Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Thierry Meyssan a accordé à IBnews sa seule interview à la presse gay francophone depuis la parution de "L'Effroyable imposture"

IBnews :  Catholique devenu laïc, franc-maçon remuant, hétérosexuel repenti. Est-ce que ces qualificatifs vous conviennent?

Thierry Meyssan : Non, aucun. J'ai été élevé dans un milieu très catholique et j'ai cherché des réponses aux questions existentielles en suivant des études de théologie et de philosophie. En définitive, je pense que la vie n'a pas de sens prédéterminé. Elle a le sens que nous choisissons de lui donner. Par ailleurs, je suis partisan de la laïcité. Cela n'a rien à voir avec mes convictions personnelles, c'est une conception politique de la société : pour que chacun puisse vivre librement, il convient que l'on distingue la sphère privée de la sphère politique. Je suis franc-maçon dans la lignée des philosophes des Lumières. J'ai donc une conception offensive de la maçonnerie qui peut paraître surprenante au regard de la dérive conformiste, voire affairiste, de quelques loges trop connues. Enfin, comme la plupart des gays de ma génération, j'ai mis du temps à admettre mon homosexualité. Adolescent, j'ai essayé de me prouver que je pouvais faire «mieux» que les autres et je me suis retrouvé père de famille à 17 ans. Il ne m'a pas fallu beaucoup de temps supplémentaire pour me rendre compte que l'hétérosexualité, ce n'était pas mon truc.

 

IBnews :   'L'Effroyable imposture' connaît une audience mondiale, notamment sur les forums Internet. En êtes-vous surpris?

Thierry Meyssan : Oui. Je l'espérais, mais je ne pensais pas cela possible. Nous n'avons imprimé le premier tirage qu'à 20.000 exemplaires. Trois semaines plus tard, nous en sommes à près de 200.000 exemplaires vendus, ce qui représente le record absolu de l'édition française en un si bref délai. Ce succès s'expliquait, dans un premier temps, par la curiosité suscitée par l'émission 'Tout le monde en parle'. Il se poursuit uniquement par le bouche-à-oreille. Les premiers lecteurs le conseillent à de nouveaux lecteurs, pendant que la presse parisienne m'agonise d'insultes. Une dizaine d'éditions étrangères paraîtront courant mai. Aux USA et au Canada anglophone, la presse parle peu du livre, mais partout ailleurs à l'étranger, elle y consacre ses unes et salue la qualité de l'enquête.

 

IBnews :  A la différence de la presse arabe, les médias occidentaux oscillent entre contestation de votre thèse (CNN) et scepticisme (Le Monde évoque une «rumeur extravagante»). Vos confrères français vous reprochent-ils là d'avoir toujours préféré les plateaux de Dechavanne ou d'Ardisson à leurs tribunes?

Thierry Meyssan : Ce n'est pas seulement la presse arabophone qui applaudit ce livre, c'est aussi la presse russe, chinoise, sud-américaine. L'hostilité de la presse parisienne me paraît relever du corporatisme. Il est difficile d'admettre s'être une nouvelle fois fait berner par la propagande de guerre, après le Golfe, Timisoara et le Kosovo. C'est encore plus difficile à admettre lorsque la découverte de la supercherie provient d'un journaliste qui n'appartient pas à la «tribu». C'est insupportable, quand je contourne le pouvoir de quelques faiseurs d'opinion en diffusant des documents et des réflexions par Internet. On m'a souvent reproché de préférer les émissions populaires de Dechavanne et d'Ardisson aux débats coincés et convenus d'Ockrent et de Duhamel. Pareil en politique, je me suis toujours plus intéressé au peuple qu'aux élites. Contrairement à une image répandue, Dechavanne et Ardisson préparent bien mieux leurs émissions de divertissement que certaines stars du journalisme ne préparent leurs émissions d'information. Avant de m'inviter, Thierry Ardisson a lu mon livre et tous les articles que j'ai écris sur le 11 septembre. Il a fait vérifier mes références documentaires par ses assistants pour être sûr de la véracité de mes assertions. Dans le même temps, les éditorialistes du Monde et de Libération ont écrit des articles vengeurs contre mon livre, sans prendre la peine de le lire. Si j'éprouve du respect pour Thierry Ardisson, ce n'est pas uniquement par ce qu'il m'a soutenu, c'est d'abord pour son professionnalisme.

 

IBnews :  Vous enquêtez sur le FN et votre appartement est cambriolé, vous appelez sur Internet au boycott des produits Danone et le site est victime d'une attaque informatique... Pourquoi le Réseau voltaire dérange t-il?

Thierry Meyssan : Le Réseau Voltaire ne s'est occupé que des combats délaissés par les grandes organisations politiques. Jusque-là, les partis politiques étaient contents que nous nous y collions à leur place. Maintenant, ils trouvent que nous allons trop loin et que nous remettons indirectement en question le désordre établi et les relations internationales. Ils auraient dû y penser plus tôt.

 

IBnews :  Lorsqu'on est connu pour combattre la désinformation, n'y a-t-il pas risque à se faire soi-même manipuler? Comment peut-on prendre pour argent comptant les confidences d'un policier selon lesquelles un «contrat» aurait été lancé sur votre tête quand, dans le même temps, les RG décrivent le Réseau Voltaire comme un «vecteur de pénétration de la mouvance progressiste par l'homosexualité militante»?

Thierry Meyssan : Comme vous l'avez dit, notre travail dérange. Nous sommes donc approchés en permanence par des services de police et de renseignement. Je suis sans illusions: il y a ceux qui veulent nous détruire et ceux qui veulent nous manipuler. Je n'accorde de crédit qu'aux informations que je peux recouper et vérifier. Quant au rapport 2000 des RG, je pense qu'il décrit beaucoup plus la stupidité des auteurs que notre association. Effectivement, plusieurs de mes collaborateurs et moi, nous sommes gays; nous avons appris la politique en défendant l'égalité en droit des homosexuels devant des institutions internationales (Parlement européen, CSCE...); nous avons compris que les libertés ne sont pas divisibles et nous avons étendu notre action à d'autres combats. Seuls des fonctionnaires bornés et homophobes pouvaient en tirer les conclusions que vous citez.

 

IBnews :   Vous avez été le seul à présenter le vrai visage du Pasteur Doucé en dénonçant plus largement une infiltration néo-nazie dans la communauté gay. Dix ans plus tard, vos craintes se sont-elles vérifiées?

Thierry Meyssan : Cette affaire était sinistre. Avec mes amis, nous nous sommes élevés contre une réaction épidermique de la communauté gay de l'époque. Par solidarité entre réprouvés, on s'efforçait d'ignorer l'engagement du pasteur Doucé aux côtés d'une organisation néo-nazie. Même si la polémique a été vive, je pense que nous avons gagné sur le fond et que ce genre de chose serait impossible aujourd'hui.

 

IBnews :  Vous avez combattu l'amendement Jolibois, dont l'un des objectifs non avoués était de signer la mort de la presse gay. Pour vos adversaires, au contraire, le Réseau Voltaire était un «paravent cachant publications et messageries pornos cherchant à se protéger contre des poursuites judiciaires»...

Thierry Meyssan : La liberté n'est jamais définitive et ce combat est loin d'être terminé. En 1988, Charles Pasqua avait interdit la presse gay par arrêté ministériel. En 1994, le sénateur Jolibois a réussi à introduire dans le Code pénal une disposition conçue pour parvenir au même but. Nous en avons rendu l'application partiellement impossible. Reste que l'article Jolibois y est encore inscrit et que les adversaires des libertés tentent de lui trouver d'autres applications. On l'a vu par exemple avec les mesures frappant le film 'Baise-moi'. Mes adversaires m'ont toujours présenté comme le lobbyiste de la presse porno. En réalité, comme les révolutionnaires de 1789, j'ai toujours pensé que les libertés individuelles se mesurent d'abord à l'aune de liberté d'expression, qu'elle soit politique ou sexuelle. Saint-Just et Mirabeau étaient des auteurs de romans pornographiques. Je n'ai pas le même talent qu'eux, mais comme eux je pense qu'on ne peut défendre les libertés sans être libertin.

 

IBnews :  Vous avez été président de l'association du Mémorial de la déportation homosexuelle. Bien que ce monument commémoratif se fasse attendre, comment jugez-vous la récente reconnaissance officielle de ce fait historique?

Thierry Meyssan : Pour que la société retrouve la mémoire de ce drame, nous avons dû batailler à la fois à l'extérieur et à l'intérieur de la communauté gay. Les autorités politiques niaient les faits par homophobie, tandis que certains auteurs gays voulaient les exagérer pour les élever au sommet de leur martyrologie. On admet aujourd'hui que ces crimes ont été massifs et qu'ils ont été circonscrits à l'épuration des populations dites «aryennes». Les faits étant établis et reconnus par le consensus des historiens, on peut les interpréter. La déportation n'a pas concerné tous les homosexuels; elle n'a pas visé notre communauté. Ces crimes ont été commis dans les territoires du Reich (y compris l'Alsace-Moselle) au nom de la «pureté de la race». Sur le plan symbolique, le fait homosexuel, par sa simple existence, suffit à manifester l'inanité du concept racial.

 

IBnews :  En tant que secrétaire national du Parti Radical de gauche, comment jugez-vous le parcours présidentiel de Christiane Taubira? La gauche avait-elle besoin d'un 4e candidat, aussi gay-friendly soit-il?

Thierry Meyssan : Initialement, le radicalisme est un mouvement politique contestant la légitimité des pouvoirs au nom de l'universalité. Pour moi, Jean Moulin incarne la lucidité face à la montée des périls dans les années trente et le soutien aux Républicains espagnols quand le Front populaire se réfugiait lâchement dans la neutralité. Surtout, contrairement aux gaullistes, il a voulu organiser la Résistance au nazisme sur une ligne antifasciste et non pas nationaliste. C'est aussi un modèle de courage, une qualité aujourd'hui fort rare en politique. Parce qu'il s'est plus impliqué dans des combats politiciens qui m'indifférent, je me sens moins proche de Pierre Mendès-France dont j'admire cependant l''uvre anticolonialiste. Depuis 7 ans, je suis l'un des secrétaires nationaux du PRG. À ce titre, je participe chaque semaine aux réunions des instances dirigeantes avec nos parlementaires et nos ministres. J'y développe des positions audacieuses qui ne sont parfois écartées, parfois reprises par le parti. Je me suis beaucoup impliqué dans la désignation de Christiane Taubira comme candidate du PRG parce que c'est une femme de grande qualité et parce qu'il faut poser des actes en conformité avec nos idées. Si nous sommes partisans d'une République diverse, il n'y a pas de raison pour que nous présentions, nous aussi, un homme, blanc, hétérosexuel, chrétien, en costume-cravate.

 

IBnews :  Sur quels dossiers travaillez-vous actuellement?

Thierry Meyssan : L'enquête que j'ai commencée avec 'L'Effroyable imposture' doit être poursuivie. On ne sait toujours pas ce qui s'est vraiment passé le 11 septembre, et on ignore qui sont les vrais coupables de ces attentats. La paix est suspendue à la réponse à ces questions. Aux USA déjà, des parlementaires comme Cynthia McKinney (Démocrate-Géorgie) s'appuient sur mon livre et s'interrogent publiquement pour savoir si la famille Bush n'est pas la principale bénéficiaire des délits d'initiés commis, juste avant le 11 septembre, sur les compagnies aériennes et d'assurance concernées. Et si, l'entourage de George W. Bush ne tire pas des profits de la guerre en Afghanistan et des actions à venir prétendument «contre le terrorisme». A la suite de la conférence que j'ai prononcée, le 8 avril à Abu Dhabi sous les auspices de la Ligue arabe et de l'émission à laquelle j'ai participé sur Al-Jazeera, plusieurs États envisagent de demander une Commission d'enquête internationale au sein de l'ONU. Dans son discours sur «l'axe du Mal», George W. Bush a indiqué son intention de bombarder 8 États. Nous ne pouvons pas rester passifs et attendre résignés ces massacres annoncés. Pour ma part, je continuerai jusqu'à son terme mon action pour que la vérité sur les attentats soit connue et que la paix soit préservée.

Propos recueillis par

Patrick Rogel

 

Le privilége de réplique