Résistants au sida, un espoir pour la recherche

Humanite.fr

Séropositifs depuis de nombreuses années, les « HIV contrôleurs » parviennent 
à maintenir le virus 
en sommeil 
dans leur organisme. 
Un mystère 
qui constitue 
une piste sérieuse pour la recherche, alors que Rome accueille jusqu’à demain une conférence anti-sida.

Un jour de 2003, à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre à Paris, une patiente séropositive depuis treize ans interrogeait son médecin : « Suis-je vraiment infectée ? » Par cette question un peu provocante, cette femme ne savait sans doute pas qu’elle déclencherait une prise de conscience importante dans le milieu de la recherche.

Infectée depuis 1990 par le virus du sida, son système immunitaire semblait en effet particulièrement résister à la maladie. À chaque bilan, les deux indicateurs de mesure de son évolution, les CD4 et la charge virale, restaient stables. Son médecin, le professeur Jean-François Delfraissy, aujourd’hui directeur de l’Agence nationale de la recherche contre le sida (ANRS), décidait alors de mobiliser son équipe au Kremlin-Bicêtre. Objectif : trouver d’autres patients infectés depuis plus de dix ans et n’ayant jamais eu besoin de prendre de traitements antirétroviraux. « Nous nous sommes rendu compte qu’ils étaient rares », raconte Olivier Lambotte, immunologiste à Bicêtre. Au final, moins de 1 % de l’ensemble des patients séropositifs suivis à l’hôpital.

Leur singularité, toutefois, attise la curiosité des chercheurs. Pourquoi 99 % des malades du sida meurent s’ils ne sont pas traités et moins de 1 % ne développent pas la maladie ? Des équipes françaises, mais aussi américaines et espagnoles, tentent alors de comprendre le mécanisme du système immunitaire de ces hommes et femmes que l’on appelle désormais les « HIV contrôleurs ». Des cas exceptionnels, certes, mais qui ne datent pas d’hier, puisque dès les débuts de l’épidémie, voici trente ans, certains séropositifs restaient en bonne santé de nombreuses années. Ils étaient alors qualifiés d’« asymptomatiques à long terme » ou de « porteurs sains ». Leurs trajectoires ont d’ailleurs commencé à être étudiées dès le milieu des années 1990. Mais il a fallu attendre 2006 pour qu’un observatoire national des patients « HIV contrôleurs » soit créé. Puis juillet 2009 pour qu’une « cohorte », c’est-à-dire un vaste essai thérapeutique, suive de près 150 d’entre eux. Aujourd’hui, ils représentent « un enjeu majeur de la recherche sur le VIH », affirme Olivier Lambotte, qui coordonne l’essai financé par l’ANRS.

Dès lors, que nous apprend le suivi de ces patients un peu particuliers ? Tout d’abord, qu’ils ont une prédisposition génétique – grâce à un gène appelé HLA – à identifier plus rapidement le virus dans l’organisme. Qu’ils bénéficient aussi de cellules tueuses, appelées CD8, qui ont la capacité d’éliminer les fameuses cellules CD4 infectées par le virus. Enfin, c’est surtout du côté de l’immunité innée, territoire de recherche à conquérir, que les chercheurs s’orientent aujourd’hui.

Mais ces espoirs thérapeutiques ne doivent cependant pas masquer la réalité du vécu de ces patients d’exception. Car, cette lutte permanente du système immunitaire contre le virus a un coût sanitaire pour eux : inflammations chroniques, fatigue, risques de cancer, risques cardio-vasculaires… Professeure en psychologie sociale de la santé, Marie Préau est responsable scientifique d’une étude « qualité de vie » en cours de réalisation pour l’ANRS. Elle témoigne d’un état général loin d’être idyllique. D’abord, parce qu’être « contrôleur » ne signifie pas que l’état est immuable. Un ralentissement de la vitesse de la maladie ne les protège pas forcément à vie. Ensuite, il est souvent difficile de trouver sa place quand on est séropositif et « contrôleur ». Certains, comme Maxime (voir ci-contre), parlent même d’une sorte de « double peine » : à l’exclusion sociale vécue comme tous les séropositifs, au travail notamment, s’ajoute parfois un rejet par les séropositifs sous traitement qui jugent assez mal la « chance » de ces hommes et femmes. Sans parler des cas de dépression ou de syndrome du survivant…

Longtemps, la majorité de ces « résistants » sont restés silencieux. Non reconnus, invisibles, rejetés. « Ils ont pourtant beaucoup de choses à nous apprendre. D’un point de vue scientifique, bien sûr, mais aussi d’un point de vue humain. Car leur choix de participer à un essai thérapeutique est parfaitement altruiste. Ils sont très motivés pour aider la recherche », confie Olivier Lambotte.

  • Trente ans d’épidémie de sida

Le 5 juin 1981 : le centre de contrôle des maladies infectieuses (Center for Disease Control) d’Atlanta publie un article sur cinq cas 
de pneumonie mortelle recensés 
chez des homosexuels.

1983 : des chercheurs de l’Institut Pasteur, Françoise Barré-Sinoussi 
et Luc Montagnier, identifient 
ce nouveau virus : le VIH, virus de l’immunodéficience humaine, ou sida. La même année, des séropositifs exigent d’être partie prenante 
de la recherche. Act Up voit le jour.

1996 : les trithérapies, premiers traitements de lutte contre la maladie, sont accessibles dans les pays du Nord.

Avril  2001 : procès de Pretoria. 39 des plus grands laboratoires pharmaceutiques retirent leur plainte contre le gouvernement sud-africain, qui tentait de trouver un accès à des médicaments moins chers.

Janvier 2002 : création du Fonds mondial de lutte contre le sida, 
la tuberculose et la malaria.


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