«Les gays perçoivent le VIH comme une maladie chronique»

Libération

Selon une étude réalisée par Annie Velter, sociodémographe à l’Institut de veille sanitaire, les pratiques à risque continuent, voire augmentent chez les gays… Pourquoi ? Elle a répondu à vos questions.

Valérie. Pourquoi avez-vous réalisé cette enquête, et tout particulièrement auprès des gays ?

Annie Velter. Cette enquête est un outil d’aide à la décision pour mettre en place des campagnes de prévention. Etant donné l’épidémie dans cette population, il est urgent de réactualiser les outils nécessaires pour la contrer.

Amandine. Depuis quand à l’Institut de veille sanitaire êtes-vous alertés par cette augmentation de contamination chez les gays ?

A. V. Depuis la mise en place de la déclaration obligatoire de l’infection par le VIH, en 2003, et antérieurement lorsque l’on recensait les cas de sida. Depuis l’arrivée de l’épidémie, les gays sont un des groupes les plus contaminés.

Alain. Les nouveaux traitements, moins contraignants, sont-ils une des raisons de cette augmentation des contaminations ?

A. V. C’est sûr que les traitements ont beaucoup amélioré la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH. Les personnes perçoivent plus le VIH comme une maladie chronique qui peut faire moins peur, et effectivement dans la balance le rapport au risque a changé.

Geenski. Comment réussir à diminuer les pratiques les plus à risque ?

A. V. Ce qui pourrait diminuer les pratiques à risque, c’est probablement une meilleure information. Et une plus grande attention à sa santé sexuelle, en combinant plusieurs outils, que sont les préservatifs, le dépistage, et que sont les traitements lorsque l’on est diagnostiqué séropositif. C’est aussi aller faire des diagnostics lorsque l’on décèle une infection sexuellement transmissible.

Bob. Que pensez-vous de la préconisation d’antiviraux avant un rapport sexuel ?

A. V. Cela peut être un outil préventif lorsque l’on ne peut pas utiliser de préservatif, et que l’on a une activité sexuelle très importante.

Constance. Pourquoi le préservatif n’est-il plus systématiquement utilisé ? Que disent ceux que vous avez consultés ?

A. V. L’enquête ne permet pas d’avoir d’explication. C’est une enquête quantitative sur les comportements, mais elle ne permet pas d’avoir d’explication sur les raisons du non-usage du préservatif. Par contre, on a différentes pistes. Comme le fait qu’il est difficile d’utiliser systématiquement le préservatif lorsque sa vie sexuelle est déjà très longue. Le rapport au risque change, étant donné que la maladie est perçue comme chronique aujourd’hui et non plus létale.

Mounnahadhurami. Est-ce que les rapports anaux augmentent le risque de contamination ?

A. V. Oui, effectivement, les rapports anaux sont plus contaminants que les rapports vaginaux, car il y a une plus grande sensibilité vis-à-vis du VIH.

Sara. N’y a-t-il pas une banalisation excessive du VIH chez les jeunes gays en particulier ?

A. V.  On ne constate pas de différences de comportements chez les jeunes. Ils ont les mêmes comportements sexuels à risque que leurs aînés. Il y a une sorte banalisation du VIH dans la «communauté».

Romain. Une épidémie qui dure depuis trente ans, c’est long, la vigilance baisse, et le vaccin n’est toujours pas là. Le problème ne viendrait-il pas de là ?

A. V. C’est vrai que les espoirs vaccinaux tendent à s’amenuiser, et qu’aujourd’hui on se tourne plus vers de la prévention combinée, et les espoirs vont vers des traitements pris en amont des prises de risque.

Aux Etats-Unis et actuellement en France (un essai Ipergay est en cours), on teste des traitements en amont de leur rapport sexuel pour les hommes séronégatifs qui ont des pratiques à risque. La possibilité de prendre ce traitement, c’est un espoir par rapport au vaccin qui n’arrive pas.

Gmk. La prévention montrant ses limites, ne faudrait-il pas faire une grande campagne pour identifier les personnes contaminées qui l’ignorent et les traiter ? Si toutes les personnes contaminées étaient traitées, il n’y aurait plus de nouvelles contaminations…

A. V. Le dépistage, c’est effectivement l’axe prioritaire pour enrayer l’épidémie, et mettre toutes les personnes contaminées sous traitement. Pour cela, il y a eu des recommandations pour inciter les gays à réaliser au moins une fois par an un test de dépistage au VIH.

Et, sur le terrain, dans les lieux gays, des actions communautaires pour proposer des tests de diagnostic rapide. Toutes ces actions ont réellement amélioré la connaissance du statut sérologique VIH. D’autres outils, comme l’autotest, permettraient probablement d’augmenter la proportion de gays testés régulièrement. Ces autotests devraient être disponibles, en France, l’an prochain.

Alexparis. Ne pensez-vous pas que le problème vient aussi d’une forte augmentation du nombre de partenaires, du fait de la facilité de plus en plus grande de provoquer des rencontres à but sexuel (applications géolocalisées sur smartphone notamment) ?

A. V. L’enquête a eu lieu en 2011, on n’avait pas encore intégré cette modalité de rencontre. Cependant, il faut se rappeler que quand Internet est arrivé, on avait le même type de discours. Dans les années 2000, les études montraient que les gens qui fréquentaient les sites de rencontres sur Internet prenaient plus de risque que ceux qui ne les fréquentaient pas.

Or, avec le temps, cette constatation n’est plus vraie. Internet est un moyen supplémentaire de rencontrer ses partenaires. Et, pour les hommes qui ont beaucoup de partenaires, c’est juste pour eux un outil supplémentaire. De toute façon, ils vont déjà dans les saunas, les backrooms. On n’a pas de données sur ce nouveau support. Des enquêtes vont forcément investiguer ce mode de rencontre, mais il faut rester prudent sur les conclusions.

Sara. Connaît-on le taux de prévalence du VIH au sein de la population gay en France ?

A. V. Le taux de prévalence est estimé à partir des enquêtes comme l’enquête Presse gay. La part de séropositifs  est à hauteur de 17%. Cela veut dire qu’elle a augmenté depuis 2004, puisqu’elle était de 13%. Mais cela apparaît assez cohérent, puisqu’il y a de nouveaux diagnostics, et un taux de mortalité qui est assez faible.

Gabriel. Est-ce que l’enquête permet de documenter les discriminations au sein même des communautés gays, comme la sérophobie, ou le racisme, et leur impact éventuel sur la prévention ?

A. V. Effectivement, l’enquête interroge sur l’homophobie de la société, en interrogeant sur les actes homophobes dont ils ont été victimes. L’acceptation de leurs proches, pères, mères, de leur orientation sexuelle, mais aussi de la discussion de son statut sérologique entre partenaires. En fait, même dans la communauté, les données indiquent que les choses ne sont pas aussi simples que cela. C’est toujours difficile de dire son statut sérologique.

Boudouilll. Ne pensez-vous pas que la prévention dans les collèges ou lycées est faite surtout pour les relations hétérosexuelles ? Des jeunes ne se reconnaissant pas de fait dans ces pratiques sexuelles.

A. V. Oui, effectivement, la prévention dans les lycées et collèges est plutôt réalisée pour des relations hétérosexuelles. La question de l’homosexualité est difficilement abordée au lycée. Ce qui est assez regrettable pour les jeunes homosexuels qui ont une méconnaissance de la réalité épidémiologique.


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