Par Le National
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John Gielgud, le dernier des chevaliers shakespeariens est mort!

LONDRES, 22 mai (AFP) - Avec John Gielgud, décédé dimanche à 96 ans, disparaît l'une des dernières légendes vivantes du théâtre classique britannique, grand spécialiste des rôles shakespeariens où il a atteint la perfection avant d'entamer une seconde carrière tardive au cinéma.

"Je n'ai jamais rien compris à la politique, j'ai été un bon à rien en sports et je ne sais pas conduire. J'aime qu'on s'occupe de tout pour moi. Mais quand j'arrive au théâtre, je veux tout prendre en charge", confiait celui qui fut fait "chevalier" en 1953 par la reine Elizabeth II.

Sa passion pour les planches, le grand amour de sa vie, ne s'est jamais démentie. Né le 14 avril 1904, Sir John Gielgud appartenait à une dynastie familiale de comédiens remontant à la fin du 18ème siècle.

Sa première apparition sur scène remonte à 1921, dans Henri V. Mais il n'y incarnait qu'un rôle secondaire de simple messager et reconnut plus tard sans difficulté avoir alors déclamé fort mal sa seule réplique.

Sa carrière débute réellement deux ans plus tard, dans le rôle de Roméo. Il ne quittera plus l'univers de Shakespeare, s'imposant dès cette époque comme l'un des plus fins diseurs de vers de la langue anglaise.

Sa voix, à la fois profonde, soyeuse et mélodieuse, son élégance ethérée, sont restées ses plus grands atouts tout au long de sa prolifique carrière. Il a campé Hamlet plus de cinq cents fois, joué Roméo, Richard II et Macbeth à profusion. Mais de tous les rôles du barde national anglais, c'est celui du mage Prospero dans la comédie féerique La Tempête qu'il affectionnait le plus.

Quintessence du gentleman britannique distingué aux yeux des Américains, Gielgud n'en avait pourtant nullement la prétention.


Sir John Gielgud

Il avouait volontiers ne pas avoir "toujours compris" le message de son auteur de prédilection et se défendait d'être un "intellectuel". "Les pièces un peu trop compliquées ne m'ont jamais intéressé. Je trouve les discussions tout à fait ennuyeuses. Je veux de la couleur, de la beauté, du drame et de la magie", confiait-il.

Longtemps l'un des derniers survivants de la génération "glorieuse" du théâtre britannique (incarnée aux côtés de Sir Ralp Richardson et Lord Olivier), John Gielgud ne s'est pourtant pas cantonné à Shakespeare.

Il a joué avec la même intensité les auteurs contemporains comme Harold Pinter et Peter Brooke et s'est révélé à partir de la fin des années 1950 un étonnant comédien de cinéma, mais aussi de télévision et de radio pour lesquelles il a travaillé pratiquement jusqu'à son dernier souffle.

Après avoir commencé par des adaptations au grand écran d'oeuvres de Shakespeare --il fut le Jules César de Mankiewicz en 1953-- Gielgud a touché à tous les genres, finissant même en 1980 par obtenir un Oscar de meilleur second rôle pour une comédie, "Arthur", qu'il ne tenait pas dans son coeur.

Sa performance la plus poignante au cinéma reste sans doute dans "Providence" d'Alain Resnais en 1977. Il tourna également avec Wajda ("Le chef d'orchestre") et David Lynch ("Elephant Man") et ne recula pas devant une scène de nu à l'âge avancé de 87 ans dans l'adaptation expérimentale de La Tempête par Peter Greenaway.

John Gielgud n'a jamais fait mystère de son homosexualité même s'il s'est toujours refusé à militer ouvertement pour les droits de la communauté gay, par crainte d'attirer par trop le regard scrutateur des médias.

Très jaloux de son intimité, il a longtemps vécu en quasi-reclus dans une élégante demeure du 17ème siècle au côté de son compagnon australo-hongrois Martin Hensler.

Ennemi des honneurs et de la pompe, l'acteur tenait à quitter ce monde dans la discrétion après avoir refusé toute célébration pour son 90ème anniversaire.

"J'ai laissé des instructions strictes: pas de cérémonie commémorative", avait-il prévenu ses admirateurs.