme ma génération de
quadragénaire. Il faut leur rappeler que le préservatif ne tue pas lʼamour,
quʼil nʼest pas un filtre, mais plutôt une vraie preuve dʼamour vis-à-vis de
son partenaire. En se protégeant, on protège lʼêtre aimé. Cʼest dʼamour dont
il faut leur parler et de vie. Car le sida, cela reste la mort et la souffrance.
Est-ce que les hommes gais plus âgés ont aussi une responsabilité face à
la propagation du SIDA chez les jeunes ? Ils savent pourtant comment
lʼéviter si ils se souviennent des années 80…
Les hommes gais de plus de 40 ans vivent avec le sida depuis plus de 25 ans.
Ils ont vu mourir leurs amis mais aujourdʼhui se lassent de la prévention.
Il faut les remobiliser comme il faut valoriser les personnes séropositives :
il faut bien sûr leur dire : protégez vous mais ne pas oublier une seconde
partie de message. Il faut donner de lʼespoir : dire aux séropos quʼon peut
vivre, travailler et surtout… aimer avec le sida.
Quels sont les sentiments, positifs, négatifs ou critiques, que vous gardez
de vos rencontres avec les organisations homosexuelles québécoises et
les gais en général, quʼils soient de Montréal ou de Québec ?
Jʼai été heureux de rencontrer plusieurs partenaires importants de la
communauté gaie de Montréal : la chambre de commerce gaie qui mʼapparaît
très dynamique, la fondation Emergence qui joue un rôle important pour la
journée contre lʼhomophobie, Gai écoute, et la Table de concertation des
gays et des lesbiennes. Je retire beaucoup de leçons du travail fait par
ces associations, notamment pour la journée contre lʼhomophobie. Cʼest
formidable dʼavoir obtenu quʼun si beau texte soit lu ce jour symbolique
dans les écoles. Nous nʼy sommes par encore parvenus en France !
Depuis quelques années maintenant, vous collaborez à la revue Le Point
en contribuant à la publication de nouvelles généralement en santé et
parfois en politique. Comment souhaitez-vous que cette collaboration
soit perçue par les lecteurs ?
Jean-Luc Romero à la télé française lors de lʼannonce de sa candidature
pour la Mairie de Paris en 2007
Jʼessaie de vous apporter la modeste vision dʼun homme qui a fait de son
combat individuel contre la maladie un combat collectif. Je crois que mon
expérience de militant contre le sida peut vous aider à mieux cerner les
enjeux de cette épidémie plus de 25 ans après son apparition. Evoquer
les solutions françaises nous permet de comparer nos méthodes et ainsi
dʼévoluer… Cʼest aussi un moyen de voir si les idées politiques singulières
que jʼai développées dans ma Lettre à une droite maladroite ont un écho
dans une autre société.
Comme média gai à 100%, gratuit et en distribution nationale,
comment pourrions-nous améliorer nos interventions face au SIDA ?
Quelle stratégie auriez-vous à suggérer aux médias gais qui voudraient
en faire plus avec presque rien comme le Gouvernement du Québec ne
finance plus rien en prévention SIDA ?
Dʼabord, sans mʼimmiscer dans votre vie politique, il mʼapparaît important
que les pouvoirs publics financent de grandes campagnes de prévention,
mais aussi de solidarité car les séropos sont de plus en plus stigmatisés
même chez les gais. Je le répète : le sida se soigne aussi par la politique. Et
sans argent de lʼEtat, pas de campagnes !
Ensuite, je crois quʼil faut aussi faire de la visibilité : donner la parole à ceux
qui vivent avec ce virus. Beaucoup de gens se cachent : il faut leur donner
des raisons dʼespérer en montrant que dʼautres séropos arrivent à vivre à la
lumière avec le sida.
Dernièrement, vous annonciez sur les ondes de la télé française que
vous souhaitiez devenir candidat aux élections municipales de Paris en
2007. Comme le Maire de Paris a un pouvoir politique considérable
aussi important dans certains domaines que le Président de la
République, quels changements apporteriez-vous à la cité de Paris
comme homosexuel en sachant que votre opposant est lʼactuel maire
homosexuel de Paris, M. Delanoë ?
Je souhaite quʼon fasse de la politique autrement en France et à Paris. Jʼai
beaucoup dʼamitié et dʼadmiration pour Bertrand Delanoë mais jʼai aussi
une vision différente de Paris : plus ouverte, plus à lʼavant-garde, moins
frileuse et repliée sur elle-même comme elle tend à le devenir. Je veux
apporter plus dʼimagination architecturale : Paris ne doit pas être quʼun
musée immuable mais un musée de la vie de nos vies. Pour les gais, je suis
aussi sidéré quʼune grande capitale comme Paris nʼait toujours pas un vrai
centre gay et lesbien avec des moyens importants.
Vous avez une énergie absolument incroyable, vous êtes présent sur
toute la France et vous parcourez de longues distances pour toujours
être au coeur de lʼaction politique et sociale, comment arrivez-vous à le
faire sans vous épuiser et quand aurez-vous le sentiment dʼavoir réussi
votre mission ?
Je crois que si je vis encore, cʼest bien parce que je nʼai jamais baissé les
bras, parce que je cours toujours… Jʼai entamé mon 11e tour de France
depuis 1995 pour convaincre les élus français de se battre contre le sida et
pour plus de tolérance dans notre société. Je mʼarrêterai le jour où jʼaurai
convaincu mes collègues. Malheureusement, je crois que jʼai encore du
boulot même si parfois jʼaspire à trouver une relève…. Mais, rassurez-vous,
jʼai toujours envie de me battre pour convaincre !
Je nʼai jamais connu Amsterdam au printemps, un livre bouleversant
qui mʼa touché et qui mʼa replongé dans la lutte contre le SIDA, est-ce
que jʼai raison de croire quʼil sʼagit non pas dʼun livre sur une triste
condition médicale mais le récit dʼun espoir social ?
Ce livre est dʼabord un hommage et une lettre dʼamour à Hubert qui, certes,
mʼa contaminé mais qui, surtout, en mourant mʼa aussi donné une force
considérable : celle de vivre pour deux. Cʼest un livre qui commence mal
puisque la première partie sʼintitule le cimetière de mes illusions perdues
mais qui finit dans lʼespoir puisque lʼavenir dure toujours….Il sʼagit aussi
dans ce livre, outre dʼy parler de mes rencontres politiques, dʼexpliquer le
quotidien dʼune personne qui vit depuis 20 ans avec le sida, dʼexpliquer
la difficulté de la prise de mes traitements, mes inquiétudes bien sûr mais
surtout aussi mes espoirs. Ce livre, cʼest une ode à la vie !
Site internet officiel de Jean-Luc Romero
www.jeanluc-romero.com
Site du parti politique “Aujourd’hui Autrement”
www.aujourdhui-autrement.com
Site internet du groupe “Élus Locaux contre le SIDA”
www.elcs-asso.com


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