Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Le journalisme en ligne perd une star !

D'après Yahoo

Il avait créé Slate en 1996: Michael Kinsley a décidé de jeter l´éponge. Et de passer à autre chose. Portrait d´un journaliste américain génial qui a essayé d´inventer la presse en ligne.

Michael Kinsley quitte Slate, le magazine en ligne qu´il avait créé en 1996. Après six ans de journalisme en ligne, Kinsley abandonne, un peu déçu de ne pas avoir prouvé qu´on pouvait être rentable en faisant de la presse en ligne. Affecté par la maladie de Parkinson depuis plusieurs années, le journaliste aux lunettes envahissantes, le visage marqué par des problèmes de peau, affirme aussi vouloir s´en aller avant d´en avoir assez, même s´il restera collaborateur occasionnel du site éditorial.


L´information a fait beaucoup de bruit aux Etats-Unis. Mais moins, quand même, que lorsque le même Kinsley avait annoncé son départ des bureaux de Washington de CNN pour le complexe de Microsoft à Seattle. A l´époque, le journaliste avait fait la Une de Newsweek. Qui cherchait à comprendre comment le co-présentateur de CrossFire, émission politique phare de la chaîne câblée d´information, pouvait abandonner l´atmosphère lourde de complots de la capitale pour les forêts de l´État de Washington. Comment celui qui avait été le plus jeune (27 ans) directeur de la rédaction de New Republic, le très côté magazine de la gauche américaine intelligente, mais aussi le directeur des pages États-Unis du prestigieux The Economist britannique, pouvait avoir envie de monter un magazine sur Internet?

La motivation était pourtant logique pour le journaliste: l´aventure.Le goût de la découverte. Et une excitation intellectuelle qui avait commencé après avoir entendu un des dirigeants de Microsoft expliquer, à la radio, qu´il aimerait bien savoir ce que l´on pouvait faire, en ligne, en matière de journalisme. Dans les jours qui suivirent, il reçut un email de Kinsley: « je suis votre homme ». Nathan Myrvhold, alors président de Microsoft Research, décide de prendre « l´expérimentation » dans son budget. Et Kinsley annonce son déménagement pour Redmond, banlieue de Seattle. « Franchement, je me demandais aussi comment je pourrais me passer des bruissements du microcosme politique, dit Kinsley (rencontre avec l´auteur en 1996). Mais mon choix était fait. Et j´ai découvert le plaisir d´entendre les oiseaux au réveil... »

Il découvre aussi Microsoft. Kinsley n´avait qu´une exigence: totale liberté. Il va l´avoir. Le jour de son arrivée au bureau, fin 1995, il se pointe coiffé d´une casquette du DOJ, le ministère américain de la Justice, qui poursuit déjà la firme pour abus de position dominante. Et quand le premier numéro de Slate est publié, le dossier a pour titre: « Microsoft est-il dangereux? » Avec une réponse sans appel: « Oui ». « Je n´ai eu aucune remarque, dit Kinsley, avec un sourire. Mais je me disais que, puisqu´on me garantit l´indépendance, autant tester d´entrée de jeu. » Il est tellement à part qu´il ne croisera Bill Gates que plusieurs mois après son arrivée.

Slate va être, pendant six ans, un laboratoire de la presse en ligne. Intelligent, brillant, à l´image de son fondateur. Le magazine va tester des formules d´abonnement en 1998, sans jamais réussir à trouver l´équilibre économique. En 1997, il a même eu une version papier pendant quelques mois. La raison: « j´en avais assez de ne pas être lu par les politiques de Washington, pour qui le Web est un OVNI », dit-il.

Cela ne suffira pas. Malgré les journalistes de qualité, malgré les plus de 2 millions de visiteurs par mois, Slate n´est toujours pas à l´équilibre. Mais Microsoft continue de financer: ce n´est, finalement, qu´une goutte d´eau pour la firme. Kinsley, lui, va partir vers d´autres aventures. Se reposer. Se soigner. Mais on l´attend, très rapidement, sur d´autres médias. Considéré comme l´un des journalistes politiques les plus brillants de sa génération, il est loin, à 50 ans, d´avoir fini sa carrière. Heureusement pour les lecteurs.

 

Le privilège de réplique