Sida et prison une catastrophe sanitaire annoncée

Nouvelobs

Entretien entre Marie-George BUFFET, Députée de Seine St Denis et Laurent JACQUA, ancien détenu, sur le thème du Sida en prison.

LAURENT, « Vous comprenez, la toxicomanie existe dans les prisons. A partir de là, il faut mettre les moyens nécessaires pour permettre aux prisonniers qui purgent leur peine de ne pas se contaminer. Se contaminer en prison, c’est une forme de double-peine ! ».DSC00995.JPG

MARIE-GEORGE BUFFET, « Je partage votre position. La contamination dans les prisons est une réalité qui doit être reconnue par tous et toutes. Comme s’accordent à le démontrer les instances nationales et internationales de lutte contre le sida, les programmes d’échanges de seringues et la mise à disposition de préservatifs sont des éléments de prévention essentiels. Notre pays devrait s’inspirer de leurs recommandations. »

LAURENT, « Les détenus ont des droits eux aussi. Les prisons ne doivent pas être des zones de non droits pour les détenus. J’ai commis des erreurs et la société m’a jugé pour cela, mais lorsque je suis arrivé en prison, j’ai été confronté à une violence quotidienne qui va au-delà de ce que les gens imaginent. Je me suis senti comme un sous-citoyen, sans aucuns droits. En 1991, le gouvernement de l’époque a autorisé un accès à l’échange de seringues en pharmacie mais en prison, la situation est bien plus compliquée, le taux de contamination y est six fois plus élevé qu’à l’extérieur et il y a une seringue pour cinq détenus ! Faute de distribution de seringues en prison, les personnes utilisent ce qu’elles ont ».

MARIE-GEORGE BUFFET, «  L’accès aux soins pour tous et toutes est un droit. L’égal accès à ce droit doit être garanti par l’Etat par le biais de mesures concrètes. La sécurité ne doit pas servir de prétexte pour priver les détenus de leur droit à la santé. Par ailleurs, à l’occasion de visites de centres pénitentiaires, j’ai pu constater que les personnels manquent de moyens pour mener des actions de prévention et de soin dans de bonnes conditions. La surpopulation carcérale s’ajoute à cela et constitue un facteur aggravant en matière de diffusion de l’épidémie ».

LAURENT, « Oui, parlons de la drogue. Nier la drogue en prison, c’est éviter d’y répondre. Tout le monde le sait mais aucun moyen n’est mis en place pour en gérer les conséquences ».

MARIE-GEORGE BUFFET, « En premier lieu, il faut reconnaître la présence de la drogue en prison et agir pour limiter les conséquences de sa diffusion tant pour les détenus que pour les personnels. Mais à côté de cela, il faut mener des actions de prévention et de soin ambitieuses ».

LAURENT, « Une prison va s’ouvrir prochainement à Melun et un seul médecin sera présent pour 700 détenus ! Comment voulez-vous garantir des soins adaptés dans cette situation ? ».

MARIE-GEORGE BUFFET, « Certains détenus ont besoin de soins spécifiques, mais ils ne bénéficient pas toujours de conditions d’accès appropriées à ceux-ci. Le sida est encore tabou dans les prisons. Certains évitent de regarder en face à cette situation, mais les élu-e-s politiques sont en responsabilité vis-à-vis des questions de santé en prison. C’est pour cette raison que j’ai tenu à évoquer le sujet à l’Assemblée nationale, car c’est l’un des lieux où des décisions peuvent et doivent être prises ».

LAURENT, « Nous n’attendons pas de la pitié mais l’accès à nos droits, comme tout citoyen ».

MARIE-GEORGE BUFFET, « La question de la reconnaissance des droits est primordiale dans la façon d’aborder le VIH-sida en prison. Vous vous battez dans cet objectif, je ne peux que partager ce combat ».

LAURENT, « J’ai eu de la chance si je peux dire car en prison, j’avais la lecture et l’écriture. C’est ce qui m’a aidé à sortir de prison ; c’est ce qui m’a permis d’éviter de sombrer comme tant d’autres. Pour ceux qui n’ont pas cette possibilité, je veux me battre car il faut changer cette situation dans les prisons. Ce n’est pas digne d’un pays comme la France ».

Note :

Mercredi 29 juin 2011, Bernard Thomasson, sur France Info, recevra Jean Luc ROMERO président de l’association ELCS (Elus Locaux contre le Sida) à cette occasion une interview avec Marie George BUFFET et moi-même sera diffusée entre 12h45 et 13h.

Laurent à L’Assemblée par LaurentJacqua

GROUPE D’ÉTUDES SUR LE SIDA

Compte rendu de l’audition du mercredi 6 avril 2011 à l’Assemblée Nationale.

Audition :

Ÿ M. Laurent JACQUA, ancien détenu

Ÿ Docteur Laurent MICHEL AP-HP (E. ROUX)

Et pour le Ministère de la Santé (DGS Direction générale de la santé) :

Ÿ Mme Dominique PETON-KLEIN titre à préciser

Ÿ Mme Laurence CATÉ – Bureau des infections par le VIH, les IST et les hépatites

Ÿ Mme Zinna BESSA - Sous direction de la prévention des risques infectieux

Associations présentes :

Ÿ Act-Up Paris : Mme Laura PETERSELL

Ÿ Aides : M. Fabrice PILORGÉ

Ÿ Solidarité Sida : Mme Mélanie HUBAULT

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Député(e)s présent(e)s ou représenté(e)s :

Mme Marie-George BUFFET, députée de Seine-St-Denis,

Présidente du groupe d’études sur le sida

M. Serge BLISKO, député de Paris

Président du groupe d’études sur les prisons et les conditions carcérales

Mme Catherine COUTELLE, députée de la Vienne

Mme Pascale CROZON, députée du Rhône

Mme Catherine GÉNISSON, députée du Pas-de-Calais

Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL, députée de Paris

M. Michel HUNAULT, député de Loire-Atlantique

Mme Catherine LEMORTON, députée de Haute-Garonne

M. Patrice MARTIN-LALANDE, député du Loir-et-Cher

M. Alain MARTY, député de la Moselle

M. Alain VIDALIES, député des Landes

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Mme Marie-George BUFFET rappelle qu’une précédente audition avait été consacrée en mars 2009 au VIH en milieu carcéral au sein duquel le taux de prévalence est sensiblement supérieur à celui de la population générale. Le Conseil national du sida (CNS) juge incomplète la politique de réduction des risques à l’intérieur des prisons en soulignant la faible efficacité décontaminante de l’eau de Javel vis-à-vis du VIH et encore plus du VHC, indique Mme Buffet. Le plan stratégique 2010-2014 publié en octobre 2010 conjointement par les Ministères de la Santé et de la Justice concernant les personnes placées sous main de justice appelle des explications et des interrogations, estime Mme Buffet.

M. Laurent MICHEL précise que le groupe de travail de l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida) consacré au risque infectieux en milieu carcéral a établi un état des lieux sous l’angle des deux textes réglementaires de référence, à savoir la circulaire de 1996 relative à la lutte contre le sida en milieu pénitentiaire et un guide méthodologique en voie de réactualisation.

Le principe d’équivalence des soins entre le milieu pénitentiaire et la population générale n’est pas respecté, affirme M. Michel. S’agissant de la prévention, le simple usage d’eau de Javel ne répond pas aux recommandations de l’OMS et d’ONUSIDA qui préconisent la mise à disposition de préservatifs et une politique d’échanges de seringues, observe M. Michel. La promiscuité, l’absence d’intimité ou les pratiques à risques qui restent taboues comme la sexualité ne font qu’aggraver l’état sanitaire de la population carcérale qui présente déjà des risques accrus à l’entrée en détention, indique encore M. Michel.

En Ile-de-France, un rapport de la DRASS (Direction régionale des affaires sanitaires et sociales) évalue les taux de prévalence du VHC et du VIH respectivement 7 fois et 3 fois supérieurs en détention, souligne M. Michel. Enfin, une enquête réalisée dans les UCSA concernant 70 % de la population carcérale a révélé de sérieuses insuffisances en terme de prévention (outils présents de façon très variable et moyennement connus) et a montré, estime M. Michel, un écart considérable entre les recommandations d’une politique de réduction des risques et les pratiques réelles. La politique de santé publique qui a donné des résultats, bons pour le VIH, plus moyens pour le VHC, ne peut pas s’arrêter à la porte des prisons, conclut M. Michel.

Mme Dominique PETON-KLEIN rappelle les axes du plan d’actions stratégiques 2010-2014 rendu public le 28 octobre 2010 :

Ÿ une connaissance de la santé des personnes détenues (en termes de données épidémiologiques) qui constituent une population à risque à l’entrée en détention et qui le reste à la sortie.

Ÿ une politique de prévention et d’éducation pour la santé : réduction des risques en prison, prise en charge du VIH, du VHC, des IST, dépistage

Ÿ un accès aux soins, tant somatiques que psychiatriques

Ÿ un dispositif de protection sociale avec une affiliation automatique des personnes détenues au régime général d’assurance maladie

Ÿ une politique d’hygiène et de salubrité des établissements pénitentiaires

Ÿ une réflexion sur les conditions d’incarcération des personnes détenues (promiscuité, facteurs à risques)

Mme Zinna BESSA précise que cette réflexion qui a fait d’une large concertation tant avec les associations que les milieux institutionnels a conduit à des recommandations soumises à la Conférence nationale de santé pour lesquelles le CNS a émis un avis favorable.

Après avoir indiqué qu’il a passé 25 années en détention en étant malade, M. Laurent JACQUA affirme que la population pénale est aujourd’hui en grand danger et souligne que les outils de prévention envisagés le sont 30 ans après l’apparition du VIH. S’agissant des échanges de seringues. M. Jacqua cite le cas de l’Espagne où cette disposition ne pose pas de problèmes alors qu’en France, on dénombre en moyenne une seringue pour dix détenus et un taux de vol élevé dans les UCSA qui explique le développement de la contamination.

Selon M. Jacqua, les UCSA manquent de moyens et sont totalement débordés alors que la liste d’attente est très longue pour consulter un médecin spécialiste. L’absence de secret médical, les trafics de drogue et les échanges de seringues conduisent tout droit à une véritable catastrophe sanitaire qui devrait appeler une forte réaction des pouvoirs publics, estime M. Jacqua en préconisant des aménagements de peine pour raisons médicales pouvant aller jusqu’à la suspension lorsque le pronostic vital est engagé.

Jugeant que les conditions difficiles comme le placement en quartier disciplinaire ou l’obsession de la sécurité sont peu compatibles avec une réelle politique de prévention et de soins, M. Jacqua déplore l’absence de mise en place de protocole pour les co-infectés. Le droit à la santé est un droit fondamental et les détenus restent des être humains, insiste M. Jacqua en regrettant le manque de données chiffrées sur les décès réellement dus au VIH en prison.

Pour Mme Marie-George BUFFET, le droit à la santé des personnes détenues constitue un enjeu majeur de santé publique.

M. Michel HUNAULT demande si la mise en place de caméras dans les cours ou les couloirs des prisons est susceptible d’apporter une amélioration en termes de sécurité et si l’affiliation au régime général de la sécurité sociale est suffisante pour assurer une bonne couverture maladie. M. Hunault reconnaît la nécessité de parfaire la prévention et demande des précisions sur l’examen médical et le dépistage, tant à l‘entrée en détention qu’à la sortie.

M. Serge BLISKO précise que les dispositions actuelles prévoient bien un examen médical à l’entrée en détention ainsi qu’une proposition de dépistage du VIH et du VHC et demande s’il est prévu un dépistage à la sortie qui permettrait d’évaluer les évolutions de la charge virale ainsi que les séroconversions.

M. Laurent JACQUA doute de l’efficacité des caméras installées dans les cours de promenade puisque les shoots de drogue ont surtout lieu en cellule et estime que les moyens financiers ainsi employés seraient bien plus utiles à la prévention et aux soins. M. Jacqua confirme que les UCSA proposent bien le dépistage à l’entrée en prison mais que beaucoup de détenus le refusent en raison de la stigmatisation de la maladie.

Mme Catherine GÉNISSON demande comment est prise en charge la toxicomanie en milieu carcéral.

M. Laurent JACQUA indique que les UCSA proposent du Subutex, mais que la drogue (l’héroïne) existe encore en prison et qu’elle est souvent injectée avec la même seringue partagée entre plusieurs détenus.

Mme Marie-George BUFFET confirme d’importantes entrées de drogue à la prison de Villepinte au sein de laquelle 60 % des détenus ont moins de 30 ans.

Mme Laurence CATÉ rappelle que le dépistage à l’entrée est systématiquement proposé sans être obligatoire et qu’il est souvent refusé. Elle précise que le Plan d’action 2010-2014 prévoit une amélioration du dépistage tant à l’entrée qu’à la sortie afin de mieux suivre les séroconversions, ainsi que le recommande la Haute Autorité de la Santé. Mme Caté précise qu’une étude sur la prévalence du VIH et du VHC en milieu carcéral (PREVACAR) est menée depuis fin 2007 par la DGS et l’InVS (Institut de veille sanitaire) grâce à des questionnaires adressés aux patients de 27 prisons ainsi qu’aux UCSA sur leurs pratiques de prise en charge. Le ministère de la Santé devrait en publier les résultats avant la fin du 1er semestre 2011, espère Mme Caté.

Mme Marie-George BUFFET demande quels sont les blocages ou les éventuels manques de moyens qui empêchent l’application de certaines recommandations au sein des prisons. A la prison de Villepinte, précise Mme Buffet, ce n’est pas un problème de postes en personnel mais le manque de motivation des praticiens à venir exercer dans les UCSA qui est à déplorer. Mme Buffet demande quelles incitations sont envisagées à ce sujet.

Il est prévu un médecin pour 600 détenus à la nouvelle prison de Melun, selon M. Laurent JACQUA qui réaffirme que les conditions de travail au sein des UCSA sont déplorables. Certains établissements comme la centrale de Poissy peuvent même être très bien pourvus, explique M. Jacqua, mais sans disposer des moyens nécessaires au bon suivi des dossiers.

M. Laurent MICHEL précise que les détenus, dont beaucoup sont déjà consommateurs de drogues à leur entrée en prison, ont le choix entre le sevrage ou un traitement de substitution. Le risque est alors grand de faire une overdose à la sortie pour les détenus qui ont caché leur habitude de consommation à leur entrée, explique M. Michel. S’agissant des soins, il constate une dotation insuffisante en médecins spécialistes et observe des disparités considérables entre les établissements qu’il attribue à une absence de politique globale. M. Michel estime qu’il manque aujourd’hui une vraie politique de réduction des risques dans les prisons qui soit calquée sur celle du milieu extérieur et qui passerait par une formation adaptée des soignants et des personnels pénitentiaires.

Mme Marie-George BUFFET demande quelles sont les responsabilités partagées entre les Ministères de la Santé et de la Justice.

Mme Dominique PETON-KLEIN reconnaît qu’il existe des disparités importantes entre les UCSA et indique que les nouveaux établissements pénitentiaires seront implantés en priorité près des grandes villes. L’informatisation des UCSA devrait être achevée à la fin de l’année 2011, espère Mme Peton-Klein qui annonce la possibilité pour les UCSA de proposer un dispositif ambulatoire diversifié dans les cinq ans à venir.

Mme Catherine GÉNISSON souligne la grande distorsion entre le nombre de psychiatres libéraux et hospitaliers et demande quelles mesures incitatives sont envisagées, sachant que la France est plutôt mieux pourvue en la matière que ses principaux voisins européens.

Mme Dominique PÉTON-KLEIN indique que 2/3 des psychiatres sont libéraux et que le nombre des psychiatres devrait diminuer d’un quart dans les 5 ans à venir. La faible attractivité des postes de praticiens hospitaliers explique en partie les vacances de postes à l’hôpital, estime Mme Péton-Klein en rappelant que le plan d’action 2010-2014 prévoit d’améliorer la motivation des personnels et de créer des postes d’internes et d’infirmiers au sein des prisons selon une formule de temps partagé avec l’extérieur.

M. Serge BLISKO rappelle le principe de volontariat du personnel médical dans les prisons et s’inquiète du respect du secret médical partagé.

M. Laurent JACQUA estime que le parfait respect du secret médical n’est pas compatible avec la détention si les co-détenus ont connaissance des convocations médicales, si les surveillants sont présents dans les infirmeries et si les policiers sont présents dans les blocs opératoires. Selon M. Jacqua, la surpopulation des maisons d’arrêt et l’instauration des peines planchées n’augurent rien de bon en la matière.

En conclusion, Mme Marie-George BUFFET estime que la richesse des interventions constitue une piste intéressante pour la prochaine audition du Ministre de la Santé prévue le mercredi 11 mai 2011.

A bientôt sur le BLOG pour la suite…

Laurent JACQUA

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