Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Le film "Tout sur ma mère"; liberté sexuelle ou parodie?


Pedro Almodovar / Carlos Lozano, acteur / Cecilia Roth, actrice

Tout sur ma mère de Pedro Almodovar

J'ai toujours détesté qu'on dise d'Almodovar qu'il s'était assagi au fil des ans. Comme si sa seule vraie qualité était d'être outrancier. Comme s'il n'avait d'autre intérêt que de nous présenter des personnages farfelus dans des situations extravagantes, qui finissaient par nous toucher presque malgré nous, sans qu'on arrive à comprendre comment le maître s'y était pris. On allait le voir, semble-t-il, uniquement pour ses morceaux de bravoure, pour la grande liberté qui habitait son univers (liberté sexuelle, surtout !). Et pour rire, bien sûr. Et des terroristes gais au sens de l'odorat surdéveloppé aux petites filles aux pouvoirs télékinétiques, en passant par les bonnes soeurs qui écrivent des romans pornos, les mères qui donnent leurs enfants en pâture aux dentistes pédophiles et les gaspacho aux somnifères, ils nous en a donné, certes, des occasions de rire. Mais on semblait regretter qu'avec ses derniers films, cette folie laissait place à autre chose.

On ne peut pas faire des pitreries toute sa vie. Quel dommage.

Pourtant, derrière le rire sa cachait toujours autre chose. Une vérité qui s'immisçait de manière presque subtile, si on considère justement le côté outrancier de ses films. Il fallait bien qu'un jour, ce soit cette vérité qui prenne le dessus. C'est ce qui se produisait, tranquillement, au fil du temps. Et c'est ce qui fait que je n'ai jamais cru qu'Almodovar s'assagissait, mais qu'il approfondissait son univers. Ceux qui regrettaient ses excès du passé ont tout simplement négligé de le remarquer. Pas sage, Almodovar: simplement à la recherche d'une façon plus juste de parler des thèmes qui le hantent depuis le début.

Tout sur ma mère, son plus récent film, qui fait couler beaucoup d'encre, et avec raison, nous montre à quel point le cinéaste est en pleine possession de ses moyens et à quel point les recherches un peu plus sérieuses des dernières années lui ont été salutaires. Des magistrales premières minutes du film, qui mènent à l'élément déclencheur du film, jusqu'à la finale ouverte, fin et début à la fois, Almodovar nous présente ici sans doute son film le plus personnel et le plus achevé. Ou du moins, son plus maîtrisé: les effets sont ici parfaitement contrôlés, les prises de vues choisies avec soin, tout semble avoir un sens précis. Et tout à coup, les situations le plus outrancières semblent parfaitement naturelles. Là où, dans les films précédents, on pouvait être ému presque malgré la situation, on est cette fois touché directement, sans détour.

Almodovar nous offre ici un vrai mélodrame, un véritable hommage au cinéma et aux femmes qui, malgré ses personnages parfois extravagants (eh oui ! Une soeur est enceinte d'un homme qui s'est fait posé des seins, et alors ?), ne prend pas des allures de parodie. On se laisse prendre au jeu avec bonheur et on en sort ému, certes, mais aussi (du moins, c'est ce qui m'est arrivé) habité. Tout sur ma mère, contrairement à plusieurs films d'Almodovar, ne parle pas d'une passion amoureuse. Il n'est pas question, comme souvent par le passé, de la nature du désir. Les hommes n'ont qu'une importance passagère, dirait-on, dans cet univers de femmes. Peut-être qu'en osant ainsi se concentrer uniquement sur son sujet préféré, il a pu libérer toute sa richesse, créant un film d'une grande chaleur et, finalement, d'une grande lumière. Imaginez maintenant ce qu'il nous offrira au fil des ans.

Si c'est cela, la sagesse, j'ai hâte, moi aussi, d'être aussi sage.