“Traiter de l’homosexualité au cinéma n’est plus sujet à polémique”

France24

Le film “Beginners” de l’Américain Mike Mills, en salles depuis mercredi, évoque les relations entre un quasi-quadragénaire et son père homosexuel sur fond de vague à l’âme sentimental. Rencontre avec le réalisateur.
Par Guillaume GUGUEN / Jon FROSCH (texte)

À l’approche d’un été qui s’annonce, comme chaque année, riche en grosses productions, la sortie du film “Beginners” (”Débutants”) débarque comme une bouffée d’oxygène avant la déferlante. Le second long-métrage de Mike Mills sonde, avec délicatesse, les états d’âme d’un Américain quasi quadragénaire (Ewan McGregor) dont l’histoire d’amour avec une jeune actrice française (Mélanie Laurent) est hantée par la mort de son propre père homosexuel (Christopher Plummer). Rencontre avec le réalisateur américain qui s’est inspiré de son expérience. Et de son amour pour le cinéma européen.

FRANCE 24 : Votre film a une portée politique au sens où il évoque une histoire d’amour homosexuel et traite des relations entre un père gay et son fils. Que pensez-vous de la représentation de l’homosexualité au sein du cinéma américain ?

Mike Mills : Traiter de l’homosexualité n’est plus sujet à polémique, que ce soit au cinéma ou à la télévision. Il existe aujourd’hui tellement de séries télévisées avec des personnages homosexuels que cela ne choque plus personne.

Bande annonce de “Beginners”

L’acte le plus politique de mon film est, justement, de ne pas politiser l’homosexualité. Hal [le père, interprété par Christopher Plummer] est un homme qui a tout simplement fait son “coming out” sur le tard. C’est un homme qui en aime un autre, mais ce n’est pas uniquement cela qui le caractérise. Ce n’est pas seulement un personnage homosexuel. Paradoxalement, je pense que l’aspect le plus politique ou le plus progressiste du film est d’avoir mis en scène des gays et des hétérosexuels vivant ensemble sans que cela pose problème.


FRANCE 24 : Pourquoi avez-vous souhaité travailler avec l’actrice française Mélanie Laurent ?

M. M. : À l’origine, je n’avais pas écrit le rôle d’Anna pour une actrice française, mais je cherchais une femme forte, intelligente, intuitive, libre et un peu sauvage, sans être folle. Je connais beaucoup d’Américains mariés à des Français, et il y a beaucoup de couples binationaux à New York et à Los Angeles. Me tourner vers une actrice européenne ne me posait donc pas de problème.

Je ne connaissais pas Mélanie Laurent puisqu’à l’époque “Inglourious Basterds” [de Quentin Tarantino] n’était pas encore sorti en salles. Quelqu’un m’a soufflé son nom. Je suis allé regarder toutes ses interviews sur YouTube. Je ne comprends pas le français mais j’ai aimé son énergie. Elle semblait insouciante, détachée, un peu punk d’une certaine manière.
Sa prestation lors de l’audition fut extraordinaire. Dès lors, je n’imaginais aucune autre actrice pour le rôle d’Anna. Au moment du tournage, elle comprenait ce que je désirais en tant que cinéaste ; elle savait où se trouvait la caméra, d’où venait la lumière, ce que racontait l’histoire. Elle sait se fier à son intuition. Etre pragmatique tout en sachant s’abandonner à l’inconnu : c’est ce que je préfère.
Je la trouve également très drôle. Je me souviens qu’une fois, dans un fast-food, elle avait avalé deux hamburgers sans hésitation. C’est génial ! Tout ce que j’adore chez une femme !


FRANCE 24 : Pourquoi avoir choisi des comédiens étrangers (Mélanie Laurent, Ewan McGregor, Christopher Plummer, Goran Visnijik) pour jouer dans un film aussi profondément ancré dans l’histoire et la société américaines ?

M. M. - Ce sont tous des acteurs que j’apprécie. J’ai une certaine sensibilité envers l’Europe. Il y a une tonne de films et de réalisateurs européens qui m’ont influencé, tout particulièrement pour “Beginners”. Le cinéaste hongrois Istvan Szagbo a réalisé dans les années 1970 le long-métrage “Love Film” qui a beaucoup influencé mon travail. C’est aussi une histoire très personnelle sur la mémoire. Le poétique “8 ½” de Frederico Fellini est également un film très personnel qui est une réflexion sur la vie du réalisateur.
Il existe un grand nombre de films qui traitent du thème du souvenir. Je pense à “Hiroshima, mon amour“ et “La guerre est finie“ d’Alain Resnais, deux des films que je préfère en raison de la précision de la réalisation mais aussi de leur fin ouverte qui laissent libre court à toutes les interprétations.
J’adore aussi l’humour du film ”Tirez sur le pianiste” de François Truffaut. J’en étais accro durant l’écriture de “Beginners”. Il agissait sur moi comme un antidépresseur.
Et, bien sûr, j’aime Jean-Luc Godard. “Beginners” est un film où s’entremêlent le sexe, les relations, les émotions, l’Histoire et la politique. L’univers de Godard en quelque sorte.

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