Le sida est aussi une affaire de gros sous

La marseillaise

Un laboratoire américain accepte de céder ses droits pour permettre la production d’anti rétroviraux sous forme générique. Une première largement saluée mais qui souligne aussi tous les obstacles qui existent encore à un accès de tous aux mêmes médicaments.

La lutte contre le virus du Sida est une affaire d’argent, public pour tout ce qui relève des politiques de santé mais aussi privé avec les notions de bénéfices. Le coût du traitement le montre depuis longtemps et l’engagement récent - le 12 juillet dernier - du laboratoire américain Gilead Sciences à autoriser la fabrication de génériques, vient encore de le souligner.
Pourquoi le traitement coûte-t-il cher ? Parce que les accords sur la propriété intellectuelle protègent de 15 à 20 ans les brevets sur les médicaments. Or, concernant les anti-rétro viraux (AVR), les nouveaux médicaments sont les plus efficaces, avec le moins d’effets secondaires, mais aussi les plus chers. Ils sont produits dans les pays riches où, non seulement les puissances publiques peuvent cofinancer la recherche, mais où les laboratoires disposent d’un marché florissant, garantissant un retour sur investissement. Résultat, seuls 40% des malades sont soignés dans le monde. A cause du prix trop élevé des nouveaux traitements, 6,6 millions de personnes prennent encore des anciens traitements qui, parfois comme dans le cas du D4T, sont même mis à l’index par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Et les 60% de malades non soignés représentent quelques 10 millions de personnes.
Abandon précoce
de la propriété intellectuelle

C’est donc cette situation indigne que le récent accord de Gilead bousculerait. Un accord signé avec Unitaid. Structure internationale dirigée par Philippe Douste-Blazy, dont l’objet est notamment de négocier les prix des médicaments contre le Sida, Unitaid a d’abord du ferrailler ferme auprès des quinze pays qui la composent pour convaincre qu’une des meilleures manières de rendre les AVR accessibles, est la Communauté de brevets, ou l’abandon précoce de la propriété intellectuelle pour permettre la fabrication de génériques. Après la théorie, la pratique donc, actée avec le leader mondial de la fabrication d’AVR : Gilead Sciences. L’accord du 12 juillet dernier a ainsi été largement salué comme « formidable » ou « historique ». Cette licence porte sur des médicaments existants mais aussi sur des produits se trouvant encore au stade de la recherche clinique. Cela permettra donc aux pays pauvres d’avoir accès aux mêmes traitements que les pays riches mais à moindre coût. Si Gilead Sciences n’a évidemment pas abandonné les royalties sur la vente de ces futurs génériques - de 3 à 5% - le laboratoire s’est cependant engagé à ne pas les percevoir pour tous les traitements destinés aux enfants.
Autant de points qui expliquent l’enthousiasme autour de l’accord qui, pourtant, soulèvent aussi des questions. Un obstacle important est la liste des pays « autorisés » à bénéficier de ces génériques. Là, la vieille logique mercantile revient au galop. Ainsi, si se montrer généreux vis-à-vis des pays pauvres ne posent pas de problèmes au laboratoire philanthrope, il n’en va pas de même avec les pays moins pauvres et qui, surtout, pourraient devenir riches demain et apparaître ainsi comme un marché potentiel aux yeux de l’industrie pharmaceutique. C’est ainsi que pour les médicaments existants, la licence est ouverte à 111 pays, pour ceux encore en recherche, elle passe à 102 ou 99. Concrètement, Chine, Brésil, Russie en sont exclus, comme la plupart des pays d’Amérique du Sud, l’ensemble de l’Afrique du Nord et ceux d’Europe de l’Est. C’est ainsi qu’Act Up estime à 5 millions le nombre de personnes atteintes par le VIH qui seront ainsi exclues de ces génériques, sachant que, comme précédemment écrit, 10 millions de personnes ne sont pas encore traitées. L’association militante s’inquiète aussi de voir ainsi se créer un précédent pour les futurs accords à venir. Unitaid serait en effet en pourparlers avec six autres laboratoires. Ce qui est une nécessité car, comme l’explique Aides, la tolérance à un médicament évolue et nécessite des changements fréquents et qu’un traitement exhaustif suppose la prise de médicaments produits par différents laboratoires.


La charge de l’Europe
contre les génériques

Enfin, ce « premier pas » ne doit pas occulter ce qui se joue en parallèle avec l’Union européenne. Au nom de la propriété intellectuelle et surtout de la libre concurrence, l’UE est en effet peu ouverte aux génériques. Cela s’est encore vu récemment avec l’accord qu’elle a tenté de négocier avec l’Inde. Ce dernier est surnommé la pharmacie du monde. Depuis les années 70, toute une économie du générique y est en effet développée, jouant de la « copie » à un moment où elle n’était pas soumise à l’OMC. Si le pays ne parvient pas encore à financer une recherche autonome, les laboratoires reproduisent des génériques mais parviennent aussi à les améliorer… Aujourd’hui, le pays peut ainsi proposer une trithérapie pour 100 dollars par an, contre 12 000 auparavant…
Et c’est ainsi que depuis la décennie 90, de puissantes ONG comme Médecins Sans Frontière vont s’approvisionner en Inde pour soigner l’Afrique. L’UE voudrait donc obliger l’Inde à acheter les traitements originaux même si, après montée au créneau des professionnels de la santé, la commission envisage d’exclure de l’accord des médicaments pour « les urgences de santé publique ». Mais, selon Act Up, un accord similaire signé entre les Etats-Unis et l’Amérique du Sud a conduit à des augmentations pouvant aller jusqu’à 840%. C’est ainsi qu’Act Up Paris attend que « à l’occasion de la conférence qui se tient à Rome, Nicolas Sarkozy affirme publiquement son soutien aux génériques et son opposition aux dispositions de la commission européenne qui vont entraver les génériques ».

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