55- 1940-1945 : les années sexe?

« Vichy ou les Infortunes de la vertu ». De Pétain en vieux cochon à la Collaboration vue comme un fiasco de la virilité nationale, un essai qui va faire jaser.
Sous un titre provocant, dans ce gros livre dont l’écriture alerte habille de formules brillantes émaillées de calembours une documentation des plus sérieuses, Patrick Buisson explore tout ce qui, dans les années de guerre et d’occupation, ne relève pas de la politique et de l’idéologie. Il drague les marécages de sexualité où ont baigné les consciences et proliféré les convictions. La débâcle de l’armée française assimilée à un fiasco de la virilité nationale; l’invasion et le triomphe des soldats allemands comparés à un jet de sève physiologique; la soumission masochiste des vaincus; l’émancipation des Françaises découvrant la nullité de leurs mâles : cela, on ne l’ignorait pas, sauf peut-être la contrepèterie, fameuse en son temps : « Les femmes gardent leur coeur pour le vaincu. »
Surprendra peut-être davantage l’évocation de Pétain : figé dans la posture de défenseur de la famille et d’apô- tre du natalisme, le Maréchal, en réalité, était un homme de plaisirs, nullement prêt à les « sacrifier » pour le renouveau de la patrie. Il ne s’est marié qu’à 64 ans, n’a pas eu d’enfants et a continué à Vichy une vie plus que leste. Pas si gaga que ça, la sainte-nitouche, devant les petites dactylos! Le principal de l’ouvrage, cependant, est consacré à l’analyse du facteur homosexuel dans les rapports entre occupants et occupés.
Je résume, évidemment, une thèse qui va en choquer plus d’un, et qui ne devient probante qu’appuyée sur les nombreux exemples allégués. Brasillach, Genet, Fraigneau, Jouhandeau, Benoist-Méchin, Abel Bonnard (excellent portrait de « gestapette »), Montherlant, on n’en finirait pas de citer tous ceux que l’enthousiasme esthétique pour les Apollon germains et les Siegfried casqués a poussés vers de fâcheuses dérives. Sartre a eu beau vouloir faire de Genet un maudit, victime de la société bourgeoise, « Pompes funèbres » n’en reste pas moins une déclaration d’amour enflammée au nazisme. Aspect comique de l’affaire : la déification de Jean Marais sous l’Occupation. Loin d’être un avorton, l’acteur emprunte aux guerriers vainqueurs la splendeur de leur anatomie, tout en devenant une icône du désordre moral.
De ce croisement entre imagerie nazie et fantasmes homosexuels est née après guerre, je pense, l’homopho- bie, terme qui n’existait même pas avant guerre. Les résistants, le gaullisme eurent beau jeu de faire l’amalgame entre amitiés particulières et penchants à la trahison. « Franc-Tireur », journal de la presse clandestine, vilipenda
en Abel Bonnard l’alliance de « la collaboration active et [de] la pédérastie passive ». Sartre donna à l’invective un tour plus relevé, en fulminant contre Drieu et les « demi-castors de la litté- rature », traîtres efféminés cour- tisant honteusement les grands blonds au teint hâlé.
Plus généralement, selon Patrick Buisson, qui résume en termes sévères le préjugé naissant, se répandit l’idée que « la sexua- lité des individus les prédestine en politique à un type de com- portement particulier, [et que], singulièrement, l’homosexualité [...], identifiée à des valeurs fémi- nines, prédétermine une attitude de soumission, étrangère à la virilité [...]. L’inverti est cet être qui non seulement est toujours subjugué par la force, mais en tire un plaisir inavouable, igno- minieux ».
Dans cette idée, stupide si on la généralise, nichent les racines de l’homophobie. Il faudra at- tendre Mai-68 et les barricades du quartier Latin pour rétablir l’image d’une minorité rebelle à l’ordre établi et combattant pour ses droits avec une énergie non moins « virile » que celle des te-
nants de l’orthodoxie.

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